Diabète et dépression Diabetes and depression »

Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 9 - novembre 2012
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Mise au point
Diabète et dépression
Diabetes and depression
Philippe Courtet*
© La Lettre du Psychiatre
2011(VII);3:88-91.
* Département d’urgence
et de posturgence
psychiatrique, hôpital
Lapeyronie, CHRU de
Montpellier.
Points forts
Highlights
»Si les relations entre dépression et diabète sont étroites, et non
univoques, leur comorbidité reçoit un pronostic péjoratif.
»
La dépression ne doit pas être considérée comme une souffrance
normale chez un patient présentant une maladie chronique.
»
Informer les patients et leur famille du risque dépressif et dépister
la dépression de façon régulière doit aider à mieux diagnostiquer
les patients.
»
Le traitement adéquat de la dépression est bénéfique pour la
dépression elle-même mais aussi pour le contrôle glycémique.
»Les soins collaboratifs sont sûrement une voie d’avenir pour la
prise en charge des patients présentant des maladies chroniques
comorbides.
Mots-clés : Diabète – Dépression – Soins collaboratifs – Dépistage
– Information.
Depression and diabetes are strongly related with bidirectional
links and when together they are associated with a poor
prognosis of both disorders.
Depression should not be considered as a normal suffering
in patients presenting a chronic illness.
Informing patients and their family about the depressive risk
and a regular screening of depression would be helpful to
diagnose the disorder earlier and better in diabetic patients.
The adequate treatment of depression would be beneficial
for both depressive disorder and glycaemic control.
Collaborative care for patients presenting chronic medical
illness and depression represent a promising strategy.
Keywords: Diabetes – Depression – Collaborative care –
Screening – Information.
L
e diabète comme la dépression sont des patholo-
gies fréquentes, dont le retentissement sur la vie
des individus est important. La fréquence de leur
association nest pas fortuite, comme nous le verrons,
et cette comorbidité affecte le pronostic de chacune
d’entre elles. Ainsi, dans un article issu d’un numéro
spécial du Lancet de 2007 consacré aux comorbidités
entre pathologies somatiques chroniques et dépression,
S. Moussavi et al. indiquent que le diabète est l’affection
somatique qui altère le plus la santé des patients par
comparaison avec l’asthme, les coronaropathies et les
arthrites, et que cet effet est encore pire en présence
d’une dépression (1).
Le diabète est l’une des maladies chroniques les plus
fréquentes. Il touche en France environ 3 millions de
personnes (plus de 100 000 nouveaux patients chaque
année), le diabète de type 1 représentant 10 % des cas.
La dépression connaît une prévalence sur l’année de
8 % (3,5 millions de Français).
Nous allons tenter d’apporter des informations afin de
comprendre pourquoi 1 patient diabétique sur 4 est
déprimé (quelle direction a cette association ? quels
en sont les mécanismes ?), avant d’envisager les consé-
quences de la comorbidité et, enfin, de nous poser cette
question cruciale : comment permettre à ces patients
d’avoir droit aux traitements efficaces ?
Le diabète majore le risque de dépression
La symptomatologie dépressive concerne 20 à 60 %
des diabétiques, selon les études.
Environ 30 % des diabétiques, et ce indépendamment
du type de diabète, présentent un diagnostic d’épisode
dépressif majeur (EDM) au cours de leur vie. Les nom-
breuses études de prévalence de la dépression chez les
diabétiques montrent toutes qu’elle est plus importante
chez les diabétiques que chez les non-diabétiques.
Le diabète majore le risque de dépression puisque,
selon plusieurs méta-analyses et revues systématiques
réalisées au cours de ces dernières années, le risque
de développer une dépression est 2,9 fois plus élevé
chez les patients diabétiques (quel que soit le type, 1
ou 2, du diabète) que chez les non-diabétiques (2, 3).
Chez les patients souffrant d’un diabète de type 2, le risque
de dépression est multiplié par 1,7, ce risque relatif étant
de 1,9 chez les hommes et de 1,2 chez les femmes (2).
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La méthode de diagnostic de la dépression pourrait
influencer ces résultats, puisque l’on observe que le risque
de dépression nest pas augmenté lors de l’utilisation d’un
entretien standardisé, alors qu’il l’est lorsque le diagnostic
est fait par le médecin ou au moyen d’autoévaluations.
Quel lien temporel ?
Le moment de la survenue d’une dépression diffère
selon le type de diabète : chez les diabétiques de type 1,
la dépression survient, dans la majorité des cas, après le
début du diabète (à un âge moyen de 22 ans) alors que
chez les patients diabétiques de type 2, la dépression
débute le plus souvent avant le diabète (âge moyen de
début de 28 ans). En pratique, il faudra être plus vigilant
au cours de 3 périodes, lors desquelles le patient est
plus sensible à l’apparition d’une dépression :
découverte de complications chez un diabétique
de type 1 ;
découverte d’un diabète de type 2 ;
passage à l’insuline chez un diabétique de type 2.
La tristesse, un long chagrin et d’autres dépressions et
désordres des esprits animaux
étaient habituellement causes ou faisaient le lit
de cette disposition morbide (Willis, 1684).
La dépression constitue un facteur de
risque indépendant de diabète
Dans l’étude ECA (n = 3 481, suivis sur 13 ans), la pré-
sence d’une dépression majeure permet de prédire
l’apparition d’un diabète (risque relatif [RR] : 2,2), et ce
indépendamment des autres facteurs de risque que
sont l’obésité, le tabac, l’alcool, l’inactivité, les condi-
tions médicales chroniques, une histoire familiale de
diabète (4). Dans une méta-analyse des études longitu-
dinales prospectives, la dépression augmente de 37 %
le risque d’apparition de diabète de type 2 (5).
Récemment, S.H. Golden et al. ont rapporté un lien bidi-
rectionnel entre diabète de type 2 et dépression (6). Chez
5 200 sujets âgés de 45 à 85 ans sans diabète de type 2
à l’inclusion, en cas de symptomatologie dépressive,
le risque de survenue d’un diabète de type 2 au cours
des 3 ans de suivi augmente. Réciproquement, parmi
les 4 800 sujets non déprimés à l’inclusion, le risque de
dépression des sujets diabétiques traités au cours des
3 ans de suivi est augmenté, tandis quil ne l’est ni chez
les diabétiques non traités, ni chez les sujets présentant
une intolérance au glucose. Cette dernière observa-
tion, qui peut paraître paradoxale, est probablement
liée au fait que les sujets traités présentent déjà des
complications du diabète, mais elle indique aussi que
le diagnostic de diabète ou que la prise en charge du dia-
bète peuvent avoir des conséquences psychologiques.
Mécanismes communs ?
De toute évidence, l’association de la dépression et du
diabète fonctionne dans une relation réciproque, ce
qui conduit à envisager la possibilité de mécanismes
physiopathologiques communs. R.S. McIntyre et al.
proposent même de considérer les troubles dépressifs
comme des syndromes métaboliques de type II (7) !
Selon l’hypothèse classique, la dépression influence l’ho-
méostasie glucose-insuline pour induire une insulino-
résistance. Les arguments en faveur de cette hypothèse
reposent sur l’existence d’anomalies au niveau de l’axe
HPA (hypothalamic-pituitary-adrenal axis), des catécho-
lamines, du sommeil, de l’activité physique, de l’acti-
vation des cytokines, du système sérotoninergique et
de son contrôle sur la prise alimentaire, et des récep-
teurs insuliniques hippocampiques. J.M. McCaffery et
al. suggèrent que des “variants génétiques communs”
impliqués tant dans les mécanismes de l’inflamma-
tion que dans le système sérotoninergique puissent
contribuer à une vulnérabilité commune aux troubles
de l’humeur et aux affections cardio-métaboliques (8).
Une hypothèse plus évidente, et qui devrait avoir des
implications pratiques, considère que la dépression
affecte les comportements de santé, les sujets déprimés
prenant moins soin d’eux-mêmes par définition (9).
Aussi, les diabétiques déprimés auront une alimenta-
tion moins saine, riche en graisses et pauvre en fruits
et légumes, ils effectueront moins d’exercice physique
et seront plus souvent fumeurs. L’adhésion aux soins
est altérée, avec une moindre observance des trai-
tements médicamenteux et un moindre respect des
règles hygiéno-diététiques, tandis que la surveillance
des complications du diabète ne semble pas affectée.
La survenue d’une dépression chez un patient souf-
frant de diabète peut enfin senvisager sous l’angle des
conséquences psychologiques et du vécu de la maladie.
Cette souffrance peut apparaître dès le diagnostic, mais
aussi lors de l’apparition d’un handicap, de douleurs,
sans oublier l’effet des contraintes importantes du trai-
tement et de la prise en charge.
La complexité des interactions entre ces différentes
variables et l’existence d’autres mécanismes sont envisa-
geables. En effet, dans l’étude épidémio logique de S.H.
Golden et al. citée précédemment, le lien bidirectionnel
entre diabète de type 2 et dépression nest pas ou peu
affecté par la prise en compte des nombreux paramètres
que sont l’âge, le sexe, l’ethnie, l’indice de masse corpo-
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Diabète et dépression
relle (IMC), les indices métaboliques (lipides, pression
artérielle, insulinémie à jeun), les marqueurs d’inflam-
mation (IL-6, CRP), le statut socio-économique et le style
de vie (tabagisme, activité physique, consommation
d’alcool, consommation calorique) [6].
Finalement, les relations physiopathologiques réci-
proques vont conduire à l’établissement d’un cercle
vicieux où les modifications biologiques et comporte-
mentales de la dépression vont rompre l’homéostasie
glycémique pour induire ou aggraver un diabète, qui
va à son tour aggraver ou chroniciser la dépression (10).
La dépression aggrave le diabète
La présence d’une dépression aggrave le pronostic des
patients diabétiques (10-12) :
la prise en charge du contrôle glycémique est moins
bonne, ce qui se traduit par une augmentation du taux
d’HbA1c ;
le risque de neuropathies, de néphropathies, de
rétinopathies et de complications macrovasculaires
augmente. Les sujets présenteront plus de complica-
tions, qui surviendront plus tôt ;
la sensibilité à certaines douleurs augmente (neu-
ropathies diabétiques) ;
le risque de maladies coronariennes augmente ;
la qualité de vie est altérée ;
il y a un risque de handicap ;
il y a surmortalité ;
chez les diabétiques âgés, l’existence d’une dépres-
sion est le meilleur facteur prédictif d’hospitalisations
et de décès ;
la sévérité de la symptomatologie dépressive est asso-
ciée à une augmentation des différents types de demande
de soins (urgences, hospitalisations, consultations) ; il
en résulte une augmentation des coûts liés à la santé.
Ainsi les dépenses de santé des diabétiques déprimés
sont-elles 4,5 fois supérieures à celles des non-déprimés.
Améliorer le diagnostic de dépression
chez les diabétiques
La dépression est largement sous-diagnostiquée chez
les diabétiques : elle est le plus souvent considérée
comme une réaction “normale secondaire à la maladie.
La dépression ne serait reconnue et traitée que chez
1 patient sur 3. S’ajoute à cette inférence de causalité
une attribution forcée des symptômes au diabète plu-
tôt qu’à la dépression. Ainsi, tout concourt à éviter de
porter un diagnostic de dépression ! Le problème du
tableau clinique de dépression chez les sujets souffrant
de diabète est le suivant : les patients présentent une
symptomatologie habituelle de la dépression (tristesse,
anhédonie, dévalorisation) et des symptômes dont il
nest pas possible de savoir sils sont liés au diabète ou
à la dépression (fatigue, perte de poids, ralentissement
psychomoteur, diminution de la libido). Il s’agira donc
de ne pas attribuer de façon forcée les symptômes à
un trouble plutôt qu’à l’autre.
Finalement, il est possible de proposer l’algorithme
diagnostique suivant. D’abord, compte tenu de la fré-
quence de la comorbidité dépressive et de son impor-
tance pronostique, rappelons l’importance du dépistage
systématique chez les patients diabétiques. Rien ne
s’oppose à ce que ce dépistage soit d’ailleurs répété
régulièrement, comme cest le cas pour la recherche
des autres complications du diabète. Les autoévalua-
tions de la symptomatologie dépressive présentent
l’avantage d’être faciles à utiliser, mais aussi de détecter
des symptômes spécifiques” du syndrome dépressif.
L’usage de l’Inventaire de dépression de Beck (BDI) est
ainsi recommandé (figure).
Rappelons que la survenue d’une dépression sera plus
particulièrement à rechercher chez les patients présen-
tant les facteurs de risque suivants : début du diabète à
l’adolescence, troubles précoces de l’adaptation après la
découverte du diabète, conflits intrafamiliaux lors de la
découverte du diabète, mauvais équilibre glycémique,
mauvaise adhésion à la prise en charge thérapeutique
du diabète, retentissement somatique important, com-
plications somatiques (rétinopathies, notamment), dif-
ficultés sociales, antécédents personnels et familiaux
de dépression, sexe féminin.
Figure. Algorithme diagnostique de la dépression chez les patients diabétiques.
Facteurs de risque
• Contrôle glycémique
• Antécédents de dépression
• Sexe féminin
• Comorbidité
Dépistage
• Symptomatologie dépressive
• Changement/état prémorbide
• Critères DSM-IV > 15 jours
• Score BDI ≥ 16
+
Répéter les évaluations Traitement et suivi
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Traiter la dépression !
La dépression se traite chez le patient diabétique de
façon habituelle. Plusieurs études contrôlées versus pla-
cebo rapportent que les antidépresseurs (nortriptyline,
fluoxétine) et la thérapie cognitivo-comportementale
sont efficaces sur la dépression de sujets souffrant
de diabète de type 1 ou 2 (13). Puisque “primum non
nocere, ces études à court terme ne témoignent pas
d’une altération de l’équilibre glycémique lors du traite-
ment antidépresseur. Toutefois, une littérature récente
a signalé qu’un traitement par antidépresseurs au long
cours pouvait augmenter le risque de diabète et d’obé-
sité (14). Donc, le choix du traitement antidépresseur
devra tenir compte des interactions médicamenteuses,
veiller à limiter le risque de prise de poids et à respecter
les fonctions cognitives, le système cholinergique, la
fonction sexuelle ainsi que le contrôle de la pression
artérielle.
Le traitement efficace de la dépression se soldera égale-
ment par une meilleure adhésion aux soins et un meil-
leur contrôle glycémique chez les patients diabétiques.
En outre, on peut escompter que le patient suive mieux
son régime alimentaire, reprenne une activité physique
et qu’il soit moins affecté par les troubles cognitifs. Un
cercle vertueux !
Si la dépression aggrave le pronostic du diabète, l’in-
verse est aussi vrai : le diabète a un effet négatif sur
l’évolution de la dépression. Plusieurs études ont montré
que la présence d’un diabète allonge la durée des épi-
sodes dépressifs, qu’il est plus souvent la cause d’une
chronicisation et quil augmente le risque de rechutes
et de récidives dépressives (15).
Une très belle étude randomisée de prévention des
récidives dépressives sur 1 an versus placebo menée
par P.J. Lustman et al. témoigne de l’effet préventif de
la sertraline (16). En outre, le maintien de la rémission
dépressive est associé au maintien d’un meilleur équi-
libre glycémique (mesuré avec HbA1c).
Finalement, les psychiatres ont un rôle important auprès
des équipes de diabétologie quils pourraient sensibi-
liser et former à la reconnaissance et au traitement de
la dépression chez ces patients très vulnérables, et à la
suite desquelles ils interviendraient rapidement, en deu-
xième ligne, en cas d’aggravation ou de non-réponse.
Les soins collaboratifs coordonnés représentent une
modalité de prise en charge innovante au sein d’un
système médical ultraspécialisé et montrent leur effi-
cacité tant en ce qui concerne la dépression que les
affections somatiques comorbides (17).
Enfin, soulignons que les psychiatres ont aussi un rôle
dans les stratégies de prévention des complications
du diabète. En effet, 2 méta-analyses publiées dans
les plus grandes revues médicales, ont démontré que,
outre la prise en charge de pathologies majeures, les
interventions psycho logiques ont un effet positif sur
l’équilibre glycémique (18, 19). Cela pourrait nous inciter
à organiser des soins psychologiques dont le bénéfice
est clair sur le diabète lui-même, et qui contribuent à
améliorer le pronostic de cette maladie douloureuse.
Conclusion
La dépression est une condition fréquente chez les
sujets diabétiques, et son effet pronostique est majeur.
Aussi le diabétologue, le patient et son entourage
doivent-ils être informés et sensibilisés au risque
dépressif, comme ils le sont pour nombre d’autres
complications. Lenjeu de la prise en charge efficace
de la dépression est tel que les psychiatres y ont une
place cruciale pour diagnostiquer tôt les patients mais
aussi pour déployer des interventions psychologiques
préventives.
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