P.M. Llorca
La Lettre du Psychiatre Vol. VII - n° 3 - mai-juin 2011 | 85
DOSSIER THÉMATIQUE
Dépression et maladie
de Parkinson
Depression and Parkinson’s disease
P.M. Llorca*, I. Chéreau*, I. de Chazeron*
* CHU de Clermont-Ferrand ; univer-
sité d’Auvergne.
L
a maladie de Parkinson (MP) atteint 1 à 2 % des
sujets âgés de plus de 65 ans, soit 4 millions de
personnes dans le monde et environ 100 000
en France (1, 2). C’est la deuxième des affections
neuro-dégénératives, après la maladie d’Alzheimer.
Si elle est connue pour sa triade symptomatique
motrice (akinésie, tremblement et rigidité), elle s’ex-
prime très fréquemment sur un mode non moteur.
Ainsi, le début est, le plus souvent, insidieux et peut,
chez certains patients, se traduire par une sensation
de fatigue physique, une perte globale d’énergie,
accompagnée parfois de troubles du sommeil et
de la mémoire. L’amaigrissement est parfois signalé
comme un des premiers symptômes observés.
Ce registre symptomatique est aussi celui de la
dépression. En fait il existe un véritable recouvre-
ment symptomatique entre les deux troubles mais
aussi une comorbidité fréquente.
Nous allons développer les aspects épidémiologique,
clinique et physiopathologique de cette comorbidité,
avant d’envisager les aspects thérapeutiques.
Épidémiologie
Prévalence de la dépression
dans la maladie de Parkinson
Les taux de prévalence des troubles dépressifs dans
la MP varient de façon considérable selon les études :
ils vont de 2,7 % à plus de 90 %. Une revue récente
de la littérature fait état d’une prévalence pondérée
de survenue d’un épisode dépressif majeur de 17 %
chez les patients atteints de MP, celles d’un épisode
dépressif mineur et d’une dysthymie étant respec-
tivement de 22 % et 13 % (3).
En revanche, on retrouve des symptômes dépressifs
chez près de 35 % des patients parkinsoniens sans
épisode dépressif majeur (EDM) caractérisé. L’uti-
lisation de critères diagnostiques standardisés tels
que ceux du DSM-IV peut expliquer la discordance
entre les différentes études. Comme le suggèrent
les auteurs, la prescription fréquente d’un traitement
antidépresseur peut retarder le diagnostic de MP et
entraîner une sous-évaluation de la co-occurrence
des deux troubles.
Une étude française récente retrouve une prévalence
de la symptomatologie dépressive beaucoup plus
élevée dans un échantillon de patients atteints de MP
que dans un groupe contrôle (40 % versus 10 %) [4].
Dans cette population de patients atteints de MP, les
sujets présentant des symptômes dépressifs avaient
des indices de MP plus sévères ainsi que des perfor-
mances cognitives plus faibles et plus de comorbi-
dités. De même, ils recevaient plus fréquemment
un traitement par lévodopa et moins souvent des
agonistes dopaminergiques, ce qui peut être éven-
tuellement rattaché à la symptomatologie exprimée.
Le risque de survenue d’une symptomatologie
dépressive chez les sujets atteints de MP ne diffère
pas en fonction du genre, contrairement aux symp-
tômes anxieux, qui seraient plus fréquemment
observés chez les femmes.
Relation temporelle entre dépression
et maladie de Parkinson idiopathique
Le diagnostic de dépression est porté plus fréquem-
ment chez les patients atteints de MP avant que le
trouble neurologique ne soit diagnostiqué que dans la
population générale. Le risque relatif (RR) de survenue
d’une dépression avant le diagnostic de MP va, suivant
les différentes études, de 1,20 à 3,13 (5, 6).
Le temps moyen séparant la survenue d’un épisode
dépressif du diagnostic de maladie de Parkinson idio-
pathique (MPI) serait de 6 ans.
86 | La Lettre du Psychiatre Vol. VII - n° 3 - mai-juin 2011
Résumé
La symptomatologie dépressive peut survenir avant les signes moteurs de la maladie de Parkinson. Une fois
cette dernière diagnostiquée, la dépression, connue pour lui être fréquemment associée (chez plus de 20 %
des patients), est pourtant rarement évoquée en consultation par les patients, d’où le difficile mais nécessaire
travail de repérage. L’important recouvrement symptomatique de la dépression et de la maladie de Parkinson
idiopathique (MPI) rend le diagnostic difficile : il faut notamment éliminer tout trouble de l’humeur lié au
traitement médicamenteux ou chirurgical.
Le traitement de la dépression chez les patients parkinsoniens doit faire partie de la prise en charge globale
de la maladie. La première possibilité thérapeutique reste la prescription à dose efficace d’antidépresseurs.
La stimulation cérébrale profonde, bien qu’elle soit un traitement moderne de la MPI, peut, elle aussi, conduire
à la survenue d’épisodes dépressifs souvent résolus par des changements des paramètres de stimulation.
Mots-clés
Maladie de Parkinson
Dépression
Traitement
Stimulation cérébrale
profonde
Summary
Depressive symptoms may
occur before the onset of
Parkinson’s disease (PD) motor
signs. Once PD diagnosed, even
if depression is well-known as
frequently associated with it
(over 20% of patients), depres-
sion is rarely mentioned by
patients in consultation, which
proves difficult but necessary
the active search for depression
symptoms. There is a significant
overlap between depressive
and PD disorders symptoms
which makes diagnosis difficult:
we must exclude mood disor-
ders linked to drug or surgery
therapy.
The treatment of depression
in PD patients must be part of
the overall management of the
disease, and antidepressants
must be prescribed at an effec-
tive dosage.
Deep brain stimulation, even
though it is a new surgical
option for the treatment of
advanced PD, may also lead
to depressive episodes, often
solved by changes in stimula-
tion parameters.
Keywords
Parkinson’s disease
Depression
Treatment
Deep brain stimulation
Les manifestations observées en imagerie (DAT
scan) précéderaient l’apparition des manifestations
motrices également de 6 ans.
Aspects cliniques
Il existe un important recouvrement symptoma-
tique des deux troubles, recouvrement qui rend le
diagnostic difficile.
Les symptômes communs sont :
la perte de l’intérêt (anhédonie) – qui fait partie
des symptômes cardinaux de l’EDM – ;
l’altération de la concentration ;
le ralentissement moteur ;
la perturbation du sommeil et de l’appétit ;
la perte de poids ;
la réduction de la libido.
Diagnostic de dépression au cours
de la maladie de Parkinson idiopathique
Diagnostic différentiel
Au cours d’une MPI, devant un tableau de dépres-
sion, on doit éliminer les diagnostics de troubles
de l’adaptation, de démence, de fluctuation non
motrice et de changement d’humeur consécutif à
une stimulation cérébrale profonde (7).
Utilisation d’échelles d’évaluation
Comme évoqué précédemment, l’hétérogénéité des
données épidémiologiques est souvent secondaire au
caractère inadéquat des outils d’évaluation utilisés.
En pratique clinique, certains outils pourraient être
utilisés afin de confirmer le diagnostic et d’éviter les
errements, notamment thérapeutiques.
La spécificité du Beck Depression Inventory (BDI)
serait insuffisante. L’emploi des items non soma-
tiques de la HAM-D (Hamilton Rating Scale for
Depression) ou de la MADRS (Montgomery and
Asberg Depression Rating Scale) – hormis les items
“appétit réduit” et “insomnie de la seconde moitié
de la nuit” – pourrait présenter un intérêt dans cette
population (8).
De même, la Geriatric Depression Scale semble
présenter d’assez bonnes spécificité et sensibilité (9).
Enfin, plus récemment, il a été montré que la Hospital
Anxiety and Depression Scale (HADS) possédait de
bonnes propriétés psychométriques dans cette popu-
lation pour l’identification des symptômes anxieux
et dépressifs fréquemment sous-évalués (10).
Marqueurs cliniques
Selon J.E. Vanderheyden et al., l’identification d’une
altération fonctionnelle marquée ou d’une histoire de
dépression prémorbide, et la présence de manifesta-
tions anxieuses et dépressives au cours des périodes
off sont autant de marqueurs permettant l’identi-
fication plus rapide de la comorbidité dépressive
au cours du suivi des patients atteints de MP (11).
Évolution temporelle de l’expression
des manifestations dépressives au cours
de la maladie de Parkinson
On retrouve une évolution biphasique de la maladie
dépressive au cours de la MPI, avec deux pics de
survenue (12) :
lors de la phase initiale (souvent interprétée
comme une réaction liée à un “événement de vie”
péjoratif) ;
lors de l’évolution de la maladie, en fonction de
l’aggravation de l’état clinique neurologique, mais
surtout de la dépendance (13).
Conséquences fonctionnelles
de la comorbidité maladie de Parkinson-dépression
La survenue de manifestations dépressives au cours
de la MPI a des conséquences en termes de qualité
de vie, qui sont d’autant plus marquées qu’il existe
également une comorbidité anxieuse (14).
Ces altérations de la qualité de vie portent à la fois sur
la dimension subjective et sur les aspects fonctionnels
(en termes de “performances”, dans la vie quotidienne).
Cela souligne l’importance de leur identification et
de leur prise en charge.
Aspects étiopathogéniques
La prévalence plus élevée que celle observée dans la
population générale ainsi que le lien temporel que
nous avons évoqué entre dépression et MP ont été
rattachés à deux grandes hypothèses (5) :
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DOSSIER THÉMATIQUE
Dépression et MP seraient causées par la même
déplétion monoaminergique (conséquence d’un
processus neurodégénératif). Les expressions cliniques
seraient décalées dans le temps, mais relativement
rapprochées.
La dépression créerait une vulnérabilité du
système nerveux central, favorable à l’expres-
sion secondaire de la MP. Dans ce cas, le décalage
temporel entre les deux troubles serait plus long.
D’autres facteurs favorisant la survenue pourraient
être nécessaires.
Bien sûr, outre les hypothèses neurobiologiques, la
composante psychologique liée à l’apparition d’une
maladie chronique invalidante doit être prise en
compte.
Toutefois, à l’heure actuelle, la MP doit être consi-
dérée comme une maladie à expression motrice
et non motrice secondaire à la déplétion dopa-
minergique centrale. La dépression est donc une
des dimensions symptomatiques pouvant être
observée.
Approche thérapeutique
En première intention, les antidépresseurs, IRS
et IRSNA, semblent être les molécules de réfé-
rence (13).
Toutefois, certains IRS pourraient entraîner une
altération de la transmission dopaminergique par
l’augmentation du tonus sérotoninergique au niveau
du raphé médian (14) et justifient une surveillance
particulière pour éviter l’aggravation de la sympto-
matologie parkinsonienne.
Récemment, le bupropion, molécule dont le profil
d’action est dopaminergique et noradrénergique,
a été proposé comme susceptible de présenter un
intérêt spécifique (15). Toutefois, en France, il n’est
pas remboursé dans l’indication de dépression et ne
reste indiqué que dans le sevrage tabagique.
Il faut souligner que, dans cette population, les
produits antidépresseurs sont souvent utilisés à
dose infrathérapeutiques (16). Une dose efficace
(en fonction de la tolérance) est nécessaire.
Les agonistes dopaminergiques ont une action anti-
dépressive qui doit être prise en compte lors de l’ins-
tauration du traitement de la maladie de Parkinson.
Dans les formes les plus sévères et lors de consé-
quences majeures, on peut envisager une prise en
charge par électroconvulsivothérapie (ECT).
En revanche, aucune donnée ne témoigne d’un
intérêt spécifique de la stimulation magnétique
transcrânienne dans cette population spécifique.
Stimulation cérébrale
profonde et dépression
La stimulation chronique du noyau sous-thalamique
est devenue une technique de référence dans la prise
en charge de la MP (17).
Elle permet :
une amélioration symptomatique de plus de
60 % du syndrome parkinsonien ;
une réduction d’au moins 50 % du traitement
antiparkinsonien antérieur ;
une réduction très significative de la durée des
fluctuations motrices et des dyskinésies.
On observe toutefois, dans un certain nombre
de cas, des conséquences négatives sur les plans
comportemental et neuropsychique. En particu-
lier, les symptômes rencontrés sont l’apathie, la
dépression, l’hypomanie, l’anxiété et les difficultés
d’ajustement social et familial.
Ces troubles sont exceptionnellement d’apparition
aiguë, directement liés à un contact précis de stimu-
lation et reproductibles.
On peut donc observer, parfois, des épisodes
dépressifs postopératoires sévères, surtout en cas
d’antécédent de syndrome dépressif. La régression
spontanée des troubles est peu fréquente. Elle néces-
site fréquemment l’association d’un traitement anti-
dépresseur, voire d’une modification des paramètres
de stimulation (18).
Ces troubles pourraient être consécutifs à :
des changements majeurs de conditions de vie
des patients après la mise en place d’une stimulation
cérébrale profonde ;
la décompensation d’une addiction dopaminer-
gique, non identifiée, révélée lors de la baisse ou de
l’arrêt du traitement par L-dopa en postopératoire ;
la stimulation des structures adjacentes du noyau
subthalamique comme la substance noire (projec-
tions frontales, striatales antérieures).
Conclusion
Si le décours temporel de la survenue de la dépres-
sion semble parfois précéder la MP, la dépression
peut aussi être secondaire à celle-ci, même chez les
patients traités chirurgicalement. Les symptômes de
la dépression dans le cadre de la MPI doivent être
mieux reconnus pour être plus souvent traités ; et
si antidépresseurs, IRS et IRSNA semblent être les
molécules de référence, de nouvelles voies, dont
celle du bupropion, semblent s’ouvrir pour apporter
aux patients une meilleure qualité de vie.
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Retrouvez l’intégralité
des références
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le site : www.edimark.fr
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Références bibliographiques
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