Les Enfers (illustration d’un manuscrit)
Il y a les Enfers, l'Empire des Morts. vont tous les mortels lorsqu'ils quittent la vie et la terre, et qu'ils
deviennent des Ombres. L'entrée principale des Enfers se trouve dans un petit bois de peupliers noirs, près
de la mer. Conduites par Hermès, les Ombres parviennent jusqu'au fleuve Styx, au noir bouillonnement,
mais dont une partie coule au grand jour, dans la province grecque d'Arcadie. Styx, dont le seul nom fait
trembler les mortels puisqu'il veut dire "détester, haïr"…
Charon, le passeur, attend les Ombres. Dans sa barque délabrée, il les fait passer de l'autre côté. Et
Charon ne plaisante pas : il repousse à coups de rame ceux qui tentent par la ruse de se faire ramener du
côté des vivants. Sitôt débarquées, les Ombres affrontent Cerbère, le monstrueux chien à trois têtes. Il
dévore sur-le-champ quiconque tente de fuir !
On évite autant que possible les trois terribles Érinyes aux cheveux de serpents et aux larmes de sang.
Elles pourchassent férocement les pauvres Ombres fraîchement débarquées du Styx. Hadès est là, sur
son trône. Il faut passer devant lui, le Seigneur des Enfers, et devant son épouse Perséphone. À droite de
Perséphone est assise la vieille Hécate, la déesse des magiciennes, aussi déesse de la lune et maîtresse
des démons qui tourmentent les humains sur la terre.
Les racines qui pendent de la voûte des Enfers sont parmi les rares plantes qui poussent chez Hadès. Le
Maître des Ombres n'aime pas la verdure. Mis à part les asphodèles et les peupliers noirs et blancs, rien
ne pousse chez lui. Il supporte à la rigueur l'odeur de la menthe et du romarin que les humains font parfois
brûler en son honneur, là-haut sur la terre.
Le séjour des morts est très bien organisé. Au carrefour de trois routes, on arrive devant les trois juges des
Enfers : Minos, Éaque et Rhadamanthe. C'est que tout se joue ; le sort de chaque ombre se décide. La
première route mène aux Asphodèles, ceux dont il n'y a rien à dire, les moins fortunés, les moins
intéressants. Aux Asphodèles, qui pourrait être le nom d'un charmant lieu de vacances, les Ombres errent
sans but. Elles ne sont pas tourmentées. Simplement, elles s'ennuient mortellement. Et pour l'éternité, ce
qui est encore plus ennuyeux. Beaucoup tenteraient de s'évader si Cerbère ne faisait pas terrible garde.
La deuxième route mène aux Champs Élysées. Rares sont ceux qui y parviennent : quelques grands héros
qui se sont rendus agréables aux dieux. Le soleil brille toujours, il n'y a pas de nuit parce que les Ombres
n'ont pas besoin de dormir. Dans les clairières, on chante et on danse au son de la lyre. Et ceux qui le
veulent peuvent même retourner sur terre grâce au fleuve de l’oubli, le Léthé : boire de son eau permet
d’oublier sa vie passée, et l’âme peut alors remonter à la surface pour se réincarner.
La troisième route mène au Tartare. Lieu terrible, lieu de la damnation éternelle. se retrouvent tous les
méchants et ceux qui ont défié les dieux. On y entre par une grande porte de bronze et les cris des
damnés raisonnent sans fin sur les hauts murs qui l'entourent. Nul ne peut s'échapper. Beaucoup de héros
de la mythologie s'y trouvent : Prométhée, Sisyphe, Ixion, Tantale, les Danaïdes, et tant d'autres
François de Nomé – Les Enfers
(la spécialité de ce peintre était le fantastique catastrophique)
donjon de Loches. Graffiti de l'Enfer
(relevé de Hervé Poidevin, auteur du blog lespierresdusonge.over-blog.com)
Deux petits personnages assez mal indiqués entre les deux circonférences (et qui n'ont pas
de crâne pointu) vont permettre d'identifier la scène. Mais pour poursuivre dans cette direction, il
nous faut faire d'abord un petit écart...
Une étude même sommaire de l'idée d'Enfer au Moyen-Âge, et de ses représentations,
fournit, semble-t-il, la clef du problème. Elle fait ressortir un motif qui, bien que relativement peu
exploité par les imagiers (du moins en reste-t-il peu de traces) a eu un constant retentissement : il
s'agit de la Roue d'Enfer ou supplice des orgueilleux. Ce motif s'inscrit dans une thématique de
description des peines de l'Enfer.
"Premièrement (...) J'ai vu des roues en enfer très hautes en une montagne situées, en la
manière de moulins continuellement en grande impétuosité, tournantes, lesquelles roues avaient
crampons de fer où étaient les orgueilleux pendus et attachés" (
GUEGAN Bernard, Grant Kalendrier
et Compost des Bergiers, avec leur astrologie, transcription d'après l'édition troyenne de Nicolas le Rouge,
Paris, 1976)
la roue d'Enfer, Grant Kalendrier des Bergiers, fin du XVe siècle
Ces mots sont placés dans la bouche de Lazare ressuscité. Le récit d'où ils sont extraits est un Traité des
peines de l'Enfer annexé pour la première fois au Kalendrier dans sa deuxième édition par Guy Marchant
en 1493, un ouvrage destiné au peuple mais dont on retrouve notamment des exemplaires dans la Librairie
royale de Blois, et qui fit rapidement le tour de l'Europe. On y assure que Lazare explora pendant les
quatre jours de sa mort les secrets de l'au-delà, et en rapporta notamment un récit édifiant sur les supplices
réservés aux sept péchés capitaux. La diffusion du texte n'était pas une première : il avait été publié un an
plus tôt par Antoine Vérard dans son Art de bien vivre et de bien mourir. La version fournit quelques détails
supplémentaires: "Les orgueilleux fixés sur des roues ferrées reçoivent des flammes de soufre ardent d'un
diable nommé Léviathan, car ce dernier règne sur le vice d'orgueil sous la forme d'une bête de très haute
stature". La gravure montre clairement la roue pourvue de lames ou crochets de fer, ainsi que le démon qui
inflige le supplice.
la roue d'Enfer, Ars moriendi, fin du XVe siècle (source: Pierre Girard-Augry)
D'où provient cette curieuse idée de supplice? La roue "dont la partie d'en bas, en tournant, monte en haut
et aussitôt retombe en bas" est une image qui n'est pas sans évoquer les caprices de la Roue de Fortune.
Plus révélatrice est, en terme de filiation (ou d'emprunt), l'invocation d'une autorité antique : le texte
mentionne explicitement l'histoire de la Roue d'Ixion, tirée de la mythologie gréco-romaine (voir illustration
page suivante).
1 / 11 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !