Les États-Unis après Bush : un lieu de

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Les États-Unis après Bush :
un lieu de désintégration
familiale et de changements
personnels révolutionnaires
Harriet Fraad
Psychothérapeute à
New York, présidente
de L’Association de
psycho-histoire et militante
de longue date du
mouvement féministe
L’Amérique de l’après-Bush est un pays de souffrances personnelles,
de désintégration familiale et de désespoir pour nombre de femmes et
d’enfants. La famille américaine a vécu une révolution de classe dans la
famille et dans la vie personnelle. En fait, cette révolution dans la famille et
dans la vie personnelle est la seule révolution de classe qui soit survenue.
Elle n’est pas reconnue en tant que telle parce que parler de classe c’est
tenir le discours le plus fortement réprimé en Amérique. La race, le genre
et l’ethnicité sont reconnus, la classe ne l’est pas.
Les conditions des femmes et des familles aux États-Unis ont
commencé à se détériorer en 1970. Sous Bush, cette détérioration
s’est dramatiquement aggravée. En 1970 les salaires réels ont baissé,
pour la première fois depuis plus d’un siècle. Pendant les 150 années
précédentes, entre 1820 et 1970, chaque génération a bénéficié de
salaires plus élevés que ceux de la génération précédente. Même au cours
de la grande dépression, les salaires réels avaient augmenté parce que la
chute des prix avait été plus rapide que celle des salaires. C’était cela la
base du « rêve américain ». Tout cela s’est arrêté en 1970. À partir de ce
moment, la productivité des travailleurs continuait de s’élever tandis que
les salaires baissaient 1. Le salaire familial américain versé aux travailleurs
masculins blancs a pratiquement nourri les femmes et les enfants jusqu’en
1970 2. Avant 1970, chaque génération a pu augmenter sa consommation.
Pour les Américains, le sentiment de leur propre valeur dépendait très
largement de leur capacité accrue de consommer. La valeur propre de
chaque individu et sa valeur sur le marché formaient un amalgame. À
l’époque où Bush est venu au pouvoir, en 2000, les Américains étaient
de plus en plus désespérés. Ils avaient le sentiment que leur valeur
personnelle avait baissé avec leurs salaires. La consommation était minée,
et avec elle leur propre valeur.
Quel a été l’effet de la crise sur la vie personnelle et familiale ?
Le désespoir familial a poussé les femmes à entrer dans le monde
du travail pour accroître le revenu du ménage. Les adolescents ont
commencé à travailler pour faire face à la consommation en croissance
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continue, promue par la culture américaine 3. En 1970, 77 % des femmes
américaines travaillaient, la plupart à plein temps, tandis que se réduisaient
de plus en plus les aides gouvernementales pour la garde des enfants, les
programmes post-scolaires et les programmes sociaux pour les personnes
âgées 4. Le travail des femmes a son propre coût : non seulement les
dépenses évidentes pour des vêtements supplémentaires et le transport,
mais aussi les frais encourus pour acquérir certains biens et services
que les femmes effectuaient elles-mêmes à la maison gratuitement. Les
plus récents calculs indiquent que si une mère de famille américaine
restée à la maison était remplacée par des services payés, le coût en
serait de 116,805 $ par an (CNN, 2008 ; CBC News, 2008). Finalement,
les familles étaient financièrement perdantes. Leur niveau de vie s’est
fortement détérioré. Les femmes au travail ne pouvaient plus accomplir
leurs tâches ménagères et devaient assurer un travail stressant à plein
temps et, malgré cela, l’argent disponible pour la consommation restait
insuffisant. Pour vivre, les familles devenaient dépendantes des dettes
autorisées par leurs cartes de crédit.
Du fait que la productivité était en forte croissance alors que les
salaires étaient bloqués, les Américains les plus riches se sont appropriés
d’énormes quantités de surplus de travail à leur profit. Pour illustrer ce
que cela signifie : les Américains qui, en matière de redistribution de
richesses, étaient en 1970 la nation occidentale la plus égalitaire, sont
devenus en 2008 5 la nation occidentale la moins égalitaire. La classe
capitaliste a alors trouvé judicieux d’émettre des cartes de crédit, afin
de prêter aux travailleurs l’argent provenant de leur surplus de travail et
qu’elle s’était appropriée. Le taux d’intérêt des cartes de crédit se situe
entre 17 % et 22 % 6.
Au moment où Bush a pris le pouvoir en 2000, la relation volatile entre
la réduction des salaires et l’accélération de la dette était en crise. Bush a
gagné les élections de 2000 et de 2004 en partie parce qu’il a vendu aux
électeurs la fable que les États-Unis étaient le roi du monde et que le mâle
américain était le roi de son ménage. Cette fable a été présentée alors
que l’économie des États-Unis n’était plus particulièrement dominante
dans le monde et que la famille américaine était déjà au bord de la faillite.
Actuellement, il est beaucoup plus difficile de faire accepter de telles fables.
Bush a fortement réduit nombre de programmes sociaux, déjà limités, qui
permettaient à des familles de survivre. Nous sommes maintenant en train
de perdre deux guerres. L’édifice précaire de l’endettement au moyen de
cartes de crédit s’est écroulé.
Les familles vivent dans l’angoisse. La vie des familles américaines
dépendait du travail domestique à plein temps des femmes qui maintenaient
la vie du foyer sur le plan physique, ainsi que du travail relationnel des
femmes qui maintenaient, sur le plan psychique, la sécurité de la famille
et son bien-être. À présent, aux États-Unis les trois quarts des femmes
travaillent à l’extérieur. Après leur journée de travail passée dans le monde
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salarié, elles rentrent à la maison pour effectuer une deuxième journée
de travail domestique et relationnel 7. 60 % des femmes américaines
ayant des enfants de moins de deux ans font partie du monde du travail
salarié. Les femmes ayant des enfants de moins d’un an travaillant à
plein temps sont deux fois plus nombreuses que celles travaillant à temps
partiel (Département américain du travail, Bureau des statistiques de la
main-d’œuvre, 2005). Presque 80 % des mères d’enfants entre 6 et 11 ans
travaillent à l’extérieur. Parce qu’il n’existe pas d’aide gouvernementale
pour les mères au travail, 85 % des nourrissons sont gardés dans des
conditions déplorables pendant que leurs mères travaillent. Au cours de
ces années, en principe formatrices, il est courant que les petits enfants
passent des journées entières entassés dans des locaux exigus, assis
devant la télévision dans des couches souillées. Très souvent, ils n’ont ni
jouets adaptés, ni espace pour jouer, ni surveillance. Les deux premières
années sont cruciales pour la formation du cerveau 8. Il n’existe pas de
législation fédérale concernant les centres pour accueillir les enfants 9.
15 % seulement des enfants aux États-Unis bénéficient de soins de garde
de qualité. Les soins de garde de bonne qualité coûtent très cher 10.
82 % des gardes d’enfant et 70 % du travail ménager continuent d’être
effectués uniquement par des femmes. À cause de leur travail à la maison,
la semaine de travail des femmes est de sept heures plus longue que
celle de leurs maris 11. Les femmes mariées qui travaillent à l’extérieur
effectuent, en moyenne, plus de travail ménager que leurs maris qui sont
au chômage 12.
La famille telle que nous l’avons connue n’existe plus. Les hommes
américains n’aident pas suffisamment leurs femmes et leurs enfants, et ne
le peuvent pas. Les femmes sont épuisées et malheureuses. Une récente
évolution montre le rejet du mariage par les femmes américaines. Pour
la première fois dans l’histoire américaine, la majorité des femmes sont
célibataires 13. Les deux tiers des divorces sont maintenant demandés
par des femmes 14. La moitié des premiers mariages et 60 % des seconds
mariages finissent par une séparation légale ou un divorce. Ces chiffres
ne tiennent pas compte de tous ceux dont les mariages finissent sans que
cela soit entériné légalement 15. Les femmes désertent le mariage parce
qu’a pris fin la division du travail sur laquelle celui-ci était initialement basé,
à savoir les femmes effectuant le travail domestique, sexuel et psychique
et les hommes assurant l’existence économique du ménage.
Les femmes ne veulent plus, comme avant, se charger de la vie
domestique, sexuelle et psychique des hommes, sous la forme d’une
« deuxième journée de travail ».
En fait, maintenant les femmes veulent prendre une revanche financière
pour échapper à l’exploitation à la maison. Les femmes américaines sans
enfant gagnent autant, voire plus, d’argent que leurs maris. Elles peuvent
délaisser le mariage, et elles le font, sans privations financières. Les
femmes avec enfants souffrent financièrement. Le paiement de pensions
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alimentaires aux femmes est rarement accordé et les pensions dues pour
les enfants ne sont pas versées en totalité 16.
En quoi tout cela concerne-t-il une Révolution de classe ?
Comme nous l’avons déjà dit, dans leur grande majorité les Américains
n’ont pas de conscience de classe, alors que ces changements dans
les ménages et la vie de famille représentent la seule révolution de
classe aux États-Unis. Quelle sorte de transformation de classe est en
cours ? Dans une « coquille de noix », la famille nucléaire, tant célébrée
et ostensiblement « traditionnelle », était en fait une structure féodale. La
femme produisait les valeurs d’usage afférentes au ménage – cuisinait,
rangeait, nettoyait – et les valeurs d’usage afférentes aux services telles
que la garde des enfants, les soins aux malades, les services de soutien
relationnel et les services sexuels. Son mari, en vertu du droit attaché à sa
naissance d’individu mâle, devait soutenir financièrement sa femme et ses
enfants dans ce ménage féodal. L’homme, en vertu de sa masculinité, avait
le droit de s’approprier et de distribuer les valeurs d’usage afférentes au
ménage et les valeurs d’usages afférentes aux services d’ordre psychique
que sa femme produisait. Ces modèles ont changé. Le mouvement de
libération des femmes a érodé la base légale des droits des hommes dans
le ménage. Par exemple, la violence conjugale n’est plus tolérée par la loi.
Toutefois, le privilège féodal masculin persiste. La violence domestique
continue d’être la première cause de blessures et d’homicides perpétrés
contre les femmes de 15 à 44 ans 17. Le viol conjugal est maintenant illégal
dans l’ensemble des cinquante États. Cependant, encore aujourd’hui,
les peines infligées sont plus légères pour un viol conjugal que pour un
viol commis par un étranger. Dans vingt États, il est toujours légal qu’un
homme ait des relations sexuelles non consenties avec son épouse si
elle présente une incapacité mentale ou physique 18. Des lois ont été
promulguées qui rendent plus difficile pour un père d’abandonner ses
enfants financièrement. Un plus grand nombre de pères sont légalement
contraints de soutenir leurs enfants ; toutefois, les femmes reçoivent
rarement le montant total de l’allocation, déjà insuffisante, qui leur est
accordée.
À mesure que la famille féodale s’efface lentement, elle est remplacée
par d’autres formes familiales présentant d’autres critères de classe
importants. La forme familiale dont l’extension est la plus rapide est celle
que Marx a appelée « la forme antique » du ménage, que j’appelle la
forme individuelle dans laquelle un individu, un homme, une femme ou
une personne avec des enfants qui en dépendent, ou des individus sans
lien de parenté, vivent dans un ménage où chacun produit, s’approprie
et distribue ses propres surplus domestiques. 20 % des Américains ne
se marient jamais. Aux États-Unis, les ménages individuels sont la forme
familiale qui croît le plus vite. La plupart des enfants passeront au moins
une partie de leur enfance hors d’une famille comprenant leurs deux
parents biologiques.
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La forme familiale individuelle est en train de devenir, très rapidement, la
forme dominante du ménage américain. Elle est encouragée par l’idéologie
individualiste américaine, les féministes qui prônent l’indépendance des
femmes, et les hommes qui veulent échapper aux obligations financières
envers les femmes et les enfants.
En outre, sont en train d’émerger deux autres formes de ménages
à caractère de classe. L’une est un ménage communiste d’adultes,
ou d’adultes et enfants. Ces ménages fonctionnent selon le principe
communiste « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses
besoins ». Les tâches domestiques et le travail relationnel sont partagés
ainsi que le travail à l’extérieur si besoin est. Cette forme familiale est
encouragée par beaucoup de thérapeutes de la famille, de féministes,
de progressistes et de couples sans enfant qui travaillent, ainsi que par
certains couples avec enfants. C’est une forme qui croît lentement.
Il existe une autre forme qui se répand et qui a été soutenue par des
forces qui résistent vigoureusement à l’effondrement du ménage féodal.
Elles entretiennent une relation romantique, nécrophile avec une forme
familiale morte. C’est la famille de droit religieux dont sont captifs environ
40 % des Américains. C’est la forme que j’appelle la famille féodale
fasciste, ainsi nommée à cause de sa similitude avec les familles du
Troisième Reich. Dans le Troisième Reich la seule préoccupation des
femmes devait être les « 3 K », à savoir : « Kinder , Küche, Kirche »
(enfants, cuisine, église). Le contrôle de leur propre corps leur était
dénié par l’interdiction de la contraception et de l’avortement. Le Führer
était le chef de l’homme et l’homme était le chef de la femme 19. Les
femmes devaient rester des subordonnées, comme elles le sont dans la
Convention des Baptistes du Sud selon laquelle « Dieu est le chef des
hommes qui ordonne aux mâles de guider les femelles. Les femmes
sont chargées des soins du foyer et du ménage » 20. Dans le Troisième
Reich, les femmes travaillaient jusqu’à 60 heures par semaine dans les
usines de munitions, mais leurs salaires étaient ostensiblement très bas
parce que le travail en usine n’était pas leur mission vitale. La mission
attribuée à leur genre était de prendre soin des hommes et des enfants,
et celle-ci restait immuable malgré les longues heures de travail passées
à l’extérieur. C’est le modèle familial défendu par le groupement de
James Dobson « Se focaliser sur la Famille », la « Convention Baptiste
Sudiste » et par les églises fondamentalistes à travers toute l’Amérique.
C’est la famille des sponsors et soutiens financiers de Sarah Palin. Ce
modèle est difficile à défendre dans le monde d’aujourd’hui ; c’est pourquoi
dans les États « rouges » et parmi les fondamentalistes, la fréquence
des divorces est même plus élevée que dans les États « bleus » moins
fondamentalistes 21. Les femmes américaines acceptent moins facilement
de rester soumises, alors qu’elles travaillent pour assurer leur subsistance
et celle de leurs enfants, à côté d’un mari qui, à lui tout seul, ne peut y
pourvoir. Les mariages solides appartiennent au passé. Les familles et
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les individus se brisent sous la pression du nouveau paysage offert par la
vie économique et intime. La famille solide a été un système fondamental
de soutien personnel pour tous les Américains, en particulier pour les
femmes. Le travail relationnel des femmes avec les enfants, la parenté et
les amis a garanti la survie et apporté le soutien psychique aux enfants,
aux hommes et à d’autres femmes. Ce sont ces réseaux de femmes au
foyer qui, dans les périodes difficiles, ont permis de prendre en garde un
enfant supplémentaire lorsqu’une femme devait aller travailler, ou de les
accueillir ensemble à la maison, ou encore d’apporter des compléments
alimentaires à un voisin, un ami ou un parent qui avait perdu son emploi
ou était tombé malade. Tous ces réseaux primaires, d’une importance
cruciale, se rompent. Les femmes américaines qui essaient de préserver
le bonheur et la santé de leurs familles doivent aller travailler à l’extérieur,
pendant que leurs enfants sont gardés dans des conditions totalement
inadaptées, voire pénalement condamnables. Les femmes épuisées
rentrent de leur travail dans leurs foyers où les attendent des travaux
domestiques et près de leurs maris et leurs enfants qui, désespérément,
attendent leurs attentions. Les hommes dont les conditions de travail et
les salaires se sont détériorés veulent des femmes qui prennent soin d’eux
quand ils rentrent. Ils répugnent à aider pour les soins aux enfants. Ils
veulent être soignés eux-mêmes comme l’ont été leurs pères, ce qui peut
expliquer pourquoi 70 % des travaux ménagers continuent d’être exécutés
par les femmes. La vie des femmes est de plus en plus difficile, épuisante
et solitaire. Elles demandent le divorce pour s’affranchir des exigences
des hommes, ayant l’impression que les revenus plus élevés générés par
la présence des hommes ne compensent pas le fardeau supplémentaire
qu’elle représente. Actuellement, les femmes mariées constituent la
population la plus fortement touchée par la dépression nerveuse 22. Leur
vie est devenue plus difficile, à un degré impossible à mesurer. Leurs
luttes sont invisibles tant aux yeux de leurs maris qu’à ceux de leur
gouvernement. La quantité énorme de problèmes, effrayants et exclusifs,
auxquels elles font face ne reçoit pas la moindre reconnaissance.
La gauche américaine n’est pas une force alternative, unifiée et
dynamique. Elle n’entreprend des actions que sur certains problèmes
féministes isolés. Elle manque d’un programme révolutionnaire englobant
les problèmes, liés entre eux, qui concernent les priorités nationales et
la désintégration des familles. La vie familiale et la vie personnelle, qui
occupent une place centrale chez les gens, et en particulier chez les
femmes, sont des parties de la vie que la gauche a abandonnées. La droite
religieuse se focalise sur la famille. « Pleins feux sur la famille » est, dans
ce pays, l’une des institutions les plus riches et les plus puissantes des
fondamentalistes de droite qui possèdent des chaînes radiophoniques, une
maison d’édition, une église et des établissements religieux à la disposition
de toute la famille. Les églises fondamentalistes font la promotion du
rôle traditionnel, féodal de la femme comme productrice domestique
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et valorisent l’importance de son travail de nourrice d’enfants. Dans le
même temps, ils s’opposent frénétiquement à toute aide sociale dont les
femmes ont besoin, telle qu’une garderie de qualité y compris post-scolaire,
une assurance maladie gratuite, les droits à l’avortement et aux congés
de maternité et de paternité. La popularité de Sarah Palin est celle du
rêve impossible d’accomplir simultanément l’ensemble des obligations
incombant aux femmes. Palin se présente elle-même comme une mère
moderne qui aide et encourage ses enfants tout en menant la campagne
électorale dans l’État de l’Alaska, et dont l’aspect est celui d’un sex symbol.
Les femmes, et surtout la minorité qui est encore mariée, veulent tellement
croire qu’elles peuvent réaliser l’impossible que beaucoup d’entre elles
ne mettent même pas en question ces désirs irréalisables. Une légère
majorité de femmes mariées a voté pour le duo McCain/Palin. Bien que
Palin ne fasse rien pour s’intéresser aux préoccupations des femmes et
qu’elle fasse beaucoup pour les nier, elle a juré de briser le plafond de
verre qui maintient les femmes en bas de l’échelle, de protéger les enfants
qui ont des besoins spécifiques et de gouverner la nation.
Les femmes non mariées qui rejettent la famille féodale, qui souffrent
et qui veulent un réel changement, ont voté en masse pour Obama. Les
femmes non mariées avec enfants ont voté en faveur d’Obama dans la
proportion de 74 contre 25. Les femmes non mariées sans enfant ont voté
pour Obama dans la proportion de 69 contre 31. Les femmes non mariées
ont apporté la victoire à Obama avec leurs 12 millions de voix. Elles ont
vu en lui l’espoir d’avoir pour Président le seul candidat non sexiste que
l’Amérique ait jamais eu. McCain enrageait. Il levait les bras en se serrant
les doigts lors de ses discours, en affirmant qu’il avait toutes les réponses.
Sa plateforme était basée sur la propagation de toutes les peurs et sur
la guerre. En revanche, Obama était calme et sérieux. Il s’est opposé à
la guerre en Irak. Il a plaidé pour la négociation, le respect et l’espoir.
Douze millions de femmes célibataires ont choisi Obama et rejeté les
rodomontades militaires et l’impossible certitude offerte par le machisme.
Que peut offrir la gauche à ces douze millions de femmes ?
Je voudrais présenter quelques idées qui peuvent constituer la partie
initiale d’un programme de gauche pertinent. Nous avons besoin de
commencer par étudier en détail les capacités et le savoir impliqués dans
le travail relationnel. Actuellement, le travail relationnel des femmes est
sous-évalué à un point tel qu’il n’est même pas reconnu. Il n’existe pas
de vocabulaire pour définir le savoir et pour nommer les capacités qui
permettent aux femmes d’anticiper et de répondre aux besoins relationnels
de tous, du nourrisson à l’adulte. Il n’existe pas de définitions accessibles
de ce corps du savoir qui émerge de l’écoute de soi-même dans le but de
répondre aux besoins d’autrui, et de s’occuper des autres physiquement
tout en leur laissant entendre qu’ils sont précieux et aimés 23. La gauche
a besoin de concevoir et d’expliquer l’art et la manière de reconnaître
financièrement les capacités d’empathie et de relation. Nous devons aussi
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faire la mise au point des emplois que le travail domestique implique,
mentionner ensuite leur importance cruciale et élaborer des programmes
pour alléger le fardeau du travail domestique des femmes.
Voici quelques idées sur des plateformes ayant pour objet la
reconnaissance et l’amélioration des conditions de l’exploitation des
femmes dans le travail domestique :
• Des restaurants familiaux de bonne qualité à faible coût,
• Des possibilités d’emporter des repas sains et nourrissants,
• Des services auxiliaires de nettoyage des maisons et de
blanchissage,
• Des garderies d’enfants prenant pour modèle le système de garde
d’enfants français,
• Des programmes post-scolaires éducatifs, sportifs et artistiques de
bonne qualité.
Nous avons aussi besoin de programmes pouvant aider à améliorer les
charges des femmes en matière de travail relationnel, afin de compléter
la reconnaissance de toutes leurs capacités et du travail investi dans les
soins apportés à autrui.
Quelques idées concernant ces programmes figurent ci-après :
• Prévoir un revenu supplémentaire pour les emplois qui exigent un travail
relationnel et récompenser explicitement les services psychiques
fournis. Ce sont habituellement des emplois féminins tels que ceux qui
sont en rapport avec les soins aux malades, le travail social et l’éducation
de nourrissons, d’enfants en bas âge et d’enfants entre cinq et huit ans.
D’une manière générale, il s’agit des emplois les plus mal payés dans
l’ensemble des États-Unis.
• Création d’incitations financières explicitement reconnues pour
reconnaître financièrement les travailleurs des services pour la partie
de leur emploi exigeant un effort relationnel direct envers le client. Ces
incitations peuvent concerner des emplois tels que ceux du personnel
infirmier, des assistants sociaux, des conseillers. Les personnes
chargées de l’aide dans le travail relationnel devraient gagner un
surplus de salaire pour leur apport de soins psychologiques sur le lieu
de travail.
• Création de centres gratuits de conseil pour les couples et les familles,
où sera valorisé et enseigné le travail formel qui consiste à comprendre
et à aider autrui psychiquement.
• Ordonner que les programmes populaires et largement répandus
divisés en 12 niveaux, comme ceux des Alcooliques anonymes, des
enfants adultes d’Alcooliques, des Drogués anonymes, des Goinfres
anonymes, des Boulimiques anonymes, des Anorexiques anonymes,
des Pédophiles anonymes, des Violeurs anonymes, des Flambeurs
anonymes et des Dragueurs anonymes, incluent un 13e niveau qui
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examine les conditions de présence d’addictions dans les familles
autoritaires et répressives et dans les entreprises avides de profits,
telles que les commerces de spiritueux, les industries des produits
de régime et de la mode, l’industrie pharmaceutique, l’industrie
pornographique et les industries fabriquant des produits alimentaires
de mauvaise qualité.
Un programme de Gauche conforme à l’analyse figurant ci-dessus
pourrait également comprendre les éléments suivants :
• S’organiser pour mettre fin à la discrimination sexuelle dans toutes les
catégories de travail tant à la maison que sur le lieu de l’emploi,
• Imposer le règlement de salaires corrects et égaux pour les hommes
et les femmes,
• Agir pour obtenir la suppression des discriminations à l’embauche
frappant les femmes et en particulier les mères,
• En matière de contrôle des naissances et contraception, mettre au
point un programme scolaire commençant dès les classes primaires
soulignant l’importance d’une décision honnête et respectueuse pour la
mise au monde d’un enfant dont les hommes et les femmes partageront
la responsabilité à égalité. Les Scandinaves disposent déjà de tels
programmes scolaires qui commencent dès les classes primaires
par l’étude de la reproduction des végétaux qui peut être arrêtée si
on élimine une étape quelconque du processus. À mesure que les
enfants entrent dans les classes plus élevées, le programme pourrait
s’orienter sur les relations personnelles et la responsabilité sexuelle.
Dans les classes supérieures, ce programme scolaire pourrait inclure
l’enseignement de la responsabilité concernant les besoins de l’être
humain susceptible d’être procréé, ainsi que l’importance cruciale d’une
planification si l’on veut fonder une famille ;
• Mise à disposition de cours, pour enfants et adultes, pouvant être
suivis pendant toute la durée d’une vie, pour enseigner les pratiques
visant à surmonter les difficultés relationnelles, dans le respect et la
considération pour l’autre qu’il soit un enfant ou un adulte. Ces cours
pourraient très largement donner l’occasion de débattre de stratégies
visant à créer des relations de nature émotionnelle, communistes et
égalitaires ;
• En résumé, il est primordial pour la Gauche de créer un vocabulaire
sur ce sujet et d’apprécier à sa juste valeur le travail domestique des
femmes, le travail relationnel et le travail effectué en prenant soin
d’autres personnes. Une mise à plat de ce que ce travail implique est
une étape essentielle du processus de valorisation des postes occupés
par les femmes, à la maison et sur leur lieu de travail. L’analyse de
classe présentée ici est une base pour permettre la création d’un tel
vocabulaire, d’une conscience et pour agir. L’Amérique après Bush
est un pays de crises personnelles et de désastres familiaux. Obama
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ne peut pas répondre à tous les espoirs qu’il a soulevés. Il est temps
pour la Gauche de s’intéresser à ces problèmes, sur les lieux mêmes
où nous passons notre vie.
Notes de fin
1. Resnick, S. et Wolff, R. (2003). « Exploitation, Consumption, and the Uniqueness of
US Capitalism. Historical Materialism V.11 N.4 p. 209-226 ; Wolff, R. (2008). « When
Capitalism Hits the Fan », lecture video. http://video.com/1962208
2. Les individus mâles des ethnies minoritaires n’ont jamais gagné un salaire suffisant
pour entretenir femme et enfants. Les individus mâles blancs le pouvaient, étant
bénéficiaires d’un supplément de salaire parce qu’ils étaient de race blanche et de
sexe masculin.
3. Lee, M. et Mather, M. (2008). « US Labor Force Trends » Figure 1. « US Labor Force
Participation of Men and Women 1970-2007. 5. Population Bulletin. V.63 N.2.2008.
Population Reference Bureau.
4. En 2000, 77 % des femmes américaines faisaient partie du monde du travail (Babcock,
L. et Laschever, S. (2003). Women Don’t Ask : Negotiation and the Gender Divide.
Princeton NJ : Princeton University Press, 2003, 41-62.) En 2006, le pourcentage des
femmes au travail a diminué parce que les charges de garde d’enfants et de soins
aux personnes âgées se sont alourdies en raison des réductions drastiques opérées,
sous Bush, dans les services sociaux pour les anciens et les enfants. (Porter, E.
(2006). Women In The Workplace : Trend Is Reversing », San Francisco Chronicle,
2 mars 2006.
5. OCDE. www : oecd. org/els/social/inequality.
6. Wolff, R. (2008). « When Capitalism Hits the Fan », conférence video. http://vimeo.
com/1962208
7. Le terme « deuxième journée » vient de l’excellent livre de Arlie Hochschild’s portant le
titre Second shift (1989, New York : Viking).
8. Fraad, H. (2008). « American Children. Who Cares ? », The Journal of Psychohistory,
p. 394-399.
9. Les États-Unis exigent des licences pour les manucures, les pédicures et les coiffeurs
(-euses), mais pas pour le personnel des garderies d’enfants et pour les nourrices à
la journée.
10. Le petit nombre d’heureux élus qui bénéficient de soins de qualité proviennent
de familles privilégiées ou se trouvent dans la zone du seul excellent programme
national « Head Start ». Toutefois, plus de la moitié des enfants d’âge préscolaire
habilités pour suivre « Head Start » sont refusés faute de places disponibles. Les
coûts pour la garde des enfants sont inaccessibles pour la plupart des familles. Le
coût annuel moyen pour faire garder un enfant de quatre ans pendant la journée
se situe entre 4 000 et 8 500 $ par an, l’équivalent des frais de scolarité dans une
université d’État. Une famille sur trois ayant de jeunes enfants paie 25 000 $ par an
ou plus pour faire garder ses enfants. La plupart des familles ont plus d’un enfant.
Les coûts à la charge d’une mère célibataire peuvent s’élever à plus de 50 % de son
revenu. (Fraad, note de bas de page 8, p. 397).
11. Le « US Bureau of Labour (2006) », dans son étude sur l’utilisation du temps dans
les ménages, présente un graphique montrant que les femmes mariées employées à
plein-temps à l’extérieur et ayant de jeunes enfants consacraient 3,4 heures par jour
à leurs activités ménagères et aux soins apportés aux membres du foyer. Dans un
graphique intitulé » Utilisation du temps en semaine par les femmes mariées vivant
avec de jeunes enfants et occupant un emploi », le ministère de Travail des ÉtatsUnis montre qu’en 2006 les femmes mariées restant au foyer et s’occupant de jeunes
enfants travaillaient en moyenne huit heures par jour. Certaines responsabilités
féminines n’étaient prises en compte dans aucune de ces études, par exemple le
temps passé à établir les emplois du temps des enfants, à les conduire sur les lieux
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de jeux, chez le dentiste ou le médecin, préparer leurs projets scolaires, chercher
des personnes pour les garder. Nous pouvons présumer que ces activités occupent,
au minimum, une heure par semaine. Selon la moyenne indiquée par les statistiques
du ministère et d’autres études, les femmes sans emploi consacrent au minimum
quarante-trois heures et demie par semaine aux travaux ménagers.
12. Uchitelle, l. et Leonhardt, D. (2006). « Men Not Working and Not Wanting Just Any
Job », The New York Times, 31 juillet 2006 p. d1.
13. Roberts, S. 16 janvier 2007. « Most Women Now Live Without A Husband », The New
York Times. http://www.nytimes.com
14. Brinig, M. et Allen, D. (2000) « These Boots Are Made For Walking : Why Most
Divorce Filers Are Women », American Law and Economics Review 2-1 (2000) :
p. 126-169.
15. Les statistiques concernant les divorces sont basées sur des prédictions et ne sont
pas précises. Toutefois, tous les statisticiens, sauf les plus conservateurs au plan
religieux et politique, s’accordent pour dire que 50 % des premiers mariages et 60 %
des seconds mariages finiront par un divorce légal. (Divorce Rate USA 2008. http://
www.divorcemagazine.com). Naturellement, beaucoup de gens se séparent sans
légaliser leur séparation ou leur divorce. Par conséquent la fréquence réelle des
mariages rompus est plus élevée que le taux de divorce. L’article cité plus haut
paru dans la publication Divorce Magazine fournit les dernières statistiques sur
les divorces basées sur les rapports du « Centre National de la Santé » et sur les
recensements de la population des États-Unis.
16. Les craintes des femmes de perdre leur sécurité économique sont fondées. Il est
à noter que beaucoup d’entre elles acceptent le risque de devenir pauvres à seule
fin d’éviter l’exploitation domestique et psychique. Après leur divorce, le niveau de
vie des femmes est aujourd’hui en baisse de 26 à 36 %. (Bennett, L. (2007). The
Feminine Mistake. New York : Hyperion (2007). 97-125 ; Grall, T. (2006) « Custodial
Mothers and Fathers and Their Child Supports » Recensement de la Population :
Bureau du recensement des États-Unis, juillet 2006 ; Garrison, M. (2001), « The
Economic Consequences of Divorce ». Duke University Journal of Gender Law and
Policy, V.8. p. 119-126 ; 128, Hamilton, V. 2004. « Mistaking Marriage for Social
Policy. » Virginia Journal of Social Policy and Law, V.11 p. 306-362. La détérioration
pour les mères et les enfants reflète l’impact des lois sur le divorce « sans torts ».
Ces lois établissent de nouvelles normes en matière d’attribution des pensions
alimentaires et des biens, basées sur un traitement « égalitaire » des deux sexes,
sans prendre en compte les réalités économiques des revenus financiers et des
besoins des femmes et des enfants. Ces lois ignorent l’impact exercé sur les salaires
féminins par les congés de maternité, qui, pour presque toutes les femmes, ne sont
pas rémunérés, et qui, même pour celles qui reçoivent une certaine compensation,
ont un effet négatif sur l’ensemble de leurs revenus. Elles ignorent aussi le temps
passé pour s’occuper de la maison et des enfants, qui empêche les femmes de
profiter de possibilités d’avancement en faisant des heures supplémentaires, d’avoir
une vie sociale après le travail et d’accepter des déplacements professionnels et
du travail en horaire décalé. Elles ignorent l’incapacité à retourner sur le marché du
travail des femmes d’un certain âge sans formation actualisée, sans pratiques et sans
expériences. En 2004, 64,2 % des mères américaines obtenaient une aide légale.
Toutefois, seules 45,2 % d’entre elles – soit moins de la moitié – ont effectivement reçu
cette aide pour enfants qui leur avait été légalement attribuée. (Grall, 2006, cité plus
haut). Bien qu’il y ait eu des améliorations, la situation est désastreuse.
17. Centres for Disease Control (CDC) et National Committee on Violence Against
Women. 2000. « Findings from the National Committee on Violence Against Women
Survey, juillet 2000 », US Department of Justice, Office of Justice Programs. NCJ
181867 p. 97.
18. Stritof, S., et Stritof, B. (2008). « An Evolution of Law : Spousal Rape Recently
Prosecutable », Times Standard, 23 mars 2008, p. 101.
19. Koontz, C. (1987). Mothers in the Fatherland. New York : Saint Martin’s Press.
Actualités
20. Baptist Faith and Message. 13-14 juin 2000. « Southern Baptist Cnvention on Men
and Women ». Orlando, Floride.
21. Belluck, P., 14 novembre 2004. « To Avoid Divorce Move to Massachusetts », The
New York Times Week Review.
22. Les Américains vivent actuellement dans une époque de grande misère. Plus de
11 % des femmes et 5 % des hommes prennent des anti-dépresseurs (Barber,
C. 2008. Comfortably Numb : How Psychiatry Is Medicating A Nation New York :
Panthon Books, 2008). Cela illustre le fait qu’un nombre plus de deux fois plus
grand de femmes que d’hommes sont assez désespérées pour chercher une aide
psychiatrique.
23. Ce qui existe de plus proche se trouve dans les études scientifiques concernant
le lien mère/enfant ainsi que dans des études sur l’importance de ce lien dans
le développement du cerveau et pour le bien-être de la personne humaine. Les
ouvrages suivants constituent d’excellents exemples récents d’études dans ce
domaine : Daniel Stern (2004). « The Present Moment in Psychotherapy and
Everyday Life ». New York : W.W. Norton, et John Cacioppo William Patrick. (2008).
Lone.
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