C ongrès réunion ●●C. Chauvet* Rencontres onco-transplantation1 Lyon, 12 novembre 2009 L e risque d’apparition d’un cancer chez le greffé d’organe est devenu une préoccupation constante, avec une probabilité (hors cancer cutané non mélanome) de 30 % après 20 ans de greffe (1), ce qui fait du cancer la troisième cause de mortalité chez ces patients. Actuellement, il existe peu de données concernant la gestion du traitement immunosuppresseur en prévention primaire chez des personnes à haut risque néoplasique et à la suite d’un premier épisode de cancer. Cette réunion avait par conséquent pour objectif, grâce à la présence du Pr Sylvie Négrier (oncologue) et du Dr Sylvie Euvrard (dermatologue), de faire un nouvel état des lieux concernant la pathologie néoplasique chez le greffé d’organe et les possibilités d’adaptation du traitement immuno­ suppresseur. ÉPIDÉMIOLOGIE ET FACTEURS DE RISQUE DES CANCERS APRÈS TRANSPLANTATION Les cancers de la peau dominent largement la pathologie néoplasique du greffé d’organe et sont un bon marqueur du degré et de la longueur de l’immunosuppression. Leur spécificité est la prédominance des carcinomes spinocellulaires aux dépens des carcinomes basocellulaires, avec un ratio de un sur quatre (2). Concernant les cancers non cutanés, on peut montrer, via le ratio d’incidence standardisé en greffe rénale, une surre1 Article Wyeth. * Lyon. réalisé en collaboration avec les laboratoires présentation des cancers des reins natifs, des lymphomes malins non hodgkiniens, des cancers du col de l’utérus et de la prostate (3). Outre les facteurs de risque néoplasiques communs à la population générale, on retrouve des facteurs de risque plus spécifiques à la greffe, dont l’exposition à l’immunodépression et à certains immunodépresseurs (propriétés oncogéniques propres de l’azathioprine et des anticalcineurines), ainsi que certaines infections virales chroniques (EBV, HHV-8, HPV, HCV) via l’insertion du génome viral dans la cellule hôte. MINIMISATION DE L’IMMUNOSUPPRESSION APRÈS UN CANCER : QUAND, COMMENT ? La minimisation de l’immunosuppression devrait théoriquement, en cas de cancer cutané spinocellulaire, être impérative dès la première lésion du fait d’un fort risque d’apparition de nouvelles lésions cutanées (88 % dans les 5 années suivantes en greffe rénale) et d’un cancer solide (4). Néanmoins, les pratiques de baisse de l’immunosuppression, tout comme pour les cancers solides, ne sont pas codifiées : réduction ou arrêt d’un des immunosuppresseurs, mais lequel ? INHIBITEURS DE MTOR ET CANCER : MODE D’ACTION MTOR est une phosphoprotéine kinase cellulaire faisant partie de la voie de signalisation PI3 kinase-AKT, impli- 44 quée dans de nombreux cancers. La protéine mTOR a, de manière physiologique, un rôle de régulateur central de la croissance et du métabolisme cellulaire en percevant les changements de disponibilité des facteurs de croissance, des nutriments et de l’ATP, et un rôle de contrôle dans la traduction de l’ARNm codant pour des protéines ribosomales, des protéines du cycle cellulaire dont la cycline D1 (passage de la phase G1 à S) et pour HIF1α (qui favorise l’angio­ genèse par la synthèse de facteurs de croissance angiogéniques tels que VEGF et PDGF). L’inhibition de mTOR va donc avoir une activité antitumorale par trois axes principaux : l’altération de la croissance cellulaire cancéreuse (blocage du cycle cellulaire en phase G1, diminution de la traduction/sécrétion des facteurs proangiogéniques réduisant l’angiogenèse tumorale et, par conséquent, l’apport sanguin et nutritif aux cellules tumorales), une réduction de l’usage des nutriments (par diminution de la synthèse des transporteurs nécessaires à la captation des nutriments arrivant à la cellule) et une diminution également du signal prolifératif. Des propriétés proapoptotiques in vivo sur les cellules néoplasiques et sur les cellules endothéliales stimulées par le VEGF des inhibiteurs de mTOR ont également été décrites (5). Aux doses thérapeutiques immunosuppressives, l’effet tumoral est essentiellement antiangiogénique (6). Les modèles murins de Duncan et Wulff évaluant l’influence des traitements immunosuppresseurs sur le développement de tumeurs cutanées induites par les UVB retrouvent, dans le groupe de souris sous ciclosporine, des Le Courrier de la Transplantation - Volume X - n o 1 - janvier-février-mars 2010 C ongrès réunion tumeurs cutanées plus volumineuses, avec une progression tumorale plus importante. Au contraire, les souris traitées par sirolimus, seul ou associé à la ciclosporine, avaient, comparativement au groupe contrôle, moins de tumeurs cutanées, celles-ci étant de plus petite taille et moins évolutives. Les inhibiteurs de mTOR sont déjà utilisés en oncologie. Il existe notamment le temsirolimus, qui est un dérivé ester du sirolimus développé sous forme intraveineuse hebdomadaire. Le temsirolimus est indiqué dans le cancer du rein avancé et dans le lymphome à cellules du manteau en rechute ou réfractaire. INHIBITEURS DE mTOR ET CANCERS EN GREFFE D’ORGANE : DONNÉES DES ÉTUDES DE PHASE III Les études de prévention primaire avec utilisation de novo des inhibiteurs de mTOR sont en faveur d’une moindre incidence de cancers cutanés et solides sous inhibiteurs de mTOR (7). Les études de prévention primaire avec utilisation des inhibiteurs de mTOR en conversion, telles que l’étude CONVERT, confirment la diminution du nombre de cancers cutanés (2,2 % pour le groupe sirolimus versus 7,7 % pour le groupe anticalcineurine [p < 0,001]) et de cancers solides 2 ans après le switch anticalcineurinesirolimus (8). Les études de prévention secondaire ont concerné les cancers cutanés. La substitution des inhibiteurs de mTOR aux anticalcineurines est associée à une réduction du nombre de tumeurs cutanées malignes par patient, avec une diminution de leur épaisseur tumorale et de leur vascularisation péritumorale (9). On relève une meilleure efficacité des inhibiteurs de mTOR sur les carcinomes spinocellulaires par rapport aux carcinomes basocellulaires (10). Les résultats des études contrôlées et randomisées, dont TUMORAPA, ne sont pas encore publiés. DEUX CAS CLINIQUES D’UTILISATION DES INHIBITEURS DE mTOR APRÈS UNE PATHOLOGIE NÉOPLASIQUE Le premier cas est celui d’un homme greffé depuis 14 ans et ayant un lymphome d’un rein propre polykystique. Il s’agit d’un lymphome diffus à grandes cellules B, associé à l’EBV et localisé uniquement sur le rein. Le patient a été traité par néphrectomie (réalisée initialement pour le diagnostic +), 4 cures de rituximab (375 mg/m2) associées à une baisse du mycophénolate mofétil (MMF), arrêt de la ciclosporine et introduction de la rapamycine. Le deuxième patient, greffé depuis 1 an (créatininémie à 149 µmol/l ; protéinurie < 0,1 g/l), avec antécédents de tabagisme (80 paquets-année), mais sevré, souffre d’un carcinome épidermoïde bronchique pT1N0M0. Le traitement comporte une lobectomie associée à un arrêt de la ciclosporine et à l’introduction de la rapamycine. Ces deux patients présentent donc une pathologie néoplasique localisée avec un profil rénal permettant d’espérer une bonne tolérance de l’inhibiteur de mTOR (clairance de la créatinine > 50 ml/­mn, absence de protéinurie). Chez le premier patient, la persistance d’une rémission complète à 21 mois et une bonne tolérance de la rapamycine sont observées. Chez le deuxième patient, l’introduction de la rapamycine a été suivie de 2 épisodes de rejet aigu, un état œdémateux et une dyslipidémie sévère conduisant à l’arrêt de la rapamycine 20 mois après son introduction. Cinq ans plus tard, il n’est pas constaté de récidive néoplasique, et la créatinine plasmatique est à 200 µmol/l. Fallait-il introduire un inhibiteur de mTOR chez ce dernier patient au vu des effets indésirables et des complications rénales ? Oui, il était licite d’essayer ce traitement, non pas tellement pour éviter le risque métastatique – relativement faible pour les tumeurs bronchiques T1N0M0 –, 45 mais plus pour éviter l’apparition de nouvelles lésions cancéreuses pulmonaires et extrapulmonaires favorisées par le tabac. Pour le premier patient, les résultats encourageants des études évaluant l’effet des inhibiteurs de mTOR dans les lymphomes malins poussent à utiliser préférentiellement ce type de molécules. ■ R é f é r e n c e s b i b l i o g r a p h i q u e s 1. Buell JF, Gross TG, Woodle ES. Malignancy after transplantation. Transplantation 2005;80 (Suppl. 2):S254-64. 2. Euvrard S, Kanitakis J, Claudy A. Skin cancers after organ transplantation. N Engl J Med 2003;348(17):1681-91. 3. Kessler M, Jay N, Molle R, Guillemin F. Excess risk of cancer in renal transplant patients. Transpl Int 2006;19(11):908-14. 4. Euvrard S, Kanitakis J, Decullier E et al. Subsequent skin cancers in kidney and heart transplant recipients after the first squamous cell carcinoma. Transplantation 2006;81(8):1093-100. 5. Bruns CJ, Koehl GE, Guba M et al. Rapamycin-induced endothelial cell death and tumor vessel thrombosis potentiate cytotoxic therapy against pancreatic cancer. Clin Cancer Res 2004;10(6):2109-19. 6. Guba M, Koehl GE, Neppl E et al. Dosing of rapamycin is critical to achieve an optimal antiangiogenic effect against cancer. Transpl Int 2005;18(1):89-94. 7. Kauffman HM, Cherikh WS, Cheng Y, Hanto DW, Kahan BD. Maintenance immunosuppression with target-of-rapamycin inhibitors is associated with a reduced incidence of de novo malignancies. ­Transplantation 2005;80(7):883-9. 8. Schena FP, Pascoe MD, Alberu J et al.; Sirolimus CONVERT Trial Study Group. Conversion from calcineurin inhibitors to sirolimus maintenance therapy in renal allograft recipients: 24-month efficacy and safety results from the CONVERT trial. Transplantation 2009;87(2):233-42. 9. Rival-Tringali AL, Euvrard S, Decullier E, Claudy A, Faure M, Kanitakis J. Conversion from calcineurin inhibitors to sirolimus reduces vascularization and thickness of post-transplant cutaneous squamous cell carcinomas. Anticancer Res 2009;29(6):1927-32. 10. Euvrard S. Journées dermatologiques de Paris. Décembre 2009. Le Courrier de la Transplantation - Volume X - n o 1 - janvier-février-mars 2010