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L’Amérique de l’après-Bush est un pays de souffrances personnelles,
de désintégration familiale et de désespoir pour nombre de femmes et
d’enfants. La famille américaine a vécu une révolution de classe dans la
famille et dans la vie personnelle. En fait, cette révolution dans la famille et
dans la vie personnelle est la seule révolution de classe qui soit survenue.
Elle n’est pas reconnue en tant que telle parce que parler de classe c’est
tenir le discours le plus fortement réprimé en Amérique. La race, le genre
et l’ethnicité sont reconnus, la classe ne l’est pas.
Les conditions des femmes et des familles aux États-Unis ont
commencé à se détériorer en 1970. Sous Bush, cette détérioration
s’est dramatiquement aggravée. En 1970 les salaires réels ont baissé,
pour la première fois depuis plus d’un siècle. Pendant les 150 années
précédentes, entre 1820 et 1970, chaque génération a bénécié de
salaires plus élevés que ceux de la génération précédente. Même au cours
de la grande dépression, les salaires réels avaient augmenté parce que la
chute des prix avait été plus rapide que celle des salaires. C’était cela la
base du « rêve américain ». Tout cela s’est arrêté en 1970. À partir de ce
moment, la productivité des travailleurs continuait de s’élever tandis que
les salaires baissaient 1. Le salaire familial américain versé aux travailleurs
masculins blancs a pratiquement nourri les femmes et les enfants jusqu’en
1970 2. Avant 1970, chaque génération a pu augmenter sa consommation.
Pour les Américains, le sentiment de leur propre valeur dépendait très
largement de leur capacité accrue de consommer. La valeur propre de
chaque individu et sa valeur sur le marché formaient un amalgame. À
l’époque Bush est venu au pouvoir, en 2000, les Américains étaient
de plus en plus désespérés. Ils avaient le sentiment que leur valeur
personnelle avait baissé avec leurs salaires. La consommation était minée,
et avec elle leur propre valeur.
Quel a été l’effet de la crise sur la vie personnelle et familiale ?
Le désespoir familial a poussé les femmes à entrer dans le monde
du travail pour accroître le revenu du ménage. Les adolescents ont
commencé à travailler pour faire face à la consommation en croissance
Les États-Unis après Bush :
un lieu de désintégration
familiale et de changements
personnels révolutionnaires
Harriet Fraad
Psychothérapeute à
New York, présidente
de L’Association de
psycho-histoire et militante
de longue date du
mouvement féministe
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continue, promue par la culture américaine 3. En 1970, 77 % des femmes
américaines travaillaient, la plupart à plein temps, tandis que se réduisaient
de plus en plus les aides gouvernementales pour la garde des enfants, les
programmes post-scolaires et les programmes sociaux pour les personnes
âgées 4. Le travail des femmes a son propre coût : non seulement les
dépenses évidentes pour des vêtements supplémentaires et le transport,
mais aussi les frais encourus pour acquérir certains biens et services
que les femmes effectuaient elles-mêmes à la maison gratuitement. Les
plus récents calculs indiquent que si une mère de famille américaine
restée à la maison était remplacée par des services payés, le coût en
serait de 116,805 $ par an (CNN, 2008 ; CBC News, 2008). Finalement,
les familles étaient nancièrement perdantes. Leur niveau de vie s’est
fortement détérioré. Les femmes au travail ne pouvaient plus accomplir
leurs tâches ménagères et devaient assurer un travail stressant à plein
temps et, malgré cela, l’argent disponible pour la consommation restait
insufsant. Pour vivre, les familles devenaient dépendantes des dettes
autorisées par leurs cartes de crédit.
Du fait que la productivité était en forte croissance alors que les
salaires étaient bloqués, les Américains les plus riches se sont appropriés
d’énormes quantités de surplus de travail à leur prot. Pour illustrer ce
que cela signie : les Américains qui, en matière de redistribution de
richesses, étaient en 1970 la nation occidentale la plus égalitaire, sont
devenus en 2008 5 la nation occidentale la moins égalitaire. La classe
capitaliste a alors trouvé judicieux d’émettre des cartes de crédit, an
de prêter aux travailleurs l’argent provenant de leur surplus de travail et
qu’elle s’était appropriée. Le taux d’intérêt des cartes de crédit se situe
entre 17 % et 22 % 6.
Au moment où Bush a pris le pouvoir en 2000, la relation volatile entre
la réduction des salaires et l’accélération de la dette était en crise. Bush a
gagné les élections de 2000 et de 2004 en partie parce qu’il a vendu aux
électeurs la fable que les États-Unis étaient le roi du monde et que le mâle
américain était le roi de son ménage. Cette fable a été présentée alors
que l’économie des États-Unis n’était plus particulièrement dominante
dans le monde et que la famille américaine était déjà au bord de la faillite.
Actuellement, il est beaucoup plus difcile de faire accepter de telles fables.
Bush a fortement réduit nombre de programmes sociaux, déjà limités, qui
permettaient à des familles de survivre. Nous sommes maintenant en train
de perdre deux guerres. L’édice précaire de l’endettement au moyen de
cartes de crédit s’est écroulé.
Les familles vivent dans l’angoisse. La vie des familles américaines
pendait du travail domestique à plein temps des femmes qui maintenaient
la vie du foyer sur le plan physique, ainsi que du travail relationnel des
femmes qui maintenaient, sur le plan psychique, la sécurité de la famille
et son bien-être. À présent, aux États-Unis les trois quarts des femmes
travaillent à l’extérieur. Après leur journée de travail passée dans le monde
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salarié, elles rentrent à la maison pour effectuer une deuxième journée
de travail domestique et relationnel 7. 60 % des femmes américaines
ayant des enfants de moins de deux ans font partie du monde du travail
salarié. Les femmes ayant des enfants de moins d’un an travaillant à
plein temps sont deux fois plus nombreuses que celles travaillant à temps
partiel (Département américain du travail, Bureau des statistiques de la
main-d’œuvre, 2005). Presque 80 % des mères d’enfants entre 6 et 11 ans
travaillent à l’extérieur. Parce qu’il n’existe pas d’aide gouvernementale
pour les mères au travail, 85 % des nourrissons sont gardés dans des
conditions déplorables pendant que leurs mères travaillent. Au cours de
ces années, en principe formatrices, il est courant que les petits enfants
passent des journées entières entassés dans des locaux exigus, assis
devant la télévision dans des couches souillées. Très souvent, ils n’ont ni
jouets adaptés, ni espace pour jouer, ni surveillance. Les deux premières
années sont cruciales pour la formation du cerveau 8. Il n’existe pas de
législation fédérale concernant les centres pour accueillir les enfants 9.
15 % seulement des enfants aux États-Unis bénécient de soins de garde
de qualité. Les soins de garde de bonne qualité coûtent très cher 10.
82 % des gardes d’enfant et 70 % du travail ménager continuent d’être
effectués uniquement par des femmes. À cause de leur travail à la maison,
la semaine de travail des femmes est de sept heures plus longue que
celle de leurs maris 11. Les femmes mariées qui travaillent à l’extérieur
effectuent, en moyenne, plus de travail ménager que leurs maris qui sont
au chômage 12.
La famille telle que nous l’avons connue n’existe plus. Les hommes
américains n’aident pas sufsamment leurs femmes et leurs enfants, et ne
le peuvent pas. Les femmes sont épuisées et malheureuses. Une cente
évolution montre le rejet du mariage par les femmes américaines. Pour
la première fois dans l’histoire américaine, la majorité des femmes sont
célibataires 13. Les deux tiers des divorces sont maintenant demandés
par des femmes 14. La moitié des premiers mariages et 60 % des seconds
mariages nissent par une séparation légale ou un divorce. Ces chiffres
ne tiennent pas compte de tous ceux dont les mariages nissent sans que
cela soit entériné légalement 15. Les femmes désertent le mariage parce
qu’a pris n la division du travail sur laquelle celui-ci était initialement basé,
à savoir les femmes effectuant le travail domestique, sexuel et psychique
et les hommes assurant l’existence économique du ménage.
Les femmes ne veulent plus, comme avant, se charger de la vie
domestique, sexuelle et psychique des hommes, sous la forme d’une
« deuxième journée de travail ».
En fait, maintenant les femmes veulent prendre une revanche nancière
pour échapper à l’exploitation à la maison. Les femmes américaines sans
enfant gagnent autant, voire plus, d’argent que leurs maris. Elles peuvent
délaisser le mariage, et elles le font, sans privations nancières. Les
femmes avec enfants souffrent nancièrement. Le paiement de pensions
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alimentaires aux femmes est rarement accordé et les pensions dues pour
les enfants ne sont pas versées en totalité 16.
En quoi tout cela concerne-t-il une Révolution de classe ?
Comme nous l’avons déjà dit, dans leur grande majorité les Américains
n’ont pas de conscience de classe, alors que ces changements dans
les ménages et la vie de famille représentent la seule révolution de
classe aux États-Unis. Quelle sorte de transformation de classe est en
cours ? Dans une « coquille de noix », la famille nucléaire, tant célébrée
et ostensiblement « traditionnelle », était en fait une structure féodale. La
femme produisait les valeurs d’usage afférentes au ménage cuisinait,
rangeait, nettoyait et les valeurs d’usage afférentes aux services telles
que la garde des enfants, les soins aux malades, les services de soutien
relationnel et les services sexuels. Son mari, en vertu du droit attaché à sa
naissance d’individu mâle, devait soutenir nancièrement sa femme et ses
enfants dans ce ménage féodal. L’homme, en vertu de sa masculinité, avait
le droit de s’approprier et de distribuer les valeurs d’usage afférentes au
ménage et les valeurs d’usages afférentes aux services d’ordre psychique
que sa femme produisait. Ces modèles ont changé. Le mouvement de
libération des femmes a érola base légale des droits des hommes dans
le ménage. Par exemple, la violence conjugale n’est plus tolérée par la loi.
Toutefois, le privilège féodal masculin persiste. La violence domestique
continue d’être la première cause de blessures et d’homicides perpétrés
contre les femmes de 15 à 44 ans 17. Le viol conjugal est maintenant illégal
dans l’ensemble des cinquante États. Cependant, encore aujourd’hui,
les peines inigées sont plus légères pour un viol conjugal que pour un
viol commis par un étranger. Dans vingt États, il est toujours légal qu’un
homme ait des relations sexuelles non consenties avec son épouse si
elle présente une incapacité mentale ou physique 18. Des lois ont été
promulguées qui rendent plus difcile pour un père d’abandonner ses
enfants nancièrement. Un plus grand nombre de pères sont légalement
contraints de soutenir leurs enfants ; toutefois, les femmes reçoivent
rarement le montant total de l’allocation, déjà insufsante, qui leur est
accordée.
À mesure que la famille féodale s’efface lentement, elle est remplacée
par d’autres formes familiales présentant d’autres critères de classe
importants. La forme familiale dont l’extension est la plus rapide est celle
que Marx a appelée « la forme antique » du ménage, que j’appelle la
forme individuelle dans laquelle un individu, un homme, une femme ou
une personne avec des enfants qui en dépendent, ou des individus sans
lien de parenté, vivent dans un ménage chacun produit, s’approprie
et distribue ses propres surplus domestiques. 20 % des Américains ne
se marient jamais. Aux États-Unis, les ménages individuels sont la forme
familiale qui croît le plus vite. La plupart des enfants passeront au moins
une partie de leur enfance hors d’une famille comprenant leurs deux
parents biologiques.
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La forme familiale individuelle est en train de devenir, très rapidement, la
forme dominante du ménage américain. Elle est encouragée par l’idéologie
individualiste américaine, les féministes qui prônent l’indépendance des
femmes, et les hommes qui veulent échapper aux obligations nancières
envers les femmes et les enfants.
En outre, sont en train d’émerger deux autres formes de ménages
à caractère de classe. L’une est un ménage communiste d’adultes,
ou d’adultes et enfants. Ces ménages fonctionnent selon le principe
communiste « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses
besoins ». Les tâches domestiques et le travail relationnel sont partagés
ainsi que le travail à l’extérieur si besoin est. Cette forme familiale est
encouragée par beaucoup de thérapeutes de la famille, de féministes,
de progressistes et de couples sans enfant qui travaillent, ainsi que par
certains couples avec enfants. C’est une forme qui croît lentement.
Il existe une autre forme qui se répand et qui a été soutenue par des
forces qui résistent vigoureusement à l’effondrement du ménage féodal.
Elles entretiennent une relation romantique, nécrophile avec une forme
familiale morte. C’est la famille de droit religieux dont sont captifs environ
40 % des Américains. C’est la forme que j’appelle la famille féodale
fasciste, ainsi nommée à cause de sa similitude avec les familles du
Troisième Reich. Dans le Troisième Reich la seule préoccupation des
femmes devait être les « 3 K », à savoir : « Kinder , che, Kirche »
(enfants, cuisine, église). Le contrôle de leur propre corps leur était
dénié par l’interdiction de la contraception et de l’avortement. Le Führer
était le chef de l’homme et l’homme était le chef de la femme 19. Les
femmes devaient rester des subordonnées, comme elles le sont dans la
Convention des Baptistes du Sud selon laquelle « Dieu est le chef des
hommes qui ordonne aux mâles de guider les femelles. Les femmes
sont chargées des soins du foyer et du ménage » 20. Dans le Troisième
Reich, les femmes travaillaient jusqu’à 60 heures par semaine dans les
usines de munitions, mais leurs salaires étaient ostensiblement très bas
parce que le travail en usine n’était pas leur mission vitale. La mission
attribuée à leur genre était de prendre soin des hommes et des enfants,
et celle-ci restait immuable malgré les longues heures de travail passées
à l’extérieur. C’est le modèle familial défendu par le groupement de
James Dobson « Se focaliser sur la Famille », la « Convention Baptiste
Sudiste » et par les églises fondamentalistes à travers toute l’Amérique.
C’est la famille des sponsors et soutiens nanciers de Sarah Palin. Ce
modèle est difcile à fendre dans le monde d’aujourd’hui ; c’est pourquoi
dans les États « rouges » et parmi les fondamentalistes, la fréquence
des divorces est même plus élevée que dans les États « bleus » moins
fondamentalistes 21. Les femmes américaines acceptent moins facilement
de rester soumises, alors qu’elles travaillent pour assurer leur subsistance
et celle de leurs enfants, à côté d’un mari qui, à lui tout seul, ne peut y
pourvoir. Les mariages solides appartiennent au passé. Les familles et
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