0 123 Festival AVIGNON 2006 Le chorégraphe Josef Nadj, artiste associé, donne le ton d’une programmation qui renoue avec le théâtre et les auteurs. Il fait l’ouverture dans la Cour d’honneur, avec Asobu (photo), création d’après l’œuvre d’Henri Michaux. En clôture de cette 60e édition, Souvenirs. Trois générations de critiques du Monde Découvertes. Stefan Kaegi et Oriza Hirata Entretien. Peter Brook, le théâtre et la vie qui se tient du 6 au 27 juillet, Olivier Py dirigera, toujours dans la Cour d’honneur, une lecture de textes de Jean Vilar, en hommage au fondateur du Festival. Le Monde se souvient de cette histoire unique et exemplaire. CAHIER DU « MONDE » DATÉ JEUDI 6 JUILLET 2006, NO 19111. NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT p. 5 à 10 p. 4 et 11 p. 12 et 13 AVIGNON 2006 0 123 - Jeudi 6 juillet 2006 - page 2 Les présages d’un horizon apaisé Après Thomas Ostermeier, en 2004, et Jan Fabre, en 2005, Josef Nadj est l’artiste associé de la 3e édition dirigée par Hortense Archambault et Vincent Baudriller J Pendant le Festival, cette ’ai fait à mon époque le théâtre de mon temps », disait 60e édition – en attendant les Jean Vilar. C’est ainsi 60 ans, pour 2007 – sera fêtée par qu’en 1947 il fondait le plusieurs événements, dont une Festival d’Avignon. Dans lecture de textes de Jean Vilar, cet après-guerre où la Fran- sous la direction d’Olivier Py, ce était à reconstruire, il dans la Cour d’honneur. Ce sera bâtissait à l’ombre du Palais des le 27 juillet, pour la clôture d’un papes une utopie : du théâtre en Festival très attendu, après l’onde province, des grands textes en de choc de 2005. plein air, au service En effet, de toutes du plus grand nomles crises qu’a bre. connues Avignon, et Le théâtre En cette année elles sont nombreurevient dans 2006, le Festival fête ses, celle de la 59e édisa 60e édition, qui a la Cour d’honneur, tion fut une des plus lieu du 6 au 27 juillet. d’où il était absent virulentes. Elle est née de l’invitation Soixante éditions, ce sont trois généra- en 2005. De quoi lancée à Jan Fabre, tions de spectateurs, apaiser plus artiste associé, des ruptures et des autour duquel a été d’un esprit bâtie une programempoignades, des moments de grâce et mation radicale qui a des souvenirs pour demain. Le mis les nerfs à vif, tant du côté criMonde avait 2 ans quand le Festi- tique que public. val est né. L’histoire du Festival, La discussion a porté sur la chaque année recommencée, c’est modernité et ses formes, la place aussi la sienne, chaque jour réécri- du théâtre et son enjeu, le pacte te. Trois générations de critiques artistique et social. Vastes quesen témoignent, à commencer par tions, que déjà Jean Vilar affronMichel Cournot, qui était à Avi- ta. Avignon est ainsi fait qu’il se renouvelle dans le débat. gnon en 1947. « Les Barbares », de Maxime Gorki, adaptation et mise en scène Eric Lacascade. PASCAL GÉLY/AGENCE BERNAND « Comment redéfinir l’enjeu théâtral ? », se demande Josef Nadj. C’est lui l’artiste associé de cette 60e édition, qui s’annonce beaucoup plus calme que la précédente. Le chorégraphe d’origine hongroise présente dans la Cour d’honneur Asobu, une création inspirée par Henri Michaux. Eric Lacascade prend sa suite et fait entrer dans la Cour Les Barbares, une pièce très peu connue de Gorki. Ainsi, le théâtre revient dans le saint des saints, d’où il était absent en 2005. De quoi apaiser plus d’un esprit. Autour de Josef Nadj, il y aura des arts plastiques, avec Barcelo, et beaucoup de musique, en particulier du jazz (dont un concert d’Archie Shepp, T. McClung et le Dresh Quartet, dans la Cour). Avec Bartabas, il y aura deux orchestres, un de cordes, l’autre de vents, pour entraîner le grand galop de Battuta, présenté pendant toute la durée du Festival. Peter Brook lui aussi reste trois semaines à Avignon, avec Sizwe Banzi est mort, une pièce qui nous emmène à Soweto dans les années de l’Apartheid. On va ainsi beaucoup voyager dans le temps et dans l’espace. Du Japon, où Ozira Hirata cherche le chemin d’un « théâtre calme », à Coordination : Brigitte Salino Edition : Christine Clessi Réalisation : Patricia Gauthier et Nadège Royer Direction artistique : Marc Touitou Iconographie : Laurence Lagrange b En couverture : « Asobu », mise en scène et chorégraphie Josef Nadj. TRISTAN JEANNE-VALES/CIT’en scène la Suisse, d’où nous vient Stefan Kaegi, un jeune metteur en scène en quête d’un théâtre politique et documentaire. Hirata et Kaegi font partie des nouveaux venus au Festival, avec le Belge Guy Cassiers et les Français Joël Pommerat et Christophe Huysman. Beaucoup d’auteurs les accompagnent, de Copi à Koltès, de Marguerite Duras à Edward Bond. La danse, elle, se fait plutôt discrète, même si sont présents François Verret, Jan Lauwers, Alain Platel, Thierry Baë et Le Sujet à vif, bien sûr. Mais il y aura beaucoup de lectures, de débats et de rencontres, en particulier trois jours pour parler d’« Une histoire en mouvement », celle d’Avignon, et vingt-quatre consacrées à la décentralisation. Et puis il y aura ces moments comme seul le Festival sait en offrir : une causerie de Pippo Delbono, ou un Lever de soleil avec Bartabas et son cheval, à 5 h 30, à la Carrière Boulbon. a Brigitte Salino 2006 AVIGNON Josef Nadj page 3 - Jeudi 6 juillet 2006 - 0 L’homme qui danse sa mémoire Thierry Baë, interprête et complice de Nadj (Canard pékinois et Les Philosophes) présente Journal d’inquiétude, un solo sur le destin d’un danseur vieillissant. Miquel Barcelo, peintre vivant entre Marjorque, Paris et le Mali, partage ses outils de jeu (boue, sable,...) avec Nadj pour Paso Doble, une performance en duo. L’homme de Kanizsa, en Voïvodine, recherche un art global physique et musical J Akosh S., saxophoniste, né en Hongrie en 1966, mêle musiques ethniques et free-jazz. Il a accompagné le groupe de rock Noir Désir. Il donne deux concerts. De haut en bas : Thierry Baë, ERIC BOUDET. Akosh S., DR. Miquel Barcelo, JÉROME CHATIN/L’EXPRESS/ Josef Nadj, directeur du Centre chorégraphique national d’Orléans. RAMON SENERA/CIT’en scene - Crédit photos : Getty images / J. Brooks - Tristan Jeanne-Valès osef Nadj file entre les bâtir un monde à la démesure de doigts. Appuyé à une table son décalage, de son désir de liberde café ou replié dans un té, sans jamais rompre pourtant bureau au Centre chorégra- avec sa famille et ses racines. Celui qui à 11 ans exposait déjà phique d’Orléans qu’il dirige depuis 1995, le chorégra- ses premières peintures, commenphe aux grands cernes som- ce des études aux Beaux-Arts de bres, créateur d’une vingtaine de Novi Sad, puis à Budapest. Le pièces en près de vingt ans, ne se service militaire l’éloigne momentanément des arts plastiques avec pose que pour mieux s’échapper. La tête légèrement enfoncée lesquels il renouera en 1996 lors dans les épaules, les mains occu- d’une exposition de sculptures au pées à rouler des cigarettes, il sem- Carré Saint-Vincent à Orléans. De retour à Budapest, il découble toujours jaillir d’un rêve, en suspend le cours, l’espace d’un ins- vre le théâtre du mouvement et raftant, pour mieux y replonger. fine sa quête d’un art global, à la Entre-temps, il aura fait défiler fois physique, visuel, musical. Arrid’une voix sourde ses obsessions et vant à Paris en 1980, il s’initie au fantasmes avec l’élégance noncha- mime auprès de Decroux et Marlante de celui qui est là sans y être ceau, collabore à différents projets tout à fait. Dans sa bulle, oiseau en tant que danseur avec les chorénoctambule, Josef Nadj veille, tis- graphes Catherine Diverrès, Mark sant inlassablement la toile de sa Tompkins et François Verret. Cet amalgame de formations, géographie intime. Le cœur battant de cette spirale de techniques, consolidé par un est une petite ville, Kanizsa, située esprit viscéralement constructif et en Voïvodine, enclave hongroise furieusement bosseur, a abouti à autrefois située en Yougoslavie, un style spectaculaire reconnaissaaujourd’hui en Serbie. Grâce au ble au premier coup d’œil. Sur fond chorégraphe (né en 1957) pour d’engrenage théâtral ou de scénolequel vie et œuvre sont inextrica- graphies en trompe-l’œil, le monde blement mêlées, cette bourgade de selon Nadj est peuplé d’hommes12 000 habitants, en passe de pantins habillés tout en noir qui devenir un mythe, appartient s’acharnent à extraire un sens désormais à l’imaginaire de tous momentané de l’obscure saga du destin. les spectateurs de Josef Nadj. La gestuelle, hachée, butée ausKanizsa, coupée en deux par le fleuve Tisza, affluent du Danube, si, parfois heureusement saisie par un tourbillon, dessine que les hirondelles frôune partition sophistilent pendant qu’on quée, féroce, que les s’y baigne. Kanizsa Chaque pièce, danseurs subliment ouvrant sur une plaien particulier telle une superbe ne si longue et si épreuve de force. L’esimmense que le les premières, prit des arts martiaux, regard s’y perd. Sans réactive et plus spécialement mêmey être allé, Kanide la lutte grécozsa « la ville que tout le le passé avec romaine, noyaute sa monde rêve de quitter la puissance danse. sans y réussir », là où d’un exutoire Josef Nadj n’est-il Josef Nadj possède jamais aussi près de une grande partie de sa bibliothèque, se dresse, pétrie chez lui que sur un plateau ? Parmi d’histoires toutes plus fascinantes les repères scénographiques, la table, par exemple, renvoie à celle les unes que les autres. Dès 1987, la première pièce de de son grand-père qui y dissimuJosef Nadj, présentée au Théâtre lait des livres sous un tissu. De ces de la Bastille, ouvre l’album de sou- premières lectures (de Kafka entre venirs. Sur un ton surréaliste, autres), Nadj a conservé une pasCanard pékinois recomposait les sion vorace pour la littérature. Les souvenirs-éclairs d’un gamin nom- écrivains sont ses compagnons de mé Nadj qui s’entraînait aux arts traversée, ses appuis mentaux. Kafmartiaux dans un théâtre où une ka donc, mais aussi Büchner dont troupe d’acteurs, rêvant de partir il a adapté Woyzeck en 1994, Bruno Schulz, Jorge Luis Borges, récempour la Chine, finit par se suicider. Un an plus tard, Sept peaux de ment Raymond Roussel pour rhinocéros évoquait la mort du Poussières de soleil, servent depuis grand-père du chorégraphe. Et ain- quelques années de ferment à ses si de suite. Les Echelles d’Orphée, en spectacles. De ces confrontations littérai1992, dépliait celles des pompiers de Kanjiza qui gagnèrent le cham- res, Josef Nadj extrait le jus nécespionnat du monde des pompiers à saire pour relancer sa sarabande Turin en 1911 et se livraient par somnambulique, dégager d’autres ailleurs à des activités théâtrales en voies à son labyrinthe personnel. En cheminant au coude-à-coude amateurs. Fiction ou réalité ? Impossible avec ces auteurs, il projette ses de vérifier et au fond peu importe. motifs intimes sur l’écran de leurs On croit dur comme fer à ces scéna- œuvres, déployant les différences rios magiques d’une ville où tout mais surtout les points communs peut arriver et que Nadj sait incar- dans un réseau aux multiples ner sur scène. En conteur, en cha- résonances. Avec Henri Michaux, point de man, avec cette puissance à vif d’un être qui n’a pas le choix, le cho- départ de la pièce Asobu, pour régraphe qui « danse sa mémoire lequel il développe un intérêt puissur scène », puise dans les couches sant depuis de longues années, les plus souterraines de son incons- tant pour ses écrits que pour ses cient pour en rapporter une langue dessins, le voisinage se révèle une mine de correspondances. Tous spectaculaire unique. Chaque pièce, en particulier les deux dessinent, tous deux sont des premières, socles de l’œuvre à voyageurs. Le Japon, ultime destivenir, réactive le passé avec la puis- nation de Michaux avant la seconsance d’un exutoire. Chapitre de guerre mondiale, se révèle l’un après chapitre, Nadj déploie le des pays de prédilection de Nadj. roman de la vie d’un Européen L’Ailleurs de l’un comme celui de nomade, fils d’un charpentier, petit- l’autre n’est jamais qu’un détour fils d’un paysan, qui tous deux dési- pour rentrer chez soi. Partir pour raient ardemment que Josef suive mieux revenir. a leurs traces. Avec détermination, le Rosita Boisseau chorégraphe a choisi de partir pour Voir programme Josef Nadj, page 14. La galaxie Nadj EDITIONGSERVER.COM 123 AVIGNON 2006 0 123 - Jeudi 6 juillet 2006 - page 4 Guy Cassiers. Né en 1960 à Anvers (Belgique), où il vient de prendre la direction du Toneelhuis, il fait découvrir Rouge décanté, le récit autobiographique d’un auteur flamand, Jeroen Brouwers, qui, enfant, a passé deux ans dans un camp d’internement japonais. Ils viennent pour la première fois Christophe Huysman. Acteur, auteur et metteur en scène, c’est une tête chercheuse qui explore les domaines du cirque et du multimédia. Il présente à la Chartreuse Human, La Course au désastre et Les Eclaireurs, une pièce pour un haut-parleur. Joël Pommerat. Les deux pièces, Au monde et Les Marchands, qu’il a écrites et mises en scène, appartiennent à une trilogie qui donne une parole à ceux qui n’en ont pas, les exclus du monde du travail. « Cargo Sofia-Avignon », de Stefan Kaegi. DAVID BALTZER/ZENIT Stefan Kaegi spécialiste suisse mais pop », sur le modèle des montres. « Ça n’a pas marché du tout. Et c’était lui qui était chargé du projet », dit Stefan Kaegi. Cette histoire l’amuse beaucoup, comme tout ce qui déraille un peu. Lui-même a étudié en zig-zag. « J’ai commencé par la philosophie, mais je ne me suis pas accommodé de la rectitude universitaire. » Alors il fait l’école d’art de Zurich, dont il s’échappe avant le diplôme. Il part pour Giessen, en Allemagne, et s’inscrit dans une école de théâtre qui lie la pratique et la théorie. A ce momentlà, Stefan Kaegi veut être écrivain. Il rédige de nombreux textes, des nouvelles surtout, qui sont refusés par les éditeurs. « Comme personne ne voulait les imprimer, je les ai lus devant des gens. Mais je trouvais ça un peu ennuyeux. J’ai commencé à utiliser toutes sortes de machines pour déformer le son de ma voix et intro- duire d’autres sons. Ça a très bien marché. Le premier texte racontait l’histoire d’un homme qui reste chez lui, avec une immense carte. Il veut comprendre comment marche le monde sans sortir de sa maison. » Stefan Kaegi ne termine pas ses études de théâtre, parce qu’il n’aime « pas trop » lire des pièces. Il préfère déjà « lire les journaux ou écouter des gens qui ont une raison de parler ». C’est en partant de là qu’il signe son premier spectacle, à l’université de Giessen : « Giessen est une ville très connue pour son école vétérinaire. Il y a là, au milieu de l’Allemagne, toutes sortes de chameaux et d’animaux très étranges. J’ai connu un spécialiste de l’élevage des poulets qui donnait des conférences pour les jeunes cultivateurs. Je l’ai invité à venir en faire une, sur la scène de l’université. On a dessiné une affiche sur laquelle était écrit Peter Heller va venir parler de l’élevage des poulets, avec une date. Les gens ont cru qu’on allait faire du Handke, à cause de la longueur du titre. Ils ont été très surpris. » « Je ne dirai pas que ce Peter Heller… était une œuvre, reconnaît Stéphane Kaegi. Mais c’était une expérience qui montrait qu’on peut recontextualiser la réalité avec les moyens du théâtre. » Après, les pièces du jeune Suisse sont devenues « beaucoup plus sophistiquées ». D’abord, il y a eu celles qu’il a faites avec Hygiene Heute, sa première compagnie. PROTOCOLE DIPLOMATIQUE Stéphane Kaegi a organisé un Congrès des cochons d’Inde, à Vienne, ou un Etat des fourmis, dans une galerie. Dans les deux cas, il s’agissait de voir comment le comportement animal est un miroir du comportement social. Puis il est passé à l’observation directe quand, avec deux amis, il La maman bohême et Médée Dario Fo et Franca La Mère Bertolt Brecht / Jean-Louis Benoit Chair de ma chair Ilka Schönbein Antigone, Hors la loi Anne Théron Dissident, il va sans dire Michel Vinaver / Laurent Hatat May Hanif Kureishi / Didier Bezace Spectacles Jeune public Le Petit Chaperon rouge / Rame / Didier Bezace un froid de kronos / Petit Navire / La Forme d'une ville... et d'autres spectacles, des lectures, des Dîners, le Festival Ici et là... Abonnements / Adhésions 01 48 33 16 16 theatredelacommune.com Théâtre de la Commune - Direction Didier Bezace - 2 rue Edouard Poisson - 93300 Aubervilliers illustration Marc Daniau A vignon le découvre : Stefan Kaegi, un Suisse de 33 ans dont la réputation n’est plus à faire outre-Rhin, surtout dans la génération des jeunes spectateurs. C’est un garçon à la drôle de voix, un peu cassée, qui aime s’asseoir dans des endroits qu’il ne connaît pas pour écouter les gens. Il ne conduit pas, mais il a sillonné l’Europe en camion ou à vélo. Il n’a plus d’adresse depuis cinq ans, mais il va de ville en ville avec un sac de vingt-cinq kilos. A l’intérieur, il y a un ordinateur et des cartes, ses attributs de géographe de la modernité. Avec cela, il porte le nom d’un chocolat suisse connu. Mais il n’a rien à voir avec. Son père est un ingénieur, qui, au moment où les montres Swatch sont sorties, travaillait dans une entreprise qui a voulu lancer des téléphones en plastique « super bon marché Ce metteur en scène de 33 ans renouvelle le théâtre documentaire et politique De haut en bas : Guy Cassiers, PATRICK DE SPIEGELAERE. Christophe Huysman, VINCENT PONTET. Joël Pommerat, YANNICK BUTEL a fondé une nouvelle compagnie, Rimini Protokoll, en 2000. (Ne cherchez pas le sens de Rimini, ils voulaient trois « i » pour répondre aux « o » de protocole.) Un de leurs premiers spectacles concernait le protocole diplomatique, raconté par des spécialistes, dont un ambassadeur d’Autriche, invités sur la prestigieuse scène du Burgtheater de Vienne. Un autre les a menés à Hanovre, où ils ont ausculté le désir d’ordre du pouvoir, à travers des caméras de surveillance installées sur la place principale de la ville. Stéphane Kaegi n’aime pas raconter ses spectacles, parce que cela les rend anecdotiques, quand il revendique une démarche nettement politique. « En Allemagne, le fait d’être politique a encore une connotation années 1970. La référence reste celle d’auteurs comme Peter Weiss, Rolf Hochhut ou Heiner Müller. Je n’ai rien à voir avec ça. Etre politique aujourd’hui, pour moi, c’est être documentaire. Dans ce domaine, le théâtre a pris beaucoup de retard sur les arts visuels. Il s’occupe encore de l’idéologie, alors que, depuis une dizaine d’années, les arts visuels s’intéressent à l’économie. » C’est ce théâtre-là, politique et sensible, qu’Avignon va découvrir, avec deux spectacles : le premier Mnemopark, montre ce que cache la beauté de la Suisse, vue par des modélistes qui construisent des trains. Il se donne dans une salle. Le second, Cargo SofiaAvignon, emmène les spectateurs dans un bus, à la découverte de ce que cache le décor d’Avignon, hors des remparts, sur le réseau des camions qui sillonnent l’Europe d’aujourd’hui. a Brigitte Salino Mnemopark, les 12, 13, 14 juillet, salle Benoît-VII. Cargo Sofia-Avignon, du 20 au 25 (relâche le 23). 2006 AVIGNON page 5 - Jeudi 6 juillet 2006 - 0 « Le Soulier de satin », de Paul Claudel, mis en scène par Antoine Vitez, dans la Cour d’honneur, en 1987. MARC ENGUERAND Notre histoire, c’est celle d’un festival, né en 1947 et d’un journal, né en 1945. Trois générations de critiques du Monde se sont succédé à Avignon. Elles témoignent ici Les cinq directions L’honneur de la Par Michel Cournot A gauche du Palais, des marches à monter. Notre-Dame-desDoms. Puis un jardin, il ne bouge pas, il est là depuis la première année du Festival, et bien avant. Le 17 décembre 1914, Paul Claudel, qui venait d’embrasser sa sœur Camille à l’asile de Montdevergues, passe par Avignon et s’arrête dans ce jardin : « Le délicieux parc. Vue admirable sur le Ventoux, la plus longue, la plus belle, la plus harmonieuse ligne de montagnes que j’aie vue de ma vie. » Il avait pourtant beaucoup voyagé, déjà. Dans ce parc, de nos jours, en juillet, autant dire personne. Et rues et places d’Avignon bondées. En 1946, l’éditeur d’art parisien Christian Zervos décide de créer, dans l’enceinte du Palais, une « Semaine d’Art » : peinture, musique, théâtre. Il propose à Jean Vilar de venir jouer dans la grande cour Meurtre dans la cathédrale de T.S. Eliot, une réussite très brillante de Vilar, qui répond : « C’est un lieu informe, je ne parle pas des murs, mais du sol ; techni- 123 quement, c’est un lieu théâtral impossible, et c’est aussi un mauvais lieu théâtral parce que l’Histoire y est trop présente. » Cependant, Vilar est tenté de jouer quelque chose, dans ce palais si beau ; quinze jours de réflexion, et, tranquille, il déclare : « Ce palais est peut-être de tous les lieux du monde le plus apte à nous soutenir dans notre engagement. » Il reste que le sol de la cour, toute en pentes, excavations, talus, est « injouable ». Intervient l’homme providentiel, communiste, grand Résistant, le maire d’Avignon, Georges Pons : il soutient Zervos et Vilar, et il demande aux soldats du régiment du 7e Génie de venir aplanir le redoutable sol. Les militaires sont enthousiastes. Vilar va annexer aussi, de l’autre côté du Palais, le jardin d’Urbain V, une forêt enchantée, une jungle de fleurs et d’insectes. La grande chapelle abritera l’exposition d’art, Picasso, Braque, Matisse, Giacometti, Léger, Klee… La « Semaine d’Art » va devenir le « Festival d’Avignon ». Ce une saison avec nous , maccreteil.com / 01 45 13 19 19 mémoire qui n’est alors pas prévu, c’est qu’aux quelques œuvres de théâtre du Festival officiel viendront se greffer, dans des lieux de fortune, des pièces de fortune, aujourd’hui en 2006 elles sont plus de six cents, et ce sont elles que choisissent, venus de la France et de l’Europe entière, les spectateurs en grande majorité (souvent ils louent d’avance, en supplément, une place pour l’une des choses jouées dans la grande Cour). Oublieuse mémoire ! Des centaines de chefs-d’œuvre donnés par le Festival officiel depuis 60 ans dans la grande Cour et ailleurs, duquel surtout se souvenir ? Quand Paul Claudel découvrit du haut d’Avignon « la plus belle ligne de montagnes », il s’écria : « O adorable lumière ! soleil, je n’aime que toi ! » DE LA PEUR À L’APAISEMENT Choisissons l’inverse, les ténèbres, la nuit, le noir. C’était en 1993. Dix-huit aveugles d’Avignon et de la région faisaient entrer, par groupe de dix, les spec- tateurs, dans une caverne noire, noire absolument. La visite durait trois quarts d’heure. Les spectateurs avaient une canne, mais avançaient surtout en portant les mains en avant ou en tâtant le sol avec leurs pieds. Dans le noir la substance des parois, lisses, rugueuses, spongieuses, et celle des sols, durs ou mousseux, gravier ou tapis, ou macadam, calment un peu notre angoisse, notre vertige. Ce granité d’un mur à main gauche, ce sable sous la plante des pieds, nous disent quelque chose : en un sens, un tout petit sens, nous les « voyons ». Nous allons reconnaître l’écorce d’un arbre, ses aiguilles, les planches et la balustrade d’un petit pont en dos d’âne, il y a aussi le son puisque nous allons entendre, avant de la toucher, l’eau d’une fontaine. Le sentier tourne, la main palpe des rondeurs, des arêtes, des creux : le visage d’une statue. Des marches à franchir, le métal d’un capot de voiture, le bord d’un trottoir : la ville. Aboiements de chien, motocyclettes, passage d’un avion assez bas, tables et chaises sur une terrasse. Puis la proche campagne, les faubourgs, un dancing, l’ovale d’une bouteille de Coca ou de Perrier, le bord strié d’une pièce de monnaie. Un talus abrupt pas facile à descendre, une lueur là devant : c’est la fin ! Le jour. Nous nous regardons, un peu autrement. Ce n’était rien, juste un jeu. Nous sommes passés d’une peur à un apaisement. D’une maladresse entière à un accommodement. Nous avons « vu », avec les doigts, avec l’ouïe, un tout petit peu de choses. Mais ce qui l’emporte, de beaucoup, c’est notre regard sur la guide, vraie aveugle, elle qui a conduit notre file de dix voyants à l’aveuglette. Son visage est serein, souriant. Nous fixons ses yeux qui ne voient pas. Cette jeune femme, claire, belle, est dans sa nuit. Plus cruelle que nos jours. Je pense à ces mots de René Char, que je ne comprends pas mais qui me suivent : « Cette part de l’obscur comme une grande rame plongeant dans les eaux. » a De haut en bas : Jean Vilar (1947-1971), AGNÈS VARDA AGENCE ENGUERAND. Paul Puaux (1971-1979), MARC ENGUERAND. Alain Crombecque (1985-1992), MARC ENGUERAND. Bernard Faivre d’Arcier (1980-1984 et 1993-2003), TRISTAN JEANNE-VALES AGENCE ENGUERAND. Hortense Archambault et Vincent Baudriller (depuis 2003), MARC ENGUERAND. AVIGNON 2006 0 123 - Jeudi 6 juillet 2006 - page 6 C’était le temps de Jean Vilar Par Nicole Zand J uillet 1952. Les vacances… J’avais décidé, sans le dire à personne, d’aller à Avignon, parce que j’avais appris qu’il existait là, depuis cinq ans, un festival en plein air. Il me fallait revoir chez lui, au sud, ce Jean Vilar qui m’avait tant impressionnée deux ans plus tôt dans Henri IV, de Pirandello, à l’Atelier, ou en Destin des Portes de la nuit, et qui, lointain successeur de Firmin Gémier, venait d’être nommé directeur du Théâtre national populaire. Avec un Cid inoubliable à Chaillot. Une salle souterraine impossible et démesurée de 2 800 places que l’ONU venait seulement de libérer, où l’on arrivait par un interminable escalier mécanique alors que résonnaient les trompettes de Maurice Jarre. J’avais 19 ans, et le théâtre était pour moi une autre vie, un portillon entrouvert sur le monde, sur la politique, sur la littérature. J’aurais pu me qualifier de spectateur professionnel. Je découpais les critiques de Robert Kemp, de Jean-Jacques Gautier et de Jacques Lemarchand ! Avant, j’avais connu, comme un prolongement du lycée, les abonnements classiques du jeudi de la ComédieFrançaise, Jean Yonnel et Vera Korène, Horace et Arlequin, le point-rencontre près de cette statue d’Alfred de Musset qui a disparu dans le recoin de la colonnade… J’avais choisi de faire un mémoire de fin d’études intitulé « Le Théâtre à la recherche de son public », ce qui ne parut pas sérieux à la direction d’HEC-JF (en ce temps-là, les études hautement commerciales n’étaient pas mixtes…). Puis j’avais découvert qu’il existait aussi une autre sorte de théâtre : l’avant-garde, disaiton, Ionesco et Adamov, Beckett... J’avais vu deux fois En attendant Godot dans une salle bizarre qui s’ouvrait dans un porche d’immeuble du boulevard Raspail, où un homme myope à fines lunettes cerclées de fer et en chemise russe brodée qui aurait pu jouer dans la pièce – c’était Jean-Marie Serreau – vendait les billets avant le spectacle de Roger Blin, l’homme de théâtre le plus important, selon moi, de cet après-guerre. Avec Jean-Louis Barrault. Et Jean Vilar ! SAISON 2006 / 2007 LE MANUEL D’EPICTETE / Sami FREY LE SUICIDÉ Nicolaï ERDMAN / Jacques NICHET - TNT du 6 au 22 octobre – Première en Ile-de-France Jazz / Kora Jazz Trio Jazz / Sixun La Périchole/Offenbach/Julie Brochen/Création Fest. Aix-en-Provence Danse / Carmen / Ballet Antonio Gadès Concert Bal / Caratini Jazz Ensemble et ses invités Rock / Louis Bertignac IPHIGENIE, SUITE ET FIN EURIPIDE et Yannis RITSOS / Guillaume DELAVEAU du 30 nov. au 17 décembre – Première en Ile-de-France Premier Prix du Concours “Jazz à La Défense 2006“ Jazz / Renaud Garcia-Fons et Sylvain Luc Duo – Création Jazz / Patrice Caratini Jazz Ensemble – Création RENCONTRES EXCEPTIONNELLES autour du spectacle “Le dialogue improbable” 14 et 16 janvier LE DIALOGUE IMPROBABLE Eliane GAUTHIER et Paul-Jean FRANCESCHINI / Patrice KERBRAT du 18 janvier au 4 février - Création Jazz / Aldo Romano chante HEDDA GABLER Henrik IBSEN / Thomas OSTERMEIER (Berlin) du 31 janvier au 11 février - Première en France Jazz / Elisabeth Kontomanou Quartet CYMBELINE SHAKESPEARE / Declan DONNELLAN (Londres) du 7 au 25 mars – Première en France Jazz / Stéphane Belmondo - Antoine Hervé duo – Création Jazz / Orchestre National de Jazz / Franck Tortiller LES RENDEZ-VOUS CHOREGRAPHIQUES DE SCEAUX – du 27 avril au 30 mai Maryse Delente, Frédéric Flamand/Dominique Perrault, Abou Lagraa, Angelin Preljocaj, Russell Maliphant (Londres) - Première en France Rufus Jazz / Bojan Z Trio TÉL. 01 46 61 36 67 Au petit matin, ce fut d’abord pour la première fois, depuis la gare, la marche vers le Palais, que je n’avais jamais vu. Sur les murs de la rue de la République, des affiches grises annonçant le « Festival d’art dramatique au Palais des papes » balisaient discrètement le chemin ; les trois clés et les lettres au pochoir de Jacno n’apparaîtraient qu’en 1954, l’année du Don Juan. C’était le 6e Festival. Avec deux pièces dont le choix était déjà un manifeste : Le Prince de Hombourg, de Heinrich von Kleist (une reprise de l’an dernier), et une création, Lorenzaccio, d’Alfred de Musset, mis en scène et interprété par Gérard Philipe dans un rôle qui, après Sarah Bernhardt, n’avait jamais été joué par un interprète masculin. Deux personnages romantiques : un patricien débauché qui aspire à libérer Florence en assassinant le tyran, son cousin Médicis ; et un somnambule Hohenzollern prêt à accepter la mort les yeux bandés. Spectacles inoubliables pour les rares spectateurs qui peuvent s’en souvenir. Images iconiques heureusement conservées grâce aux images immobiles d’Agnès Varda qui ont nourri la mémoire de générations DéVéDéphages. Sétoise comme la famille Vilar, photographe débutante, Varda faisait partie de « la tribu », et elle était partout, aux spectacles comme aux répétitions, à l’Auberge de France, créant ces photos noir et blanc qui nourrissent la mémoire, même de ceux qui n’étaient pas là. Comme cela ne lui suffisait pas, entre deux festivals, elle s’essaya au cinéma chez elle, près de l’étang de Thau, avec des comédiens de théâtre, Sylvia Montfort et Philippe Noiret ; c’était La Pointe courte (1955), le premier film de la Nouvelle Vague. J’avais décidé de revenir tous les ans. Avignon, c’était la maison de famille que je n’avais pas. Mon « université » selon Gorki. Etu- ON SE SOUVIENT 1951. LE PRINCE DE HOMBOURG ET LE CID. Gérard Philipe joue pour la première fois à Avignon. Jean Vilar lui a proposé le Cid, de Corneille, et Le Prince de Hombourg, de Heinrich von Kleist. C’est le triomphe. Gérard Philipe donne une jeunesse éblouissante à Corneille et suscite l’émerveillement. Son prince de Hombourg est rêveur et somnambule. Aucun de ceux qui l’ont vu n’a oublié sa chemise blanche flottant dans le mistral. 1954. MACBETH. Shakespeare est présent depuis le début du Festival. Mais avec Macbeth, il unit deux visages inoubliables : ceux de Maria Casarès et de Jean Vilar, qui jouent Lady Macbeth et Macbeth. Le jeu de Maria Casarès porte la mise en scène de Jean Vilar qui déploie le drame shakespearien comme une liturgie. 1967. MESSE POUR LE TEMPS PRÉSENT ET LA CHINOISE. Le cinéma entre pour la première fois dans la Cour d’honneur, avec la projection en première mondiale du film culte de Jean-Luc Godard. Quant à Béjart, il donne ce qui restera une de ses plus grandes chorégraphies, La Messe pour le temps présent, dont la musique est signée de Pierre Henry. « Le Cid », de Pierre Corneille, mise en scène Jean Vilar, avec Gérard Philipe et Maria Casarès, 1958. AGNÈS VARDA AGENCE ENGUERAND diante anonyme (je ne suis venue pour Le Monde qu’après l964), je ne connaissais personne, j’achetais mes places, je lisais assidument la revue Théâtre populaire (Roland Barthes, Guy Dumur, Morvan Lebesque), j’apercevais les acteurs de loin dans les rues ou sur la place de l’Horloge, je les approchais lors des rencontres dans le délicieux Verger d’Urbain V ou au bar de la Civette, où la troupe prenait un café avant la représentation. LA RÈGLE DES TROIS UNITÉS J’avais trouvé à dormir à l’Auberge de jeunesse, dans l’ile de la Barthelasse – qui disparut bientôt –, puis à la Magnaneraie, une belle demeure familiale au-delà de Villeneuve, où j’allais à vélo. Surtout, j’attendais le soir quand, la nuit tombée, la place de l’Horloge se vidait et quand toute une ville marchait vers les remparts de cet édifice fabuleux, magique, qui était déjà un décor de théâtre. Je ne peux oublier la première fois où je suis entrée dans la cour. La Cour ! C’était avant Malraux. Brut de décoffrage, elle n’avait pas encore subi de ravalement et gardait des traces de la caserne qui l’avait longtemps occupée. Une gouttière barra éga- lement pendant longtemps le noble mur qui, comme dans le théâtre grec ou romain, était le seul décor avec les drapeaux multicolores, sans doute une référence aux joutes sétoises. Un arbrisseau subsista lontemps près de la scène, côté jardin. On sut, un jour, que, pendant une répétition, Gérard Philipe était tombé sous le plateau et qu’il y avait là un puits béant. Contusionné, il fut le soir le prince de Hombourg aux côtés de Jeanne Moreau. Le mistral ne soufflait pas trop fort cette nuit-là. Pendant « mes » années d’Avignon, le Festival avait respecté une règle des trois unités : un « patron », une troupe, un seul lieu. Cette rigueur protestante sans bondieuserie me satisfaisait. Deux ou trois spectacles par année : Macbeth avec une Maria Casarès inoubliable, Dom Juan, Marie Tudor, Mère courage, Les Caprices de Marianne, tant d’autres, jusqu’à Thomas More ou l’homme seul, en 1963, la dernière mise en scène de Vilar, qui venait de quitter la direction du TNP en conservant la direction d’Avignon. Le deuxième âge du Festival commençait. En réaction à la routine avec l’invitation faite à d’autres metteurs en scène (Planchon, Lavelli, Bourseiller), l’ouver- ture à d’autres arts (la danse, avec Maurice Béjart, en 1966, le cinéma, avec une unique projection de La Chinoise, le 3 août 1967), avec d’autres lieux (cloître des Carmes, cloître des Célestins...). Ce fut au cloître des Carmes, où était programmé le spectacle du Living Theatre, Paradise Now, fin juillet 1968, qu’eut lieu l’altercation historique de Julian Beck exigeant de Vilar… la révolution. Le monde avait changé. Le théâtre aussi : des guerres d’indépendance avaient éclaté, une IIIe République était morte, une IVe était née dans la douleur, des centres de recherche et des revendications sociales donnaient matière à des colloques, des étudiants révoltés contestaient un peu partout. Le Festival de 1968 s’ouvrait dans l’inquiétude. Vilar fut balayé et ne s’en releva pas. Avec la prise de pouvoir du « off », rendez-vous de compagnies de partout, une vitalité nouvelle du théâtre s’était emparée de la ville où les « festivaliers » pris de fringale comme dans un supermarché et les agents français et internationaux pouvaient ausculter des centaines de spectacles pour établir leur programmation. C’était la mondialisaton d’Avignon. Je ne suis jamais revenue au Festival. a 2006 AVIGNON page 7 - Jeudi 6 juillet 2006 - 0 Histoire d’une ON SE SOUVIENT 1972. RITUEL POUR UN RÊVE MORT. Carolyn Carlson, chorégraphe américaine, est l’enfant chéri des Français depuis que Rolf Liebermann lui a confié la mission d’introduire la danse contemporaine à l’Opéra de Paris. A Avignon, elle danse dans la compagnie d’Anne Bérenger et tous les spectateurs ne voient qu’elle. Injuste ? Sa silhouette est sa signature. parenthèse 1976. EINSTEIN ON THE BEACH. Bob Wilson vient pour la première et la seule fois à Avignon, avec Einstein on the Beach, classé dans un genre aujourd’hui délaissé : le théâtre musical. Phil Glass signe la musique et Andrew Degroat la chorégraphie de cet « opéra » inoubliable inspiré par une photo d’Einstein sur une plage : un voyage en apnée dans le temps mortellement blanc de l’explosion atomique, que Wilson travaille en prodigieux plasticien. Par Bertrand Poirot-Delpech L es armoiries des villes évoquent plus souvent des rêves que des réalités. Au lieu des trois clefs stylisées qui parlent d’avenir à ouvrir durablement, d’éternité, d’absolu, le blason d’Avignon devrait s’inspirer de son fameux pont coupé, symbole de transition interrompue. Deux dates enferment ce qui n’aura été qu’une parenthèse, comme sur les tombes : 1947-1968. Vingt et un ans : la belle âge pour une utopie ! Deux guerres nous ont blindés contre le scandale de jeunesses saccagées en pleine fleur. 1947. L’ancêtre du TGV – le bien nommé « Mistral » – met déjà les platanes de Provence et leurs écorces pâles comme des guerriers scythes (dixit Valéry) à sept heures de la gare de Lyon. Sous une photo d’Antibes, sa patrie, Audiberti, crâne de bagnard. Son tour viendra d’être joué à la Mecque théâtrale qu’annonce le tout nouveau Festival. Pour l’heure, il somnole, pas son genre. La montée vers la muraille du château prend d’emblée l’allure d’un pèlerinage. La pierraille de la Cour d’honneur attire et attise les ferveurs, comme Chartres, Vézelay ou le Mont-Saint-Michel aperçus de loin par les croyants en marche. Le haut lieu a déjà son archange Gabriel : Gérard Philipe, blancheur frémissante que rien n’arrête. La conviction qui unit scène et salle vient de loin, dès avant 36. De Michelet à Jaurès, de Gémier à Romain Rolland, Copeau et Dullin, il n’a pas manqué de tribuns et de comédiens pour rêver de rendre le répertoire classique à la multitude qui l’a suscité (voir l’essai récent de Chantal Meyer-Plantureux, Théâtre populaire, enjeux politiques. De Jaurès à Malraux, Ed. Complexe). Les classes laborieuses ne sont pas vraiment au rendez-vous de 1947, mais elles ne se sentent plus les invitées des bourgeois férus d’adultères en écrins de velours rouge. « VILAR ÉGALE SALAZAR ! » Les servants du nouveau culte s’appellent Dort, Barthes, et une certaine Jeanne Laurent, fonctionnaire de la Rue de Valois. Et si l’art dramatique devenait une mission de l’Etat, à l’égal de l’instruction ? Il arrivait donc que l’administration visionne l’avenir ! Comment résister au coup de foudre, à l’assaut de la foi nouvelle, quand les troupes, au moment des bravos, s’élancent en courant vers la salle, au risque d’y chuter ! Toute cette confiance illuminée, cependant que le maître des lieux, à l’ombre d’un portant, savoure ce triomphe d’une vie, pasteur d’une morale ascétique dans son flamboiement ! 1968. Le « Mistral » est en grève. Les pompes à essence sont à sec. Les émeutiers du Quartier latin cherchent d’ultimes cibles pour leurs « happenings » antitout. Une génération a suffi pour que la « nouveauté » du TNP et d’Avignon semble une vieillerie, une ruse du « grand capital » pour désarmer les masses. La mode s’installe des slogans dont les rimes approximatives tiennent lieu de pensée politique. « Vilar égale Salazar ! » Prétexte au chahut : une troupe new-yorkaise, le Living Theatre, qui prône la révolte par le nu en montrant ses fesses au Cloître des Carmes. Le prolétariat attendra ; libérer les sexualités d’abord, sans la médiation vieillotte des grands textes ! Le droit à n’importe quoi pour tous ! Sur la démagogie de ces provocations, Régis Debray a exercé son talent de pamphlétaire (Sur le pont d’Avignon, collection Café Voltaire, Flammarion). En gros : Kleist et Büchner, Corneille et Musset, ce n’est pas si ringard. Ça dit plus de choses que la partouze Et Alain Crombecque « Paradise now », par le Living Theatre, en 1968. MAURICE COSTA importée d’« off Broadway » ! L’universalité, camarade ! Et le Charme, la Beauté, que Bourdieu n’a peut-être pas eu raison de suspecter ! Après le spectacle, les cafés de la place d’Avignon ont perdu leur gaîeté. A l’ombre d’une auberge, Vilar s’interroge, seul. Gérard n’est plus. Les fils du TNP qui poursuivent le rêve en province n’ont pas bondi au secours de leur inspirateur. Seuls les machinistes CGT ont eu le réflexe de défendre physiquement le patron. L’amertume de ce dernier est visible, on la dirait inguérissable. est arrivé Par Brigitte Salino C omment ça se passe, Avignon ? », avait demandé la critique débutante. « C’est simple, lui avait-on répondu, tu sors de la gare, tu franchis les remparts, tu remontes la rue de la République, tu arrives place de l’Horloge et tu vas à la Civette. Tu verras, tout le monde est là. » C’était au début des années 1980, et la Civette était le bar où les metteurs en scène de la Cour dégrisaient leur inquiétude, où les comédiens croisaient leurs rôles, où les paris s’ouvraient. Juste à côté, l’Auberge de France où Vilar avait eu ses habitudes, affichait une façade refaite peu avant, au désespoir de nostalgiques qui aimaient s’asseoir à la table du « Patron ». Ainsi, de la place où maintenant trône un manège dont le mouvement va dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, la critique débutante découvrait une vie en même temps qu’une ville : celle du Festival, qui désormais serait un temps hors du temps dans l’année. Avignon deviendrait l’endroit où, comme nulle part ailleurs, on peut penser, ne serait-ce qu’un instant, qu’il n’y a rien de plus important au monde que le théâtre. 123 Les années passeraient, le monde changerait, mais rien ne viendrait contredire cette première impression. Si forte d’ailleurs qu’elle s’accommode mal des souvenirs personnels, qui paraissent toujours inconvenants. Pourtant, ils sont là, dans une nuit souvent lumineuse traversée d’amis morts et d’enfants à naître, de ralentis et d’échappées belles. Comme est là cette sensation de la rosée sous les pieds, quand, l’écriture de l’article terminée, vient le temps béni où l’on regarde le jour se lever sur une terrasse dominant la ville. A Avignon, tout se confond dans une durée qui n’a qu’un objet : le théâtre. La ville y perd ses repères. Même le Rhône, si beau quand il est lisse et que les murs du Palais se reflètent en lui, joue les figurants fugaces. L’on en viendrait presque à douter que certains jours, on a vu les femmes de prisonniers parler à leurs compagnons, elles en haut du jardin des Doms, eux en contrebas, dans la cour de la prison. Elles criaient pour se faire entendre. Des grillages avaient été posés pour qu’elles ne puissent plus envoyer de colis. UN SILENCE CLANDESTIN La prison est aujourd’hui vide, comme l’endroit qui fut le plus rêveur d’Avignon, le verger Urbain-V, là où des photos montrent Vilar sur une estrade de bois, débattant avec le public. Il y avait l’herbe et des arbres, et il est arrivé d’y passer une nuit entière à écouter un récit de L’Odyssée où des poèmes à l’attention de Vaclav Havel, une nouvelle fois mis en prison pour avoir milité pour la liberté en son pays, la Tchécoslovaquie. Voilà qui nous ramène à ces années 1980. En ce temps-là, un nouveau directeur est arrivé, qui allait donner un cours très particulier au Festival : Alain Crombecque sut introduire un silence clandestin dans le brouhaha d’Avignon. Il avait toujours un livre sous le bras, il écoutait plus qu’il ne parlait. Avec lui, Avignon signait un pacte avec la littérature, plus proche de René Char que de Jean Vilar. Laissons monter de ce tempslà les souvenirs, serrés comme la foule entrant dans la Cour. Au premier rang vient celui d’un visage : une vieille dame, merveilleuse et intimidante, à l’ombre d’un feuillage. C’est Nathalie Sarraute, à laquelle un hommage est rendu. Puis vient un autre visage, impérial celui-là : Harold Pinter, qui livre à Avignon sa première pièce politique. Deux visages dans un temps lumineux qui vit, pour ne citer qu’eux, Le Soulier de satin par Antoine Vitez, Roaratorio par Merce Cuningham, Répons par Pierre Boulez. Et puis, il y a cet après-midi où nous étions quelques-uns dans une petite cour ombragée. André Marcon est arrivé, comme un marcheur venu de loin, et il s’est engagé dans une lecture qui allait prendre la forme d’un corps-à-corps. Il faisait entendre pour la première fois Pour Louis de Funès, de Valère Novarina. Il chantait des mots inouïs. A la fin, il a jeté les feuilles au vent, du geste ample d’un semeur. Ce jour-là, comme tant d’autres, une voix a été entendue. Un auteur, un acteur : c’était le théâtre dans sa nudité même. Celle qui reste quand rien n’a été oublié. C’est ainsi que cela se passe, à Avignon. a De se savoir chahuté, lui et son idéal, par des fils de famille en mal de criailleries et de rodomontades, en attendant de monnayer dans la « com’ » leur pratique de la manipulation, cette imposture en marche le consterne. En quoi le slogan de la créativité pour tous devrait remplacer le Beau ? Les saluts interminables de la Cour d’honneur, n’était-ce donc qu’une survivance, un rite bientôt risible ? Vilar allait mourir quelques mois plus tard, comme si le désaveu inique de 68 l’avait atteint dans sa chair ! a 1978. EN ATTENDANT GODOT. Géant au crâne rasé, Tchèque privé de son théâtre en son pays, pour des raisons politiques, Otomar Krejca introduit un Godot céleste et fragile dans la Cour d’honneur avec, pour le servir, Michel Bouquet, Rufus, Georges Wilson et José-Maria Flotats. La foule applaudit. 1981. MARIE WOYZECK. Manfred Karge et Matthias Langhoff, transfuges de l’Est, ont rebaptisé le Woyzeck de Büchner en Marie Woyzeck : deux individus à la recherche d’une improbable liberté, jouets d’une société meurtrière de ses enfants. Du théâtre cinglant, terrible et burlesque. AVIGNON 2006 0 123 - Jeudi 6 juillet 2006 - page 8 Impressions entre émotion et sortilège Par Olivier Schmitt Au cloître des Carmes se jouaient La Mission et Au Perroquet vert, marche joyeuse, révolutionnaire, vers la mort. Matthias Langhoff, metteur en scène, porte le génie comme d’autres le chapeau. Ce petit homme au visage fermé, concentré, mal aimable, traverse la place de l’Horloge sur son Solex. Alain Crombecque, directeur du Festival de 1985 à 1992, gagne à être connu, sur ses deux pieds. Quelques voix de femmes dans Avignon : Marthe Keller, Maria Casarès, Marilù Marini, Anne Alvaro, Ludmila Mikaël, Valérie Dréville, Jeanne Moreau, Isabelle Huppert, Denise Gence, Evelyne Didi, Christine Gagneux, Isabelle Sadoyan, Mireille Mossé, Michèle Oppenot, Irina Dalle, Elizabeth Mazev, Yolande Moreau, Dominique Valadié, Marianne Hoppe, Christine Fersen, Michelle Marquais, Marief Guittier, Christine Murillo, Anouk Grinberg, Norah Krief. Cet après-midi-là, Heiner Müller parlait. Bien. Mille personnes étaient rassemblées dans la cour surchauffée de l’ancien archevêché à l’invitation d’un journal. Beaucoup dormaient. Le théâtre ne devrait pas être obligatoire. J’ai vu pour la première fois les Petits contes nègres, de JeanLuc Courcoult et de son Royal de luxe, dans un village à la frontière du Nigeria et du Cameroun. L’éruption d’un volcan minuscule avait fait fuir les villageois. A Avignon, tout le monde est resté. Magie, ici et là. Il peut faire chaud à Avignon, très chaud, trop chaud. La température était de plus de 40o dans la Baraque Chabran quand a commencé la première représentation de Shoppen & Ficken, de Mark Ravenhill, dans une mise en scène de Thomas Ostermeier. Le lieu a été raisonnablement abandonné depuis. Personne n’a oublié Ostermeier. Quatre heures du matin, au bar de l’Hôtel d’Europe. Théâtres fermés, articles expédiés à Paris. Un verre de vin, rouge, avec Catherine Clément. L’écrivaine avait vu ce soir-là le regard bleu d’Œdipe. « Marie Woyzeck », de Büchner, mise en scène de Karge et Langhoff, 1981. AGENCE ENGUERAND/BERNAND Si le festival n’existait pas, il faudrait l’inventer pour Olivier Py, ses textes, ses mises en scène et ses récitals, quand il décide de se travestir en Miss Knife. Cet homme-là sait tous les coups du théâtre, du plaisir aussi. « Bernadetje », d’Arne Sierens et d’Alain Platel, a définitivement ringardisé la plupart des productions théâtrales, à Avignon et ailleurs. Les deux spectacles les plus bêtes jamais présentés à Avignon partageaient la tête d’affiche de la triste édition 2005 : L’Histoire des larmes, de Jan Fabre, et B.#03 Berlin, de Romeo Castellucci. Je n’en suis pas encore totalement remis. Cela s’appelait Le Bourrichon, pas folichon pour un titre de pièce. Cela se jouait derrière le Palais des papes, entre un mur immense et un platane reliés par une guirlande lumineuse multicolore. Joël Jouanneau s’installait en poète radical sur la scène du théâtre français. C’était il y a presque vingt ans, Salle Benoît-XII. Un très jeune homme jouait O’Neill à l’invitation d’Alain Françon. Une apparition. Aujourd’hui, on ne compte plus les cinéastes qui s’arrachent la nouvelle coqueluche des écrans, Clovis Cornillac. Cour d’honneur, Platonov. Quoi de plus beau que le feu d’artifice de papier d’Eric Lacascade dans les lumières de Philippe Berthomé ? Premier entracte de Vole, mon dragon, d’Hervé Guibert, dans la mise en scène fleuve (et remarquable) de Stanislas Nordey à la Chartreuse. Un homme demande à un autre : « Comment ça va ? » L’autre répond : « Comme quelqu’un qui vient de prendre des coups de zézette dans la figure pendant une plombe. » Vraisemblablement s’agissait-il de l’appendice de Laurent Sauvage. Ne jamais s’asseoir au premier rang. Quelques voix d’hommes dans Avignon : Jean-Paul Roussillon, Sami Frey, Lambert Wilson, Jean-Michel Dupuis, Philippe Clévenot, Aurélien Recoing, Jean Bouise, André Marcon, Didier Sandre, Charles Berling, Jean-François Sivadier, Philippe Torreton, Daniel Znyk, Martin Wüttke, Philippe Caubère, Domi- Avec nique Pinon, Denis Lavant, Marcial di Fonzo Bo, Michel Fau, Philippe Demarle, Michel Piccoli, Jean-Quentin Châtelain, Robin Renucci. Le plus beau couple d’Avignon est incontestablement celui que forment tous les étés la comédienne Martine Pascal et notre confrère Michel Cournot. Eternels amoureux, ils reçoivent à l’ombre du vieux platane de la Ferme Jamet, et aussitôt, on se sent bien. Didier-Georges Gabily fut un auteur hors pair. Un jour que je devais écrire sur l’une de ses pièces, Enfonçures, je lui ai donné rendez-vous dans les jardins de la Chartreuse, car je n’avais pas compris toute la portée de ce texte. Nous nous sommes expliqués. Tout était clair avec lui. J’ai aimé Le Tartuffe recréé par Ariane Mnouchkine. D’autant plus que beaucoup – les mêmes qui certainement se défient ailleurs de toute xénophobie – contestaient la diction d’une Dorine portugaise, Juliana Carneiro da Cunha, que j’ai trouvée sensationnelle. Olivier Py dans son voyage au bout de la nuit Par Fabienne Darge A (0,34¤/mn) vignon 1995, Olivier Py, un iconoclaste de 30 ans que l’on ne connaît pas, présente La Servante au Gymnase Aubanel. Vingtquatre heures de théâtre ! On est un petit groupe – c’était avant d’être « critique », et quelque chose est né là, c’est sûr –, on n’a pas 30 ans, ou à peine, on se dit : « On y va, ensemble », comme on aurait décidé d’aller ensemble à la mer ou au bout du monde. On va voir ce qu’il a à nous dire, ce garçon qui a le même âge que nous et se permet de faire vingtquatre heures de théâtre en boucle pendant 7 jours : cinq pièces et divers dramaticules, pendant sept jours, dans ce même Gymnase Aubanel où déjà, en 1993, Dark/Noir nous avait décrassé le regard en nous plongeant dans la nuit. On y va sans savoir si l’on ira au bout du voyage : on a pris des places pour les deux premières pièces, comme on aurait pris un billet de car pour Salamanque en sachant qu’on pousserait peut-être, on verra, on ne veut pas décider à l’avance, jusqu’aux pueblos brûlés d’Andalousie. Et comme dans tout voyage, certains partiraient en cours de route, s’arrêteraient à Salamanque ou à Tolède, et d’autres iraient au bout de la route, jusqu’à la mer, jusqu’au matin – était-ce bien le matin ? Et comme dans tout voyage, pour ceux qui iraient jusqu’à la fin de cette histoire sans fin, il y aurait les haltes et les pauses : les dramaticules où l’on sort manger un sandwich, les flottements. Et les moments où la tête se fait lourde, où l’on se cale au mieux dans son fauteuil, où l’on s’endort et on rêve. Qu’a-t-on entendu de La Servante dans ce sommeil, dans ces rêves ? On dit toujours qu’il ne faut pas dormir au théâtre. Rester attentif. Mais songez : ce dont on se souvient d’un voyage, n’est-ce pas de ces moments où, par exemple, vous êtes dans un village d’Espagne, à l’heure où il n’y a plus dans les rues qu’un vieux chien pelé, et vous vous sentez totalement absent à vous-même, vacant, aveuglé par la lumière éblouissante ? Et c’est plus tard que vous savez que vous avez vécu là quelque chose. Quelque chose de bien plus fort que, au hasard, la visite de l’Alhambra de Grenade – et pourtant, c’est très beau, l’Alhambra. On serait bien incapable, aujourd’hui, de raconter l’histoire de La Servante. Mais ce dont on se souvient avec un sentiment très précis, c’est de ces acteurs qui nous avaient menés jusqu’au bout de la nuit, dans un jour renaissant. Et parmi ceux-là, les acteurs, il y en avait trois – pourquoi ces trois-là, c’est injuste, oui, ou alors c’est le talent – que l’on retrouverait onze ans plus tard, quand l’illusion comique d’Olivier Py serait passée au pluriel : Michel Fau, Philippe Girard, Elisabeth Mazev. Il y avait aussi la chienne Flipotte, qui entretemps aurait été remplacée par le chien Concept, mais cela, c’est une autre histoire, un diverticule que l’on explorera dans un autre papier, un autre voyage. Ce petit-matin-là, on le sait maintenant, ces trois acteurs-là, hâves et heureux comme nous l’étions à l’issue de cette odyssée accomplie ensemble, oui, ces troislà nous avaient appris quelque chose. Quelque chose sur la vie, qu’on ne regarde peut-être jamais si bien que dans la nuit du théâtre, du moment que dans cette nuit brille une servante. a Pour avoir animé de nombreuses Rencontres du Monde au Cloître Saint-Louis, les dieux de la scène m’ont récompensé en me permettant de voisiner quelques heures avec l’une des plus belles femmes du monde. Cette année-là, Kristin Scott Thomas jouait Bérénice et est venue en parler avec les lecteurs du journal. Un après-midi, attablés dans la cour de l’Hôtel d’Europe, Patrice Chéreau et Bernard-Marie Koltès trinquaient avec Jacqueline Maillan. Un verre transgenre dont il faut regretter qu’il soit si rare. J’ai pleuré deux fois à Avignon. Quand Ludmila Mikaël chantait Le Soulier de Satin dans la mise en scène d’Antoine Vitez et lors du finale de Chimère, le chef-d’œuvre de Bartabas et de son cheval noir, Zingaro. Carrière de Boulbon. La nuit est tombée. Pierre Boulez rejoint son pupitre à la tête de l’Ensemble Intercontemporain. De la main, il chasse un papillon et ouvre la partition de Répons. Comme par enchantement. a ON SE SOUVIENT 1981. KONTAKTHOF. Pina Bausch a tout compris. Exactement le genre de spectacle qu’on attendait et qui n’était pas prévu. Meryl Tankard et Jo Ann Endicott für immer. Dominique Mercy, Malou Airaudo, Mechtilde Grossmann. Après la mort de Rolf Borzick, Peter Pabst a pris en main la scénographie. La costumière Marion Cito va faire de la robe Pina Bausch une icône de mode. 1982. RICHARD II. Ariane Mnouchkine inaugure une Cour d’honneur refaite avec un Shakespeare placé sous le signe des samouraïs. Les chevaliers du royaume d’Angleterre sont frères des guerriers de Kagemusha. La force du rite magnifie la splendeur des images. 1984. RICHARD III. Un soleil noir envoûte la Cour : Ariel Garcia Valdès joue Richard III, dans la mise en scène noir flamboyant de Georges Lavaudant. Du roi nabot et assassin il fait un homme en mal d’absolu, un enfant enivré de lui-même. Sa séduction vénéneuse signe la rencontre légendaire d’un acteur et d’un rôle. 1985. ROARATORIO ET LE MAHABHARATA. Merce Cunningham et John Cage s’invitent dans la tête et les textes de James Joyce. Des musiciens traditionnels accompagnent ce nocturne irlandais. On tangue comme dans un pub. Comme toujours la moitié du public crie son désarroi. C’est l’invention permanente. Merce en faune étourdissant. Peter Brook voulait un endroit pour réinventer le monde. Il a découvert la carrière Boulbon, à jamais liée à la création du Mahabharata. Cette immense fresque inspirée du poème épique indien se déploie dans une nuit d’or où le langage en sa simplicité est roi. 2006 AVIGNON page 9 - Jeudi 6 juillet 2006 - 0 123 Lost in Avignon Par Dominique Frétard A vignon, c’est la nuit. Même le jour, c’est la nuit. De dix heures du matin à dix heures du soir, on plonge dans des salles obscures. Si bien qu’entre les spectacles, on se sent zombie, asséché par la lumière trop blanche du Sud. Pas seulement parce qu’on se couche tard. Pas seulement parce que parfois le soleil tape dur. Non, il s’agit d’un tout autre phénomène. A force d’entrer sans interruption dans l’imaginaire et l’inconscient des auteurs de théâtre et des chorégraphes, de partager avec les acteurs et les danseurs le poids et les drames des personnages auxquels ils donnent vie, on pénètre dans des zones d’ombre qui sont aussi les nôtres ou qui le deviennent. Avignon squatte nos têtes et nos rêves. Il faut être résistant. Avignon, c’est la jeunesse. Celle d’une première fois. D’un groupe d’amis qui se retrouve dans une location, rue VictorHugo, à l’ombre des remparts. C’est Fritz qui descend à bicyclette de Paris, après un détour par Saint-Claude, où il achète des pipes (qui ont fait la renommée de la ville). Il les revendra au marché hippy et paiera ainsi son séjour. Tout est possible. Le temps explose. La vie jusqu’où bout de la nuit, avec ce plaisir enfantin d’assister aux premières lueurs du jour. Il faut avoir 20 ans. Avignon, c’est une drogue. Une dure. De celle qui vous harponne dès la première prise. Et qui ne vous lâche plus. C’est la silhouette de Carolyn Carlson qui hante le mur du fond de la Cour d’honneur dans Onirocri, le théâtre musical vu par Antoine Bourseiller. Essayez aujourd’hui de programmer ce genre d’ovni à Avignon ! De surcroît dans le saint des saints. On n’y supporte même plus le talent d’un Jan Fabre. Quelque part au « off », peut-être était-ce au Théâtre du Chapeau-Rouge, les danseurs Lila Green et Mark Tompkins donnaient l’illusion de se battre sur un ring de boxe. On découvrait la danse-contact… C’est l’allégresse d’un coup de massue. Celui reçu par le Kontakthof de Pina Bausch. Le corps et l’esprit en lévitation, l’événement arrosé comme il convenait : c’est-à-dire toute la nuit. Et encore le lendemain. Et tous les autres jours. C’est qu’il fallait s’en remettre – à l’époque, on ne jurait que par les Américains, la trinité Merce-Trisha-Lucinda. Vingt-cinq ans après, « son sens du suspense qui ne sert à rien qu’à énerver », comme l’écrivait si justement François Weyergans dans Le Monde, Pina nous tient toujours sous sa coupe. Et plus que jamais avec cet éclatant Rough Cuts qu’elle présentait, en juin, au Théâtre de la Ville, à Paris. Il y a ceux qui aiment Pina Bausch. Et les autres. Puis, un jour, vient l’écriture. Ecrire tout de suite en sortant des spectacles pour être « dans le journal » dès le lendemain. Etre critique. Rendre compte. Pas grave, croyait-on, puisqu’on était déjà rodé à dormir si peu. L’adrénaline de la nuit. Le corps vidé par la fatigue. L’aube encore. Le désordre des tasses de café. L’impression d’être sous acide. UNE VIE EN « JET LAG » Mais ceci est une autre histoire. Une vie en jet lag permanent. Probablement la seule façon d’aimer, peut-être même de supporter, ce trop-plein de spectacles. N’allez jamais à Avignon avec un compagnon, ou une compagne, qui dort la nuit. Ou qui déprime. Tant de passion environnante achèvera de l’anéantir. Avignon grossit et exagère tous les états, toutes les émotions. C’est l’Australienne Jo-Ann Endicott qui dans le phénoménal Walzer de Pina Bausch se goinfre tout en détaillant les parties d’un corps qu’elle déteste. Les 2 293 bruits répertoriés par John Cage dans le Finnegan’s Wake de James Joyce que le compositeur est allé collecter à Dublin pour écrire la partition de Roaratorio, une des multiples splendeurs de Merce Cunningham. La parade nocturne, inquiétante de Zingaro, Bartabas tournoyant dans la ville sur son cheval cabré. La chevelure blanche de l’impérieuse Chandralekha, chorégraphe rebelle de Madras. Le Mahabharata étoilé de Peter Brook et Jean-Claude Carrière. Les rêves morts des hommes monochromes, de Lloyd Newson, toutes les folies Jan Fabre, y compris celles qui choquent le bobo, la fugue japonaise de Susan Buirge, le Ram Dam de Maguy Marin, l’Adieu de François Raffinot… Mais laissons là l’exercice des best-sellers. Car un paradoxe s’impose avec le recul : Avignon, c’est moins des spectacles que le souvenir des chemins parcourus dans la ville pour se rendre d’un théâtre à un autre. C’est la superposition en mille-feuille des vivants et des morts. L’émotion de penser que dans chaque hangar transformé en théâtre se cache sûrement un étonnant talent. C’est se sentir parfois comme ces touristes qui dans la Cité des papes ne vont jamais au spectacle, et qui pourtant diront : « Cet été je suis allé au Festival d’Avignon ». Ils ne mentent pas. Le théâtre s’infiltre jusque dans les veines de ceux qui ne font que passer. Avignon peut être une possession. Qui a à voir avec les esprits des artistes, leur souffle, la chimie des mots et des corps, le mistral. Tant de mystères et d’impostures. Tant de courage et de fulgurance. Le Festival est un jeu de pistes. Le temple de la rumeur et du bouche-à-oreille. Telle pièce est « à chier », telle autre « la seule chose à voir ». Il y a ceux qui ont tout vu avant tout le monde, et qui affirment, y compris à ceux ON SE SOUVIENT 1987. LE SOULIER DE SATIN. S’il n’en reste qu’un, pour beaucoup de spectateurs, c’est ce souvenir-là : la création de l’intégrale du Soulier de satin, de Paul Claudel, mis en scène par Antoine Vitez dans la Cour d’honneur. Douze heures de spectacle, une inoubliable traversée de la nuit, avec Rodrigue (Didier Sandre) et Prouhèze (Ludmila Mikaël), les amants déchirés d’un théâtre à son zénith. 1988. RÉPONS. La Carrière Boulbon n’avait jamais vu cela : un ordinateur monstre et des batteries de hautparleurs, associés aux musiciens de l’Ensemble intercontemporain. C’était pour la création de Répons, de et dirigée par Pierre Boulez : une mécanique céleste dans un cadre de rêve. 1994. VOLE MON DRAGON. Un jeune homme et un homme, unis par un amour raconté par Hervé Guibert, dans les années 1980. Le metteur en scène Stanislas Nordey a confié le texte à des acteurs sourds et d’autres qui ne le sont pas. Ensemble, ils font le voyage de cet amour, qui dure le temps d’une nuit de théâtre. Un moment comme seul Avignon sait en offrir : neuf heures d’où l’on ressort perclus d’émotions. 1996. LA RÉSISTIBLE ASCENSION D’ARTURO UI. C’est la dernière mise en scène signée par Heiner Müller avant sa mort, en 1995. Un spectacle historique. Müller fait de la pièce de Brecht – une métaphore sur la montée du nazisme – une opérette sanglante, une farce poussée à son extrême. Tout Avignon devient fou d’un acteur d’exception : Martin Wuttke, dans le rôle d’Arturo Ui. « Nelken », chorégraphie de Pina Bausch, 1983. MARC ENGUERAND qui s’en contrefichent, que « c’était bien mieux à Berlin » ou à New York. Foire aux vanités à laquelle chacun participe à sa manière. Certains plus que d’autres. C’est ceux-là qu’il faut fuir. On se dit parfois, mais c’est une utopie, que le Festival d’Avignon devrait être réservé au public et vivement déconseillé à ceux qui forment ce qu’on appelle « le milieu » du spectacle vivant, et qui fréquentent à titre professionnel les théâtres tout le reste de l’année. Les programmations gagneraient en concision. Festival ne voudrait plus dire catalogue mais choix essentiels. Avignon, c’est le temps intercalaire. Un mois de juillet auquel on aurait rajouté des jours. Quand, dans ce temps entre parenthèses, surgit, brutale, la réalité de la grève des intermittents de juillet 2003, le Festival, qui repose sur un contrat tacite censé unir la grande famille du spectacle, s’effondre sur luimême, trop âgé, trop colossal, et ne s’en remet pas. Avignon est une fiction. Qu’il faut réinventer d’urgence. a AVIGNON 2006 0 123 - Jeudi 6 juillet 2006 - page 10 La Cour, un défi unique au monde Par Colette Godard S ouvenirs ? D’abord des images de nuit, de ciel, de murailles : la Cour d’honneur. Inoubliable magie de l’immense espace entièrement offert aux fleurs par Pina Bausch : Nelken, « Les Œillets », en 1983. Et puis l’étrange cosmos intemporel où Otomar Krjeka envoyait les « clochards métaphysiques » de Beckett attendre Godot, en 1978. Fragiles silhouettes en perdition, menacées par une sorte de lune blanche, oblique, naufragée. Parfois, c’est la religion du « peu » qui met en valeur la démesure du lieu. Sinon, les tentatives pour atteindre le niveau peuvent, à grand renfort de savants éclairages, trouvailles compliquées, décors ajoutés, aboutir à de lourdes acrobaties scéniques. D’autant plus aléatoires que le mistral est toujours possible. Auquel cas, devant la foule grelottante, tels des marins au cœur de la tempête, comédiens ou dan- seurs n’ont d’autre préoccupation que lutter pour tenir jusqu’au bout du voyage. Beauté du risque. Quoi qu’il en soit, la Cour d’honneur propose un défi scénographique, historique, mythique, sans doute unique au monde. Et qui, par une sorte de sortilège imprévisible, peut magnifier un spectacle : Nelken, ici, a trouvé une dimension sauvage qu’aucune salle n’a pu lui donner. Et le Richard II pour lequel Ariane Mnouchkine s’est inspirée du théâtre traditionnel japonais, dans tous ses décalages de codes, d’époques, d’environnement, a gagné la violence d’un souffle baroque magnifiquement shakespearien. Le spectacle inaugurait une « nouvelle » Cour d’honneur, en 1982. Régulièrement, on essaie de la moderniser. Pourtant, estce que l’essentiel ne serait pas le hors temps du mur, de ses ogives, de ses fantômes ? Shakespeare, c’est vrai, y est comme chez lui. En tout cas, bien « Richard III », de William Shakespeare, mise en scène Georges Lavaudant, en 1984. BRIGITTE ENGUERAND des metteurs en scène l’y ont cherché. Certains l’ont rencontré : Georges Lavaudant, en 1984, quand il a monté Richard III et confié le rôle du roi boiteux à Ariel Garcia-Valdès, tout jeune, régnant sur la Cour comme sur un terrain de jeux, jouant de son charme d’enfant despote. Un autre charmeur a marqué le personnage du méchant Richard : Marcial di Fonzo Bo, et il est cette année au lycée Mistral avec Copi. UN MONDE DÉVASTÉ A priori, rien à voir. En fait, deux façons de renverser la normalité sens dessus dessous. Car Shakespeare était trituré par Matthias Langhoff, qui le faisait parler d’un monde déchiqueté. Cela se passait en 1995 dans l’espace confiné des Pénitents-Blancs, inauguré, longtemps occupé par les « mises en espace » de Théâtre Ouvert. Le titre entier était Gloucester-matériau-Shakespeare-Richard III, le mot « matériau » paraissant le plus adapté au travail de déconstruction opéré sur le texte originel. Pratique courante chez les metteurs en scène allemands. Ainsi a-t-on vu la Nora d’Ibsen, parfaite incarnation de la « bobo » berlinoise dans sa Maison de poupée, abattre son mari au lieu de s’en aller. C’était la version Thomas Ostermeier, premier artiste associé désigné par la nouvelle direction, en 2004. Presque un habitué du Festival, parlant français, à l’aise partout, et dans l’incontournable Cour d’honneur, où son passionnant Woyzeck, interprétation racaille et rappeurs d’un héros quasi shakespearien au bord du gouffre, en a scandalisé plus d’un, en 2004. En 1981, Langhoff, en compagnie de Manfred Karge, avait lui aussi secoué en toute rudesse la pièce en fragments de Büchner : Marie Woyzeck au cloître des Carmes, autre lieu enchanté, le plus harmonieux de tous peut-être, où a été créé en 1969 Orden (Bourgeade-Arrigo, Lavelli), premier essai de « théâ- tre musical », genre qui finalement a pris ses quartiers entre les deux arbres antiques du cloître des Carmes. Quelle ville offre une telle diversité d’espaces ouverts, vibrants, vivants ? La cour du lycée SaintJoseph a engagé dans une dimension de tragédie les déchirements du transsexuel fassbinderien Charles Berling (L’Année des treize lunes, par Martinelli, en 1995), a fait régner sur les Pièces de guerre (Bond-Françon à nouveau réunis, en 1994) la désolation et la fureur d’un monde dévasté. Dans la cour de l’école SaintJean, les fanfares de Pippo Delbono (Silenzio, Guerra, La Rabbia, en 2002) ont arraché les cœurs, ramené les émotions brutes d’un théâtre éternel. Elles ont même investi l’immensité de la Carrière Boulbon (Urlo). C’est sans elles qu’il revient cette année, au Musée Calvet. A quand la Cour d’honneur ? A lui seul, il pourrait la tenir pendant des heures en haleine. a ON SE SOUVIENT 2000. MY MOVEMENTS ARE ALONE LIKE STREETSDOGS. Erna Omarsdottir, Islandaise à faire fondre la banquise, mise en scène et en solo par Jan Fabre dans. Chiens empaillés, motte de beurre à tout faire, Léo Ferré à pleurer. Du Jan Fabre sublimé par une interprète jusqu’au-boutiste. 2002. IL SILENZIO. Où l’on découvre l’Italien Pippo Delbono, avec trois spectacles, dont ce Silence inspirépar celuiquisuit lestremblements de terre. La mort n’a jamais étéaussi vibrante, et vivante,qu’ici. 2003. MAISON DE POUPÉE. Thomas Ostermeier, artiste associé, fait de Nora, l’héroïne d’Ibsen, une jeune femme, prise dans une imparable mécanique de la révolte et de la désillusion. Du théâtre pour aujourd’hui. 2006 AVIGNON page 11 - Jeudi 6 juillet 2006 - 0 Le « théâtre calme » d’Oriza Hirata Dans « Gens de Séoul », l’auteur nippon, né en 1962, met en scène une famille banale pendant l’occupation de la Corée par le Japon D ’abord, il y a son prénom, Oriza, un prénom qui peut sonner étrangement à nos oreilles occidentales, mais qui semble tout autant étrange à des Japonais, car O-ri-za est un takatana, c’est-à-dire une transcription d’un mot étranger. « Riz », en latin, tout simplement. En lui donnant ce prénom, les parents d’Oriza Hirata, ont voulu dès sa naissance, en 1962, le distinguer des autres et manifester une ouverture sur le monde, rare, dans un pays encore refermé sur son insularité. Ils ne croyaient sans doute pas si bien faire. Car ensuite, il y a ce voyage initiatique, à l’âge de 16 ans et demi, tout seul et à bicyclette, de quelque 20 000 kilomètres à travers l’Europe. Un voyage difficile à envisager pour un gamin de cet âge, non seulement en raison d’éventuels périls, mais surtout parce que cela signifiait qu’il sortait du système scolaire, s’excluant ainsi de l’université. « Quand j’avais 13 ans, raconte-t-il, je rêvais de découvrir le monde entier. C’était fondamental, bien plus que d’aller au lycée. Au début mes parents ne me prenaient pas au sérieux. Mais quand je leur ai montré les billets d’avion que j’avais pu acheter en faisant des petits boulots, ils ne pouvaient plus rien dire. » De ce périple, il tirera son premier livre en 1981. En souriant, il explique que ce voyage n’a rien changé à sa vision du monde, parce que, à cet âge, il n’en avait pas. En revanche, dit-il « tout m’a influencé. J’ai appris très jeune que les valeurs de la vie peuvent être très variées, j’ai été enrichi par l’histoire européenne ou par l’art occidental, même si c’était assez conservateur ». Comme son prénom, il y a souvent dans ses textes (une trentai- D’autres auteurs au programme Bernard-Marie Koltès. On entendra en anglais son Combat de nègres et de chiens (Black Battles with Dogs) qu’Arthur Nauzyciel a créé, en 2002, à Chicago avec des acteurs américains. Edward Bond, un des plus grands dramaturges britanniques contemporains, auteur d’un théâtre politique radical et prospectif. Depuis 1992, Alain Françon crée ses pièces en France. Il en présente trois (Naître, Chaise et Si ce n’est toi). Marguerite Duras. Dans Pluie d’été à Hiroshima, le metteur en scène Eric Vignier croise deux textes qui explorent l’intime et le spirituel La Pluie d’été et Hiroshima mon amour, le scénario que Marguerite Duras a écrit en 1960 pour Alain Resnais. De haut en bas : Bernard-Marie Koltes, MARC ENGUERAND. Edward Bond, MARC ENGUERAND. Marguerite Duras, « Gens de Séoul », d’Oriza Hirata, mis en scène par Frédéric Fisbach. KATSU MITYAUCHI JEAN-FRANÇOIS RAULT AGENCE ENGUERAND. ne à ce jour) des réminiscences venues de cet ailleurs : La Montagne magique ou Les Buddenbrook, de Thomas Mann pour Nouvelles du plateau S et Tokyo Notes ; le film d’Ozu, Voyage à Tokyo, pour Gens de Séoul, la seule où les acteurs portent des kimonos. A son retour, il intègre l’International Christian University, à Tokyo, découvre le théâtre, écrit sa première pièce, fonde sa compagnie, Seinendan. Puis, doté d’une bourse, il va poursuivre ses études en Corée, autre fait rare pour quelqu’un de sa génération. A 25 ans, il commence à mettre en scène et en 1988, développe sa « méthode théâtrale », qu’il explique, « décrire la vie quotidienne avec des personnages ordinaires, que rien ne se passe, que le décor ne change pas, que la lumière ne change pas, qu’il n’y ait pas de musique, pas de coups de théâtre ». Ce que l’on qualifiera de « théâtre calme ». Il ajoute : « Je savais que j’avais découvert une nouvelle méthode, mais je ne savais pas comment l’appliquer. Je perdais des spectateurs, personne ne comprenait ce que je voulais faire. » LE CRIME DE BONNE FOI Il fait son voyage de noces en France, en 1989, dix ans après son premier séjour, et c’est dans le TGV qui va à Avignon qu’il a l’idée de ce qui va devenir Gens de Séoul, « mais je ne pensais pas que ce serait un jour présenté au Festival. » Lors de la création, une seule critique paraît dans la presse disant en substance, « cette pièce n’a aucun sens. » Depuis, il s’est imposé, a écrit une suite, Gens de Séoul 1919 et travaille à une troisième, Gens de Séoul 1929. Le thème de la pièce (l’occupation de la Corée par le Japon, au début du siècle) est dérangeant pour ses compatriotes, mais le traitement qu’en donne Oriza Hirata est encore plus troublant. Il met en scène une famille japonaise banale, établie en Corée, qui selon ses propres termes, « sourit tout le temps et parle pendant une heure de l’occupation. » Certains y voient une pièce antiraciste, d’autres au contraire une justification du colonialisme japonais, « cela me fait plaisir que les réactions soient aussi variées, dit-il. L’essentiel, c’était de montrer que la colonisation, ce sont des gens qui occupent et des gens qui sont occu- pés. La question était donc, comment décrire le crime de bonne foi (comme les Américains convaincus du bien-fondé de l’invasion de l’Irak) commis par des gens ordinaires. » Comme le dit sa traductrice, Rose-Marie Makino Fayolle, « l’air de rien, il arrive à faire rire de choses très graves, et en riant, sans s’en rendre compte, on passe de l’autre côté ». Mais au-delà de la « méthode Hirata », il y a aussi le soin méticuleux qu’il apporte aux didascalies. Frédéric Fisbach qui avait mis en scène Tokyo Notes en 2000, avec lui – et qui monte cette fois Gens de Séoul – raconte qu’il travaillait à cette époque « sur la question d’un texte qui se présenterait sous la forme d’une partition pour l’interprète. C’est-à-dire qui poserait à l’acteur des questions d’exécution – le rapport à la forme du texte, sa rythmique, l’articulation, le souffle – avant même de penser à l’interprétation. Et je me retrouvais devant un texte qui se présentait non seulement sous la forme d’une partition pour la parole, mais aussi pour les corps. » Mme Makino-Fayolle, elle, n’avait « jamais vu ça ! Le japonais s’écrit de droite à gauche et de façon verticale, or chaque page est coupée en deux, en haut un dialogue et en dessous, un autre dialogue, et partout des petits dessins, des numéros… » Il numérote par exemple chaque chaise et indique combien de temps un acteur s’y asseoit. Il y a, dit Frédéric Fisbach, « un aspect choral », les phrases courtes sont entrecoupées de oh ! de ah ! de eh !, qui montrent que l’interlocuteur écoute, d’autres personnages poursuivent en même temps une conversation différente… Une vingtaine de comédiens entrent et sortent, un nombre imposant, c’est que « l’Asie est très peuplée », s’excuse-t-il. Si, au Japon, les acteurs appartiennent à une compagnie et ne travaillent que pour leur directeurmetteur en scène, lui, ouvre son théâtre aux autres et accepte que ses acteurs jouent ailleurs. Mais il les connaît bien et écrit en fonction de chacun, remaniant ses textes avec eux, encore et toujours. Toujours sur la brèche, toujours en mouvement, il est devenu également professeur, mais pas de théâtre…. de communication. a Martine Silber Gens de Séoul, du 21 au 26 (relâche le 24), lycée Mistral. Les pièces d’ Oriza Hirata sont publiées aux éditions des Solitaires intempestifs 123 AVIGNON 2006 0 123 - Jeudi 6 juillet 2006 - page 12 Le metteur en scène présente « Sizwe Banzi est mort », d’Athol Fugard, John Kani et Winston Ntshona Peter Brook : A 81 ans, l’infatigable voyageur Peter Brook poursuit son exploration du théâtre comme instrument de découverte de la vie dans ce qu’elle a de plus divers : une esthétique de la pluralité, une éthique de la curiosité et de l’ouverture qui l’amènent à monter une nouvelle fois ce « théâtre des townships » sud-africain avec Sizwe Banzi est mort, d’Athol Fugard, John Kani et Winston Ntshona. Entretien. Enfant, vous étiez surtout passionné par la photographie et le cinéma. Et c’est le théâtre qui vous a happé. Comment l’analysez-vous ? A partir du moment où j’ai commencé à ouvrir les yeux sur le monde autour de moi, j’ai trouvé tout ce que je voyais fasci- « Je suis un appareil photo » nant. Je suis rentré dans la vie – et suis resté longtemps – avec cette fascination du voyageur, de l’aventurier : tout ce qui passait par les yeux était pour moi la nourriture de la vie. Mais si vous regardez la vie de cette manière, vous êtes dans une forme de solitude. Comme dans cette célèbre chanson anglaise : I’m a Camera. Donc, d’une certaine manière, c’est cela que je suis : un appareil photo. Pour moi, faire du cinéma, c’était vraiment mettre cet œil de la caméra personnelle derrière celui de l’objectif, pour pénétrer le monde avec. Mais si je suis un appareil photo, cela veut dire qu’il n’y a qu’une seule personne qui est au centre, celle qui est derrière l’objectif. Quand j’ai commencé à travailler dans le cinéma, en Angleterre, dans les années 1940, je n’étais pas du tout anti- social, j’avais beaucoup de relations, mais c’était un chemin de vie purement individualiste. C’est ce constat qui vous a mené au théâtre ? Dans l’Angleterre extrêmement fermée et grise de ces années-là, je me suis d’abord intéressé au théâtre à cause de l’ambiance qui y régnait : une certaine énergie, une certaine excitation. Le théâtre lui-même était d’un ennui mortel, mais, à l’intérieur de cette forme artificielle, il y avait une grande vitalité. Je me suis donc rapproché de ce monde, j’ai commencé à monter des pièces, et là, en travaillant avec des acteurs, dans la relation entre le groupe d’acteurs et un groupe plus grand qui est le public, j’ai découvert plus que la joie, la vérité d’être dans un travail collectif. La satisfaction profonde d’accomplir, de partager quelque chose, du premier jour au moment tellement important et délicat des représentations. Je compare souvent le théâtre et la cuisine : les répétitions, c’est une préparation en vue du moment où le repas va être goûté ensemble avec les spectateurs. Et ce moment doit, à chaque fois, être totalement respecté. J’ai toujours pensé que tout travail théâtral qui méprise le public n’est pas du théâtre. Vous employez souvent des métaphores photographiques pour parler de votre travail. Et vous faites souvent référence à Henri Cartier-Bresson… En travaillant, j’ai appris que ce dont on doit se méfier le plus, c’est de la tentation d’imposer une forme sur une pièce. Pour moi, le travail théâtral doit per- Vous serez ByTheWayCreacom - Photo : Gettyimages fiers de votre banque Coopérer, c'est faire ensemble. C'est donc partager. Une banque coopérative, c'est une banque qui a le sens du partage. Donc, qui ne ressemble à aucune autre banque. Pourtant, favoriser la coopération, c'est l'avenir pour plus d'une entreprise quelle que soit sa taille. Et pour l'emploi. Encourager l'activité des associations, c'est vital pour la santé, la culture, le sport, l'insertion, le logement. Entre autres. Créer des produits solidaires, comme la Carte Bleue Agir, c'est un moyen si simple de passer à l'action. Bienvenue au Crédit Coopératif. GROUPE BANQUE POPULAIRE www.credit-cooperatif.coop mettre à la forme naturelle de la vie, qui est toujours cachée, de monter à la surface. Je trouve terrible d’arriver, en tant que metteur en scène qui va monter Hamlet ou n’importe quelle autre grande pièce, avec une idée déjà très fortement préparée : « ma » lecture de la pièce. Je n’ai pas le droit d’avoir une lecture à moi d’une telle pièce. Mais, en même temps, lire la pièce à haute voix ne suffit pas pour que sa vraie vie cachée monte à la surface. Tout le travail est là pour que ces courants invisibles – qui vont former les moments de vérité – puissent apparaître, avec notre aide, mais sans que ce soit quelque chose que nous avons décidé a priori, que nous imposons. C’est cela qui rejoint le travail de Cartier-Bresson ? Ce qui est extraordinaire, chez Cartier-Bresson, c’est qu’il avait développé une chose au-delà de la sensibilité : une forme de perception qui rendait naturel le fait que, étant là, son appareil à la main, avec des milliers et des milliers de formes de vie qui passaient à chaque seconde devant ses yeux, il pouvait sentir une milliseconde à l’avance qu’il allait y avoir un de ces moments où tous les éléments devant lui seraient liés d’une certaine manière. Un de ces moments où tous ces liens qui sont toujours là, souterrains, seraient subitement visibles. Et cette intuition lui donnait le temps de lever l’appareil, d’appuyer sur le déclic et de saisir ce qu’il appelait le moment juste, le moment vivant. Pour vous, il y a trois sommets dans le théâtre : les Grecs, Shakespeare et Tchekhov… Beckett, aussi… Mais si Shakespeare est une colonne vertébrale dans votre parcours, vous avez finalement peu monté les Grecs, Tchekhov et Beckett… Etre metteur en scène n’a jamais été pour moi un but en soi. Je n’ai pas cherché à faire une carrière, avec des étapes obligées dans un parcours, etc. J’ai cherché à vivre d’une certaine manière, avec cette aide extraordinaire qu’est le fait d’œuvrer dans un champ aussi riche et merveilleux que le théâtre. Ce qui m’a toujours intéressé, c’est de découvrir, de suivre et de développer certaines lignes, ce qui est très différent de « monter » des pièces. Vous avez néanmoins mis en scène Shakespeare à de nombreuses reprises… La raison pour laquelle j’aime tellement Shakespeare, c’est qu’il n’a pas de point de vue. Personne ne peut dire, sur une de ses phrases : « Ah, là, on entend la voix de l’auteur, c’est cela qu’il a voulu dire... » Alors que chez la plupart des auteurs, à chaque instant on entend la voix et l’autorité du dramaturge, qui utilise cette forme collective comme un instrument personnel pour parler au monde. Quand j’ai monté Don Giovanni, de Mozart, je n’avais pas du tout l’impression que c’était un monde clos venant du cerveau, de l’esprit, d’un certain compositeur, non, c’était un matériel vivant, exactemt comme ce qui est derrière ce moment de Comment ce type Cartier-Bresson. de démarche peut-il La merveille de Shakespeare, se traduire au théâtre ? Nous avons souvent, en répé- c’est que cet homme ait pu très tition, utilisé des photos pour rapidement absorber toutes les que les acteurs puissent s’appro- impressions de la vie autour de lui, y compris ce qui cher d’une vie qui était loin de lui, leur était lointaine, venant de classes en se laissant envasociales qu’il hir par ces images. A Il est très rare n’avait jamais partir de là, un peu que l’on considère côtoyées. Tout ce comme Cartier-Bresl’Afrique qu’il entendait, il son, l’acteur doit senl’enregistrait, et tir, trouver ce qui comme tout cela nourrisprécède ce moment une civilisation sait cette extraordiet ce qui vient après. naire ouverture qui On part de la recher- réellement lui a permis d’absorche d’un moment riche et profonde ber la vie. Et puis, juste, pour qu’il n’y au moment de l’écriait pas qu’un moment juste, mais des mouve- ture, qui apparemment chez lui ments justes, pour que ce soit la était d’une rapidité extraordinaire, toute la vie repassait à travie qui coule à travers cela. Qu’est-ce que ça veut dire, vers lui, avec les supports nécesfinalement, le travail de l’ac- saires : parce qu’il faut des histeur ? C’est mettre en relief ce toires, il faut des personnages. qui normalement passe inaper- Et ils étaient illuminés d’une çu : les impulsions, les réac- manière extraordinaire par tions, tout ce qui chez l’être cette créativité absolue, venant d’un homme qui ne voulait pas humain est caché. Habib Dembele, qui joue s’imposer pour empêcher queldans Sizwe Banzi, est un acteur que chose au-delà de lui d’appaqui regarde la vie comme Car- raître. Shakespeare, c’est un phétier-Bresson, avec un sens de nomène. l’observation et un humour incroyablemt aigus. Et quand il Et Tchekhov ? joue, parce qu’il a développé un Tchekhov aussi est un phénocorps qui répond à cela, toute mène : un très grand écrivain, cette observation, cette énergie, dont ce n’était pas le premier et en même temps ces senti- métier. En tant que médecin, ments de joie devant l’absurdité tous les jours, tout le temps, il des choses, tout cela s’exprime, était en position d’observateur. se met en relief. C’est bien plus Il était là, il absorbait la vie de que de l’expression corporelle, gens de tous milieux sociaux. ce n’est pas de l’expression per- Mais c’est un observateur sonnelle : il ne parle pas que de concerné, engagé, profondélui en faisant cela, il parle de ment touché par la souffrance quelqu’un d’autre. humaine : il est allé à Sakhaline pour faire ce grand livre sur ce camp de relégation, par exemVous dites toujours que ce qui est important, au théâ- ple… Mais il était engagé et détaché en même temps, et, dans les tre, c’est la vie : pour cela, la moments de détachement, il mise en scène ne peut être qu’un processus organique ? voyait l’absurdité de la vie. Pour lui, la tragédie, la tristesse, l’enAbsolument. 2006 AVIGNON page 13 - Jeudi 6 juillet 2006 - 0 123 TROIS AUTEURS SUD-AFRICAINS Peter Brook et Abdou Ouologuem (qui signe le décor) en répétition de « Sizwe Banzi est mort ». PASCAL GELLY AGENCE BERNAND Comment passe-t-on de cela à Beckett ? Beckett, c’est tout à fait extraordinaire. D’abord parce qu’il a eu une originalité réelle, une manière de regarder la vie et le théâtre avec des formes qui sont totalement de sa création. Des images, comme dans Oh les beaux jours ou comme l’arbre d’En attendant Godot. Et ces images en même temps sont inséparables d’un sens, de la musicalité qui lie la parole et le silence. Avec sa distance et son humour, avec ce refus de laisser la personnalité et l’émotion de l’acteur submerger son propre propos, avec ce combat douloureux pour que chaque phrase soit juste, il est entré profondément dans ce qui se passe continuellement à l’intérieur de cette boîte inconnue qu’est l’être humain. S’il ne voyait que misère et tragédie, c’est parce que nous sommes tous, à chaque instant, complètement prisonniers de notre passé. Regardez une pièce comme La Dernière Bande : il s’agit de quelqu’un qui, quels que soient ses efforts, ne peut pas sortir du fait que toute sa vie derrière lui est enregistrée et ne cesse de revenir. Et du coup il ne peut plus jamais être dans le présent : toujours, toujours, le présent c’est de retrouver la vieille bande. Vous voyez Beckett comme un pur tragique ? En montant Oh les beaux jours – je viens de le mettre en scène en allemand, à Berlin –, j’étais profondément touché par le fait qu’il ait décidé que le personnage central était une femme. Au milieu de toutes ces pièces terribles, remplies de clochards, il y a des choses beaucoup plus féminines, comme Berceuse, et puis cette grande pièce où l’homme a un rôle assez obscur et misérable. Mais la femme est aussi tragique : elle est tellement prisonnière de sa petite bande à elle, qu’elle rejoue tout le temps, tellement prisonnière de la banalité… En même temps – et c’est ce qui rend cette pièce tellement importante –, cette femme totalement engoncée dans le monde, dans la terre où elle s’enfonce, a aussi le désir d’être comme un oiseau, de monter vers le haut et de ne pas être absorbée par la terre. Derrière le bavardage de cette femme, des fissures s’ouvrent sur l’inconnu – et à ces momentslà on sent la grandeur de cette pièce, qui nous met devant l’intolérable, l’impossible, et puis il y a ces petits trous… C’est l’effet tragique qu’il y a dans les tragédies grecques, où, dans les pires moments, le public est subitement mis devant quelque chose d’au-delà de la misère humaine, d’au-delà de la cruauté, de la bestialité. Quel rôle joue l’Afrique dans votre théâtre ? A l’origine de la création du Centre international, il y avait cette conviction que notre petite culture arrogante et fermée avait tout à apprendre des autres. L’intérêt pour l’Afrique n’était pas plus grand que l’intérêt pour le Japon ou l’Inde, mais c’était moins connu. Je trouvais, et je trouve de plus en plus, les images de l’Afrique extrêmement partielles, même chez beaucoup de ceux qui disent aimer la culture africaine. Il est très rare que l’on considère l’Afrique comme une civilisation réellement riche et profonde. Et pour des raisons personnelles et humaines, mais aussi sociales, c’est une chose importante pour moi : le racisme tel que nous le connaissons aujourd’hui est une réalité qu’il faut combattre. Par l’exemple – parce que les déclarations, cela ne sert à rien. Mais ce n’est pas seulement cela. C’est aussi la conscience d’une richesse extraordinaire : l’Afrique, c’est l’humain. Et si vous voulez, dans votre théâtre, dire quelque chose sur l’humanité, vous ne pouvez pas le faire sans cet apport-là. C’est aussi simple que cela. C’est pourquoi j’ai fait La Tempête avec Sotigui Kouyaté dans le rôle de Prospero. C’est aussi lié pour vous à cette relation que l’Afrique noire entretient avec le récit, avec le conte ? Quand il s’agit de théâtre, la tradition orale, qui est d’ailleurs en train de disparaître, et que l’on retrouve dans ce théâtre des townships auquel appartient Sizwe Banzi, est toujours importante. C’est d’ailleurs un cliché de notre travail que de dire que le groupe d’acteurs, et tous ceux qui ont travaillé sur la pièce, sont un conteur à têtes multiples. Le bon acteur africain – tout le monde n’est pas fait pour être acteur, y compris en Afrique ! – est d’emblée organique. Il n’a pas besoin pour cela d’un apprentissage, d’étudier le mime ou la commedia dell’arte : il a cette capacité de faire passer ses images intérieures dans son corps, sans technique particulière. Cette technique que les grands acteurs occidentaux travaillent parfois pendant des années… Cela donne aux acteurs africains un très grand naturel, qui ne s’est pas perdu dans ce travail sur la technique. Est-ce vrai qu’une de vos devises est cette phrase de Hamlet : « The readiness is all » – que l’on peut traduire par : « Le tout, c’est d’être prêt » ? Vous voyez, nous avons bouclé la boucle : on revient à Cartier-Bresson. Si tout le monde ne fait pas des photos comme les siennes, c’est parce que lui était à chaque instant « ready » : ouvert, prêt. a Propos recueillis par Fabienne Darge Sizwe Banzi est mort, du 9 au 27 (relâche les 11, 14, 18 et 25), à l’Ecole de la Trillade. Dans les années 1960, en Afrique du Sud, un certain nombre de Blancs comme l’auteur Athol Fugard (photo du centre) viennent travailler dans les townships – notamment à Soweto, le grand ghetto noir de Johannesburg – où s’est développé un théâtre directement issu de la réalité de l’apartheid, de la violence et de l’oppression. Ainsi naissent des pièces écrites et jouées en commun – clandestinement, puisque Noirs et Blancs n’ont pas le droit de travailler ensemble. C’est ce théâtre que Peter Brook a fortement contribué à faire connaître en France, en organisant d’abord une saison sud-africaine au Théâtre des Bouffes-du-Nord en 1999 : on avait pu y découvrir Le Costume, de Mothobi Mutloatse, The Island et Sizwe Banzi est mort, d’Athol Fugard, John Kani (photo du haut) et Winston Ntshona (photo du bas). Sizwe Banzi, dont Peter Brook livre aujourd’hui une nouvelle mise en scène portée par le formidable acteur malien Habib Dembélé. Photos : DR création & illustration : studio sur sud / détail photo : © A Poupeney – PhotoScene.fr nui étaient omniprésents, mais pourtant il y a dans ses pièces, à l’intérieur même du petit univers qu’il décrit (c’est beaucoup plus limité que Shakespeare), le même intérêt que chez l’auteur d’Hamlet pour l’inconnu de la vie. C’est une vraie forme de générosité : laisser tomber ce qu’on veut dire pour accueillir les autres… AVIGNON 2006 0 123 - Jeudi 6 juillet 2006 - page 14 MÉMENTO Du 6 au 27 juillet. Places numérotées : Cour d’honneur, Cour du lycée Saint-Joseph, Théâtre municpal (cat. 1), Chapiteau Domaine de Roberty. Placement libre dans tous les autres lieux. Ouverture des portes de 15 à 30 minutes avant le début des spectacles. Cour d’honneur : de 13 ¤ à 36 ¤. Théâtre municipal : de 13 ¤ à 25 ¤. De 13 ¤ à 25 ¤ pour la grande majorité des spectacles. RÉSERVATIONS Par téléphone : 04-90-14-14-14 (de 9 heures à 13 heures et de 14 heures à 17 heures). Au bureau de location à Avignon : Cloître Saint-Louis, 20, rue du Portail-Bocquier, tous les jours de 11 heures à 19 h 30 (pour les spectacles du jour même, la location s’arrête trois heures avant le début de chaque représentation ; la vente reprend, dans la limite des places disponibles, à l’entrée des lieux de spectacle, 45 minutes avant le début de la représentation). Par Internet (frais de location : 1,60 ¤ par billet) : www.festival-avignon.com. Dans les Fnac (frais de location : 1,60 ¤ par billet). Paris : Bastille, Etoile, Forum, Micro, Italiens, Montparnasse, Saint-Lazare, Italie II, Champs-Elysées. Région parisienne : Créteil, Cergy, La Défense, Evry, Noisy, Parly II, Parinor, Vélizy, Boulogne, Rosny II, Val d’Europe. Province : toutes les Fnac. Etranger : Fnac en Suisse et en Belgique. NUMÉROS UTILES Festival d’Avignon, renseignements : 04-90-14-14-60. Chartreuse de Villeneuves-lèsAvignon : 04-90-15-24-24. Office de tourisme d’Avignon : 04-32-74-32-74. Taxis (24h/24) : 04-90-82-20-20. ARTISTE ASSOCIÉ THÉÂTRE ÉQUESTRE JOSEF NADJ Asobu. Théâtre-danse-musique. Chorégraphie et scénographie : Josef Nadj. Cour d’honneur du Palais des papes. Du 7 au 13, à 22 heures. Durée : 1 h 30. Photographies. Exposition de photos de Josef Nadj. Ecole d’art, du 7 au 27, de 12 heures à 18 heures. Dernier paysage. Film de Josef Nadj. Cinéma Utopia-Manutention, les 10 et 21, à 14 heures. Les Miniatures. Exposition de dessins à l’encre de Chine de Josef Nadj. Lieu et dates à préciser. Exposition. Vidéos et photographies retraçant le parcours personnel et artistique de Josef Nadj. Maison Jean-Vilar. Du 4 au 27, de 10 h 30 à 18 heures. Publications. Les Tombeaux de Josef Nadj, par Myriam Blœdé, éd. L’Œil d’or (sortie en juillet). Un numéro spécial de la revue Alternatives théâtrales. Exposition d’Alexandre Hollan. Peintre né à Budapest en 1933. Ecole d’art, du 7 au 27, de 12 heures à 18 heures. Lecture par Valérie Dréville de poèmes d’Otto Tolnai. Poète de langue hongroise, né à Kanizasa en 1940. Musée Calvet, le 9 à 11 heures. Cycle de lectures d’auteurs des pays de l’ex-Yougoslavie. Sous la direction d’Hubert Colas. Jardin de la rue de Mons. Du 8 au 12, à 11 heures. Jazz et musique improvisée de Hongrie et d’ailleurs. Phil Minton et Sophie Agnel. Gymnase du lycée Saint-Joseph, le 10, à 19 heures. György Szabados, Théâtre municipal, le 12, à 18 heures. Akosh S. et Gildas Etenard, Gymnase du lycée Saint-Joseph, le 18, à 19 heures. Archie Shepp, Tom McClung et le Mihaly Dresch Quartet, Cour d’honneur, le 19, à 23 heures. Akosh S. et Joëlle Léandre, avec Szilard Mezei, Gymnase du lycée Saint-Joseph, le 21, à 19 heures. Battuta, par le Théâtre équestre Zingaro. Conception : Bartabas. Chapiteau domaine de Roberty, du 6 au 27 (relâche les 9, 13, 17, 21 et 24), à 22 heures. Durée : 1 h 30. Lever de soleil, par Bartabas. Carrière de Boulbon, du 22 au 27 (relâche le 24), à 5 h 30. Durée : 1 heure. MIQUEL BARCELO ET JOSEF NADJ Paso Doble. Performance - arts plastiques. Conception : Miquel Barcelo, Josef Nadj. Eglise des Célestins. Du 16 au 27 (relâche les 19 et 24), à 18 heures. Durée : 1 heure. Expositions Miquel Barcelo : à l’église des Célestins, du 8 au 27, de 11 heures à 16 heures ; à la Collection Lambert, du 8 juillet au 1er octobre, de 11 heures à 19 heures. THÉÂTRE COUR D’HONNEUR Les Barbares, de Maxime Gorki. Mise en scène : Eric Lacascade. Cour d’honneur, du 17 au 25 (relâche le 19), à 22 heures. Durée : 3 h 30. EDWARD BOND Quatre pièces de l’auteur britannique Edward Bond dont trois mises en scène par Alain Françon : Naître, Cour du lycée Saint-Joseph, du 10 au 16 (relâche le 14), à 22 heures. Durée : 2 h 15. Chaise, Salle Benoît-XII, les 18, 19, 22, 24 et 26 à 19 heures, les 21, 23 et 25 à 15 heures. Durée : 1 h 30. Si ce n’est toi, Salle Benoît-XII, les 19, 22, 24 et 26 à 1 heure, les 21, 23 et 25 à 19 heures. Durée : 1 h 05. Le Numéro d’équilibre, mis en scène par Jérôme Hankins. Salle Franchet du lycée Saint-Joseph, du 9 au 13, à 15 heures. Durée : 1 h 45 ANATOLI VASSILIEV Mozart et Salieri. Requiem. Mise en scène : Anatoli Vassiliev. Musique : Vladimir Martynov. Carrière de Boulbon, les 8, 9 et 10, à 22 heures.Durée : 2 h 20. Les Funérailles de Patrocle. Les Jeux, d’Homère. Composition collective. Mise en scène : Anatoli Vassiliev. Carrière de Boulbon, les 14, 16 et 17, à 22 heures. Durée : 2 h 40. Photokynèse. Exposition de photos d’Anatoli Vassiliev. Hôtel de la Mirande, du 7 au 27, de 10 heures à 20 heures. COPI/MARCIAL DI FONZO BO Trois mises en scène de pièces de Copi par Marcial Di Fonzo Bo. La Tour de la Défense, Lycée Mistral, du 9 au 16 (relâche le 14), à 19 heures. Durée : 1 h 20. Les poulets n’ont pas de chaises/Loretta Strong, Cour du lycée Mistral, du 9 au 16 (relâche le 14), à 22 h 30. Durée : 2 heures. Eva Peron, Rond-point de la Barthelasse, le 19, à 22 heures. Durée : 1 heure. JAN LAUWERS § NEEDCOMPANY Le Bazar du Homard. Texte et mise en scène : Jan Lauwers. Cloître des Célestins, du 9 au 15 (relâche le 14), à 22 heures. Durée : 2 heures. La Poursuite du vent, de Claire Goll. Par Viviane de Muynck. Théâtre municipal. Du 8 au 15, à 18 heures (le 14, à 15 heures). Durée : 1 h 15. JOËL POMMERAT Quatre spectacles écrits et mis en scène par Joël Pommerat : Les Marchands, Théâtre municipal, du 20 au 25 (relâche le 23), à 19 heures. Durée : 2 heures. Au monde, Théâtre municipal, du 21 au 25 (relâche le 23), à 15 heures. Durée : 2 h 05. Le Petit chaperon rouge, Salle Benoît-XII, les 6, 7 et 8, à 11 heures et 18 heures. Durée : 45 minutes. Cet enfant, Rond-point de la Barthelasse, le 16, à 22 heures. Durée : 1 heure. CHRISTOPHE HUYSMAN Trois spectacles écrits et mis en scène par Christophe Huysman : Human (articulations), Tinel de la Chartreuse, du 8 au 22 (relâche les 12, 17, 18 et 19), à 18 heures. Durée : 1 h 15. La Course au désartre, Tinel de la Chartreuse, les 18 et 19, à 16 heures et 18 heures. Durée : 40 minutes. Les Eclaireurs, Abside de l’église, Chartreuse, du 7 au 22, à 9 heures et 18 h 30. PETER BROOK Sizwe Banzi est mort, d’Athol Fugard, John Kani et Winston Ntshona. Mise en scène : Peter Brook. Ecole de la Trillade, du 8 au 27 (relâche les 14, 18 et 25), à 22 heures, et le 14 à 23 heures. Pitcho, concert de Pitcho Womba Konga, acteur de Sizwe Banzi est mort, et musicien de rap. Gymnase du lycée Saint-Joseph, le 25, à 19 heures. STEFAN KAEGI Deux spectacles conçus par Stefan Kaegi : Mnemopark, Salle Benoît-XII, les 12, 13 et 14, à 15 heures. Durée : 1 h 40 (en français et allemand surtitré). Cargo Sofia-Avignon, spectacle itinérant, départ devant la grande poste, dun 20 au 25 (relâche le 23), à 11 heures et à 15 heures. Durée : 1 h 50. AUTRES SPECTACLES Pluie d’été à Hiroshima, d’après La Pluie d’été et Hiroshima mon amour. Mise en scène : Eric Vigner. Cloître des Carmes, du 11 au 24 (relâche les 14 et 20), à 21 h 30. Durée : 3 h 30. Gens de Séoul, d’Oriza Hirata. Mise en scène : Frédéric Fisbach. Lycée Mistral, du 21 au 26 (relâche le 24), à 18 heures. Durée : 2 heures. © Dolorès Marat (détail) by courtesy of galerie Kamel Mennour PRATIQUE 01 44 85 40 40 / theatre-odeon.fr Rouge décanté, d’après Jeroen Brouwers. Mise en scène : Guy Cassiers. Cloître des Célestins, du 19 au 24 (relâche le 21), à 22 heures. Durée : 1 h 30. Combat de nègre et de chiens, de Bernard-Marie Koltès. Mise en scène : Arthur Nauzyciel. Gymnase Aubanel, du 9 au 14 (relâche le 11), à 18 heures. Durée : 2 h 30 (en anglais surtitré) Depuis hier. Quatre habitants, de et par Michel Laubu. Jardin de la rue de Mons, du 15 au 23 (relâche le 19), à 22 heures. Durée : 1 h 10. Récits de juin, de et par Pippo Delbono. Musée Calvet, du 17 au 20, à 19 heures. Durée : 1 h 30. DANSE Faut qu’on parle ! Spectacle conçu par Hamid Ben Nahi et Guy Alloucherie. Chapelle des Pénitents-Blancs, du 9 au 13 (relâche le 12), à 15 heures, et le 14, à 15 heures et à 20 heures. Durée : 1 heure. Le 20, Hamid ben Nahi présente Sekel, au Rond-point de la Barthelasse, à 23 heures. Durée : 1 heure. Journal d’inquiétude. Conception, interprétation et musique : Thierry Baë. Chapelle des PénitentsBlancs, du 17 au 20, à 15 heures. Durée : 1 h 30. Sans retour. Spectacle interdisciplinaire mis en scène par François Verret. Gymnase Aubanel, du 18 au 25 (relâche le 22), à 18 heures. Durée : 1 h 10. vsprs, conçu et mis en scène par Alain Platel. Cour du lycée Saint-Joseph, du 20 au 26 (relâche le 23), à 22 heures. Durée : 1 h 35. Le Sujet à vif. Quatre spectacles nés d’une rencontre entre un chorégraphe et des danseurs et artistes. Jardin de la Vierge du lycée Saint-Joseph, du 17 au 25. A 11 heures : Contigo, par Joao Pereira dos Santos et Rui Horta ; Nunakt, par Karine Pointiès et Nicole Mossoux ; à 18 heures : Copyright, par Olivier Dubois et Claire Denis ; Mones, Monde, Junaid Jemal Sendi et Franck Micheletti. L’Eté des Hivernales, organisé par Les Hivernales, centre de développement chorégraphique d’Avignon. Programmme sur www.hivernales-avignon.com ou tél. : 04-90-82-33-12 CINÉMA Le Dernier Caravansérail (Odyssées), film réalisé par Ariane Mnouchkine d’après le spectacle du Théâtre du Soleil. Projection dans la Cour d’honneur, le 10, à 22 heures (5 h 15). MUSIQUE Cycle de musiques sacrées, du 7 au 27, à Avignon et dans la région. EXPOSITIONS Lune, exposition d’Hiroyuki Nakajima. Chapelle Saint-Charles, du 9 au 21 (relâche le 15), de 12 heures à 16 heures. Avec une performance à 17 heures (environ 30 minutes) Métamorphoses du public. Maison Jean-Vilar, du 4 au 29, de 10 h 30 à 18 heures. Mémoire de scène, les costumes du Festival 1947-1963. Palais des papes, toute la durée du Festival, de 9 heures à 20 heures. Le Paradoxe du comédien, les figures de l’acteur. Collection Lambert en Avignon, jusqu’au 1er octobre, de 11 heures à 19 heures. Les Maîtres du Nord. Musée Calvet, toute la durée du Festival, de 10 heures à 13 heures et de 14 heures à 18 heures. RENCONTRES Une journée particulière : 24 heures pour célébrer soixante années de décentralisation. Le 17, au Verger Urbain-V. Une histoire en mouvement Trois journées consacrées à l’histoire du Festival, Gymnase Saint-Joseph, les 13, 14 et 15. Les leçons de l’université d’Avignon, avec Bartabas, le 12 ; Edward Bond, le 15 ; Anatoli Vassiliev, le 19. Université d’Avignon, à 11 heures. Le théâtre des idées. Rencontres avec des philosophes, des intellectuels et des scientifiques. Gymnase du lycée Saint-Joseph, les 8, 9, 11, 16, 19, 20 et 22. 0123 Siège social : 80, bd Auguste-Blanqui 75707 PARIS CEDEX 13 Tél. : +33 (0)1-57-28-20-00 Fax. : +33 (0)1-57-28-21-21 Télex : 206 806 F Edité par la Société Editrice du Monde, président du directoire, directeur de la publication : Jean-Marie Colombani La reproduction de tout article est interdite sans l’accord de l’administration. Commission paritaire des journaux et publications no 57 437. ISSN : 0395-2037 Pré-presse Le Monde Impression Le Monde 12, rue M.-Gunsbourg 94852 Ivry Cedex Printed in France