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2.4 - Les arguments embryologiques
2.4.1 - Les principes
Le parallélisme et la loi de MECKEL-SERRES
Déjà les Grecs, tel ARISTOTE, avaient reconnu un certain parallélisme entre les
différents stades du développement embryonnaire et les organismes classés selon leur
degré de complexité dans ce que l'on appellera plus tard la Scala naturae ou l'Échelle
des êtres (voir les sections 4.1.1 : « Le fixisme dogmatique », 4.1.2 : « Une théorie
philosophique : l'essentialisme », et 4.1.3 : « Le transformisme lamarckien »). Au XIXe
siècle, des études sur ce parallélisme ont été publiées par l'Allemand
Johann Friedrich MECKEL (1781-1833), en particulier, dès 1811, dans son article
Entwurf einer Darstellung der zwishen dem Embryo zustande der höheren Tiere und
dem permanenten der niederen stattfindenden Parallele (« Esquise d’une
représentation du parallèlisme existant entre les états embryonnaires des animaux
supérieurs et les états permanents des inférieurs ») dans lequel il constate des
ressemblances de complexité croissante entre des caractères embryonnaires
d'organismes « supérieurs » et des traits permanents d'organismes « inférieurs ».
La théorie de J. F. MECKEL résulte de l'observation des fentes branchiales chez les
Vertébrés. Le pharynx de tous les embryons de Vertébrés s'évagine en poches
viscérales, qui peuvent s'ouvrir vers l'extérieur et fonctionner chez l'adulte comme filtre
alimentaire ou comme organe respiratoire (fentes branchiales) lorsqu'elles sont
recouvertes de branchies. Ces deux fonctions sont réunies chez les Agnathes fossiles
tel Aceraspis
Seule la fonction respiratoire persiste le plus souvent chez les Poissons et les larves
d'Amphibiens. Les Requins pèlerins et la plupart des Clupéidés, dont les Harengs, ont
des branchies filtreuses ; mais c'est une adaptation secondaire et non la persistance
d'un caractère archaïque. Ces poches se différencient aussi chez tous les embryons
de Reptiles, d'Oiseaux et de Mammifères, mais ne se percent que temporairement et
ne portent jamais de branchies. Au cours de leur développement, ces évaginations
régressent.
Pour J. F. MECKEL, l'animal « supérieur », lors de son embryogenèse, passe par
toutes les étapes caractéristiques des organismes « inférieurs » moins complexes.
Comme l'avait noté LAMARCK (1809), la matière organique possède une tendance innée
qui la conduit insensiblement par toute une série d'étapes intermédiaires à des degrés
de complexité de plus en plus élevés. Ainsi, l'évolution des embryons de Mammifères
comprendrait toutes les phases spécifiques du développement des Poissons, des
Amphibiens, des Reptiles, puis des Oiseaux. Dans son Précis d'anatomie
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transcendante appliquée à la physiologie (1842), l'anatomiste français Étienne SERRES
(1786-1868) exprime des idées semblables.
Exposé à la section 2.1.3 : « Les critères embryologiques », le parallélisme, appelé
plus tard la loi de MECKEL-SERRES, correspond à une vision fixiste des espèces et ne
contient aucune idée évolutionniste. Les naturalistes de cette époque espéraient
découvrir dans les étapes du développement embryonnaire des espèces la même
progression linéaire de complexité que dans l'Échelle des êtres.
Jean Louis AGASSIZ (1807-1873) est un éminent ichtyologue suisse qui a étudié et
travaillé en Suisse, en Allemagne et en France avant de s’installer définitivement à
Boston (USA) en 1848. C’est un homme pieux considéré comme un fervent
créationniste qui sera toujours bien éloigné de toute théorie transformiste. Mais, bien
malgré lui, sa théorie du parallélisme apportera de solides arguments aux
évolutionnistes (voir infra « La loi biogénétique fondamentale »), J. AGASSIZ établit un
parallèle entre le développement de l’embryon, les classifications et les séries fossiles
qui vont toutes les trois dans les sens d’une complexité croissante. C’est à partir de
1848 que J. AGASSIZ ajoute à la loi de MECKEL-SERRES la dimension géologique du
temps : les différents stades du développement embryonnaire de tous les animaux
vivants correspondent à ceux de leurs représentants disparus depuis les périodes
géologiques les plus anciennes.
Les conceptions de Karl Ernst von BAER
Dans son Traité d'embryologie animale (Über Entwickelungsgeschichte der
Thiere, 1828), l'anatomiste russe d'origine allemande Karl Ernst von BAER (1792-1876)
explique différemment le développement des Vertébrés. Il n'est pas partisan de
l'existence d'une Scala naturae. À l'instar de G. CUVIER, il prône plutôt l'existence de
quatre types d'organisation nettement séparés, correspondant à ceux des
Unicellulaires (qui deviendront les Protistes), des Végétaux, des Animaux et des
Champignons. Chez les Animaux, il distingue quatre phylums indépendants : les
Radiés (Infusoires, Méduses, Astéries), les Segmentés (Vers, Crustacés), les
Molluscoïdes (Mollusques, Rotifères) et les Vertébrés. K. E. von BAER s’oppose au
parallélisme, qui confond le type d’organisation et le degré de différenciation :
- Le type d’organisation correspond à un plan de structure.
- Le degré de différenciation signale le niveau de développement atteint par un
organisme dans son plan d’organisation.
Pour K. E. von BAER, les différents types d’organisation sont indépendants ; aussi
le développement de chaque groupe, de chaque espèce suit-il un cours particulier. Au
contraire, selon le principe de « l’unité de composition » de É. GEOFFROY SAINT-HILAIRE
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(1796), tous les organismes sont bâtis sur le même plan ; mais les organismes, qui
varient de nombreuses manières, peuvent cacher ce plan.
K. E. von BAER pense que chaque phylum animal a sa propre ontogenèse, qui
correspond au développement de l'œuf depuis la fécondation jusqu'à l'état adulte : au
cours de leur développement, les embryons de Vertébrés ne passent pas par des
formes permanentes de quelque animal que ce soit. Il reconnaît un seul point commun
entre ces phylums : l'œuf issu de la reproduction sexuée. Il énonce ses propres lois du
développement, dont certaines semblent réfuter par avance les arguments
évolutionnistes :
1) Les caractères généraux apparaissent dans l’embryon d’autant plus tôt que le
niveau taxinomique considéré est élevé : les caractéristiques des Mollusques sont
présentes avant celles des Gastéropodes chez l’embryon de Cepaea nemoralis. Dans
un type donné, le développement donne d’abord naissance au type lui-même,
caractéristique de l’embranchement, aux caractères de la classe, de l’ordre, de la
famille, du genre et, enfin, de l’espèce.
2) Les caractères les moins généraux se développent à partir des plus généraux,
les plus spécialisés apparaissent en dernier. Chez les Sélaciens, les fentes
branchiales, organes spécialisés, se développent à partir des poches viscérales,
structures non spécialisées, communes à tous les embryons de Vertébrés.
3) Le développement va de l’homogène à l’hétérogène.
4) Chaque embryon d'une espèce donnée, au lieu de passer par les stades d'autres
animaux, s'en écarte de plus en plus. Les poches viscérales d'un embryon de
Mammifère ne passent pas par un stade de fentes branchiales, étape finale de leur
développement chez les Sélaciens ; mais elles suivent une voie ontogénique
aboutissant à des caractères propres à l'espèce, et donc distincts de leur forme initiale.
L'embryon d'un animal « supérieur », sans être comparable à l'adulte d'un animal
« primitif », peut présenter quelques ressemblances avec son embryon. L'embryon des
Mammifères ne ressemble pas à un Requin adulte, mais présente des structures
identiques à celles de l'embryon de Requin. Aujourd'hui, on sait que K. E. von BAER
avait raison, du moins sur ce point. Les développements des embryons d'animaux de
phylums différents suivent des cours divergents.
Bien que les travaux et les publications de K. E. von BAER aient été célèbres dans le
courant du XIXe siècle, ils ont été partiellement oubliés pour deux raisons :
- Sa position foncièrement anti-évolutionniste a été jugée obsolète par les jeunes
naturalistes acquis aux thèses lamarckiennes ou darwiniennes.
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- Sa négation de la récapitulation refusait aux darwiniens un argument heuristique
qui expliquait bien des phylogénies et qui renforçait la thèse d’une ascendance
commune de tous les êtres vivants.
La position de DARWIN
Dans L'Origine des espèces, DARWIN commence ainsi son paragraphe sur le
développement et l'embryologie : « Nous abordons ici, un des sujets les plus importants de
l'Histoire Naturelle » (Paris, Maspero, 1980-1982, p. 518). Quand il s'est intéressé aux
études d'embryologie, vers 1838, la controverse entre le parallélisme de MECKEL-SERRES
et la théorie de von BAER était à son apogée. D’abord, en accord avec les idées de ce
dernier, DARWIN énonce plusieurs principes :
- Les ressemblances entre animaux différents ne concernent que les adaptations.
Par exemple, des larves d'Insectes d'ordres très différents, qui vivent dans un même
milieu, se ressemblent parfois.
- Le passage de l'embryon à l'adulte s'accompagne d'une augmentation du niveau
d'organisation. Par exemple, le Papillon a une organisation plus élevée que celle de la
Chenille.
- Les différences entre l'embryon et l'adulte sont parfois minimes. Chez l'embryon,
les caractères du groupe peuvent apparaître précocement. Les embryons d'Araignées
ressemblent très vite à l'adulte.
- Certaines phases du développement peuvent être absentes. La figure 2.33-A
montre le cycle de développement simplifié de la Crevette caramote méditerranéenne
(Peneus caramote). Mais chez le Crabe (fig.2.33-B), le stade nauplius n’existe plus :
l’œuf donne directement une larve de type zoé ; chez l’Écrevisse européenne (Astacus
astacus), le développement est direct (fig. 2.33-C).
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Plusieurs faits ont poussé DARWIN à se demander pourquoi il existe de telles
ressemblances entre les embryons de groupes différents, quand apparaissent les traits
spécifiques et, enfin, pourquoi les embryons développent des structures qui deviennent
ensuite inutiles. Il fut l'un des premiers à introduire dans la pensée biologique l'idée
d'évolution et d'ascendance commune pour expliquer ces ressemblances. Vers 1850,
après son travail sur les Cirripèdes, Crustacés fixés, et l'additif de L. AGASSIZ à la loi de
MECKEL-SERRES, DARWIN se rapproche de la théorie du parallélisme, puis de ce qui
deviendra la loi biogénétique fondamentale (voir ci-dessous). Dans L’Origine des
espèces, il écrit, effet : « Il est d'autre part très probable que, chez un grand nombre
d'animaux, l'état embryonnaire ou l'état de larve nous représente, d'une manière plus ou moins
complète, l'état adulte de l'ancêtre du groupe entier » (p. 529) « Comme la conformation de
l’embryon nous indique souvent d’une manière plus ou moins nette ce qu’a dû être la
conformation de l’ancêtre très-ancien et moins modifié du groupe, nous pouvons comprendre
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