dOSSIER BIOLOGIE VÉGÉTALE Les plantes recèlent-elles encore des secrets ? Elles ont beau être nos alliées depuis la nuit des temps, les plantes ne cessent de nous étonner et leur potentiel reste encore loin d’être complètement exploité… >>> Raoul RANJEVA, directeur de recherche CNRS au Laboratoire « Surface cellulaire et signalisation chez les végétaux » (SCSV, unité Mixte UPS/CNRS). Visiting Miler Professor UC Berkeley >>> Zinnia Elegans : plante horticole fleurissant nos jardins utilisée en laboratoire pour étudier la vascularisation chez les végétaux. La contribution des végétaux à notre qualité de vie est tellement naturelle qu’il arrive qu’on en oublie l’importance. Les plantes fournissent à l’homme, en effet, la base de sa nourriture mais également de nombreux matériaux pour la construction ou pour l’habillement. Capables de synthétiser de très nombreuses substances qui leur sont spécifiques, les plantes sont connues pour être des sources de médicaments et pour égayer les paysages par la variété de leurs formes. A ces propriétés exceptionnelles, il faut rajouter le caractère renouvelable (en principe) des ressources végétales et l’effet protecteur de la végétation contre l’érosion des sols. Les végétaux ont aussi permis de découvrir des lois de portée générale en biologie : la transmission mendélienne des caractères génétiques, les transposons (gènes sauteurs) ou, encore récemment, le rôle de l’ARN interférant dans la régulation de l’expression des gènes. Plus spécifiquement, la compartimentation génétique est particulièrement marquée chez les plantes puisque, dans la cellule végétale, s’expriment trois génomes : nucléaire, mitochondrial et plastidial. Ces propriétés, ainsi que la simplicité morphogénétique qui permet de contrôler leur processus de dédifférenciation/différenciation, font des plantes un modèle singulier d’étude du processus de développement. L’exploitation extensive et intensive des ressources a fragilisé le caractère renouvelable des espèces végétales jusqu’à remettre en cause notre mode de vie. Dans les pays développés, le souci est maintenant de passer de la production quantitative à la production qualitative avec l’impératif de la préservation de l’environnement. Dans ce contexte, les potentialités des végétaux sont à explorer et à approfondir par les chercheurs. Dialogues chimiques Comprendre les dialogues chimiques et physiques entre les plantes et leur environnement devient un enjeu vital et constitue en soi un thème de recherche important sous le terme « signalisation ». >>> L’Institut Fédératif de Recherche 40 La communauté scientifique toulousaine impliquée dans l’étude des plantes comprend, en plus des acteurs universitaires présents dans les laboratoires SCSV et EDB, une communauté beaucoup plus large regroupée dans un Institut Fédératif de Recherche, l’IFR40, intitulé « Agrobiosciences, interactions et biodiversité ». Cet institut créé en 1996 réunit aujourd'hui environ 350 personnes réparties dans 6 unités de recherche* représentant 5 établissements publics : UPS, CNRS, INRA, INP-ENSAT et L’ENFA, auxquels est associée la société Biogemma Mondonville. Depuis sa création, l'IFR40 a pour objectif de promouvoir et de fédérer sur Toulouse l'ensemble des recherches dans le domaine de la biologie et de la microbiologie végétales, en particulier les mécanismes de développement et de signalisation cellulaire, et les interactions entre les plantes et les microorganismes pathogènes ou symbiotiques. L'entrée en 2007 de l'UMR «EDB» a permis d'intégrer les dimensions adaptative et évolutive. La recherche réalisée à l’IFR 40 est pluridisciplinaire, elle s’appuie sur des plates-formes mutualisées de haute technologie et labellisées au plan national. Les travaux menés dans le cadre de cet Institut contribuent au développement d'une agriculture plus soucieuse de l'environnement, génératrice de produits de meilleure qualité ou adaptés à de nouvelles filières de transformation. Ils concernent également la préservation et la gestion de la biodiversité. * laboratoire « Surfaces Cellulaires et Signalisation chez les Végétaux » (CNRS/UPS), laboratoire « Evolution et Diversité Biologique » (CNRS/UPS/ENFA), « Laboratoire des Interactions Plantes Microorganismes » (CNRS/INRA), laboratoire « Symbiose et Pathologies des Plantes » (INP/ENSAT), laboratoire « Génomique et Biotechnologie des Fruits », (INRA/INP-ENSAT), « Centre National de Ressources Génomiques Végétales » (INRA). page 4 Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 9 Biologie Végétale dOSSIER >>> Les connaissances de base acquises devraient ensuite, ou en parallèle, permettre d’agir de manière raisonnée. Ainsi, favoriser les interactions entre plantes et microorganismes (bactéries, champignons) vivant en symbiose avec elles et leur apportant les éléments minéraux nécessaires est essentiel pour limiter l’apport d’engrais chimiques. De même, stimuler les mécanismes de défenses naturelles contre les agresseurs biologiques, rendre les plantes plus aptes à utiliser les ressources en eau, à s’adapter à des terrains salés et à la sécheresse, et orienter la qualité du bois formé naturellement sont également des bases du développement durable. Atteindre de tels objectifs vitaux nécessite l’intégration des concepts et méthodologies de la biologie moderne (du gène à la biologie des systèmes) en essayant de comprendre les nouvelles propriétés qui émergent à chaque niveau d’organisation. >>> Culture de cellules isolées de feuilles de Zinnia elegans observées en microscopie à fluorescence mettant en évidence les cellules impliquées dans la vascularisation. (Plateforme Microscopie Imagerie cellulaire) de l'IFR40. (Copyright Labo SCSV). Le dispositif toulousain en sciences végétales est organisé pour répondre à ces défis scientifiques et sociétaux. Dans ce cadre, l’université Paul Sabatier occupe une place centrale en assurant sa double mission de formation et de recherche en collaboration avec le CNRS et l’INRA. Les sciences végétales sont un champ de recherche vaste et essentiel pour l’homme, aujourd’hui et pour sa qualité de vie demain. Contact : [email protected] L’offre de formation en biologie et technologie du végétal L’université Paul Sabatier offre, souvent en collaboration avec d’autres établissements, une large palette de formations en biologie et technologies du végétal. Ces formations sont inscrites dans le dossier du pôle de compétitivité AgriMip Innovation, et sont regroupées à l’UPS avec les formations de microbiologie sous le thème Microbiologie-Agrobiosciences. Plusieurs niveaux de diplôme sont proposés : > Une licence professionnelle (co-habilitée avec l’Ecole Nationale de Formation Agronomique) sur les aspects des biotechnologies végétales et leur application à la sélection variétale. > Un master professionnel de Bioingénierie option Biotechnologie végétale. page 5 > Un master recherche « Biosciences Végétales », (co-habilité avec l’ENSA de Toulouse) La poursuite en doctorat dans un des laboratoires de l’IFR 40 s’effectue dans le cadre de deux filières (« Développement des plantes » et « Interaction plantes-microorganismes ») de l’Ecole Doctorale Sciences Ecologiques Vétérinaires Agronomiques et Bioingénieries (SEVAB). Contact : Christophe Roux, Professeur UPS ([email protected]) Site : www.scsv.ups-tlse.fr rubrique « sites pédagogiques » dOSSIER Biologie Végétale Dans les gènes de l’eucalyptus Gérer une forêt exige des outils de plus en plus sophistiqués. Des outils moléculaires permettent ainsi d’améliorer la production du bois. Exemple de l’eucalyptus. >>> Jacqueline Grima-Pettenati, DR CNRS, et son équipe du Laboratoire « Surfaces cellulaires et signalisation chez les végétaux » (unité mixte UPS/CNRS) L’accroissement de la population humaine s’accompagne d’une demande toujours plus forte en bois, aussi bien comme source d’énergie que de bois matériau et de fibres, alors que la surface totale des forêts tend à diminuer. Conséquence directe, une aggravation de l’état des forêts naturelles dont le cycle de renouvellement n’arrive plus à compenser les prélèvements. Par ailleurs, l’utilisation de plantations forestières à forte croissance et à courte rotation fait partie des solutions envisagées pour créer des puits à CO2 atmosphérique afin de lutter contre le réchauffement climatique. Préserver les forêts naturelles et répondre à ces demandes rend stratégique le développement de programmes d’amélioration génétique des arbres cultivés en vue d’augmenter la contribution des plantations industrielles, aussi bien en terme de quantité que de qualité. >>> Eucalyptus dalrympleana, Longages (Haute Garonne) Eucalyptus Sélection génétique >>> Chantal Teulières, Professeur UPS, et son équipe du Laboratoire « Surfaces cellulaires et signalisation chez les végétaux » (unité mixte UPS/CNRS) Excellent puit à carbone, l’eucalyptus est la première espèce de plantation industrielle dans le monde. Présentant une capacité exceptionnelle de croissance, même sur des sols pauvres, cet arbre est surtout recherché pour la qualité de ses fibres adaptées à la fabrication de la pâte à papier. En France, l’implantation d’une espèce rustique a débuté en Midi Pyrénées sous l’impulsion de l’industrie papetière locale et avec le soutien du Conseil Régional. Mais la sensibilité au gel de l’eucalyptus limite son aire d’implantation, en particulier en France, et restreint également sa production de biomasse. La tolérance au froid et la qualité du bois sont donc aujourd’hui les deux caractères ciblés pour l’amélioration génétique de l’eucalyptus. Les programmes traditionnels d’amélioration n’ont permis de sélectionner que des variétés tolérant -18°C, ce qui reste insuffisant pour éliminer le risque des planteurs. Les propriétés intrinsèques du bois chez les ligneux dépendent directement des parois secondaires des cellules du bois. Ces parois sont en très grande partie formées de cellulose et de lignines dont les proportions relatives affectent directement la qualité du bois. Créer de nouvelles variétés dont les teneurs en polymères au niveau des parois seraient différentes permettrait donc de produire du bois mieux adapté aux besoins. page 6 La sélection génétique classique chez les arbres forestiers se heurte à des contraintes spécifiques : évaluation tardive des caractères cibles, complexité des caractères, longueur des générations. Ainsi, l’identification directe des gènes impliqués dans le contrôle des caractères d’intérêt constitue une étape incontournable pour l’application de la sélection assistée par marqueurs. Les chercheurs des deux équipes ont isolé une large collection de gènes d’eucalyptus dont 26 000 ont été séquencés. Grâce à l’analyse de puces à ADN contenant plusieurs milliers de ces gènes, nos équipes ont identifié ceux dont l’expression semble corrélée à la tolérance au froid ou à la formation du bois. Le rôle biologique de ces gènes majeurs est actuellement vérifié par l’étude des conséquences de leur sur- ou sous-expression dans la plante. Les résultats obtenus permettront tout d’abord la progression des connaissances fondamentales sur le développement et les mécanismes adaptatifs des végétaux. Ensuite, les différences au niveau de la séquence de ces gènes dans les populations naturelles d’eucalyptus sont recherchées et analysées en regard avec la variabilité des tolérances au froid et des qualités de bois. Les polymorphismes ainsi révélés sur les gènes d’intérêt pourront alors potentiellement servir de marqueurs pour une sélection précoce des meilleures variétés. Contact : [email protected] et [email protected] Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 9 Biologie Végétale Parois végétales : une polyvalence utile à l’homme Cellulose, pectines et lignines jouent des rôles clefs au cours du développement des plantes et de leurs interactions avec des facteurs environnementaux. Ces bio-polymères constituent l’essentiel d’une biomasse valorisable. >>> Elisabeth JAMET, DR CNRS, et son équipe Protéines pariétales et développement du laboratoire Surfaces Cellulaires et Signalisation chez les Végétaux (SCSV, unité mixte UPS/CNRS). Les parois végétales, structures semi-rigides entourant les cellules et autorisant le port dressé des plantes, constituent environ 80% de la biomasse. Elles sont valorisables sous forme de bois, pâte à papier, fibres textiles, gélifiants pour l’industrie agroalimentaire, fourrage pour les animaux ou biocarburants. Les possibilités de modulation de la composition et de la structure des parois au cours du développement et des interactions avec l’environnement sont au cœur de nos recherches. Protéines polyvalentes et flexibles >>> Déborah GOFFNER, CR CNRS, et son équipe Différenciation du xylème et dynamique pariétale du laboratoire Surfaces Cellulaires et Signalisation chez les Végétaux (SCSV,unité mixte UPS/CNRS). Tous les constituants pariétaux sont remodelables afin de faire face aux exigences du développement ou des contraintes environnementales. Cette polyvalence et cette flexibilité sont rendues possibles par l’activité des protéines pariétales. Les parois primaires sont constituées de réseaux de polysaccharides : la cellulose forme des microfibrilles parallèles ; les hémicelluloses entourent et relient entre elles ces microfibrilles ; les pectines forment un gel qui détermine le degré de porosité des parois et participe à l’adhésion cellulaire. Dans les tissus spécialisés tels les vaisseaux, des parois secondaires riches en lignines sont mises en place. A ces polymères, il faut ajouter des réseaux de protéines structurales et de nombreuses protéines mobiles ou en interaction avec eux. Nous avons entrepris des analyses protéomiques des parois de la plante modèle Arabidopsis ce qui a permis d’obtenir la première description des répertoires de protéines pariétales de différents types cellulaires. Actuellement, environ un quart des protéines prédites pour être adressées aux parois d’Arabidopsis ont été identifiées et distribuées en huit classes fonctionnelles. Une telle variété est à l’image de la diversité des rôles joués par les parois et de leur dynamique. Par exemple, les expansines tirent leur nom de leur capacité à permettre le glissement des fibres de cellulose. Les peroxydases et les laccases modulent le degré de polymérisation des protéines structurales et des lignines. Outre ces familles de protéines, nous avons mis en évidence des protéines majeures dont la fonction n’est pas connue. Nous recherchons maintenant leurs rôles, avec la perspective de trouver de nouvelles fonctions pour les parois. Au coeur des stratégies de recherches agronomiques et bio industrielles Nous cherchons également à comprendre les mécanismes moléculaires conduisant à la mise en place d’une paroi secondaire par la cellule végétale. Pour mener à bien ce projet, des approches multidisciplinaires (génomiques, génétiques, physiologiques) sont développées en partant d’une plante modèle (Arabidopsis thaliana) et en allant vers une plante d’intérêt agronomique (Zea mays). Nous disposons aujourd’hui d’un large panel de plantes (mutants ou transformants) altérées dans l’élaboration et l’assemblage des parois cellulaires. Ces mutants ou transformants sont des outils de choix pour découvrir le rôle et la fonction des gènes et leur étude a d’ores et déjà permis des avancées significatives dans le domaine. Au delà d’un aspect fondamental, la découverte de tels gènes a des retombées significatives dans les secteurs agronomiques (alimentation animale) et bio industriels (production de bioéthanol). En effet, avec l’épuisement des énergies fossiles à l’échelle planétaire, les recherches visant à valoriser la biomasse lignocellulosique (parois) s’intensifient. Nous nous attachons maintenant, en partenariat avec des chimistes, à définir l’idéotype des plantes à vocation énergétique du futur. Contacts : [email protected] et [email protected] >>> Deux éléments de vaisseau conducteur de sève montrant une ornementation de la paroi secondaire de type réticulé et ponctué. La lignine a été colorée en rouge par le phloroglucinol. page 7 Site laboratoire : http://www.scsv.ups-tlse.fr Biologie Végétale Comprendre la communication des plantes dOSSIER Elles réagissent à la lumière et à la température, adaptent leur reproduction à leur environnement, combattent leurs agresseurs… Au cœur de ces réponses, le calcium… >>> Benoît RANTY, CR CNRS, Comme tous les êtres vivants, les plantes sont constamment en interaction avec les paramètres de l’environnement et leurs variations (lumière, température, qualité des sols, agresseurs) vis-à-vis desquels elles adaptent leur programme de développement et de reproduction. Cette aptitude à percevoir des informations physiques ou chimiques et à les convertir en un code interprétable par la machinerie cellulaire repose sur des réseaux de signalisation dont la compréhension constitue l’un des enjeux de la biologie intégrative. Le calcium est l’un des principaux messagers qui véhiculent dans la cellule l’information nécessaire à l’établissement des réponses biologiques aux stimuli de l’environnement. Dans ce cadre, les activités du laboratoire SCSV consistent à élucider le sens des messages calcium produits dans les cellules végétales en réponse à des signaux externes, et à déchiffrer les systèmes d’interprétation des informations transmises par ce messager. Jean-Philippe GALAUD, MCF UPS, Christian MAZARS, CR CNRS au laboratoire Surfaces Cellulaires et Message calcium Signalisation chez les Végétaux (SCSV, Unité mixte UPS/CNRS) Pour détecter en temps réel les variations du taux de calcium dans les cellules végétales, nous utilisons l’aequorine, une protéine d’origine animale qui émet de la lumière lors d’une stimulation calcique. Les cellules végétales, dotées de cette protéine après transformation génétique, ont montré que l’amplitude, la durée, la fréquence et la localisation du message calcium fournissent un potentiel combinatoire, apte à générer une partition, ou signature calcique, propre à chaque stimulus initial. La perturbation artificielle de cette signature nous permet en outre d’appréhender l’importance du message calcium dans l’établissement des réponses biologiques observées. Les outils moléculaires de décodage des signaux calcium englobent à la fois des protéines liant le calcium (qui assurent les fonctions de récepteurs primaires) et leurs cibles respectives. Bien que le calcium serve de messager intracellulaire chez tous les organismes, les plantes se distinguent par une page 8 >>> Plantes d’Arabidopsis cultivées en situation de déficit hydrique. La plante de gauche a été génétiquement modifiée et est déficiente pour un gène de signalisation calcium. gamme de récepteurs primaires et de cibles propres au règne végétal, sur lesquels nous focalisons nos études. Les ressources génétiques récemment développées à partir de plantes-modèles telles qu’Arabidopsis thaliana, nous aident à apprécier le caractère essentiel des récepteurs primaires pour activer les réponses des plantes aux facteurs de l’environnement. Les méthodes biochimiques et génétiques d’analyse des interactions moléculaires sont exploitées en vue d’identifier les événements de signalisation allant des cibles immédiates des récepteurs jusqu’aux stades ultimes des cascades de signalisation. Stress salin et hydrique Toutes les données acquises montrent que le calcium est un commutateur central dans les réponses des plantes à l’environnement. La modulation des voies de signalisation associées à cet ion a déjà permis d’augmenter la tolérance des plantes au stress salin et au stress hydrique. Contacts : [email protected] [email protected] [email protected] Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 9 Biologie Végétale PLANTES ET MICROBES : un vieux couple plein d’avenir La compréhension des symbioses qui perdurent depuis des centaines de millions d’années entre les champignons microscopiques et des plantes est en pleine progression. >>> Monique GARDES, Professeur à l’UPS, au Laboratoire « Evolution et Diversité Biologique » (EDB, unité mixte UPS/CNRS) et son équipe. >>> Guillaume BÉCARD, Professeur à l’UPS, directeur du SCSV (unité mixte UPS/CNRS) et son équipe. >>> Jean-Jacques BONO, Chargé de recherche Il y a 450 millions d’années, lorsque les continents n’étaient pas encore séparés et que les premières formes animales présentes dans les océans étaient encore très primitives, des végétaux commençaient à s’adapter à la vie sur la terre solide. Un examen au microscope des organes primitifs (fossilisés) qui leur servaient de racines, permet d’observer dans les tissus internes la présence de champignons microscopiques. On les connaît aujourd’hui sous le nom de champignons endomycorhiziens. Ils vivent en symbiose avec près de 80% des espèces végétales, depuis les mousses jusqu’aux plantes à fleurs, et sont présents dans tous les écosystèmes. Tout en colonisant les cellules racinaires des plantes, ils forment en prolongement un mycélium externe très dense qui s’étend dans le sol au-delà du système racinaire. Ce mycélium extrait les ressources hydriques et minérales du sol et les draine jusqu’aux racines en échange de sucres fournis par la plante. Mieux nourrie et hydratée, la plante-hôte est en meilleure santé et croît plus rapidement. INRA et Annick BARRE, Maître de conférences à l’UPS, et leur équipe du SCSV. A B >>> Symbiose endomycorhizienne associant les racines des plantes (ici les racines de la plante modèle Medicago truncatula) et certains champignons du sol (ici Gigaspora rosea). A : Champignon à l’extérieur de la racine observé à la loupe binoculaire. B : Champignon à l’intérieur de la racine observé au microscope. Réduire les engrais et l’irrigation Plusieurs raisons ont justifié l’intérêt que porte la communauté internationale à cette symbiose depuis plusieurs décennies : le fait qu’elle soit très ancienne, son succès écologique remarquable et les perspectives de plus en plus concrètes qui s’ouvrent à son exploitation agronomique pour réduire les besoins en engrais et en irrigation. A Toulouse, les recherches visent à mettre en évidence les mécanismes cellulaires et moléculaires qui font que deux partenaires symbiotiques peuvent interagir de façon aussi intime et durable, un peu comme les mitochondries et les cellules eucaryotes le font depuis plus longtemps encore. Deux équipes du laboratoire SCSV, en collaboration étroite avec des équipes INRA, cherchent à caractériser la nature chimique des molécules les plus importantes échangées entre les partenaires. Ce sont généralement des molécules de faible taille moléculaire. On évalue l’importance de leur rôle par des approches génétiques. Ces molécules-signal, sorte de clés d’entrée, ont leur « serrure » correspondante, qu’on appelle des récepteurs et qu’on cherche aussi à isoler et à décrire grâce aux approches de la biochimie structurale. Les recherches dans ce domaine se sont considérablement accélérées ces dernières page 9 années. Elles ont été stimulées par les données acquises en génomique végétale et par une découverte qui a surpris les chercheurs : la symbiose fixatrice d’azote qui associe les légumineuses et les bactéries rhizobia, et la symbiose endomycorhizienne, pourtant très différente et beaucoup plus ancienne, que partagent certaines voies de signalisation et de reconnaissance. Ceci suggère que des langages moléculaires très conservés permettent aux plantes de reconnaître les microbes bénéfiques avec lesquels s’associer et ceux contre lesquels elles doivent déclencher leurs systèmes de défense. Associations préférentielles Il reste de nombreuses boîtes noires et d’importantes recherches à faire pour comprendre plus finement comment les plantes interagissent avec les microorganismes. A une échelle moins réductionniste, une équipe d’écologie du laboratoire EDB essaie de comprendre quels sont les mécanismes à l’origine de la diversité fongique dans notre f lore actuelle et des associations préférentielles qu’on observe dans la nature entre génotypes végétaux et fongiques. Ces recherches font appel à des méthodes de phylogénie moléculaire et d’identification génétique et à des puces à ADN, pour reconnaître le champignon dans la racine. La caractérisation des champignons associés à différentes plantes hôte dans des environnements variés permet de faire émerger les profils de distribution des espèces et des individus, et donc les processus d’assemblages de la diversité dans le temps et dans l’espace. Ainsi, des données récentes ont révélé des communautés fongiques très riches et diversifiées dans des habitats non perturbés par l’homme depuis plusieurs centaines d’années. Au contraire, les habitats soumis à de fortes perturbations anthropiques semblent favoriser des communautés essentiellement constituées d’espèces pionnières à large spectre de distribution ainsi que des populations d’individus éphémères incapables de coloniser durablement leur environnement. Contacts : [email protected] [email protected] [email protected] Biologie Végétale Comment expliquer la grande diversité des plantes à fleurs ? Si la variété des plantes à fleurs émerveille le promeneur, elle constitue un véritable casse-tête pour les biologistes. Une variété qui ne serait pas uniquement le fruit du hasard… >>> André PORNON, Maître de conférences UPS et Christophe THÉBAUD, Professeur UPS et leurs équipes du laboratoire Evolution et Diversité Biologique (EDB, Unité mixte UPS/CNRS). Les plantes à fleurs (ou Angiospermes) forment une composante majeure de la biodiversité terrestre, englobant de 250 000 à 400 000 espèces réparties en 460 familles. Cette lignée évolutive, apparue il y a environ 130 millions d’années, surpasse en nombre et abondance tout autre groupe de plantes et domine la végétation terrestre depuis environ 100 millions d’années. La formation très rapide, à l’échelle des temps géologiques, d’une biodiversité d’une richesse inouïe du point de vue des formes et des modes de vie a longtemps constitué pour les biologistes un « abominable mystère », selon la formule utilisée par Charles Darwin pour décrire son incapacité à comprendre les causes du phénomène. Car l’explication traditionnelle qui consiste à présenter les nouvelles possibilités reproductives offertes par la fleur, en particulier la pollinisation par les insectes, comme le facteur déclenchant de l’explosion du nombre d’espèces paraît trop simple. Récemment, l’analyse moléculaire de la diversification des familles de plantes à fleurs au cours de l’évolution a montré que la biodiversité actuelle est le résultat d’au moins 10 épisodes de multiplication intense du nombre d’espèces. Ces épisodes semblent correspondre à des périodes où les conditions environnementales ont été grandement modifiées par les variations du climat. Ainsi, l’évolution de la biodiversité des plantes à fleurs dépendrait fortement du contexte géographique et historique, ainsi que des mécanismes moléculaires et écologiques qui peuvent influencer le rythme de la formation de nouvelles espèces en réponse aux variations de l’environnement. Arbres d’Amazonie >>> Antirrhinum : un système modèle en écologie évolutive pour l'étude de l'évolution des plantes à fleurs; ici, Antirrhinum majus visité par un bourdon pollinisateur dans les Pyrénées. page 10 Le laboratoire EDB s’intéresse à ces problèmes en privilégiant deux axes de recherches. Le premier concerne la mise en place de la biodiversité, en utilisant les arbres des forêts humides d’Amérique du Sud comme système biologique de référence. Ces forêts abritent plus de 70 000 espèces de plantes à fleurs, avec par endroits jusqu’à 300 espèces d'arbres par hectare (40 au maximum en Europe). Mais cette biodiversité n’est pas uniformément répartie. En Amazonie, des parcelles forestières éloignées de 100 km possèdent seulement un tiers de leurs espèces d’arbres en commun. Les théories classiques de l’écologie ont longtemps considéré qu’une telle hétérogénéité spatiale de la biodiversité ne dépendait que des changements de substrat ou des conditions climatiques actuelles. Des modèles mathématiques inspirés de la théorie neutraliste de l’évolution (selon laquelle le hasard est le premier moteur de l’évolution avant la sélection naturelle) montrent que les différences observées sont fonction du contexte géographique de la formation des espèces. Ainsi, à l’échelle de l’Amazonie, de nombreuses espèces sont absentes de certaines régions simplement parce qu’elles n'ont pas encore eu le temps de s'y disperser. Gueules-de-loup Le deuxième axe porte sur les mécanismes de la formation des espèces, et tente d’expliquer la mise en place des différences morphologiques et fonctionnelles chez les gueules-de-loup (Antirrhinum). Le genre Antirrhinum comprend un grand nombre d’espèces, très différentes les unes des autres du point de vue de la morphologie et de l’écologie, malgré une différenciation récente. Des analyses génétiques et moléculaires montrent que les différences très marquées de la couleur des fleurs entre les espèces s’expliquent par l’évolution d’un petit nombre de gènes dont l’action influence l’intensité de deux grands types de pigments (anthocyanes, aurones) dans la fleur. Par ailleurs, l’étude de la variabilité naturelle chez certaines espèces des Pyrénées indique que la sélection naturelle est impliquée dans l’évolution des différences de couleur de fleurs et a joué un rôle important dans la formation des espèces. Ces recherches doivent permettre de mieux comprendre la nature des changements moléculaires impliqués dans les premiers stades de la formation des espèces et de déterminer si l’adaptation à des environnements différents est le véritable moteur de la biodiversité chez les plantes à fleurs. Contact : [email protected] Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 9 Biologie Végétale Vers un vaccin pour les plantes Les produits phytosanitaires classiques posent de graves problèmes pour l’environnement et la santé humaine. La compréhension des mécanismes de l’immunité végétale pourrait nous sortir de cette ornière. >>> Arnaud BOTTIN, Maître de conférences UPS, membre de l’équipe IPM du Laboratoire « surfaces cellulaires et signalisation chez les végétaux » (unité mixte UPS/CNRS) Depuis l’invention de l’agriculture, l’homme doit faire face au fléau que représentent les maladies affectant les cultures. Les champignons filamenteux sont les plus dévastateurs des microorganismes parasites des plantes. Au cours du XXème siècle, des produits phytosanitaires issus de la chimie ont été largement utilisés afin de lutter contre ces agents pathogènes. Plusieurs dizaines de milliers de tonnes de fongicides sont encore répandus sur les cultures chaque année en France, posant de graves problèmes pour l'environnement et la santé humaine. Pour développer de nouvelles stratégies de lutte, il est nécessaire de comprendre comment les champignons attaquent les plantes, et comment celles-ci s’en défendent. En effet, les plantes ont un système de défense naturel, qui présente des points communs avec l'immunité innée des animaux. La reconnaissance de molécules « antigènes » (appelées éliciteurs) produites par les parasites entraîne des réactions de rejet de l'agresseur. Un conflit moléculaire s'engage alors entre les deux partenaires, dont l’issue détermine le devenir de l'interaction (maladie ou résistance). Les travaux effectués au sein du laboratoire SCSV s'attachent à identifier les acteurs clés de ce conflit en utilisant comme modèle biologique la légumineuse Medicago truncatula en interaction avec les champignons Colletotrichum et Aphanomyces, responsables respectivement de maladies foliaires et racinaires. La pertinence de ce modèle tient en particulier au fait que les légumineuses sont devenues la source majeure de protéines pour les animaux d’élevage depuis l’interdiction des farines animales dans leur alimentation, et représentent également une source de protéines de plus en plus importante dans l’alimentation humaine. Immunité végétale >>> Protection des plantes par des éliciteurs : des plantes de Medicago truncatula ont été inoculées par l’agent de l’anthracnose Colletotrichum trifolii soit directement (A) soit après un traitement par des éliciteurs induisant l’immunité végétale (B). On observe que les plantes traitées par les éliciteurs ont résisté, tandis que celles qui n’ont pas reçu le traitement ont été tuées par le parasite. Deux éliciteurs ont d’ores et déjà été caractérisés parmi les page 11 protéines extracellulaires des champignons parasites : une pectinase, enzyme d’attaque des parois végétales, et une lectine liant la cellulose végétale. D’autres éliciteurs sont en cours d’identification par analyse des séquences obtenues dans le cadre d‘un projet de séquençage du génome d’Aphanomyces mené en collaboration avec le Génoscope d’Evry. L’analyse des relations structure-fonction de ces protéines permet de définir les domaines moléculaires responsables de leur perception par les cellules végétales. Un objectif à moyen terme est d’identifier les récepteurs impliqués dans cette perception, ainsi que les voies de signalisation qui sont à la base de l’immunité végétale. Par ailleurs, un couple de lignées sensibles et résistantes de M. truncatula a été sélectionné pour chaque parasite étudié, et l’analyse génétique de leur descendance a permis d’identifier des déterminants impliqués de façon majeure dans la résistance. Leur clonage moléculaire est en cours. Enfin, l’étude simultanée de l’expression d’un grand nombre de gènes par utilisation de « puces à ADN » (étude transcriptomique) a permis l'identification d’ensembles de gènes induits au cours de la mise en place de la défense. Des études complémentaires sont en train de préciser le rôle de ces gènes dans la résistance. De nouveaux produits phytosanitaires Une application de l'activité des éliciteurs est de les utiliser comme des « vaccins » naturels dont l’application au champ permet d’immuniser les cultures. Malgré des essais prometteurs, le développement commercial de ce type de produits se heurte à des problèmes d'efficacité par rapport aux traitements fongicides classiques. En collaboration avec plusieurs industriels, nous cherchons à optimiser ces produits en couplant des approches de génomique fonctionnelle (étude du transcriptome des plantes traitées) avec des essais au champ (protection des cultures). L'enjeu de ces recherches est de proposer des solutions aux contraintes actuelles de l'agriculture, à savoir satisfaire la demande alimentaire tout en préservant l'environnement. Contact: [email protected]