Journées scientifiques 24/25 mars 2015 URSI-France Formation Stellaire et Complexité Chimique dans la Nébuleuse d'Orion: une Image Renouvelée par les Interféromètres mm/submm IRAM et ALMA ________________________________________________________________ Alain Baudry*, Nathalie Brouillet*, Didier Despois* *Univ. Bordeaux, LAB, UMR 5804, F-33270 Floirac, France & CNRS, LAB, UMR 5804, F-33270 Floirac, France Mots-clefs : nébuleuse d’Orion, formation stellaire, molécules complexes, radiointerférométrie Key-words : Orion nebula, stellar formation, complex molecules, radio interferometry Résumé La nébuleuse d'Orion est l'une des régions célestes les plus observées depuis les hémisphères nord et sud. Elle est le siège d'une intense formation stellaire particulièrement bien étudiée dans les domaines mm et submm qui révèlent l’intérieur des régions froides et sombres, inobservables en optique, où se forment les étoiles. Les interféromètres radio les plus sensibles pour ce type de travail, IRAM et ALMA, offrent un pouvoir de résolution spatiale inégalé atteignant la seconde de degré ou mieux. Ils permettent d’identifier des structures fragmentées de poussière et de gaz où se forment de nouvelles étoiles et les systèmes planétaires associés. Ces interféromètres ont la capacité d’analyser finement la composition moléculaire des fragments protostellaires. Une grande variété de molécules complexes a été identifiée au cœur d’Orion, leur émission a été cartographiée et les abondances ont été estimées. Les résultats nous interrogent à la fois sur les processus d'excitation et de formation moléculaire et sur le lien possible entre la chimie des régions où se forment étoiles et systèmes planétaires et la chimie des comètes. Abstract The Orion nebula is one of the most observed celestial regions of the sky. Orion is an active massive starforming region especially well observed in the mm and submm domains that allow us to unveil the cool and dark regions in which stars are being formed. The most sensitive radio interferometers for this type of work, IRAM and ALMA, offer an unsurpassed spatial resolution reaching scales around or below one arc second. They identify fragmented structures of gas and dust within which new stars and associated planetary systems are being formed. These interferometers have the ability to analyze with high spectral resolution the molecular contents of the proto-stellar fragments. A large number of complex molecules have been identified in the Orion nebula, their emission has been mapped and the abundances have been estimated. The results, requiring a molecular formation and excitation model, allow us to compare the chemistry at work in regions where stars and planetary systems are being formed with the chemistry prevailing in the comets. 1. Introduction 1.1 La nébuleuse d’Orion et de BN/KL La nébuleuse d’Orion (ou Messier 42) est une petite nébuleuse diffuse visible à l’œil nu située dans la partie sud du grand quadrilatère des étoiles brillantes qui forment la constellation d’Orion. Elle fait partie d’un grand complexe de gaz et de poussières, le ‘nuage d’Orion’ qui s’étire sur une large partie de la constellation. La nébuleuse d’Orion est illuminée par un amas d’étoiles jeunes (quelques millions d’années) entourant les 4 étoiles brillantes du Trapèze situé dans une petite région de diamètre voisin de 1,5 année-lumière. C’est dans l’environnement du Trapèze que dans les années 1970 les développements instrumentaux en infrarouge et en onde radio centimétrique et millimétrique ont permis d’observer soit de nouveaux objets stellaires compacts soit des nuages fragmentés de poussière et de gaz. On s’intéresse particulièrement ici à la région dite de KleinmannLow (KL) où de nouvelles étoiles se forment et au sein de laquelle on observe, à quelques mois-lumière du Trapèze (en projection sur le ciel), la source infrarouge de Becklin-Neugebauer (BN) identifiée comme une étoile massive enfouie dans le gaz. Plus généralement, la région KL est liée au vaste amas stellaire d’Orion (ou ‘Orion Nebula Cluster’) formé de milliers d’étoiles jeunes. La distance de l’amas d’Orion a été déterminée avec précision par la mesure en radio interférométrie de la parallaxe trigonométrique de quelques étoiles de l’amas [1]. Elle est de 1350 années-lumière, une distance 141 URSI-France Journées scientifiques 24/25 mars 2015 proche à l’échelle astronomique, et qui fait d’Orion une cible idéale pour l’étude détaillée des questions de formation stellaire. 1.2 Radiotélescopes en onde millimétrique et les interféromètres IRAM et ALMA Comme les télescopes optiques, les radiotélescopes captent le rayonnement radio émis par les objets célestes. La détection est de type hétérodyne et consiste à transposer le rayonnement incident sur une bande de fréquence basse qui est amplifiée et détectée1. La détection se fait sur une bande relativement large (typiquement 8-10%, ou moins, de la fréquence centrale captée) et l’on parle alors de mode ‘continuum’ ou, simultanément, sur des bandes de fréquence étroites de façon à analyser la signature spectrale du signal capté, et l’on parle alors de mode spectral ou ‘raie’. Depuis les années 1970 la radioastronomie s’est extraordinairement développée dans le domaine des ondes millimétriques en raison : a) d’avancées technologiques majeures (cryogénie, jonctions détectrices, panneaux réflecteurs, etc.), et b) des développements considérables de la spectroscopie atomique et moléculaire. Ces avancées ont conduit les astronomes et les physico-chimistes à rechercher des signatures atomiques et moléculaires toujours plus complexes dans des environnements astrophysiques variés allant du milieu raréfié et froid interstellaire aux milieux circumstellaires ou extra-galactiques. Les résultats d’observation sont d’une très grande richesse et démontrent en particulier que les ondes mm permettent le sondage des régions les plus froides et sombres de l’Univers, celles où se forment les nouvelles générations d’étoiles indétectables dans le domaine optique. L’infrarouge permet aussi de sonder ces régions ‘obscurcies’, mais ce rayonnement est souvent absorbé par un milieu interstellaire complexe. Deux grands types d’instrument radio sont utilisés : les radiotélescopes fonctionnant en antenne unique, et les réseaux d’antennes fonctionnant en interférométrie. Dans le premier cas, le rayonnement est capté dans le ‘lobe’ radio (équivalent de la tâche de diffraction d’une ouverture optique) alors que dans le deuxième cas les signaux qui interférent offrent un contraste (visibilité des franges) élevé pour des objets suffisamment petits angulairement et dont la taille est proche de λ/Dmax où λ est la longueur d’onde d’observation et Dmax l’écartement maximum entre les antennes du réseau. En mm et submm les systèmes les plus sensibles à ce jour sont les interféromètres de l’Institut de Radioastronomie Millimétrique (IRAM) installé à 2550 m d’altitude sur le Plateau de Bure dans les Alpes françaises2 et le réseau d’antennes mm/submm ALMA (Atacama Large mm/submm Array) installé à 5050 m sur un plateau du désert de l’Atacama au nord du Chili3. On atteint aujourd’hui avec ces instruments des résolutions spatiales inférieures à la seconde de degré angulaire, et la densité de flux (brillance de la source à une fréquence donnée multipliée par son étendue angulaire) minimum détectable est une petite fraction de Jansky (1 Jansky = 10-26 Wm-2Hz-1). Pour ALMA, suivant la fréquence observée, la sensibilité en densité de flux atteint la dizaine ou quelques dizaines de milli-Jansky en mode spectral où la bande de réception est typiquement 10-6 fois la fréquence du récepteur au foyer de l’antenne ; en mode continuum la sensibilité atteint des fractions de milliJansky. Ces interféromètres, et particulièrement ALMA qui échantillonne un grand nombre de fréquences spatiales simultanément (par corrélation des signaux de nombreuses paires indépendantes d’antennes), sont des imageurs restituant avec une grande fidélité la brillance des objets observés (après toutefois diverses manipulation des observables et transformation de Fourier pour passer des fréquences spatiales à la distribution de brillance). ALMA offre aussi une grande couverture spectrale avec des récepteurs centrés dans des ‘fenêtres’ de bonne transparence atmosphérique (en raison du peu de vapeur d’eau résiduelle au-dessus du site élevé d’observation) et réparties entre 35 GHz et 1 THz. 2. Sites de formation stellaire dans la nébuleuse d’Orion et de BN/KL 2.1 Observation en antenne unique, grands relevés moléculaires et en continuum Le rayonnement de la molécule CO à 115 GHz (transition rotationnelle J =1 à J =0) se révélant universellement présent dans l’espace c’est bien sûr à cette fréquence qu’Orion a d’abord été observé extensivement. Les premiers relevés de l’émission à 115 GHz ont été réalisés à faible résolution spatiale (plusieurs minutes d’arc) de façon à couvrir de grandes surfaces de la constellation d’Orion. Les observations révèlent de grandes structures moléculaires (ou Nuages Moléculaires Géants) dont la masse totale gazeuse atteint quelques 105 fois la masse du soleil (voir par exemple [2]). (Dans le milieu interstellaire froid l’hydrogène moléculaire domine, et la molécule CO, excitée par collisions avec H2, n’est que le traceur indirect du gaz H2.) Les Nuages Moléculaires Géants identifiés en CO ont été plus tard observés avec une meilleure résolution spatiale et à la fréquence de l’isotope 13 C du monoxyde de carbone où l’opacité est inférieure à celle de CO et peut dévoiler de nouveaux détails. Ces 1 Des éléments de radioastronomie, antenne unique et interférométrie, sont donnés par exemple dans Kraus, J.D., Radio Astronomy, 2ème édition (Cygnus-Quasar, Powell, Ohio), ou dans Rohlfs, K. et Wilson, T.L., Tools of Radio Astronomy, 2ème édition, Springer 2 L’interféromètre de l’IRAM augmente sa capacité actuelle en doublant sa surface collectrice (projet NOEMA incorporant un total de 12 antennes de 15 m, voir http://www.iram-institute.org/medias/uploads/NoemaBrochureFreFinal.pdf) 3 ALMA est le résultat d’une coopération mondiale pour l’astronomie en onde mm/submm. Des informations générales sont obtenues à http://www.almaobservatory.org/ 142 Journées scientifiques 24/25 mars 2015 URSI-France observations montrent qu’une structure moléculaire fragmentée et filamentaire s’étale sur quelques degrés autour de la région de BN/KL (e.g. [3]). C’est dans ces ‘réservoirs’ filamentaires de gaz que peuvent apparaitre de nouvelles étoiles dont les phases initiales de formation sont provoquées par le déséquilibre entre diverses forces physiques où l’instabilité gravitationnelle domine. Une autre façon de révéler les ‘cœurs’ (de masse variant de une à quelques masses solaires) où se forment les étoiles, consiste à détecter le continuum émis en mm par la poussière intimement mêlée au gaz. La poussière du milieu interstellaire, se compose de grains carbonés et/ou silicatés, de dimension typique proche de 0.1 micromètre ; ils peuvent être recouverts d’une couche (le ‘manteau’) formée de glace d’eau et de molécules simples telles CO, CO2 ou NH3. Cette poussière interstellaire est froide en général et sa brillance faible, mais elle est détectable en mm et submm dans des bandes de fréquence larges. La densité de flux du continuum radio est directement proportionnelle à l’opacité de la poussière et donc à la masse totale de gaz si l’on admet qu’il existe un rapport grossièrement constant entre la masse de poussière et celle du gaz (typiquement 1/100). Des régions étendues ont été cartographiées en continuum à 450 et 850 micromètres autour de BN/KL avec une résolution spatiale de quelques secondes d’arc seulement révélant une chaîne de sources compactes dont certaines sont interprétées comme des proto-étoiles [4]. Récemment, un catalogue complet des cœurs denses dans la direction du nuage moléculaire d’Orion BN/KL a été établi à partir d’observations en continuum à 1.3 mm effectuées avec divers télescopes fonctionnant en antenne unique [5]. Ces cœurs se répartissent dans une structure filamentaire s’étalant sur 1 à 2 degrés, les plus massifs étant majoritairement observés le long des filaments et non en dehors. 2.2 Observations interférométriques en continuum A l’échelle de quelques secondes d’arc et près de l’objet BN très lumineux en infrarouge nous avons utilisé l’interféromètre de l’IRAM pour imager le rayonnement de la poussière autour de 1.3 mm [6]. La carte de l’émission obtenue avec un ‘lobe’ interférométrique de 1.8’’x0.8’’ est reproduite sur la Fig. 1. Elle révèle des agglomérations de matière dénommées Ca, Cb et Cc dont nous avons estimé la masse à partir de leur étendue spatiale et en supposant que la température de la poussière est proche de celle du gaz avoisinant (cette température est calculée à partir de l’observation de plusieurs transitions d’une même espèce chimique) et que le rapport de la masse de gaz à la mase de poussière est égal à 100. Ces nuages, dont la masse s’étale de une à plusieurs masses solaires, constituent bien le réservoir de matière nécessaire à la formation de futures étoiles. Les condensations de poussière sont observées dans deux sous-régions appelées ‘Hot Core’ et ‘Compact Ridge’. Les pics de l’émission en continuum (croix noires sur la Fig. 1) ne coïncident pas exactement, quoique très proches, avec les pics de l’émission moléculaire décrite au paragraphe 3 (voir points rouges correspondant à MF2, 4 et 5 sur la Fig. 1). Par contre MF1 coïncide avec le cœur Cb1 et nous avons discuté dans [6] son association physique possible avec une étoile jeune et une puissante émission de type maser naturel de la molécule d’eau à 22 GHz. Fig. 1. Carte interférométrique (IRAM) de l’émission continuum des poussières autour de 1.3 mm dans la direction de Orion-BN. Le ‘lobe’ interférométrique (en bas à gauche) est de 1.8’’ x 0.8’’. Les croix noires marquent les pics de l’émission en continuum et les points rouges les centres de l’émission moléculaire du formiate de méthyle. Les observations en continuum effectuées à 339 et 245 GHz avec ALMA par [7] montrent que la source Ca de la Fig. 1 dans le ‘Hot Core’ est décomposable en des fragments encore plus petits, de taille inférieure à la 143 URSI-France Journées scientifiques 24/25 mars 2015 seconde d’arc; mais la masse totale du gaz dans le ‘Hot Core’ est de quelques masses solaires comme estimé dans [6]. 3. Observation des molécules complexes à haute résolution spatiale 3.1 Complexité chimique et observations interférométriques C’est dans la région de BN/KL qu’une extraordinaire variété d’espèces chimiques différentes a été observée. Il faut noter par exemple que les ‘balayages’ (ou ‘surveys’) spectraux effectués sur de larges bandes de fréquence avec le télescope de 30 m de l’IRAM dans la direction de cette région contiennent plus de 15000 raies spectrales dont la plupart sont attribuées à 48 molécules différentes et à un grand nombre de variétés isotopiques ou à divers modes de vibration d’une espèce chimique donnée. Une partie des résultats (pas encore totalement exploités) sont exposés dans [8]. Dans certaines régions spectrales les raies sont tellement proches qu’il en résulte une ‘confusion spectrale’ rendant difficile, voire impossible, l’assignation d’une signature spectrale à une espèce chimique précise. La figure 2 extraite des travaux de [9], bien qu’il ne s’agisse pas d’un cas extrême, illustre ce que l’on entend par complexité spectrale. Toutefois, les interféromètres les plus performants, avec une large bande de fréquence instantanée et une résolution spectrale élevée facilitent l’identification des motifs spectraux et, en imageant les émissions moléculaires, permettent de s’assurer par exemple que plusieurs transitions d’une même molécule sont bien excitées dans une même région spatiale. On donne des exemples dans le paragraphe suivant. Fig. 2. Spectre autour de 2223.6 à 223.9 GHz dans la direction du ‘Compact Ridge’ d’Orion obtenu par l’interféromètre de l’IRAM (profil en noir) et le réseau d’antennes ALMA en mode de test interférométrique (profil en rouge) montrant la présence de l’acétone (CH3)2CO et de nombreuses transitions du formiate de méthyle HCOOCH3. On définit ici les molécules complexes comme étant composées de 5 à 10 atomes, par exemple le formiate de méthyle (HCOOCH3) ou l’éthylène glycol (HOCH2-CH2OH), deux molécules présentes dans Orion BN/KL. Il y a aussi des espèces chimiques complexes contenant l’atome d’azote (voir paragraphe 3 .2) ou de soufre qui sont observées dans la direction d’Orion. Beaucoup de ces espèces, relativement faciles à fabriquer au laboratoire, sont difficiles à produire dans l’espace interstellaire où les densités sont extrêmement faibles et les températures basses. Mais, les volumes concernés, les grandes échelles de temps (des milliers voire des millions d’années) et un environnement astrophysique d’une grande variété aboutissent à la grande complexité chimique observée dans BN/KL. Grâce aux relevés sensibles effectués à haute résolution angulaire avec l’IRAM et ALMA il y a aujourd’hui la possibilité d’étudier finement les conditions conduisant au développement d’une chimie complexe dans les sites de formation stellaire. Si l’on compare en outre cette chimie à celle qui prévaut dans les comètes, alors on peut penser qu’il sera possible d’identifier quelques unes des molécules les plus importantes pour l’atmosphère de la Terre primitive. C’est une toute petite partie des questions liées à la complexité chimique dans Orion BN/KL que l’on aborde maintenant. 3.2 Observations interférométriques de molécules complexes Les résultats les plus récents que nous avons obtenus pour les molécules oxygénées complexes avec les interféromètres IRAM et ALMA sont intéressants en raison de l’abondance de résultats nouveaux (largement due à la sensibilité et la haute résolution spatiale des relevés des émissions). On se concentre d’abord sur 2 molécules particulières, le formiate de méthyle (MF) et l’ethylène glycol (EG), travail pour lequel nous avons utilisé à la fois l’interféromètre de l’IRAM et ALMA dans un mode dit de vérification scientifique (c’est à dire en utilisant les données publiques recueillies avec une petite fraction des antennes ALMA dans une période de test de cet interféromètre). 144 Journées scientifiques 24/25 mars 2015 URSI-France Formiate de méthyle. Quelques dizaines de raies du formiate de méthyle (MF) ont été identifiées par [6] et la Fig. 3 montre un exemple de la distribution spatiale de trois de ces raies présentes autour du ‘Hot Core’ et du ‘Compact Ridge’. On identifie plusieurs ‘cœurs’ moléculaires (MF1, 2 etc.) proches ou coïncidant avec les pics d’émission de la poussière de la Fig. 1. Nous avons aussi observé une bonne association de l’émission MF avec l’émission de l’hydrogène excité par des chocs se propageant au sein de BN/KL Ceci suggère un scenario possible de formation de MF : l’éjection de cette molécule du ‘manteau’ de la poussière interstellaire ou peutêtre une formation à partir d’un précurseur chimique commun, sans doute le méthanol CH3OH particulièrement abondant dans Orion. Fig. 3. Carte interférométrique (IRAM) obtenue en moyennant l’émission de trois raies distinctes du formiate de méthyle autour de 223.5 GHz. Le lobe interférométrique est voisin de la seconde d’arc. L’émission la plus intense (en rouge) est observée dans la direction du ‘Compact Ridge’ et domine cette carte. Les positions marquées MF correspondent à des pics locaux de l’émission moléculaire. L’idée d’un précurseur chimique commun est renforcée par l’observation du diméthly éther (CH3OCH3) dont la distribution spatiale mimique remarquablement celle du formiate de méthyle [11]. Par contre l’acétone détectée et cartographiée dans [9], comme les molécules azotées, se différentie de la distribution spatiale de MF (voir à la fin de ce paragraphe molécules azotées). Un seul scénario de formation chimique ne peut clairement pas expliquer toutes les observations. Ethylène glycol. L’éthylène glycol (EG), chimiquement proche de l’éthanol, est difficile à détecter dans l’espace. Notre détection [12] n’a été possible que grâce à la sensibilité d’ALMA et en raison d’une bande de fréquence large ayant permis l’identification de dizaine de raies. Ce dernier point est essentiel puisque la confusion spectrale est parfois importante pour cette espèce chimique. La distribution spatiale de l’EG est différente de celle des autres espèces chimiques complexes. Elle est compacte quelle que soit la transition observée (Fig. 4) et elle ne coïncide pas avec les pics du MF. De plus, aucune émission de l’EG n’est détectée dans le ‘Compact Ridge’ contrairement à ce qui est observé pour le formiate de méthyle. Clairement les processus de formation sont différents pour ces deux molécules. 145 URSI-France Journées scientifiques 24/25 mars 2015 Fig. 4. Cartes d’intensité rayonnée pour cinq transitions différentes de l’ethylène glycol obtenues avec un ‘lobe’ interférométrique de 1.9’’ x 1.39’’ (ALMA en mode de test interférométrique). Les cartes montrent la similitude des distributions spatiales ce qui confirme la bonne assignation du signal observé à la même espèce moléculaire sans contamination par une autre molécule. La carte en bas à droite est un agrandissement de celle à 228752 MHz, reproduite de [12]. Les sources compactes I et n, détectées en continuum radio, sont les mêmes objets jeunes que ceux indiqués sur les figures 1 et 3. Molécules contenant de l’azote. Ces molécules, par exemple CH3CN et CH2CHCN, ont une distribution spatiale distincte de celle des molécules complexes oxygénées. Leur rayonnement est plus intense au voisinage, ou au nord de la sous-région du ‘Hot Core’. Certains auteurs pensent que cette chimie différentiée est dominée par un événement dynamique récent (du type ‘évaporation’ dynamique d’étoiles jeunes dont les mouvements ont été reconstitués à partir de ceux des sources BN, et I et n indiquées sur les figures 1, 3 et 4). Cet événement ‘explosif’, survenu il y a moins de 1000 ans environ, aurait affecté cette région sous la forme d’un chauffage du gaz (e.g. [10]). Cette source de chauffage externe joue sans doute un rôle pour la chimie différentiée d’Orion, rôle qui n’est pas encore complètement élucidé. Tous ces résultats montrent des différences marquées dans la distribution des molécules complexes d’Orion et indiquent que plusieurs scénarios différents sont à l’œuvre pour expliquer les observations. 3.3 Comparaison avec les abondances cométaires L’éthylène glycol est une espèce relativement abondante dans les comètes du Système Solaire et nous avons comparé les abondances chimiques d’Orion BN/KL avec celles de quelques comètes en se rapportant au méthanol, CH3OH, une molécule abondante dans l’espace interstellaire et les comètes. L’abondance relative (CH2OH)2 / CH3OH est de l’ordre du millième dans Orion alors qu’elle est de l’ordre du dixième dans les comètes [12]. Ceci suggère une différence quantitative ou qualitative de la chimie interstellaire et de la chimie de la nébuleuse proto-solaire, au-delà de la ressemblance observée en première approximation entre les abondances des milieux interstellaires et cométaires par [13]. 146 Journées scientifiques 24/25 mars 2015 URSI-France 4. Quelques remarques finales Nous avons vu que les interféromètres de l’IRAM et ALMA, quoique dans un mode de fonctionnement encore loin de sa version finale, ont permis d’adresser de façon pertinente la question de la complexité chimique du milieu interstellaire dans la direction de la région obscurcie BN/KL au centre de la nébuleuse d’Orion contenant un important amas d’étoiles jeunes. Les détails de la formation des molécules complexes au sein des cœurs proto-stellaires restent à préciser, mais les abondances relatives des espèces chimiques sont relativement bien estimées et la comparaison à celles des comètes suscite de nouvelles questions. En particulier, on pense pouvoir aller plus loin dans l’identification de la complexité chimique et dans la recherche des molécules prébiotiques ou d’intérêt pour l’apparition de la vie primitive terrestre. 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