Introduction et Problématique générale :
Déjà en 1979, la première conférence mondiale sur le climat, organisée sous l’égide de
l’Organisation Mondiale de la Météorologie (OMM) avait pris la mesure du grave problème que
pose le changement climatique.
L’année 1990, marque la date repère avec la publication du premier rapport d’évaluation du groupe
intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat.
L’action anthropique a joué un rôle déterminant dans le changement climatique. Il a été prouvé que
depuis le début de la révolution industrielle (1750), la teneur en CO2 dans l’atmosphère est passée
d’environ 250ppm à 379ppm en 2005. Cependant, durant les 650.000 dernières années, ces
variations sont restées dans une fourchette allant de 180 à 300 ppm1.
Cela a pour conséquences :
- Une augmentation de la température moyenne de 1,6 à 3,6 degrés Celsius;
- Une élévation du niveau des océans ;
- Une intensification de la sécheresse dans les zones semi-arides ;
- Une fonte des glaciers et du pergélisol2 dans les zones polaires ;
- De fortes pluviométries surtout dans les zones équatoriales ;
- Un accroissement de la fréquence des événements climatiques violents ;
- Une instabilité du régime pluviométrique surtout dans le Sahel…
Nous constatons donc que ce phénomène planétaire se manifeste différemment d’une zone à l’autre.
Si le phénomène émane en partie de l’émission excessive des gaz à effet de serre des pays
industrialisés, dans les pays sous développés il est imputable surtout à la déforestation et à la
désertification. Il est aujourd’hui question de lutter à atténuer sévèrement l’émission de ces gaz et
ensuite de s’adapter aux effets du changement climatique en créant des conditions comparables aux
vingt dernières années.
Le Sénégal, à l’instar des autres pays sahéliens a connu une sécheresse dans les années 1970-1980
et un réchauffement climatique considérable ayant des conséquences dommageables sur
l’environnement, les êtres vivants et surtout sur l’économie. Pour vaincre ce « drame » la
communauté internationale a sonné l’alarme signant les accords de Marrakech en 2001 qui fixent un
certain nombre de règles permettant le fonctionnement du MDP (Mécanisme pour un
Développement Propre). Ce mécanisme touche directement aux relations entre les pays du nord et
ceux du sud. Le MDP et l’initiative REDD (Réduction des Emissions liées à la Déforestation et à la
Dégradation de la forêt) ont un double impact. Un impact environnemental par la régénération, la
restauration et le boisement /reboisement des forêts et un impact économique grâce au crédit
carbone par la vente des URCEs3 (Unités de Réduction Certifiées) de carbone.
L’évolution du marché est cependant menacée par l’incertitude qui pèse sur l’issue des négociations
internationales qui définissent le régime post-Kyoto.
Malheureusement, peu importe les décisions, les pays sahéliens comme le Sénégal contrairement à
beaucoup de pays surtout ceux du bassin du Congo, peinent à accéder aux avantages des fonds
carbone. Parmi les 2172 projets MDP mis en place depuis decembre2009, seulement 112 sont
imputés à l’Afrique, soit environ 50Mt eq CO24. Le Sénégal ne compte qu’une dizaine de projets
éligibles qui sont à l’état de Note d’Idées de Projet (NIP ou PIN selon l’acronyme anglais).
Parmi ces projets nous porterons essentiellement l’accent sur celui de la Grande Muraille Verte. La
GMV vient à point, pour apporter une double contribution dans la lutte contre les effets du
changement climatique. Elle constitue d’abord une initiative d’adaptation aux effets de la
désertification et ensuite elle répond à un souci de développement durable et de lutte contre la
1 Particules par millions
2 Pergélisol = Permafrost : sous sol gelé en permanence
3 Unités de Réduction Certifiées
4 Source: http://cdmpipeline.org/cdm-projects-region.htm, consulté le 19 novembre 2009. Vers un essor des marchés du
carbone en Afrique. Document pdf. Note d’informations Décembre 2009..36p.
pauvreté.
Au cœur de notre problématique se posent les questions :
- Qu’est ce qui constitue le facteur bloquant faisant en sorte que le Sénégal soit totalement en
marge des projets MDP ?
- Quelles stratégies mettre en œuvre pour que le Sénégal occupe une place dans le marché du
carbone, afin de renforcer le développement durable du secteur forestier ?
- Quelle est la combinaison idéale d’approches pour encourager des initiatives significatives
et efficaces dans les secteurs de l’élevage et de la foresterie?
- Quelle est la meilleure façon d’aborder la question de la permanence des mécanismes de
crédits tels que le MDP, qui permettrait aux pays en développement de participer au marché
du carbone?
- Quels sont les obstacles à l’inclusion effective de l’agriculture et de la foresterie dans un
régime post-2012 ? Quelles sont les meilleures approches pour surmonter ces obstacles?
Hypothèses : Nous formulons trois hypothèses de recherche :
- D’abord les procédures opératoires du MDP sont trop complexes et inadaptées aux réalités
socio-économiques nationales ;
- Ensuite les bénéfices économiques seront moindres car le nombre de programmes forestiers
éligibles au Sénégal est trop restreint pour satisfaire la forte demande en URCEs;
- Enfin, il serait beaucoup plus judicieux pour les pays du Sahel comme le Sénégal d’adopter
une approche Soudano-sahélienne concentrée spécialement sur la restauration des forêts.
Notre objectif général est de montrer que :
Le Sénégal est confronté à une dégradation du couvert naturel (feux de brousse, désertification,
coupes illicites, salinisation des terres, divagation des animaux, insécuri foncière, changements
d’affectation des terres,…). A cet effet, la restauration du milieu naturel aura de multiples impacts :
environnementaux (pour lutter contre la désertification et la déforestation), économique (grâce à
l’ouverture et à l’intégration du marché du crédit carbone), socioculturels (meilleures approches vis-
à-vis de l’arbre, création de richesse, et fixation de la population), et politique (approche sous
régionale). Il est donc important pour nous d’étudier et d’évaluer les différentes contraintes (à lever)
qui empêchent notre pays de profiter de l’économie du carbone.
Objectifs spécifiques : Montrer que :
- Il est urgent pour le Sénégal de stopper l’avancée du désert dans certaines zones, de
récupérer les terres salées et de restaurer les forêts puisque ce sont les végétaux qui
débarrassent l’atmosphère du CO² grâce à la photosynthèse ;
- L’accès au crédit carbone est une opportunité de développement, et d’indépendance
financière vis-à-vis de l’extérieur, surtout pour le secteur forestier du Sénégal ;
- Le Sénégal comme la plupart des pays d’Afrique noire est en marge des projets MDP. Cette
inégalité dans la distribution des projets est imputable aux craintes des investisseurs :
instabilité économique et politique; manque d’infrastructures; insécuri juridique et
administrative …
- De montrer enfin que la Grande Muraille Verte est un projet doublement intéressant comme
système d’adaptation mais aussi d’atténuation des effets du changement climatique dans la
zone sylvo-pastorale.
Analyse conceptuelle
Le présent sujet fait appel à des notions très importantes .Dans le 4ème chapitre du document
« Utilisation, changement d'utilisation des terres et foresterie » (GIEC5, 2000), le GIEC identifie
des activités susceptibles de participer à l'atténuation du changement climatique. Cette démarche est
reprise ici pour présenter quatre activités forestières ou agro-forestières d'un intérêt particulier pour
5 Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC).
l’Afrique.
1- Agroforesterie et plantations à usages multiples
Définition/Description de l'activité
L’agroforesterie est un système où il y a association entre les cultures et divers végétaux : arbres ou
arbustes, principalement en considérant leurs diverses fonctionnalités (fonction environnementale,
fonction agro-écologique, rôle de production), plantes fertilisantes (légumineuses), plantes
médicinales ou même différentes cultures associées entre elles.
Les domaines agro-forestiers ainsi formés font office de « puits de carbone » grâce aux arbres
plantés. Ceci se fait moins par la quantité de carbone stockée par unité de surface que par les
surfaces concernées.
Exemple : les parcs à karité au Mali couvrent près de 4 millions d'hectares (Griffon et Mallet,
1999)6.
Usage et potentiel en Afrique
L'Afrique peut tirer des avantages importants de l'agroforesterie. En effet, tous les pays situés dans
une « zone agro-climatique » sont potentiellement capables d'appliquer les techniques de cette
activité, notamment sur les terres dégradées. L'accessibilité à l'eau est donc un facteur important qui
n'exclut surtout pas les pays de la zone sahélienne.
En outre, l'agroforesterie, fondée sur une diversification des cultures et des activités, est plus à
même de se développer dans des régions à forte densité de population qui possèdent de surcroît une
dynamique paysanne importante. L'agroforesterie se présente donc comme un outil au potentiel
considérable pour l'Afrique.
Connaissances actuelles et incertitudes scientifiques
A l'heure actuelle, des stratégies agro-forestières sont disponibles pour les différents écosystèmes
cultivés que l'on peut rencontrer en Afrique, que ce soit en zone sèche, en zone humide, en altitude,
et même en zone périurbaine.
De plus, les connaissances actuelles permettent de choisir entre différentes stratégies possibles,
celles qui maximiseront d'une part les bénéfices des producteurs concernés, et d'autre part ceux des
collectivités bénéficiant des externalités du nouveau système. Cependant, les les multiples des
arbres et des plantes associées aux cultures ne sont pas toujours bien connus, de même que les
méthodes d'optimisation de ces systèmes agro-forestiers.
Méthodes de calcul de l'effet de réduction des émissions
Pour estimer les variations de la quantité de carbone du sol et de la biomasse épigée7 dues aux
techniques agro-forestières, des modèles sont actuellement utilisables. Cependant la diversité des
cultures rend complexe cette estimation. Des outils permettant même de calculer les quantités de
carbone dans les petits arbres et dans les arbustes ont été développés (Besnehard,J., 1998).
Échelle de temps et contrôle
Pour évaluer l'impact de telles activités sur les stocks de carbone du sol, une période de 10 ans est
nécessaire (GIEC, 2000). La vérification peut s'effectuer à l'aide de plusieurs outils. Des mesures
directes des taux de carbone du sol peuvent être entreprises. Etant donné la structuration du paysage
établie par les activités agro-forestières, les techniques SIG8 peuvent aussi être utilisés.
Réversibilité et permanence
Les risques concernant une réversibilité possible des stocks de carbone accumulés sont liés
6 Griffon, M. et Mallet, B., 1999. En quoi l'agroforesterie peut-elle contribuer à la révolution
doublement verte ? Bois et Forêts des Tropiques 260 : p 41-51.
7 Mode de germination dans lequel la croissance de la tigelle porte les cotylédons au-dessus du sol, comme chez les haricots
8 Système d’informations géographiques
principalement au changement d'usage des terres. Un remplacement par des pâturages ou par des
cultures sur brûlis est envisageable. Les catastrophes naturelles (feu, maladie, insectes ravageurs)
représentent aussi un risque, bien que faible dans un tel système.
Pour pallier les risques de réversibilité liés au changement d'usage des terres, les activités agro-
forestières doivent présenter une économie rentable dont les bénéfices doivent être répartis le plus
largement possible.
Impacts associés
La multifonctionnalité des arbres et des arbustes entraîne de multiples effets
environnementaux bénéfiques (protection des sols contre l'érosion, régulation des eaux (nappes
phréatiques), maintien de la diversité biologique) ainsi que des effets agro-écologiques (maintien de
la fertilité des sols, effets microclimatiques sur le milieu).
Au niveau du développement, cette activité diversifiée octroie une source de revenus
supplémentaires durables pour les communautés locales (plantes médicinales, bois d'œuvre,
résines). De plus, en recréant des domaines sylvo-pastoraux, elle permet la croissance des espaces
d'élevage et donc celle des revenus (Griffon et Mallet, 1999).
L'agroforesterie permet aussi une structuration de l'espace rural et du paysage (délimitation
foncière, organisation des espaces agro-sylvopastoraux).
Ce type d'activité mené dans le cadre d'aménagements forestiers peut permettre d'obtenir une
certification pour le bois produit dans ces conditions.
2- Régénération / plantations
Définition
L'enrichissement en jeunes arbres des terres récemment déboisées permet, dans les activités de
régénération, de reconstituer un couvert forestier naturellement ou artificiellement afin de restituer
le plus précisément possible les fonctions écologiques et socio-économiques des forêts naturelles.
Les plantations, à vocation purement commerciale, sont entreprises dans le but de cultiver des
essences forestières économiquement intéressantes (Eucalyptus, Acacia, ..) pour le commerce du
bois d'œuvre ou de la pâte à papier le plus fréquemment.
Ces deux types d'activités contribuent à l'atténuation du changement climatique par la fixation de
carbone organique dans des réservoirs biosphériques grâce aux mécanismes de la photosynthèse qui
transforment le carbone atmosphérique (CO2) en carbone organique constitutif des arbres.
De plus, l'orientation des productions intervient également dans l'atténuation du changement
climatique selon la durée de vie des produits (bois d'œuvre, poteaux) issus des activités de
régénération ou des plantations.
Usage et potentiel
En dehors des pays situés dans la zone sahélienne, tous les pays d'Afrique disposent d'un potentiel
pour la mise en place de telles activités. Ce potentiel dépend toutefois de certaines conditions, qu'il
s'agisse de régénération ou de plantations.
La régénération implique la présence de surfaces déboisées ou de terres dégradées dans des zones
agro-climatiques favorables où l'eau peut être accessible de manière durable.
Les plantations nécessitent quant à elles des disponibilités foncières potentielles utilisables par le
secteur privé. Les régions qui présentent une faible densité de population sont préférables car les
larges surfaces concernées par cette activité sont susceptibles de concurrencer les surfaces allouées
à l'agriculture. Enfin, à l'instar des activités de régénération, l'accessibilité à l'eau est un facteur clé
pour la réalisation de tels projets.
Connaissances actuelles et incertitudes scientifiques
De nombreuses espèces forestières ont été étudiées, et leurs cycles de reproduction et les méthodes
de sylviculture9 qui y sont associées sont actuellement bien maîtrisés. Parmi ces essences
forestières, des gammes d'essences variées pour le bois d'œuvre, le bois de feu, le bois de pâte à
papier sont maintenant disponibles pour la régénération.
Cependant les connaissances scientifiques actuelles ne permettent pas de cultiver toutes les essences
forestières répertoriées et donc de reconstituer des forêts naturelles originelles.
Méthode de calcul de l'effet de réduction des émissions
Le calcul des variations des stocks de carbone soulève le problème du temps, en particulier pour les
projets de régénération. En effet, cette activité fixatrice de carbone s'effectue à long terme. Les
variations de carbone s'en trouvent alors difficilement quantifiables.
Des modèles permettent d'estimer les stocks de carbone additionnels en fonction de divers facteurs
liés aux essences forestières plantées (accroissement annuel, fréquence de rotation) et au sol
(enrichissement en matière organique). Les quantités calculées sont ensuite comparées à celles qui
seraient issues d'une autre activité (agriculture, pâturage), c'est-à-dire à un scénario de référence.
Contrôle
Des visites et des enquêtes régulières peuvent suffire à vérifier la pérennité des stocks de carbone,
en particulier pour constater des activités de prélèvement, sauvage ou non, des essences plantées.
Réversibilité
Le risque principal tient au changement d'usage des terres induit par une faible viabilité des activités
de régénération ou de plantation. Ces activités sont alors remplacées par des activités de court terme
(pâturage, culture). Le prélèvement illégal peut, par exemple, contribuer au déclin de la rentabilité
de telles activités tout comme la dégradation des terres par le pâturage.
Les catastrophes naturelles (épidémies, insectes ravageurs, feu…) représentent également un risque
de réversibilité, en particulier dans les plantations mono spécifiques pour ce qui concerne les
maladies.
Permanence
La conservation des stocks de carbone accumulés nécessite d'une part la présence d'un gestionnaire
et, d'autre part, la viabilité de l'activité concernée (régénération ou plantation) avec une répartition
équitable des revenus entre les différents acteurs participant à celle-ci.
Enfin, un système de prix qui favorise le bois des plantations est nécessaire (absence de taxe
d'abattage sur les plantations) pour contribuer à la rentabilité des activités forestières et donc à leur
pérennité.
9 Entretien du bois
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