Exploration des interactions plantes-animaux et implications en conservation par Louis Lazure essai présenté au Département de biologie en vue de l’obtention du grade de maître en écologie internationale (maîtrise en biologie incluant un cheminement de type cours en écologie internationale) FACULTÉ DES SCIENCES UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE Sherbrooke, Québec, Canada, décembre 2007 Sommaire Les écosystèmes ne consistent pas seulement en un assemblage d’espèces (biocénose) vivant dans un milieu physico-chimique (biotope). Ces espèces interagissent continuellement et ces relations sont une force de cohésion entre toutes les parties de la biocénose. Les relations plante-animal font parties de ces forces et facteurs ayant une influence sur l’écologie et l’évolution. Elles se déclinent sous plusieurs formes et offrent une grande opportunité de découvertes. Chez les plantes, les angiospermes sont la division végétale la plus associée aux animaux et de très nombreux insectes et vertébrés sont liés aux plantes, soit en tant qu’herbivore ou dans une relation symbiotique. Les adaptations que présentent les acteurs dans ces relations sont parfois issues du processus de coévolution. Dans ce processus, ce n’est pas un des deux acteurs qui s’adapte aux caractéristiques déjà présentes de son partenaire, il s’agit plutôt de changements évolutifs qui s’alternent, l’un répondant à l’autre et vice-versa, ce qui les mène à un certain degré de spécialisation l’un pour l’autre. Les structures physiques des organismes, leur comportement, leur biochimie, sont des éléments pouvant être modulés par la coévolution. Ce processus ne prend pas toujours place entre deux espèces, mais peut se dérouler entre deux guildes incluant plusieurs espèces de chaque côté (coévolution diffuse). La biodiversité, et par conséquent la santé des écosystèmes aussi, dépend grandement des interactions plante-animal. Ce sont bien souvent des processus clés dont l’altération ou l’interruption ont des effets difficilement prévisibles, certainement nuisibles et potentiellement dévastateurs. Les populations humaines obtiennent des services des écosystèmes qui, lorsque évalués, ont une valeur immense. Le maintien de ces services passe par la protection et la gestion des écosystèmes et de leur biodiversité. À cette raison utilitariste s’ajoutent la valeur intrinsèque de la biodiversité, l’attachement à la nature et à ses processus caractéristiques et le plaisir d’explorer et de comprendre ces interactions. Plusieurs activités et phénomènes menacent les relations plantes-animaux, soit en interférant directement ou en affectant un autre élément de la communauté qui éventuellement viendra à affecter les interactions. La meilleure ii mesure de conservation est l’approche par habitat, écosystème et région et la reconnaissance des espèces et processus clés. Ces efforts appliqués au niveau écologique resteront vains s’ils ne sont pas accompagnés de mesures beaucoup plus larges qui touchent les causes sousjacentes à la dégradation des écosystèmes, de nature économique ou sociale. La forêt Atlantique du Brésil nous offre un exemple d’écosystème ayant subit une intense dégradation dans les dernières décennies. Plusieurs des relations plante-animal en ont souffert, ce qui a à son tour nuit aux communautés biologiques. Des efforts de conservation s’y mettent lentement en place, pour contrer avant tout les effets de la fragmentation du territoire. iii Table des matières SOMMAIRE.......................................................................................................................ii TABLE DES MATIÈRES..................................................................................................iv LISTE DES TABLEAUX ..................................................................................................vi LISTE DES FIGURES .......................................................................................................vii GLOSSAIRE ......................................................................................................................viii INTRODUCTION ..............................................................................................................1 CHAPITRE 1 – LA DIVERSITÉ DES RELATIONS PLANTES-ANIMAUX................4 1.1. La reproduction assistée ........................................................................................4 1.2. Le cerf de Virginie, paysagiste de la forêt québécoise ..........................................6 1.3. Logement végétal, gardiens animaux ....................................................................9 1.4. On a toujours besoin d’un plus mobile que soi ...................................................11 1.5. Des jardins de plantes en eau salée......................................................................13 CHAPITRE 2 – L’ORIGINE DES RELATIONS PLANTES-ANIMAUX ....................15 CHAPITRE 3 – MOTIVATIONS À L’ÉTUDE DU PHÉNOMÈNE..............................20 CHAPITRE 4 – CONSERVATION ................................................................................27 4.1. Menaces ..................................................................................................................28 4.1.1. La perte d’habitat..............................................................................................28 4.1.2. La fragmentation...............................................................................................29 4.1.3. La surexploitation .............................................................................................30 4.1.4. Les espèces envahissantes ................................................................................31 4.1.5. La pollution ......................................................................................................31 4.2. Mesures de protection.............................................................................................32 iv 4.2.1. Aires protégées et restauration .........................................................................32 4.2.2. Conservation ex-situ et réintroduction .............................................................34 4.2.2. Mesures économiques.......................................................................................34 4.2.3. Mesures sociales ...............................................................................................36 4.2.4. Coopération ......................................................................................................37 CHAPITRE 5 – ÉTUDE DE CAS : LA FORÊT ATLANTIQUE DU BRÉSIL .............39 CONCLUSION ................................................................................................................46 LISTE DES RÉFÉRENCES.............................................................................................47 v Liste des tableaux 2.1 Critères de discernement entre coévolution diffuse ou de pair .................................18 3.1 Valeur économique totale d’un écosystème .............................................................23 3.2 Six questions sur l’écologie et l’évolution des interactions plantes-animaux à explorer dans le futur.................................................................................................26 5.1 Nombre d’espèces menacées par classe de vertébrés terrestres dans la forêt Atlantique du Brésil...................................................................................................40 vi Liste des figures 1.1 Diversité des relations plantes-animaux ......................................................................8 4.1 Schéma intégrant les relations plante-animal dans la préservation des écosystèmes, avec les menaces et les champs d’action ...................................................................27 5.1 Distribution originelle de la forêt Atlantique en Amérique du Sud et situation actuelle dans quatre États brésiliens, à l’extrémité nord-est de la forêt Atlantique...39 5.2 Fragments de forêt Atlantique sur les collines d’une plantation de canne à sucre....43 vii Glossaire Commensalisme Relation symbiotique dont un acteur retire des avantages, sans nuire à l’hôte ni lui apporter de bénéfice. Communauté Ensemble d’espèces qui vivent suffisamment près les unes des autres pour avoir la possibilité d’interagir. Compétition Utilisation ou défense d’une ressource par un individu qui en réduit la disponibilité à d’autres individus, soit de la même espèce (intraspécifique) ou d’une autre (interspécifique). Espèce Groupe d'organismes étroitement liés qui peuvent se reproduire et engendrer une progéniture viable et qui sont isolés génétiquement des autres groupes d'organismes. Espèce clé Concept restreint pour cet essai, aux espèces identifiées comme actrices dans de nombreuses ou d’importantes relations qui façonnent significativement la dynamique d’un écosystème. Fitness Habileté d’un individu à contribuer génétiquement à la génération suivante. On utilise le terme anglais à défaut d’avoir un terme largement reconnu en français, pour le moment. Guilde Groupe d’espèces qui utilisent une même ressource de manière similaire. Mutualisme Relation symbiotique dont les acteurs tirent tous deux profit. On parle de mutualisme obligatoire si la survie des deux acteurs en dépend Prédation , sinon il s’agit de mutualisme facultatif. Mode de nutrition selon lequel un organisme d'une espèce (le prédateur) capture un organisme d'une autre espèce (la proie) et le consomme en tout ou en partie. viii Population Groupe localisé d’organismes de la même espèce à un moment déterminé Processus clé Une fonction critique dans l’écosystème qui contrôle une grande part des caractéristiques de cet écosystème. Sélection naturelle Processus par lequel augmente la fréquence de certains allèles (une des deux formes possibles d’un seul gène) et diminue celle d’autres allèles à cause de l’inégalité du succès reproductif. L’évolution résulte de la modification des fréquences alléliques. Service environnemental Bénéfice que l’humain obtient des écosystèmes. Inclut des services d’approvisionnement (ex : eau, nourriture), de régulation (ex : protection des inondations), culturels (ex : loisirs) et de support (ex : séquestration du carbone). Spéciation Apparition de nouvelles espèces au cours de l’évolution. Symbiontes Les acteurs d’une symbiose. Symbiose Relation écologique entre des organismes appartenant à des espèces différentes qui vivent en contact direct les uns avec les autres. ix Introduction Aussi loin que nous pouvons reculer dans l’histoire des sciences naturelles, les différentes disciplines ont presque toujours été considérées séparément et de façon très hermétique. En particulier dans les sciences biologiques : d’un côté la botanique et de l’autre la zoologie. Cette dichotomie se perpétua jusqu’au 19e siècle, qui correspond aux premiers balbutiements de l’écologie. Avec l’écologie, l’étude et la prise en considération des relations entre organismes et avec leur environnement prirent de l’importance. Néanmoins, la plante et l’animal furent souvent sujets d’études bien délimitées à l’un ou l’autre. Encore de nos jours, il reste des départements de botanique et de zoologie distincts dans les universités et chaque discipline possède ses propres revues scientifiques. Heureusement, l’échange d’information et la collaboration sont maintenant très valorisés. Ce qu’il importe de comprendre, c’est que la nature n’a que faire de cette vision des choses. Elle n’est pas soumise au même besoin de classer et d’ordonner que le cerveau humain! Les plantes et les animaux sont différents, sans aucun doute. Les plantes sont fixes, fabriquent leur propre nourriture (autotrophes) et font preuve d’une étonnante plasticité qui leur permet de faire face aux contraintes plutôt que de les fuir. Les animaux sont mobiles, doivent ingurgiter leur nourriture pour produire leur énergie (hétérotrophes) et possèdent des comportements variés qui leur permettent de répondre rapidement à un stimulus extérieur. On pourrait facilement ajouter une quantité phénoménale d’autres différences. Et c’est justement à cause de ces différences que, depuis des millions d’années, ces deux règnes partageant les ressources et l’espace de notre planète, ont noué d’innombrables relations. Ces relations se rapportent à l’alimentation, la reproduction, le déplacement, la défense, etc. Elles peuvent être considérées comme étant de la prédation, de la compétition ou une symbiose. Pour illustrer rapidement l’importance de toutes ces relations, référons nous à l’ouvrage du botaniste français Francis Hallé (1999). Imaginons, qu’il est possible de faire disparaître d’un coup tous les végétaux de la Terre. En quelques heures ce serait l’hécatombe. N’ayant plus de 1 nourriture, le règne animal (nous humains compris) serait pratiquement rayé de la carte. De quoi nous donner une bonne dose d’humilité, nous qui sommes supposément l’espèce dominante de la planète. Inversement, faisons disparaître les animaux. À première vue, on n’assisterait pas au désastre précédent. Les individus existants continueraient de vivre sans problème et la plupart des espèces pourraient encore se reproduire. La plasticité phénotypique, i.e. la « réponse » du phénotype (les traits d’un individu) aux conditions de l’environnement, pourrait également sauver des espèces qui nous semblent dépendre étroitement des animaux pour leur reproduction. Le règne n’est pas menacé, mais des espèces, genres et même des familles seraient voués à l’extinction. La composition spécifique et la structure des communautés seraient modifiées et des espèces et écosystèmes entiers disparaîtraient. Par exemple, sans les troupeaux de grands mammifères de la savane africaine, ce ne serait tout simplement pas la savane africaine. Malgré leur abondance, les relations plantes-animaux sont relativement peu connues. Leur importance est souvent sous-estimée par une vision trop simpliste des écosystèmes. De plus, leur immense diversité est déroutante lorsqu’on commence à l’explorer. Pour cette raison, vous constaterez la récurrence du mot « exemple » tout au cours de l’essai et particulièrement dans la première et la dernière section, comme quoi rien de mieux qu’un peu de concret pour comprendre un phénomène si riche et complexe. Et pour avoir une vision cohérente du milieu de la conservation, cela nécessite également de s’éloigner des sciences biologiques pour aborder d’autres sujets inévitables comme l’économie, la société, la gouvernance, la culture, etc. L'objectif de cet essai est de tracer un portrait de l'état des connaissances sur les relations plantes-animaux afin de souligner leur importance dans la gestion et la conservation des écosystèmes menacés. La première partie présente des exemples de ces relations afin d’en apprécier la diversité. Par la suite, l’existence même de ces relations est discutée dans le contexte de l’évolution et de l’écologie. La troisième section sert à convaincre, si ce n’est déjà fait, du bien fondé de la recherche dans ce domaine. Suit immédiatement une section qui 2 paraîtra plus concrète, qui traite des menaces réelles aux écosystèmes et des mesures de conservation à adopter pour en minimiser les effets (en tenant compte des relations plantesanimaux). L’essai se termine avec la présentation d’un cas type, celui de la forêt Atlantique du Brésil, un écosystème dont les processus écologiques comprennent un très large éventail de relations plantes-animaux. 3 Chapitre 1 La diversité des relations plantes-animaux Cette section est une illustration de la diversité de formes et de l’ampleur que peuvent prendre les relations entres les végétaux et les animaux. Dans son fameux ouvrage, On the Origin of Species (1859), le naturaliste anglais Charles Darwin était lui-même ébloui par les réseaux complexes qui lient plantes et animaux qui sont pourtant si distants de nature. Dans les exemples suivants, il peut s’agir d’une relation exclusive entre deux espèces ou impliquant plusieurs acteurs des deux côtés (relation diffuse). 1.1. La reproduction assistée La pollinisation est le dépôt de pollen sur le stigmate d’une fleur. C’est l’étape précédant la fusion du gamète mâle (grain de pollen) avec l’oosphère, ce que l’on qualifie de reproduction sexuée chez la plante. Elle peut s’accomplir sans assistance animale que ce soit par l’autopollinisation (sur le même individu) ou par le vent. Mais dans bien des cas, le pollen est transporté par des animaux : c’est le cas chez environ 90% des espèces d’angiospermes (plantes à fleurs) (Buchmann et Nabhan, 1996). De l’autre côté, le nombre d’espèces animales visiteuses des fleurs s’élève à 300 000 (Nabhan et Buchmann, 1997). Celles qui peuvent agir comme pollinisateurs sont les insectes, les oiseaux, les chauves-souris et quelques autres petits mammifères. Il s’agit d’une relation de mutualisme, c’est-à-dire qui profite aux deux acteurs. Il est relativement rare que ces interactions soient absolument obligatoires, c’est-à-dire qu’elles soient vitales à la survie des acteurs (Kearns et al., 1998). Mais les bénéfices qu’en retirent les plantes sont grands. La pollinisation peut se faire en des endroits peu exposés au vent. Elle permet aussi aux plantes de survivre à plus faible densité et d’allouer moins de ressources à la production de pollen car l’animal recherche activement les fleurs : le pollen a 4 donc une probabilité beaucoup plus grande d’atteindre sa cible. Le bénéfice qu’en retirent les animaux est la nourriture (pollen, nectar, huiles) ou l’eau qui sont facilement repérables puisque associés aux fleurs (Pellmyr, 2002). L’ordre des insectes est le groupe de pollinisateur le plus large et le plus diversifié. Les abeilles, symbole par excellence de la pollinisation, représentent en fait entre 25 000 et 30 000 espèces, toutes des visiteuses obligatoires des fleurs (Buchmann et Nabhan, 1996). À celles-ci doivent s’ajouter les fourmis, mouches, papillons de nuit et de jour, coléoptères, guêpes, etc. (Bawa, 1990). Chez les oiseaux, six groupes phylogénétiquement indépendants se sont diversifiés comme visiteurs des fleurs et parfois comme pollinisateurs (Sibley et Ahlquist, 1990). Les colibris en particulier sont adaptés pour se nourrir du nectar des fleurs : longs becs, langues extensibles, vol sur place. Les caractéristiques des fleurs permettent d’attirer l’oiseau mais aussi d’y déposer du pollen qui sera transféré au stigmate d’une autre fleur (Grant et Grant, 1968). Seulement en Amérique, plus de 500 espèces de plantes sont pollinisées par les chauves-souris (Vogel (1969) cité dans Hutson et al. (2001)). Les plantes visées possèdent généralement des fleurs blanches, beiges ou verdâtre, une odeur prononcée et produisent de grandes quantités de nectar. Elles ne s’ouvrent que la nuit et parfois même peu de temps après le crépuscule. Les fleurs sont souvent bien dégagées du reste du feuillage. De leur côté, les membres de la sousfamille des glossophaginés (flower bats) possèdent de longs museaux, des dents réduites et une longue langue qui se termine par un regroupement de papilles en forme de brosse qui permet de collecter plus de nectar et de pollen. Cependant, il est plutôt rare que l’association soit exclusive entre une espèce de plante et une espèce de chauve-souris (Altringham, 1999). Les chauves-souris peuvent transférer du pollen sur plusieurs kilomètres, ce qui s’avère très important pour les plantes ayant une distribution éparse (Heithaus, 1982). 5 En forêt tropicale, la phénologie (chronologie saisonnière de la floraison et feuillaison) des arbres serait en partie liée à l’abondance et au comportement des pollinisateurs et des disperseurs (Frankie, 1975; Herrera et al., 1998). Les adaptations entre plusieurs espèces de plantes et de pollinisateurs a ici des composantes spatiales, temporelles de même que comportementales. 1.2. Le cerf de Virginie, paysagiste de la forêt québécoise Les relations plante-animal sont loin de toujours être des symbioses. L’herbivorie est la consommation de biomasse végétale par un animal dans un but d’alimentation. Elle prend plusieurs formes : broutage, paissage, folivorie (feuilles), granivorie (graines), frugivorie (fruits), xylophagie (bois), etc. En fait, tous les tissus végétaux peuvent être consommés, soit indifféremment en quelques bouchées ou séparément par des herbivores spécialistes. Sauf exception, cette activité se fait au détriment de l’individu qui se fait manger, sans pour autant mettre sa survie en danger. Au niveau de l’espèce, être la nourriture d’un herbivore n’est habituellement pas un handicap. À moins que les herbivores soient en nombre excessif durant une épidémie ou dans le cas d’espèces exotiques introduites dans un nouveau milieu. Les plantes ont une capacité de croissance et de régénération qui suffit habituellement à maintenir les populations malgré la consommation d’une partie ou d’individus entiers. Néanmoins, il ne fait aucun doute que l’herbivorie affecte la structure et la dynamique des communautés et des écosystèmes. Le cerf de Virginie (Odocoileus virginiamus) est un herbivore ayant connu une croissance d’effectif phénoménale au cours des dernières décennies dans le sud du Québec. L’élimination des prédateurs naturels, l’introduction de mesures législatives de protection et le changement des mentalités ont permis cette progression (Richer et al., 2003). En forêt, les cerfs consomment principalement des feuilles d’arbres et d’arbustes ainsi que des plantes herbacées durant l’été (McCaffery et al., 1974). En hiver, ils se regroupent dans des territoires appelés « ravages » et y consomment des ramilles d’arbres et d’arbustes (Dumont et al., 1998). À 6 partir d’une certaine densité de chevreuils, la régénération en sous-bois peut être compromise et certaines espèces végétales sont menacées (Tilghman, 1989; Balgooyen et Waller, 1995). Sur l’île d’Anticosti, dans le golfe du Saint-Laurent, la densité de cerfs de Virginie est immense. Des expériences d’exclusion ont montré qu’à cette densité, les cerfs éliminent presque complètement la strate arbustive ainsi que le sapin baumier (Abies balsamea) (Potvin et Breton, 1992). Dans les régions où des boisés côtoient des terres agricoles, les cerfs broutent le trèfle, la luzerne, les graminées (blé, orge, etc.) et les grains de maïs (Rouleau et al., 2002). Parce qu’ils s’attaquant aux cultures, les cerfs en surabondance sont maintenant vus comme un désagrément. « Le broutement du cerf de Virginie peut entraîner une perte de rendement annuel de l’ordre de 12 à 14 % dans de jeunes prairies de légumineuses […] » résultant en pertes économiques (Richer et al., 2003). On ne peut dire autrement que la relation qu’entretient le cerf de Virginie avec la flore est un mécanisme puissant dans la dynamique des forêts tempérées et boréales du Québec. Son impact est tel que l’on peut accoler au cerf le titre d’ingénieur écologique. Ce terme qui s’applique aux herbivores qui affectent leur environnement d’une telle façon que s’ensuit une cascade d’effets dans l’écosystème résultant en une modification de la disponibilité des ressources biotiques ou abiotiques pour d’autres organismes (Jones et al., 1997). 7 Figure 1.1. Diversité des relations plantes-animaux. (a) Fleur d’orchidée, (b) Abeille, (c) Jeune forêt mixte tempérée, (d) Cerf de Virginie, (e) Acacia, (f) Fourmi et corps nourriciers, (g) Fruits de palmier, (h) Pécari à collier, (i) Herbier marin, (j) Dugong Sources : (a,b) Muséums Nature Montréal, (c,h) photos personnelles, (d) Sépaq, (e) born2bird.com, (f) discoverlife.org, (g) plantapalm.com, (i) Florida Department of Environmental Protection, (j) Jurgen Freund. 8 Malgré l’exemple du cerf de Virginie, il est intéressant de noter que la classe d’herbivores la plus importante en termes de biomasse consommée dans le monde, est de loin celle des insectes (Gilbert et Raven, 1975). Les insectes sont aussi plus spécialisés (le nombre d’espèces végétales consommées est beaucoup plus restreint pour chaque espèce d’insecte). Autant les insectes herbivores affectent les plantes, autant les plantes affectent les insectes avec leurs mécanismes de défense (physiques ou chimiques). Les insectes contournent ces défenses et les plantes en développent de nouvelles (par mutations). De cette relation s’apparentant à une course à l’armement que se livrent insectes et plantes résulterait une grande part de la biodiversité de la planète (Strauss et Zangerl, 2002). 1.3. Logement végétal, gardiens animaux Un exemple frappant d’une symbiose est l’association entre les fourmis et les plantes myrmécophytes, ou encore « arbre à fourmis ». Parmi celles-ci on compte les Cecropia des néotropiques, les Macaranga d’Asie du Sud-Est, les acacias de certaines régions arides d’Amérique et d’Afrique, de même que certaines épiphytes (plante poussant sur une autre comme support) (McKey et al., 1999). La plupart de ces relations sont mutualistes facultatives. Parfois les relations basculent vers le parasitisme, au détriment de la plante (Letourneau, 1991). La plupart des myrmécophytes possèdent des structures creuses nommées domaties pour abriter les fourmis. Elles se situent dans les tiges, les entre-nœuds ou les stipules. Les stipules des acacias forment de très longues épines où logent les fourmis. Le logement et la protection correspondent donc à un premier bénéfice que tirent les fourmis de cette association (Passera et Aron, 2005). Le deuxième bénéfice sont les structures alimentaires. Les plantes peuvent héberger, en plus des fourmis, des colonies d’homoptères (pucerons) producteurs d’un miellat sucré consommé par les fourmis. Une autre voie, est la production de structures alimentaires par la plante destinées aux fourmis. Les nectaires extrafloraux. sont des glandes productrices d’exsudations sucrées, qui comme le nom l’indique, ne se situent pas au niveau des fleurs et 9 n’ont pas de rôle dans la pollinisation. Leur localisation est variable d’une espèce à l’autre (Passera et Aron, 2005). De tels organes sont connus dans au moins 66 familles d’angiospermes (Elias, 1983). Les corps nourriciers sont d’autres petites structures riches en protéines et lipides qui servent également à nourrir les fourmis. Les corps nourriciers sont entièrement récolté et consommés par les fourmis. Un Cecropia privé des ses fourmis arrêtera d’en produire alors qu’un Macaranga en produira huit fois moins (Passera et Aron, 2005). Cela prouve l’association étroite qui lie les deux acteurs. Quels sont les avantages pour la plante à être habitée par une colonie de fourmis? Le principal bénéfice est la protection contre les herbivores. Peu d’insectes, et même de vertébrés, se risquent à se nourrir d’une plante hébergeant des fourmis prêtes à tout pour protéger leur territoire. Plusieurs études montrent l’efficacité de ce système de défense (McKey, 1974; Madden et Young, 1992; Heil et McKey, 2003). Les fourmis peuvent également agir sur d’autres plantes en attaquant les plantes grimpantes sur le tronc (Janzen, 1969) ou en éliminant toutes plantes dans un rayon pouvant atteindre trois mètres autour de l’arbre hôte (Davidson et al., 1988; Morawetz et al., 1992). Trois autres bénéfices potentiels sont l’apport alimentaire via les rejets métaboliques, la pollinisation et la dispersion des graines. Il existe un autre type d’association plante-fourmis nommé les jardins de fourmis, qui n’implique pas une dimension défensive. Les fourmis débutent en construisant un nid de pulpe de bois et de terre à la fourche d’une branche d’arbre. Ensuite, les ouvrières et parfois la reine récoltent et déposent des graines de plantes épiphytes dans le nid. Après germination, le feuillage de la plante recouvre le nid. Les racines de l’épiphyte font maintenant partie du nid et profitent des éléments minéraux et organiques provenant de la matière du nid, des déjections des fourmis et des fourmis mortes elles-mêmes. Ces dernières se nourrissent des nectaires extrafloraux que produit la plante (Corbara et al., 1999). 10 1.4. On a toujours besoin d’un plus mobile que soi En plus de l’étape de la reproduction (lors de la pollinisation) une autre étape dans la vie d’une plante nécessite de la mobilité : la dispersion des diaspores (organe de dispersion végétal). Certaines diaspores utilisent des moyens physiques comme le vent, les flots ou simplement la gravité pour se disperser. Cependant, un des moyens les plus efficaces est la dispersion par les animaux (zoochorie). La diaspore peut être dispersée en s’accrochant aux poils, plumes ou autre parties du corps d’un animal (épizoochorie) ou par la consommation et le passage dans le système digestif (endozoochorie). Logiquement, plus une espèce produit de grandes graines plus elles sont susceptibles d’être dispersées par les animaux (Hughes et al., 1994). Les fruits charnus font parti des stratégies facilitant la consommation des diaspores par les animaux (Piña-Rodrigues et Aguiar, 1993). Pour dissiper tout doute sur l’importance de la zoochorie, considérons que : 370 genres d’animaux pratiquent la frugivorie et la granivorie (Danell et Bergström, 2002); entre 70 et 94% des espèces de plantes ligneuses des forêts néotropicales sont adaptées à la dispersion par endozoochorie (Jordano, 1992); selon une étude effectuée dans une forêt tropicale sur l’île de Bornéo en Indonésie, la richesse des plantules serait réduite de 60 % avec le retrait des animaux disperseurs (Webb et Peart, 2001). Cependant, très peu d’études ont réussi à établir l’existence d’un lien vital de mutualisme obligatoire entre une espèce végétale et son disperseur (Herrera, 2002). Les plantes profitent de la dispersion pour échapper à la compétition intra-spécifique, éviter les prédateurs qui se nourrissent là où la densité des graines est grande, coloniser des endroits récemment perturbés ou déposer les graines dans des microsites favorables à l’implantation de propagules (Howe et Smallwood, 1982; Willson, 1992). En bonus de cette mobilité, certaines graines ayant passé dans le système digestif de leur disperseur ont une germination facilitée par le traitement subi. Traveset (1998) a révisé plusieurs recherches sur le sujet et a relevé que dans la moitié de 200 cas, la germination était affectée, parfois positivement, parfois négativement. 11 Plus du tiers des oiseaux terrestres sont partiellement ou totalement frugivores et ont un rôle prédominant en tant que disperseurs (Fleming, 1991). Les mammifères, par leur taille, leur niveau métabolique et leur mobilité ont également un impact très important. Les mammifères disperseurs appartiennent aux chiroptères (chauves-souris), aux didelphimorphes (opposums), aux primates, aux ongulés (tapirs, éléphants, rhinocéros, etc.), aux lémurs, aux rongeurs et à l’ordre des carnivores. Les reptiles sont d’importants disperseurs dans les milieux arides et sur certaines îles et certains poissons dispersent quelques plantes tropicales. Par contre, la dispersion par les amphibiens ne semble rien de plus qu’anecdotique (Herrera, 2002). Certaines fourmis transportent des graines jusque dans leur nid où elles s’en débarasseront après avoir prelevé un corps nourricier qui y est attaché (Smith et Smith, 2001), mais le rôle des invertébrés dans la dispersion est mineur (Herrera, 2002). Face à ces fascinants exemples de mutualisme, on retrouve l’envers de la médaille : des cas de prédation des graines, où la consommation de la diaspore résulte en sa mort. La graine est une source alimentaire très riche, donc très profitable pour qui est capable de s’en nourrir. Paradoxalement, plusieurs animaux ont le double rôle, à la fois disperseur et prédateur des graines. Les pécaris, des sangliers des néotropiques (famille Tayassuideae), sont de cette catégorie. Possédant la mâchoire la plus puissante de tous les mammifères herbivores (en ce qui concerne la plus grande espèce, le pécari à lèvre blanche, Tayassu pecari), ils viennent facilement à bout des graines très dures typiques chez les palmiers (Kiltie, 1982). Par contre, les plus petites graines sont parfois avalées intactes et excrétées quelques heures ou quelques jours plus tard, toujours viables, ce qui en fait des candidates à la germination. Il est donc vraisemblable qu’ils soient prédateurs des grandes graines et disperseurs des petites. 12 1.5. Des jardins de plantes en eau salée Les herbiers en milieu marin (ou herbier à phanérogames1, ou encore seagrass bed en anglais) sont des écosystèmes côtiers très productifs, avec une productivité primaire2 très élevée comparable à celle de la forêt tropicale (Hemminga et Duarte, 2000). Ce qui est particulier à leur sujet est leur composition floristique, car très peu de phanérogames aquatiques se trouvent en eau salée, ce qui font d’eux un théâtre particulier des relations plantes-animaux. Les plantes qu’on y retrouve font partie de quatre familles couvrant une soixantaine d’espèces : Hydrocharitaceae, Cymodoceaceae, Posidoniaceae et Zosteraceae. On les retrouve en eau peu profonde dans les zones côtières partout dans le monde, excepté l’Antarctique (Hemminga et Duarte, 2000). Les herbiers marins hébergent une grande variété de faune et sont considérés comme des points chauds de la biodiversité dans les écosystèmes marins (Williams et Hack, 2001). Ce sont des habitats fragiles très sensibles à la pollution et facilement détruits par les pratiques de pêche qui raclent les fonds marins comme le chalutage de fond. La relation mise en évidence ici est entre les populations végétales et animales qui sont l’essence même de ces communautés. La structure particulière des herbiers marins offre les avantages suivant à la faune : un habitat tridimensionnel pour les petits animaux marins, un refuge contre les prédateurs et une pouponnière pour les juvéniles. Ces caractéristiques portent à croire que l’abondance et la diversité des animaux y est plus grande que dans les zones côtières dépourvues des plantes aquatiques (Hemminga et Duarte, 2000). Nakaoka (2005) dit quant à lui que ce le lien n’est pas aussi direct et que la diversité et l’abondance de la faune varie grandement d’un site à l’autre, certaines espèces animales profitant beaucoup plus de ce milieu que d’autres. Les animaux herbivores qu’on y retrouve sont variés. Les plus petits sont des invertébrés brouteurs d’au plus 2,5 cm. Malgré leur petite taille, ils ont des effets significatifs sur les plantes (Valentine et Heck, 1999). Par contre, les plus importants herbivores sont : les oursins, les 1 Les phanérogames sont également appelées spermatophytes et incluent les plantes à graines. Cela exclus donc les algues. 2 Taux auquel les autotrophes d’un écosystème (principalement les plantes dans ce cas-ci) convertissent l’énergie lumineuse en énergie chimique (en composés organiques). 13 poissons, les Anatidés (famille d’oiseaux comprenant les canards) et les mammifères marins comme le dugong (Dugong dugon) (Nakaoka, 2005). Un gros animal comme le dugong (qui peut peser jusqu’à 900 kg) a un effet non seulement sur les plantes, mais sur toute la communauté d’animaux benthiques associée (Nakaoka et al., 2002). 14 Chapitre 2 L’origine des relations plantes-animaux Les relations plantes-animaux ont une longue histoire évolutive et se sont vraiment développées lorsque les animaux ont rejoint les plantes sur la terre ferme, il y a de cela quelques 440 millions d’années, dans la période du Silurien (Hickman et al., 2001). Les angiospermes ont plusieurs associations « historiques » avec les animaux. Les vertébrés pollinisateurs et disperseurs ont été le facteur crucial permettant aux angiospermes de devenir le taxon végétal dominant des habitats terrestres. Les insectes leur ont permis un mode de reproduction supérieur à celui des gymnospermes (plantes à graines nues) et un taux de spéciation et de radiation adaptative plus élevé. Les oiseaux et mammifères ont permis les mouvements du pollen et des graines sur de longues distances permettant la diversification des angiospermes qui à leur tour ont influencé l’évolution des animaux (Regal, 1977; Mulcahy, 1979). Les multiples adaptations affichées par les deux groupes parmi les associations connues et étudiées sont parfois si bien assorties et finement ajustées qu’il est difficile de comprendre comment il peut en être ainsi. Aucun des deux acteurs n’a choisi l’autre comme partenaire (ou proie) et personne n’a décidé que deux espèces (ou plus) « iraient bien ensemble » (n’en déplaise à la vision de certaines personnes). On doit plutôt chercher la réponse du côté de la théorie de l’évolution. L’évolution est un processus long et graduel (bien qu’à l’échelle géologique, l’évolutionniste Stephen J. Gould prône la théorie de l’équilibre ponctué3) et évidemment, les adaptations des espèces ne sont pas le résultat d’un effort conscient et prémédité. Elles apparaissent comme conséquences de la recherche et de l’acquisition de 3 Cette théorie postule que l’évolution comprend de longues périodes d’équilibre, ponctuées de brèves périodes (quelques milliers d’années) de changements importants comme la spéciation. Mais cela ne change pas l’impact de l’évolution sur les espèces. 15 nourriture, de partenaires sexuels ou de sécurité. Encore plus, la plupart sont probablement dérivées d’une relation d’exploitation (prédation et parasitisme) ou de commensalisme (Smith et Smith, 2001). C’est la sélection naturelle qui mène à l’apparition d’adaptations dans une espèce. L’adaptation peut aussi être vue comme un processus : c’est la façon par laquelle la sélection naturelle ajuste la fréquence des gènes qui codent pour les traits affectant le fitness. Les adaptations physiologiques, physiques, biochimiques ou comportementales sont ce qui nous est observable et qui jouent un rôle dans le « succès » de l’espèce, le fitness. Il s’agit de la contribution génétique d’un individu à la génération suivante, présumant bien entendu qu’il s’agisse de caractères héréditaires. Meilleur est le fitness d’un individu, meilleure sera sa capacité à transmettre ses gènes et plus fréquents seront ses gènes dans la génération subséquente. Maintenant, comment expliquer que des espèces soient portées à interagir, soit de façon innée ou acquise, avec d’autres organismes si différents d’eux-mêmes? S’agit-il à tout coup de coévolution? Ce terme mis de l’avant par Ehrlich et Raven (1964) ne se définit pas simplement. Voici tout d’abord la définition de Daniel H. Janzen : « La coévolution peut être définie comme un changement évolutif dans un trait de vie des individus d’une population en réponse à un trait de vie des individus d’une seconde population. » (Janzen, 1980, p.611) Ce même auteur souligne que plusieurs interactions plantes-animaux sont mal interprétées comme étant le fruit d’une coévolution. Toute symbiose n’est pas coévolution, l’adaptation pouvant s’être développée chez un acteur seulement en réponse à un ensemble de traits déjà présents chez l’autre. Ainsi, pour qu’il y ait coévolution, il faut que la pression exercée par un trait d’une espèce (une adaptation) soit suffisamment forte sur la population d’une autre espèce, pour que cette dernière subisse une modification de sa génétique (la contreadaptation). Pour affirmer sans se tromper que l’on fait face à un cas de coévolution, il faut être capable de prouver que des adaptations chez les deux parties concernés se sont alternées, 16 l’une en réponse à l’autre et vice versa (un jeu d’adaptations et de contre-adaptations). Cet état de fait est très difficile à prouver. Les relations plantes-animaux sont particulièrement difficiles à classer comme coévolution car l’échelle de temps est très différente entre végétaux et animaux : les taxons d’angiospermes ont des durées de vie généralement 30 fois supérieures à celles des animaux! Cela suggère que l’animal est plus enclin à s’ajuster à son environnement végétal que la plante à son environnement animal (Herrera, 1985). Pour brouiller davantage les cartes, il y a aussi les cas où un même caractère est avantageux face à une espèce et désavantageux face à une autre. Par exemple, des fruits charnus seront mangés par des disperseurs mais aussi par des prédateurs de graines. À ce moment, deux forces de sélection contraires influencent le caractère d’attractivité des fruits. Plusieurs sortes de coévolution ont été « reconnues ». Tout d’abord, la coévolution gène-pourgène, où la présence d’un gène chez une espèce favorise la sélection d’un gène d’une autre espèce, principalement dans les cas de virulence ou des défenses biochimiques (Thompson, 1989; 1994). Il y a également la coévolution spécifique, celle venant naturellement en tête en abordant ce sujet. Un trait ou un ensemble de traits (qui peuvent être contrôlés par plusieurs gènes) favorisent la sélection de traits chez l’espèce associée (Thompson, 1989; 1994). En pensant à relation plante-animal on peut facilement faire l’erreur de penser à des relations bilatérales directes, alors qu’en réalité il s’agit plus souvent de relations multi-espèces, les plantes interagissant rarement avec une seule espèce animale antagoniste ou mutualiste (Strauss et Irwin, 2004). Ces animaux sont taxonomiquement divers, utilisent différentes parties de la plante et varient dans leur impact sur le fitness de la plante. Dans ces cas, où c’est l’interaction avec la communauté qui influence le fitness plutôt qu’une relation en duo, déterminer s’il y a coévolution est encore plus difficile. Le terme de « coévolution diffuse » a été inventé par Janzen (1980). Thompson (1989; 1994) la nomme coévolution par guilde, où une guilde (ex : les oiseaux frugivores) sont liés à d’autres espèces (ex : les angiospermes). Les vertébrés sont plus enclins à faire partie d’un processus de coévolution diffuse car ce sont en grande partie des généralistes (en matière de nourriture et d’habitat par exemple) contrairement aux insectes qui sont spécialistes. Des critères ont été identifiés par Strauss et 17 Irwin (2004) pour déterminer si l’évolution est diffuse ou si elle n’implique que deux acteurs (tableau 2.1). Tableau 2.1. Critères de discernement entre coévolution diffuse ou de pair Coévolution en duo 1. Les traits issus de la coévolution sont indépendants des traits impliqués dans d’autres interactions. 2. La dynamique du duo est indépendante de la présence ou de l’action d’autres membres de la communauté. Coévolution diffuse 1. La sélection d’un trait influence des traits importants pour d’autres interactions (corrélation génétique). 2. La présence ou l’absence d’un membre de la communauté influence l’interaction avec les autres. 3. Les effets des multiples acteurs ne sont pas additifs (il ne s’agit pas d’une somme d’effet mais d’un effet englobant tous les acteurs) Inspiré de : Straus, S.Y. and Irwin, R.E. (2004). Thompson (1989; 1994) a classé les deux phénomènes suivants également comme types de coévolution, mais je les vois plutôt comme des conséquences à la coévolution. Premièrement, la « coévolution diversifiante » résulte d’interactions tellement étroites qu’elles entraînent un isolement reproductif des acteurs et éventuellement à de la spéciation. Cela mène à l’apparition de taxons entiers possédant des espèces fortement liées. Par exemple, toutes les larves des papillons de la sous-famille Heliconiinae se nourrissent uniquement sur des plantes de la famille des Passifloraceae (Benson et al., 1975). Deuxièmement, la coévolution « fuiteet-radiation » se produit quand un des acteurs développe une mutation qui lui permet d’exploiter négativement l’autre, ce dernier subit ensuite une mutation lui permettant de « s’échapper » jusqu’à ce que le premier puisse de nouveau l’exploiter, etc. 18 Comme nous pouvons le constater, le phénomène n’est pas simple et offre encore de nombreuses avenues à explorer par la recherche scientifique. La compréhension de l’évolution des relations plante-animal sont une approche permettant de mieux en connaître leurs fonctionnements actuels. Plusieurs raisons nous incitent à étudier ces interactions et c’est ce dont il sera question dans le prochain chapitre. 19 Chapitre 3 Motivations à l’étude du phénomène La curiosité intellectuelle, la découverte des « lois de la nature », l’émerveillement, la soif du savoir, sont autant de motivations qui peuvent pousser un individu à faire de la recherche scientifique. Mais selon plusieurs, c’est loin d’être suffisant pour justifier toutes les ressources qui y sont destinées. Premièrement, ce domaine est soumis au même dictat économique que tout secteur d’activité. Dans les laboratoires, les universités, les instituts de recherche et, bien sûr, les entreprises privées, l’argent est le nerf de la guerre. La recherche fondamentale souffre d’une plus grande difficulté à se financer que les recherches donnant des résultats tangibles, pratiques et applicables à court terme (Association francophone pour le savoir, 1998). Également, la recherche fondamentale est très souvent source d’incompréhension. « À quoi ça sert? » entend-on souvent. Cette activité permet une compréhension beaucoup plus juste de nombreux phénomènes et ne sert pas juste à remplir les rayons des bibliothèques universitaires. L’étude des relations plantes-animaux n’offre pour l’instant que peu de débouchés concrets, mis à part quelques éléments en agriculture et foresterie. Comme je l’expliquerai dans cette section, les relations plantes-animaux sont un élément clé de la dynamique des écosystèmes et leur compréhension s’avère importante à de nombreux niveaux. Les relations qu’entretiennent les individus de toutes les espèces sont les mécanismes vitaux qui assurent la pérennité des écosystèmes sur la Terre. Éliminez une espèce ou certaines de ses populations et vous modifiez, ne serait-ce qu’un peu, la structure et la dynamique de l’écosystème. Cette affirmation ne veux pas dire qu’une extinction annonce inévitablement l’effondrement d’une communauté ou d’un écosystème. Simberloff (2003) n’est pas le seul à affirmer que, dans la plupart des cas, une espèce pourrait s’éteindre sans qu’il y ait un grand impact sur le reste de la communauté et de l’écosystème. Cela implique que les espèces ont 20 des rôles d’une importance variable. Celles dont la disparition risque d’avoir un impact significatif sont (Harley, 2003) : i) les espèces qu’on retrouve en grande abondance, ii) celles qui ont des taux de consommation élevés, iii) ou à l’inverse, qui sont la proie de plusieurs autres, iv) les espèces qui modifient l’environnement ou qui servent d’habitat, v) celles qui sont uniques dans leur groupe fonctionnel, i.e. qui possèdent une fonction unique et utile dans leur milieu, vi) les espèces qui sont étroitement liées d’une autre façon à l’une des cinq catégories précédentes. Compte tenu de tous ces critères, le nombre d’espèce au rôle peu significatif semble faible … En appliquant le principe de précaution, je suis porté à dire qu’il vaut mieux ne pas négliger une espèce au motif que ne lui connaissions pas encore d’interaction qui nous semble très importante. L’Évaluation des écosystèmes pour le Millénaire4 affirme clairement que « Des changements dans les interactions biotiques entre espèces peut mener à des altérations disproportionnellement grandes, irréversibles et souvent négatives des processus écologiques. » (MEA, 2005, p.24) Les relations interspécifiques sont indissociables du concept de biodiversité. Ce concept, qui s’est répandu vers la fin des années 80, se définit par la variété et la diversité du monde vivant et elle se situe à trois niveaux : diversité génétique, diversité spécifique et diversité écosystémique. Les interactions biotiques la maintiennent et la modifient tout à la fois et à l’inverse, la biodiversité joue un rôle extrêmement important pour la résilience d’un écosystème, i.e. la capacité de retrouver un état d’équilibre après une perturbation (Ricklefs et Miller, 2001). Un milieu riche et diversifié présentera un réseau d’interactions complexe. Et comme nous l’avons vu dans la section précédente, les relations sont une force pouvant mener à la spéciation. En somme, la biodiversité ne se limite pas à un regroupement d’organismes, 4 L’Évaluation des écosystemes pour le Millénaire (MEA, Millenium Ecosystem Assessment) est un groupe de travail composé d’organismes inter-gouvernementaux (entre autres le Programme des Nations Unies sur l’environnement, le World Resources Institute, la Banque Mondiale, etc.) afin d’établir une base scientifique pour guider les actions dans le but d’améliorer la conservation et l’utilisation durable des écosystèmes tout en répondant aux besoins humains. 21 ni même à un processus, mais fait partie intégrante d’un milieu biotique dynamique. Comme l’a déjà dit le philosophe Bryan G. Norton5, « la valeur de la biodiversité est plus grande que la somme de ses parties », d’où l’intérêt de l’approche par habitat, écosystème et région en conservation, pour ne pas négliger une composante que l’on considère négligeable ou que nous ne connaissons simplement pas. La biodiversité est également essentielle aux services des écosystèmes. Dans une métaanalyse, Balvanera et al. (2006) disent que « […] il y a des évidences claires que la biodiversité a un effet positif sur la plupart [des services de l’écosystème] ». Le terme de « services des écosystèmes » est de plus en plus reconnu et utilisé dans les écrits portant sur l’écologie, la conservation, l’économie, le bien-être humain et le développement durable. Ce concept permet d’attribuer une valeur à certaines caractéristiques de la nature et ainsi d’avoir une meilleure idée de leur importance afin de les intégrer dans une vision plus holistique, prenant en compte les intérêts des sociétés humaines. Le MEA l’a utilisé comme idée centrale dans ses documents intitulés « Écosystèmes et bien-être humain » (MEA, 2005). Les valeurs des services sont de quatre ordres (tableau 3.1). La valeur d’utilisation directe est nécessairement déjà prise en compte, puisqu’il s’agit des produits récoltés et utilisés (ou commercialisés). La valeur d’utilisation indirecte est un service environnemental qui ne nécessite pas la récolte ou la destruction de la ressource. La valeur optionnelle (option value) représente des ressources ou services qui pourraient être découverts et utilisés et ayant des bénéfices potentiels. Finalement, la valeur d’existence (existence value) qui se calcule par l’effort que les gens sont prêts à investir pour protéger une caractéristique de l’écosystème. Cette dernière est probablement la plus difficile à chiffrer puisqu’elle à des dimensions éthiques, morales et spirituelles. En tout et pour tout, la valeur monétaire estimée de tous les services de l’écosystème est de 33 billions USD (Costanza et al., 1997). 5 Énoncé lors d’un discours pour le National Forum on Biodiversity à Washington, D.C., le 21 septembre 1986. 22 Tableau 3.1. Valeur économique totale d’un écosystème Valeur d’utilisation directe Alimentation : viande, plantes, œufs, champignons, etc. Bois de chauffage Bois d’œuvre Plantes médicinales Nourriture pour bétail Valeur d’utilisation indirecte Contrôle des inondations Fertilité des sols Contrôle de la pollution Eau potable Transport Récréation et tourisme Éducation Contrôle des pestes Pollinisation Valeur optionnelle Produits futurs : Médecine Ressources génétiques Alimentation Matériau Sources d’eau Valeur d’existence Protection de la biodiversité Maintient de la culture de population locale Maintient des processus écologiques et évolutifs Inspiré de : Barbier, E.B. (1993) L’agriculture, la foresterie, l’horticulture, la conservation, l’aménagement et la gestion de l’environnement et l’étude de la biodiversité favorisent et dépendent de la compréhension des relations plantes-animaux (Price, 2002). Elles entrent dans la valeur d’utilisation directe, indirecte et en tant que valeur d’existence également. Tout d’abord, plusieurs de ces relations sont importantes en agro-alimentaire, comme le miel des abeilles et la pollinisation des arbres à fruits. La valeur des pollinisateurs a d’ailleurs été évaluée entre 120 et 200 milliards USD par année (Costanza et al., 1997; Kearns et al., 1998). La pollinisation, chez la plante, est l’étape reproductive où la technologie humaine est la moins en mesure de la remplacer. Cueillir et planter les graines ou favoriser la croissance avec des fertilisants sont maintenant des pratiques courantes, mais se substituer au travail des milliers d’individus pollinisateurs 23 d’un territoire donné est pratiquement impossible. Une immense valeur d’utilisation directe est celle des animaux dont nous nous nourrissons, qui pratiquent l’herbivorie et dépendent donc de la végétation. Plusieurs plantes sauvages qui ont un rôle écologique utile à l’humain (ex : réduction de l’érosion, utilisation récréative de la forêt, filtration des eaux de surface, etc.), donc une valeur d’utilisation indirecte, sont dispersées par zoochorie. Pour ce qui est de la valeur d’existence, si les gens veulent conserver des milieux dit naturels, i.e. des écosystèmes où l’influence humaine n’a pas de conséquences significatives, les relations plantes-animaux doivent essentiellement y être maintenues. Le MEA (2005) relie les services des écosystèmes à de nombreuses dimensions du bien-être humain, car c’est lorsque les gens se sentent concernés qu’ils sont plus portés d’agir. La perte de biodiversité affecte la sécurité alimentaire, la vulnérabilité aux désastres, la santé, l’énergie, la disponibilité en eau potable, les relations sociales, la liberté de choix et d’action et les besoins matériels de base. En plus des services environnementaux, il y a des arguments éthiques encourageant la recherche et éventuellement la conservation de la biodiversité. Premièrement, la nature possède une valeur intrinsèque (MEA, 2005). Cette valeur se définit différemment aux yeux de chacun d’entre nous, en fonction de nos valeurs et convictions personnelles et culturelles. C’est la valeur propre à la nature, sans aucune relation aux bénéfices que peut en retirer l’humain. On pourrait dire que le simple fait que la vie existe et qu’elle présente cette immense diversité suffit pour la protéger. Cette vision présente souvent une dimension religieuse et spirituelle. Comme autres arguments, il y a le droit d’exister de chaque espèce, l’interdépendance de toutes les formes de vie, la responsabilité de l’Homme comme gardien de la nature, le respect de ses semblables en ne détériorant pas leur environnement, la responsabilité envers les générations futures et la conviction de la compatibilité du bien-être humain et du respect de la biodiversité (Primack, 2002). Une autre motivation à l’étude du phénomène est les changements environnementaux auxquels nous faisons face et la relative urgence d’agir, du moins de ne pas rester les bras croisés. Le facteur anthropique impose une forte pression de sélection sur les interactions entre 24 les plantes et leurs partenaires herbivores et mutualistes (Thompson, 2002). Les changements dans la biodiversité, qui sont dus aux activités humaines, ont été plus rapides au cours des 50 dernières années qu’à tout autre moment de l’histoire humaine et les causes de ces changements sont constantes, elles ne présentent aucun signe de ralentissement ou encore elles sont en augmentation. Également, la taille ou la distribution de populations de diverses espèces animales diminuent (MEA, 2005). Les taux d’extinction actuels sont entre 36 et 78 fois plus élevés que le taux normal (celui-ci, en anglais background rate, serait le taux d’extinction estimé sans l’influence humaine et il est déterminé en utilisant les archives fossiles) (Regan et al., 2001). Le MEA (2005) l’évalue à 1000 fois plus élevé que le taux normal! Pour contrecarrer cette sinistre tendance, la population et surtout les décideurs doivent être bien informés. Cela passe par la recherche et la diffusion des résultats d’une façon claire et compréhensible. De nouvelles technologies, comme les traceurs isotopiques6 (Wang et al., 2004), permettent en outre d’ouvrir de nouvelles avenues dans l’étude des relations plante-animal. Malgré cela, Thompson (2002) affirme, en parlant de l’écologie et l’évolution des interactions entre plantes et animaux, que « […] nous n’en avons gratté que la surface » (voir le tableau 3.2). Il ajoute que leur compréhension reste un de nos plus importants impératifs si nous voulons soutenir la biosphère tout en répondant aux besoins des sociétés humaines. 6 Les isotopes sont des formes atomiques d’un même élément avec un comportement chimique presque similaire, mais ayant des masses et des propriétés physiques différentes. En introduisant des isotopes stables dans un milieu, il est possible de les repérer plus tard grâce à leur caractère particulier. Là où ils se retrouvent en grande quantité, il y a de fortes chances que la matière proviennent de la source administrée par l’expérimentateur. 25 Tableau 3.2. Six questions sur l’écologie et l’évolution des interactions plantes-animaux (P-A) à explorer dans le futur 1. Comment l’hybridation chez les plantes affecte-t-elle la structure géographique des interactions P-A et la diversification des espèces qui interagissent? 2. Comment la polyploïdie des plantes affecte-t-elle l’écologie et l’évolution des interactions P-A?7 3. Comment les symbiontes affectent-ils l’écologie et l’évolution des interactions P-A? 4. Quel lien écologique et évolutionnaire y a-t-il entre les maladies des plantes et les interactions P-A? 5. L’écologie et l’évolution des relations P-A sont-elles affectées par des patrons biogéographiques chez les défenses des plantes? 6. Comment les mutualismes P-A affectent-ils la biodiversité? Source : Thompson, J.N. (2002) 7 L’hybridation est le croisement d’espèces différentes et la polyploïdie est le statut d’une espèce dont les cellule contiennent plus de deux lots de chromosomes (le nombre « normal » chez les espèces à reproduction sexuée). Ces deux phénomènes sont plus communs chez les végétaux que chez les animaux. 26 Chapitre 4 La conservation En biologie, la conservation est une approche intégrée de protection et de gestion de la biodiversité qui utilise des principes et des observations provenant de disciplines en sciences biologiques (ex : génétique et écologie), en gestion des ressources naturelles (ex : foresterie et pêcheries) et en sciences sociales (ex : anthropologie, sociologie, philosophie et économie) (Meffe et Carroll, 1994). Soulé et al. (2003) considèrent qu’une des missions principales de la conservation est d’identifier et de restaurer les espèces qui interagissent fortement avec d’autres, d’où l’importance de l’étude des relations plantes-animaux. La première partie du chapitre traite des menaces qui affectent les relations plantes-animaux d’une façon claire, bien que souvent indirecte, et la seconde porte sur les mesures de conservation. La figure 4.1 présente schématiquement les concepts qui sont abordés dans ce chapitre. Figure 4.1. Schéma intégrant les relations plante-animal dans la préservation des écosystèmes, avec les menaces et les champs d’action. Les + et – représentent des effets positifs et négatifs selon un point de vue de conservation. 27 4.1. Menaces Les pressions que subissent les écosystèmes sont énormes et ont pratiquement toutes une origine anthropique et j’en prendrai pour preuve les taux d’extinction anormalement élevés dont nous sommes témoins à l’heure actuelle (Regan et al., 2001; MEA, 2005). 4.1.1. La perte d’habitat La perte d’habitat est sans doute une des menaces les plus frappantes. Comment ne pas réagir en voyant une coupe à blanc ou l’assèchement d’une rivière? La destruction est principalement due à l’utilisation du territoire à des fins agricoles et à l’urbanisation galopante. L’exploitation de ressources naturelles (bois, eau, minerai, etc.) et la pollution sont d’autres facteurs de dégradation des habitats. Certains pays ont perdu une quantité incroyable de leurs forêts originelles : 94% aux Philippines, 91% au Ghana, 90% dans les pays bordant la Méditerranée (World Resource Institute, 1998), tous des endroits où la densité de population est très forte. Les champs d’agriculture ou les forêts cultivées présentent souvent une diversité bien moindre et certains éléments qu’on retrouve dans les milieux naturels y sont absents (ex : les chicots dans les vieilles forêts, sont des arbres morts encore sur pied et sont des habitats en soi pour plusieurs espèces animales, surtout des insectes). La désertification, forme extrême de dégradation, se produit dans les climats arides, où des pratiques écologiquement non-durables d’agriculture entraînent une dégradation des sols et une disparition des communautés biologiques, pour laisser la place à un désert improductif (à ne pas confondre avec des écosystèmes désertiques possédant des communautés stables et fonctionnelles). Il ne faut pas oublier que des causes naturelles comme le feux, les inondations ou le vent, plus rares et ponctuelles, peuvent aussi détruire les habitats. 28 4.1.2. La fragmentation Un autre aspect du même problème est la fragmentation des habitats. Dans ces cas, l’aire perdue peut être relativement faible mais lézarde la superficie totale de l’habitat, créant des sections plus ou moins isolées les unes des autres, comme par exemple, une route traversant un parc national ou un barrage coupant la rivière entre deux lacs. Selon le type d’obstacle, ce sont des espèces animales ou végétales qui ne peuvent plus se déplacer et se disperser d’un fragment à l’autre. Cet impact est particulièrement crucial pour les relations plantes-animaux du fait que les animaux disperseurs n’ont plus la même capacité de transporter les graines dans de nouveaux habitats à coloniser par les plantes. Les ressources alimentaires peuvent aussi venir à manquer dans une superficie limitée. Ces fragments supportent de plus petites populations, végétales et animales, qui sont plus vulnérables à l’extinction. En plus s’ajoute l’effet de bordure. La communauté diffère selon que l’on observe la portion de l’habitat qui est près de la bordure du fragment ou en son centre. Les conditions de lumière, d’humidité, de température et de vent y sont différentes. La composition floristique également. Certains animaux ont besoin d’un certain type de végétation que l’on retrouve uniquement dans le centre des fragments. Plus les fragments sont petits, plus l’effet de bordure se développe au détriment des portions centrales, qui correspondent aux habitats non perturbés, et plus ces animaux en souffrent (Primack, 2002). La fragmentation est également une des menaces sérieuses aux relations plantes-pollinisateurs (Kearns et al., 1998; Spira, 2001; Aguilar et al., 2006). Buchmann et Nabhan clamaient déjà en 1996 qu’il y avait une « crise de la pollinisation », à la vue de l’interruption de certains systèmes de pollinisation et de la baisse de populations de certains pollinisateurs. Les populations à faible densité de nombreuses espèces rares, recevront moins de visites de pollinisateurs, ce qui mènera à une plus faible production de graines, à un plus grand taux 29 d’auto-pollinisation et à de la dépression de consanguinité8. La réponse des insectes à la fragmentation est encore mal connue (Didham et al., 1996) et je n’ai trouvé qu’une seule une étude, sur les colibris (Stouffer et Bierregaard, 1995), démontrant que ceux-ci possédaient une grande plasticité et semblaient donc moins affectés par la fragmentation. 4.1.3. La surexploitation La surexploitation, comme le nom le laisse entendre, est une exploitation des ressources excessive qui n’est pas viable écologiquement. On peut penser à la chasse, la pêche et la coupe forestière. Une erreur de perception qui perdura longtemps est qu’une ressource renouvelable est synonyme d’inépuisable. Pourtant, même les ressources biologiques, renouvelables, peuvent être surexploitées. La réduction, voire la disparition d’une population ou d’une espèce entière risque de rompre de nombreuses relations plantes-animaux et est très difficile à renverser. 4.1.4. Les espèces envahissantes L’introduction d’espèces exotiques est une autre menace. Celles-ci ont le potentiel, si les conditions leur sont favorables, de devenir des espèces envahissantes. Une espèce envahissante est, par définition, toute espèce exotique dont l'implantation et la prolifération constituent une menace de dommages écologiques ou économiques. Par compétition ou prédation, l’envahisseur nuira aux espèces indigènes et, encore ici, les interactions biotiques originelles seront bouleversées (Spira, 2001; Primack, 2002). Par exemple, des plantes introduites peuvent attirer les pollinisateurs aux dépends des espèces indigènes, avec des effets encore inconnus sur la biologie de la pollinisation de ces dernières (Parker, 1997). 8 Réduction du fitness due à de la reproduction entre individus apparentés. Cela s’explique surtout par les chances accrues de produire une descendances homozygotes portant des allèles récessifs délétères qu’auraient en commun les deux individus apparentés. 30 Sans être composé d’espèces envahissantes comme on l’entend d’habitude, le bétail et les animaux domestiques sont en quelque sorte un ajout artificiel à l’écosystème. Les vaches, moutons, chevaux, etc. peuvent faire compétition à des espèces d’herbivores indigènes voire aux pollinisateurs. Dans une étude du broutage par les moutons, Sugden (1985) a observé la destruction de nids d’insectes, la perte de nourriture pour les pollinisateurs et l’écrasement direct d’abeilles. En plus, pour les supporter, de grandes surfaces doivent être transformées et maintenues en pâturages et en champs. 4.1.5. La pollution L’agriculture moderne, l’industrie et le mode de consommation des humains a fait entrer dans l’environnement une quantité phénoménale de polluants. Les organismes absorbent les substances toxiques en ingérant leurs nutriments, en respirant ou par contact. Ils en métabolisent et en excrètent certaines mais en accumulent d’autres dans leurs tissus ou pire, meurent empoisonnés. Les fertilisants chimiques et divers pesticides peuvent fortement nuire à des espèces non-visées comme les insectes pollinisateurs (Kearns et al., 1998; Spira, 2001). Les changements climatiques, causés par les gaz à effet de serre qui émanent principalement de la pollution des industries et du transport, risquent d’exacerber la perte de biodiversité et augmenter le risque d’extinction de plusieurs espèces (MEA, 2005). En considérant que des espèces auront des aires de distribution modifiées par le réchauffement climatique, il est fort possible que des associations plantes-animaux seront rompues par le déplacement géographique d’un des deux acteurs. Par exemple, Humphries et al., (2002) ont utilisé un modèle prenant en compte les changements climatiques qui leur permet de prédire que dans les 80 prochaines années, il y aura un déplacement prononcé vers le nord des populations d’une espèce de chauve-souris (Myotis lucifugus) en Amérique du Nord. 31 4.2. Mesures de protection Cette section n’est pas une liste exhaustive mais une vue générale des approches possibles en conservation. La plupart de ces mesures prennent en considération l’intérêt à maintenir les interactions caractérisant les communautés, dont les relations plantes-animaux. Les mesures concrètes de protection et conservation associées aux aires protégées (section 4.2.1) semblent plus appropriées dans cette optique, mais c’est souvent aux niveaux économique et sociale que l’on trouve les causes indirectes de la dégradation des écosystèmes. Jusqu’à maintenant, les interactions interspécifiques n’ont pas, ou ont très peu, été prises en compte dans les lois et règlements relatifs à la conservation (Soulé et al., 2003). 4.2.1. Aires protégées et restauration Selon Primack (2002), protéger les habitats contenant des communautés intactes et en santé est la méthode la plus efficace pour conserver la diversité biologique. Il y a déjà plusieurs années que l’approche par espèce cible évolue vers des efforts ciblant l’habitat, l’écosystème ou la région. Cette approche permet de conserver la diversité des relations caractérisant un milieu, et donc les relations plantes-animaux (Spira, 2001; MEA, 2005). Actuellement, il existe plus de 100 000 aires protégées dans le monde, dont seulement 3459 sont marines. Elles totalisent 6,1% de la surface terrestre (World Resource Institute, 2004). Il y a trois critères généraux pour établir une aire protégée (Primack, 2002). Bien que ce ne soit pas des conditions essentielles ni même les seules, elles permettent d’allier les moyens et les efforts avec la volonté de conservation. Premièrement, l’aire doit être distincte, c’est-à-dire qu’il doit y avoir un haut niveau d’endémicité ou alors un ou des caractères uniques. Deuxièmement, les communautés qui seront incluses dans l’aire protégée doivent être vulnérables. Il peut s’agir de celles-là mêmes qui seront protégées ou d’un « échantillon » d’un type d’habitat globalement menacé. Troisièmement, plus la valeur est grande, plus l’acceptation et l’implantation en sera facilitée. Cela exclut bien sûr la valeur d’utilisation 32 directe, mais on peut facilement penser comme exemple de valeur à la villégiature qui s’est développée dans et autour des parcs nationaux québécois. Kearns et al. (1998) et Soulé et al. (2003) mettent les interactions spécifiques à l’avant-plan des efforts de conservation. Selon eux, il faudrait d’abord établir les aires protégées afin qu’elles permettent de maintenir, rétablir ou restaurer les interactions des espèces clés. Ensuite, il faudrait maintenir une densité fonctionnelle de ces dites espèces pour qu’elles puissent bien assumer leurs rôles. Le premier principe énoncé par Meffe et Carroll (1994) pour une bonne gestion en conservation est le maintien de ces processus écologiques critiques. Encore faut-il les connaître et bien en comprendre le fonctionnement. La restauration d’habitats est maintenant commune dans plusieurs pays et son importance devrait aller en croissant. Cependant, ces activités sont beaucoup plus coûteuses que la protection de l’écosystème originel et il est rare que toute la biodiversité et les services environnementaux puissent en être restaurés (MEA, 2005). 4.2.2. Conservation ex-situ et réintroduction Le terme conservation ex-situ s’applique aux actions de conservation qui prennent place en dehors de l’habitat naturel de l’espèce. Elle se déroule dans les zoos, aquariums, jardins botaniques, serres et banques de graines. Ces efforts mènent idéalement mais rarement à la réintroduction de l’espèce ciblée, en utilisant des individus nés en captivité ou capturés dans une autre population. Il s’agit d’un processus coûteux, long et très compliqué (Primack, 2002). Un des grands problèmes, dans le cas des animaux, est leur comportement qui diffère selon qu’un individu est né en captivité ou en milieu naturel (Clemons et Buchholz, 1997). Contrairement aux aires protégées, la conservation ex-situ tient très peu compte des interactions biologiques. Les efforts sont habituellement concentrés sur une espèce en particulier et l’humain vient palier à tous les manques causés par l’absence des espèces 33 « associatives » auxquelles l’espèce serait liée en nature, ce qui est une cause du coût et de la difficulté élevés de cette approche. 4.2.3. Mesures économiques En ce qui concerne l’économie, une des voies à suivre est l’attribution d’une valeur aux services environnementaux. Le coût des dommages environnementaux, la déplétion des ressources et la valeur future des ressources ont trop souvent été ignorés (Davidson, 2000). Cela permettrait de faire des analyses coûts-bénéfices plus précises et tenant en compte davantage de facteurs affectant la qualité de vie et l’environnement. Cela permet aussi l’ouverture d’un marché pour la biodiversité et les services environnementaux (MEA, 2005). Par exemple, un propriétaire terrien situé dans une partie critique d’un bassin versant sera payé pour en conserver la propreté et l’intégrité. Un autre exemple est le marché du carbone dans le cadre du Protocole de Kyoto, qui peut profiter à l’État possédant des forêts qui captent du CO2 (quoique le rôle de puits par les plantes est loin d’être clair9). L’attribution d’une valeur monétaire aux services des écosystèmes n’est pas une nouvelle idée, mais dans sa forme actuelle, ce principe est davantage une source d’iniquité que de partage juste des richesses naturelles. L’intégration des externalités dans le coût des produits reflète davantage la réalité et est, selon moi, une façon plus équitable de calculer. Les externalités sont des coûts ou bénéfices qui affectent des gens, ou l’environnement, et qui ne sont pas impliqués dans un échange commercial (Primack, 2002). Par exemple, les déchets produits n’affectent ni le producteur, ni le vendeur, ni le consommateur, mais plutôt les personnes vivant dans le milieu dégradé par la présence des déchets. Si les gens ou les organisations doivent payer pour les conséquences de leurs actions, ils seront beaucoup plus enclins à limiter leurs dommages à l’environnement (Repetto, 1992). Parmi les mesures concrètes on inclut les taxes à la pollution, des coûts plus élevés pour l’utilisation des ressources (eau, électricité, etc.), la 9 Dans un article récent sur le sujet (Hopkin 2007), la capacité des forêts et zones marécageuses d’absorber le carbone serait fortement réduite par les dommages causés aux feuilles par les concentrations élevées d’ozone. L’auteur croit peu probable qu’une expansion de ces écosystèmes suffisent à compenser les émissions grandissantes de CO2. 34 conservation d’un territoire en compensation de l’exploitation d’un autre, etc. (Primack, 2002). La répartition équitable des revenus provenant de l’utilisation des ressources naturelles doit être mise de l’avant. Premièrement sur le plan moral, il est à mon avis inacceptable qu’un nombre limité de personne, ou de nations, s’enrichissent à partir d’une ressource qui, fondamentalement, n’appartient à personne. Actuellement, les groupes les plus aisés sont moins affectés par la dégradation de la biodiversité (MEA, 2005). Également, pour une plus grande équité dans les activités économiques, le MEA (2005) prône l’élimination des subventions protectionnistes des pays riches, qui résultent en des pratiques de surexploitation nuisibles dans ces pays et réduisent la profitabilité de l’agriculture dans les pays pauvres. 4.2.4. Mesures sociales Bien que le souci de l’environnement et la conviction de la nécessité de protéger les écosystèmes se développent et dépassent les milieux écologistes, la société possède encore des lacunes qu’il est possible de régler, certaines facilement, d’autres qui nécessiteront des sacrifices et des compromis. Il y a selon moi trois avenues dans ce cas-ci. La première est le changement des mentalités. Souvent, les torts causés à l’environnement sont simplement attribuables à l’ignorance. Le mode de consommation excessif d’un citoyen de pays industrialisé et la vision « profit centriste » des compagnies et gouvernements peuvent être modifiées ou à tout le moins influencées. Ce n’est seulement qu’avec une prise de conscience accrue et un support grandissant du public que les gouvernements et le secteur privé mettront de l’avant les durs efforts nécessaires. Cela se fait via l’éducation, la sensibilisation et la communication. La deuxième avenue est l’assistance aux populations afin de combler leurs besoins de façon durable. Par cette affirmation, je ne vise pas seulement les populations pauvres souffrant de graves déficiences au niveau des besoins vitaux, mais aussi toute personne n’ayant pas les 35 moyens ou la volonté de modifier sa façon de faire les choses. Par exemple, la modification des pratiques agricoles ne se fait pas sans heurts. Il faut que l’agriculteur, que ce soit pour sa subsistance ou une production commerciale, ait les outils (connaissances, technologies, argent, soutien des gouvernements et de la communauté) et une certaine assurance que son rendement ne sera pas affecté par les changements. Aussi, la prise en compte des besoins et l’implication des communautés locales est grandement souhaitable, particulièrement pour de nombreuses communautés indigènes qui vivent souvent en relation étroite avec leur écosystème dans de nombreuses sphères de leurs activités. L’établissement de coopératives, le microcrédit, l’assistance technique dans le cadre de programme d’aide internationale, les initiatives en éducation, les stages de formation sont autant de moyens d’amorcer des changements vers une gestion durable des ressources. La troisième voie est la coercition par l’imposition de lois et règlements. En plus de forcer la main aux récalcitrants, l’imposition de règles applicables à tous offre l’avantage que tous sont équitablement « pénalisés ». La réticence à faire des changements vient souvent de la perte de compétitivité face aux autres qui conserveraient les pratiques établies, plus productives mais moins durables. Bien que ce soit une imposition, cela permet souvent d’en arriver à des ententes consensuelles (ex. Protocole de Kyoto). Aussi, il faudrait que des procédures établies rendent l’évaluation des impacts environnementaux une opération systématique et obligatoire afin d’éviter des impacts irréversibles et inutilement coûteux. 4.2.5. Coopération Vu la diversité des menaces et des moyens d’action ainsi que le nombre d’intérêts divergents en jeu, il est difficile de trouver des terrains d’entente. Régler des problèmes qui n’ont pas de frontières et mettre en pratique des mesures de conservation efficaces doivent essentiellement reposer sur la coopération. Cela se passe soit au sein de la communauté entre les individus, dans le pays entre les industries, les citoyens et la classe politique ou au niveau international 36 entre les États, les OIG et ONG10. La transparence et la responsabilité des États envers leur citoyens s’avère primordiale pour régler des problèmes, non seulement en matière d’environnement, mais dans tout ce qui interpelle la société civile (éducation, démocratie, santé, droit de la personne, etc.). Entre États, le droit international se base essentiellement sur le bon vouloir des parties, donc la coopération. Des structures internationales, pensons avant tout à l’Organisation des Nations Unies (ONU), offrent un forum international pour discuter et faciliter la concertation. Un des organes de l’ONU est le Programme des Nations Unies sur l’Environnement (PNUE) qui cherche à aider les États et les populations à acquérir des connaissances, développer des stratégies, renforcer les institutions et encourager la coopération en matière d’environnement. Les traités et accords entre États sont la plupart du temps non contraignants : la signature et la ratification de ceux-ci n’impliquent souvent rien de plus qu’une obligation morale et une contribution financière pour son application. Cela fait que le succès des efforts au niveau international repose plus souvent qu’autrement sur la coopération et la bonne foi des parties (les pays signataires par exemple). Aussi, il faut une coordination entre les accords et institutions environnementaux, économiques et sociaux, pour éviter qu’ils travaillent les uns contre les autres (MEA, 2005). La convention sur la diversité biologique (CDB) est un bon exemple de traité international en matière d’environnement. Elle vise la conservation de la biodiversité, l’utilisation durable de celle-ci et un partage juste et équitable des bénéfices des ressources génétiques. « L’initiative internationale pour la conservation et l’utilisation durable des pollinisateurs », est un superbe exemple de la prise en considération des relations plantes-animaux par la CDB. Considérant l’urgence de porter attention à la baisse de diversité des pollinisateurs à travers le monde, les Parties, avec recommandation d’experts scientifiques et techniques, ont établi cette initiative qui promeut quatre objectifs : « i) Monitor pollinator decline, its causes and its impact on pollination service; ii) Address the lack of taxonomic information on pollinators; iii) Assess the 10 Les organisations intergouvernementales (OIG) et les organisations non-gouvernementales (ONG) sont des sujets largement reconnus en droit international, mais ne possédant pas le même statut que les États. 37 economic value of pollination and the economic impact of the decline of pollination services; iv) Promote the conservation and the restoration and sustainable use of pollinator diversity ion agriculture and related ecosystems. »11 (CDB, 2005) 11 i) Surveiller le déclin des pollinisateurs, ses causes et ses impacts sur les services fournis par la pollinisation; ii) S’occuper du manque d’information taxonomique; iii) Évaluer la valeur économique et l’impact économique du déclin des services fournis par la pollinisation; iv) Promouvoir la conservation, la restauration et l’utilisation durable de la diversité des pollinisateurs en agriculture et dans les écosystèmes connexes. (Traduction libre) 38 Chapitre 5 Étude de cas : la forêt tropicale Atlantique du Brésil Au Brésil, le long de l’océan Atlantique se situe la forêt néotropicale du même nom. Sa distribution originelle s’étendait de la pointe nord-est du Brésil jusqu’en Argentine et au Paraguay (entre les latitudes 4° et 32° sud) (figure 5.1). Elle allait de la côte jusqu’à 500 km dans les terres et à plus de 2900 m d’altitude. Malheureusement il ne reste à ce jour que 7% de l’aire de distribution originelle, le plus souvent sous forme de parcelles isolées dont certaines ne dépassent pas les trois hectares (Myers et al., 2000). Cette importante diminution repose sur des causes anthropologiques historiques et actuelles : récolte (de bois d’œuvre, de bois de chauffage, du caoutchouc), plantations agricoles (cannes à sucre pour une grande part) et forestières, élevage bovin, exploitation minière, culture du café, développement industriel et urbanisation. Figure 5.1. Distribution originelle de la forêt Atlantique en Amérique du Sud (gauche). Situation actuelle dans quatre États brésiliens, à l’extrémité nord-est de la forêt Atlantique (droite) Source : CI (2003) et Uchôa Neto et Tabarelli (2002) 39 La Mata Atlântica (nom portugais du biome) est un des 25 points chauds de la biodiversité dans le monde selon Conservation International (CI)12. Cela ne surprend pas considérant qu’on y retrouve 20 000 espèces de plantes et 2315 espèces de vertébrés, dont plusieurs sont menacées (tableau 5.1). Le taux d’endémicité (espèces uniques à un seul endroit) s’élève à 40% (dont 8000 espèces de plantes) et elle héberge 171 espèces animales menacées à différents degrés. Une espèce connue est maintenant éteinte à l’état sauvage (un gros oiseau frugivore, Crax mitu) (CI, 2003). Primack (2002) écrit qu’il s’agit d’un endroit où les chances de trouver des espèces « mortes-vivantes » sont grandes. Il désigne par ce terme des espèce qui ne sont pas encore éteintes, mais dont la situation actuelle et les tendances observées laissent croire qu’elles sont vouées à disparaître (en somme, des espèces fortement menacées d’extinction). Tableau 5.1. Nombre d’espèces menacées par classe de vertébrés terrestres dans la forêt Atlantique du Brésil Espèces Espèces présentes mais endémiques non-endémiques Amphibiens 16 431 Oiseaux 79 909 Mammifères 38 264 Reptiles 15 321 Ordre Source : CI (2003) En matière de services des écosystèmes, la forêt Atlantique est une véritable mine d’or (on en retrouvait d’ailleurs plusieurs du 16e au 18e siècle). Si on se réfère au tableau 3.1, on peut 12 Conservation International est une ONG vouée à la conservation. Une de leurs initiatives est de déterminer les endroits prioritaires pour la conservation dans le monde selon la biodiversité qui s’y retrouve. Ces écosystèmes menacés sont nommés points chauds de la biodiversité (biodiversity hotspots). 40 trouver plusieurs éléments de grandes valeurs dans cet écosystème. Cette région est riche en ressources naturelles, tel que les minerais et bien sûr les arbres pour la production de bois. Elle fournit directement de la nourriture via la récolte des fruits et la chasse de subsistance pratiquée par certaines communautés. On y trouve un énorme potentiel en ressource génétique pour des applications dans le domaine pharmaceutique entre autre. Elle a un effet de régulation du climat en absorbant la chaleur, en captant des gaz à effet de serre et en régulant l’humidité, bien que sa réduction dramatique altère sérieusement ces attributs. La forêt maintien les cycles des nutriments et de l’eau et assurent ainsi la régénération de l’écosystème et un approvisionnement durable en eau douce, crucial à l’agriculture plus intensive qui a pris la place de la forêt originelle. Sans oublier que c’est un écosystème exceptionnel qui devrait être une source de fierté pour le peuple brésilien, alors que pour l’instant il est quelque peu négligé. Comme dans toute forêt tropicale, on y retrouve une quantité phénoménale d’interactions biotiques d’une grande importance. Il s’agit probablement d’un des écosystèmes du monde où les relations plantes-animaux sont les plus abondantes. Chez les plantes tropicales, presque toute les étapes de la reproduction impliquent des interactions directes avec les animaux. Dans le paragraphe suivant, je présente des exemples de relations et d’études ayant été réalisées dans la forêt Atlantique. La recherche scientifique dans ce biome est récente, comme vous remarquerez avec les dates de publication. La pollinisation y est assurée par les trois grands groupes de pollinisateurs : insectes (Ramos et Santos, 2006), oiseaux (Buzato et al., 2000) et chauves-souris (Sazima et al., 1999). Ce mécanisme de transport du pollen sur de longues distances est particulièrement important en forêt humide tropicale car les populations végétales sont peu denses et les individus d’une même espèce sont éloignés les uns des autres. Bawa (1990) estime que 98 à 99% des plantes à fleurs des forêts tropicales humides sont pollinisées par les animaux. On y retrouve des associations entre plantes et fourmis : ces dernières se nourrisant de graines tombées au sol (Pizo et Oliveira, 2000), coupant le feuillage des plantes afin d’y faire la culture de 41 champignons dont elles se nourrissent (Correa et al., 2005) ou vivant en symbiose avec des plantes (particulièrement les Cecropia) en leur offrant de la protection (Rocha et Bergallo, 1992). La forêt Atlantique regorge également d’insectes herbivores (Barbosa et al., 2005). On y retrouve des oiseaux et des mammifères folivores, frugivores ou granivores (Chiarello, 1994; Chiarello, 2000; Galetti et al., 2000; Pizo, 2004; Carvalho et al., 2005). Les oiseaux (toucans et manakins entre autres) et les mammifères (singes, tapirs, pécaris, rongeurs, oppossums, chauves-souris et quelques membres de l’ordre des carnivores comme le coati) effectuent la dispersion des graines. D’après Silva et Tabarelli (2001), approximativement 34% des plantes ligneuses risquent rien de moins que l’extinction dans le nord de la Mata Atlântica à cause de l’interruption du processus de dispersion. La prédation des graines par les granivores est un facteur important de maintien de la biodiversité de la communauté végétale dans les forêts tropicales. Cela s’explique par quatre mécanismes : la préférence de certains types de graines par le prédateur; la sélection des graines les plus fréquemment rencontrées, ce qui libère des niches pour les espèces plus rares; le fait que différents prédateurs préfèrent différentes graines dans des micro habitats différents, ce qui mène à une grande variété d’espèces consommées; et la prédation plus grande près du plant-mère et où la densité de graines est plus élevée, ce qui évite l’apparition de bosquets monospécifiques (Hulme et Benkman, 2002). Les auteurs avertissent toutefois que les preuves expérimentales de ces mécanismes sont peu nombreuses pour le moment. 42 Figure 5.2. Fragments de forêt Atlantique sur les collines d’une plantation de canne à sucre. Source : photo personnelle La fragmentation résultant de la modification du territoire est un problème répandu partout sur la planète mais particulièrement grave dans la forêt Atlantique (figure 5.2). Malgré le fait que la forêt Atlantique du Brésil contienne de nombreuses aires protégées, la majorité sont trop petites (<100 km2) pour assurer la survie à long terme de nombreuses espèces (Silva et Tabarelli, 2000). Et pour l’instant il n’existe pas de corridors écologiques permettant les mouvements entre fragments, ce qui pourrait compenser en partie pour la perte d'habitat en offrant aux animaux l'accès à plusieurs fragments. Cette fragmentation (qui entraîne la perte d’habitat, l’effet de bordure, l’isolement des populations et la réduction des populations sous le minimum viable), à laquelle s’ajoute la chasse, mène à la disparition des populations de grands vertébrés (Viana et Tabanez, 1996; Uchôa Neto et Tabarelli, 2002). Dans l’état brésilien du Pernambuco, l’absence de grands vertébrés frugivores est maintenant un fait établi, même dans les aires protégées de la forêt Atlantique (Tabarelli, 1998). Ces disparitions d’espèces animales, au risque de me répéter, affectent des processus clés comme la pollinisation et la dispersion. Des populations de plantes, voire des espèces végétales entières, souffrent de la disparition de leurs vecteurs animaux dans la dispersion de leurs graines, 43 phénomène qui a déjà été historiquement observé (répertorié dans Willson, 1992). À l’heure actuelle, une grande partie des palmiers de la forêt Atlantique risque l’extinction au niveau régional car la fragmentation et la perte de faune nuisent à la dispersion par les rongeurs qui cachent les graines (comportement de synzoochorie) (Galetti et al., 2006). Le cas déjà inquiétant de la forêt Atlantique est aggravé par un manque de ressources humaines et financières, des conflits avec les populations indigènes et le fait qu’une grande part de ce qui en reste se trouve sur des propriétés privées, dont les propriétaires n’ont pas nécessairement la conservation comme priorité (Tabarelli et al., 2005). Selon les mêmes auteurs, malgré l’augmentation considérable des initiatives de conservation dans les dernières décennies, elles sont encore insuffisantes pour assurer la conservation de la biodiversité de la forêt Atlantique. Selon Tabarelli et al. (2005), une stratégie intégrée adaptée à cet écosystème devrait suivre cinq principes : i) on doit penser les actions en fonction de frontières naturelles et non de frontières politiques; ii) une collaboration totale entre les agences gouvernementales et leurs partenaires (universités, centres de recherche, ONG) est vitale; iii) de larges corridors de conservation devraient faire partie d’un système plus élaboré d’aires protégées; iv) les forêts galeries, bordant les cours d’eau, doivent être restaurées pour assurer la connectivité et protéger les ressources en eau de la région; v) un suivi des mesures utilisant les meilleurs outils biologiques, sociaux et économiques permettra de s’assurer que les ressources sont bien gérées. À cela il faudrait ajouter une volonté d’agir de la part des autorités, à tous les niveaux. Selon plusieurs écologistes brésiliens, le pays possède d’excellentes lois en matière d’environnement, mais le fonctionnement des institutions publiques (la corruption est encore un problème sérieux au Brésil), autant au niveau national que municipal, ne permet pas leur application efficace. Pour insuffler cette volonté, l’éducation et la sensibilisation du public et des dirigeants est sans doute l’arme la plus puissante des conservationnistes. 44 Considérant à quel point les processus biologiques ont été altérés dans cet écosystème – et les relations plantes-animaux sont particulièrement affectées – l’avenir de la forêt Atlantique n’est pas rose. Tous les efforts de conservation, sans douter de la bonne volonté de ceux qui les mettent en oeuvre, risquent d’être insuffisants pour contrecarrer les modifications majeures qu’elle subit depuis des décennies. Il suffit de voir de ses propres yeux à quoi ressemble un écosystème dont il ne reste que 7 % de la superficie originelle, éparpillé dans une mer de canne à sucre, pour se convaincre qu’elle ne retrouvera pas l’état sauvage et luxuriant d’antan. Cependant, bien qu’il soit improbable de revenir à l’état originelle de la forêt, elle possède encore tout de même une valeur énorme, qui justifie les efforts investis, que ce soit pour l’étude du milieu ou pour agir concrètement dans une optique de conservation et d’utilisation durable des ressources. La forêt Atlantique du Brésil est un triste exemple de développement non durable et d’épouvantable perte d’habitat. Dorénavant, l’objectif devrait être d’en faire un modèle de gestion durable et de réhabilitation des écosystèmes. 45 Conclusion Les objectifs de cet essai étaient multiples. Avant tout, montrer la diversité et l’originalité des relations plante-animal dans des écosystèmes différents. Les processus biologiques sont peutêtre difficiles à étudier, mais ils présentent une intrigante complexité et nous réservent toujours plus de surprises. Le temps et le processus de l’évolution ont façonné des systèmes dont les scientifiques cherchent encore à discerner les rouages et comprendre le fonctionnement. Bien que n’ayant pas de forme physique, les interactions plante-animal existent bel et bien et sont essentielles au fonctionnement de la biosphère. Aucun organisme ne pourrait vivre sans maintenir une forme ou une autre d’interaction. Les relations plante-animal sont elles mêmes modelées par l’écologie et l’évolution et entretiennent les espèces, populations, communautés et écosystèmes. Il faut aussi comprendre que la biodiversité, celle dont se fait l’apologie à grand coup de conférences, de publications et de marketing, n’est pas seulement une addition de gènes, d’espèces ou d’écosystèmes, mais qu’on y retrouve aussi une diversité de relations. Le maintien de la nature telle qu’on la connaît, ou plutôt telle qu’on l’idéalise, repose sur cette diversité à plusieurs niveaux. Cette biodiversité dont la valeur nous apparaît de plus en plus grande au fur et à mesure que nous y prêtons attention. C’est pourquoi il est important de prendre connaissance des menaces et des moyens à prendre pour les contrer. Et d’utiliser nos expériences passées d’une manière constructive, de façon à répéter nos bons coups et éviter pour de bon nos erreurs. Des exemples comme la forêt Atlantique illustrent le dangereux paradoxe des relations plantes-animaux dans une optique de conservation. La détérioration des écosystèmes, principalement de cause anthropique, dégrade le tissu des relations plantesanimaux, qui est lui-même un élément important de la biodiversité et la résilience des écosystèmes. Rester les bras croisés est une menace à la biodiversité et la valeur des écosystèmes diminuera et ni l’être humain, ni la Nature n’en sortira gagnant. 46 Références Aguilar, R., Ashworth, L., Galetto, L. and Aizen, M.A. (2006). Plant reproductive susceptibility to habitat fragmentation: review and synthesis through a meta-analysis. Ecology Letters 9, 968-980. Altringham, J.D. (1999). Bats : Biology and Behaviour. (Oxford: Oxford University Press). Association francophone pour le savoir. (1998). Pour un meilleur financement de la recherche fondamentale. Communiqué. Balgooyen, C.P. and Waller, D.M. (1995). The use of Clintonia borealis and other indicators to gauge impacts of white-tailed deer on plant communities in northern Wisconsin. Natural Areas Journal 15, 308-318. Balvanera, P., Pfisterer, A.B., Buchmann, N., He, J.S., Nakashizuka, T., Raffaelli, D. and Schmid, B. (2006). Quantifying the evidence for biodiversity effects on ecosystem functioning and services. 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