Facteurs d’évolution et biodiversités Patrick DE WEVER

publicité
Facteurs d’évolution et biodiversités
Patrick DE WEVER
Professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle,
Président honoraire de la Société Géologique de France
Conférence du dimanche 20 novembre 2005. Le vocable
Dimanche dérive de dies dominicus : le jour du seigneur.
Cette évocation religieuse n’est pas le terrain sur lequel je
situe cette intervention. La religion relève du domaine de la
foi, elle donne un sens aux choses. La science est l’école du
doute, elle cherche à expliquer des phénomènes en un
système cohérent en fonction des éléments alors disponibles.
C’est pourquoi quand un scientifique dit « je crois », ce n’est
pas son credo qu’il énonce, mais plutôt « étant donnés les
éléments dont je dispose et en l’état actuel de ma réflexion,
j’ai plutôt tendance à privilégier telle hypothèse ». C’est un
peu long, alors il utilise une formule plus lapidaire mais
sémantiquement moins correcte. Il importe de différencier le
discours religieux qui possède sa vérité immuable, du discours scientifique qui énonce un état de la science qui avance et qui est probablement appelé à se détruire puisqu’une
« vérité » scientifique n’est guère qu’une hypothèse qui n’a
pas encore été réfutée. Quand j’étais au collège ou au lycée,
nous apprenions les « sciences naturelles ». On disait « l’herbe est verte, le ciel est bleu, » etc. Aujourd’hui, pour montrer
que l’on fait de la science on utilise des courbes, des chiffres,
Néanmoins les courbes et les chiffres ne sont pas des vérités,
des objectifs à atteindre. Ces courbes et ces chiffres sont parfois de faux amis car ils ne sont que des expressions chiffrées d’un phénomène mesuré dans certaines conditions.
Nombres et courbes ne sont donc que des éléments de
réflexion. Ce n’est pas parce que l’on utilise des chiffres que
l’on fait de la science. Il ne faut pas non plus confondre
concordance entre courbes et corrélation entre les phénomènes ainsi représentés. Cela est vrai pour les courbes et
pour le langage. On a pu entendre, par exemple, lors d’une
émission radio, le 7 juin 2005, une auditrice qui téléphonait :
« j’ai noté que la Grande-Bretagne et la Norvège ont le taux
de chômage le plus bas, or elles ne sont pas dans la zone
euro. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait revenir au franc ?».
Heureusement, la répartie fut efficace : « l’Irlande aussi a un
taux de chômage très bas, or elle est dans la zone euro ».
CQFD. Une autre expression est facile à retenir par les
élèves : « le coq chante au point du jour : est-ce à dire que le
coq fait se lever le soleil ? » Il est sage de repenser systématiquement à cette question quand on analyse la signification
de courbes.
Biodiversité et biodiversités
Qu’est-ce que la biodiversité ?
Le vocable biodiversité a été popularisé, lors du Congrès
du Rio de Janeiro. La Convention de la Diversité biologique
de 1992 définit les termes de la façon suivante dans son
article 2 : « La variabilité des organismes vivants de toute
origine, y compris, les écosystèmes terrestres, marins et
autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques
dont ils font partie ; cela comprend la diversité au sein des
espèces, et entre les espèces et ainsi que celle des écosystèmes. ». Il convient de distinguer la biodiversité de la biomasse. La biodiversité est le nombre de taxons différents
(espèces, ou genres, ou familles…). La biomasse se traduit
en terme de poids. Si on considère la Seine d’aujourd’hui par
45
exemple, sa biomasse en poissons est bien plus forte que celle du XVIIe siècle, mais sa biodiversité est bien moindre.
Bref l’unité de biodiversité n’est pas le kilo. Quand on parle
de biodiversité, on évoque souvent la forêt équatoriale, les
jolies fleurs, les bébés phoques (comme c’est attendrissant),
l’ours des Pyrénées, les éléphants abattus par des braconniers. Entre nous, quand le scientifique entend dire « l’ours
des Pyrénées est en danger », il se doit de sourire si ce n’est
de répondre : « l’ours des Pyrénées n’est pas en danger, il
n’existe plus depuis la mort de Canelle ». Si on a la volonté
de réimplanter l’ours dans les Pyrénées, il ne faut pas se
réclamer de sa biodiversité. En revanche, je comprends
qu’on veuille le faire pour des raisons poétiques, ou bucoliques ou économiques ou autres mais ce ne peut être au seul
nom de la biodiversité en général. Le directeur de la
Direction régionale de l’Environnement (DIREN) de la
Région Midi-Pyrénées ne dit pas autre chose « on va me dire
que l’espèce en elle-même n’est pas en danger car elle existe ailleurs. Cela n’est pas mon problème. Mon travail est de
maintenir, ici, la richesse de la biodiversité ». En effet, les
mots qu’il utilise sont importants. Il précise bien qu’il ne
s’agit pas de sauvegarder l’espèce, sinon il eût pu être soupçonné d’incompétence. Mais bien que sa mission soit
locale : « maintenir, ici ». Les ours que l’on cherche à réimplanter sont des ours de Slovénie, où ils sont surabondants, à
tel point qu’ils sont chassés pour être transformés en saucisson. Les évocations spontanées liées au vocable biodiversité
sont généralement plus affectives que raisonnées. Le dinosaure, est l’archétype de l’évocation onirique. L’ours fait
aussi vibrer par un vieux reste du nounours de notre enfance.
Les bébés phoques, eux, sont tellement attendrissants etc.
Pourtant il convient de ne pas mélanger les choses. On
oublie par exemple que la biodiversité comprend aussi les
anciennes céréales. Aujourd’hui on se dirige vers l’usage
d’un seul type de céréale. Les anciennes variétés produisaient peut-être moins, mais elles permettaient une adaptation à des environnements variables. La biodiversité inclut
aussi les moustiques, le monde des parasites, et toute la vermine invisible. L’usage intensif des pesticides dans les jardins ou dans les champs est susceptible de mettre en danger
une certaine biodiversité. J.-F. Minster a montré, l’influence
des pesticides sur les huîtres du bassin d’Arcachon par l’intermédiaire du pico plancton, etc. la diversité de ces pico
organismes nous a-t-il dit se situe entre 50 et 100 espèces par
mm3 d’eau. Édifiant ! On disperse largement des pesticides
pour l’agriculture. En France, par exemple depuis 15 ans,
25 % des espèces d’oiseaux adaptés aux champs ouverts ont
disparu. Cette observation a aussi été effectuée au RoyaumeUni, aux Pays-Bas… mais pas au Danemark, qui a pris de
mesures limitant l’usage des pesticides depuis quelques
années. La gravité ne réside pas seulement dans la disparition de ces oiseaux. Outre que ce ne sont pas seulement des
individus qui disparaissent mais des espèces, la gravité réside dans ce que cette extinction traduit une chaîne alimentaire rompue, c’est-à-dire toute une biodiversité peu visible,
voire invisible. Ce n’est pourtant pas de ce dont on entend
46
parler dans les médias… La biodiversité c’est donc aussi le
monde microscopique, celui du sol, celui du plancton marin
(fig. 1). Une lame mince d’un calcaire à milioles expose des
coques d’organismes microscopiques. Elles sont si nombreuses qu’elles forment l’essentiel de la roche. La splendeur de Notre Dame de Paris est permise par cette roche. La
plupart des monuments de la capitale sont construits avec
des restes de la vie invisible. Parmi celle-ci, il convient de
citer aussi le monde micro-microscopique, c’est-à-dire le
nanoscopique. Les falaises du Vercors, ou celles du Verdon,
impressionnent par leur gigantisme, mais on est encore plus
frappé quand on pense que cette démesure est le résultat
d’une autre démesure, celle de l’extrêmement petit. Les
massifs du Vercors, de la Chartreuse etc. sont construits par
la vie ! Quand on voit du calcaire, il faut penser activité vitale. Imaginons qu’au Jurassique, un samedi soir, à la sortie
d’un bar de nuit (imaginons disais-je), il y eut une rixe de
dinosaures. Une querelle tellement violente qu’il y eut des
morts. Qu’est-ce qui en resterait aujourd’hui ? Au mieux, un
tas d’os. Un gros tas, peut être, mais jamais une montagne.
Ce qui fait la montagne, ce n’est pas le gros dinosaure, c’est
le tout petit plancton. Cette leçon de nature est aussi une
leçon de la vie citoyenne : une veille d’appareil électrique ne
consomme presque rien, mais la sommation, au niveau de la
France, équivaut à la production électrique d’une tranche de
centrale nucléaire. Le nanoplancton construit la montagne,
et la veille d’appareils électriques nécessite une centrale
nucléaire.
Quelle biodiversité, comptée, estimée ?
La biodiversité est connue à partir de comptages ou d’estimations, en tout cas forcément à partir d’éléments disponibles, tant pour le passé que pour le présent.
Toutes les espèces décrites de par le monde répondent
aux normes d’une réglementation, soit celles du Code
International de Nomenclature Zoologique soit celles du
Code International de Nomenclature Botanique. Chaque
nom est donc répertorié dans le Zoological record, ou le
Botanical record. Il suffirait donc d’interroger ces bases de
données pour connaître les chiffres de la biodiversité ? Voire.
En effet, si le code régit facilement les homonymies, il n’en
est pas de même pour les synonymies (deux noms différents
pour désigner une même espèce) qui subsistent et leur cas
n’est identifié et réglé qu’au hasard de leur découverte.
On peut certes penser que ces synonymies ne modifient
les nombres que marginalement, ce n’est pourtant pas le cas
pour tous les taxons (ex. les gastéropodes terrestres). Ainsi
donc, même pour les espèces répertoriées il est impossible
de connaître le nombre avec exactitude.
Le nombre d’espèces décrites à ce jour est de 1,7 million
(tabl. 1).
A
B
1.- Des bijoux microscopiques Les radiolaires, organismes du plancton microscopique, sont de véritables joyaux réservés à l’observation au microscope. Ils ont d’ailleurs inspiré des joailliers.
A- radiolaires collectés lors de l’expédition du HMS Challenger, illustrés par Haeckel, 1874
B- radiolaires réalisés par un bijoutier © Krauss.
47
Bactéria (Eubactéries et Archées)
4 000
Protoctista
80 000
Fungia
72 000
Plantes
270 000
Animaux
1 320 000
Total
1 700 000
Tableau 1 : Nombres d’espèces décrites
On sait que toutes les espèces ne sont pas décrites. Une
prise de conscience de la quantité d’inconnues a émergé suite aux expériences menées sur la canopée en Amérique du
Sud notamment. Des estimations ont alors été effectuées.
L’une d’elles a été proposée par R. May, en 1999, au colloque de l’Union Internationale pour la Conservation de la
Nature (tableau 2)
Hypothèse serrée
7 millions
Nombre plausible
5 à15 millions
Fourchette probable
3 à 100 millions
Tableau 2 : Nombre estimé d’espèces vivantes (seuls eucaryotes). Données selon R. May, 1999, UICN
La largeur de la fourchette acceptée par ce spécialiste est
impressionnante, puisqu’elle se situe entre 2 et 60 fois le
nombre d’espèces décrites. Cette grande incertitude concerne la biodiversité actuelle. Bien entendu l’incertitude pour la
biodiversité passée est encore plus importante, à la fois parce que les données sont plus incomplètes, mais aussi parce
que des hypothèses plus osées doivent être avancées pour
ces estimations.
Évolution de la biodiversité pour les années à
venir
Les médias fournissent souvent des chiffres concernant
la dégradation de la biodiversité projetée sur quelques
décennies. On entend même « d’ici peu de temps » ce qui
représente, une unité de mesure quelque peu troublante pour
un scientifique… Parler d’une dégradation de la biodiversité
implique que l’on observe une diminution numérique de la
biodiversité passée. Mais comment connaît-on cette dernière ? Et jusqu’où peut-on remonter ? En fait on ne peut chiffrer des éléments de la biodiversité que depuis la
Renaissance. Aucun élément plus ancien n’est fiable ou disponible. Ce passé n’a donc que 4 siècles, pas grand chose à
l’échelle des temps géologiques. La connaissance de la biodiversité est en fait une estimation élaborée à partir de comptages que certains seigneurs ont fait réaliser sur leur domaine, par leurs gardes, tantôt pour les oiseaux, tantôt pour les
48
mammifères. Le dénombrement est donc incomplet en terme
de variété d’organismes et en terme de territoire. Et il ne
couvrait pas l’ensemble du territoire national… encore
moins la planète ! À partir de ces éléments, et à partir des
proportions relatives, connues ou supposées, entre les différents types d’organismes (insectes/oiseaux, plantes/mammifères etc.) des hypothèses sont échafaudées pour établir l’inventaire de la biodiversité. Ce chiffrage est donc certes
hautement conjecturel mais incontournable pour permettre
des projections sur le futur. En outre il conviendrait de mentionner lors de telles déclarations quelle est la biodiversité
actuelles choisie (3, 5, 7, 15, ou 100 millions d’espèces), il
est évident que, ne serait-ce qu’à partir de ces différents
nombres les pourcentages d’espèces en danger varient dans
une large proportion…
À quand une connaissance complète de la biodiversité actuelle ?
Il est décrit annuellement 15 000 nouvelles espèces environ. À ce rythme, pour que toutes les espèces soient décrites,
il faudrait environ trois siècles si la biodiversité actuelle est
de 5 millions et environ un millénaire si elle est de 15 millions. Il est souvent rassurant de trouver un responsable, surtout quand c’est l’autre. Alors il est tentant d’accuser les
médias pour les informations inexactes qu’ils nous fournissent. Pourtant, en l’occurrence, les médias font normalement
leur travail : ils nous rapportent une information nouvelle et
brève (même s’il est vrai qu’ils ont peut-être tendance à présenter une information choc qui favorise l’audimat ou la
vente de papier). Imaginons en effet a contrario qu’ils nous
fournissent les détails de ces estimations. L’explication sera
forcément longue et fastidieuse et risque de ne pas retenir
l’attention de l’auditeur, ou du téléspectateur, qui rentre de
sa journée de travail. On attend en effet du média qu’il soit
« efficace » c’est-à-dire clair et rapide. Pour des raisons
identiques, si le scientifique explicite tous les tenants et les
aboutissants de son raisonnement, toutes ses hypothèses de
travail nécessaires, tous les degrés d’incertitude on risque
fort d’en conclure qu’il ne pratique qu’un exercice de style
parce qu’au fond il ne sait rien. Il ressort de ces remarques
qu’il est vain de rechercher un coupable car la responsabilité incombe à chaque sommet du triangle de communication :
à l’auditeur qui attend une information concise, au journaliste qui doit être clair et qui souhaite attirer l’attention, au
scientifique qui doit faire passer son message. En conclusion
même pour la biodiversité actuelle de grandes incertitudes
subsistent, même si on part d’éléments enregistrés au niveau
international (les noms enregistrés dans le Zoological
Record ou le Botanical Record). On imagine facilement que
les incertitudes sont encore plus grandes pour le passé.
Paléobiodiversité
Quand l’évolution de la biodiversité au cours du temps
est évoquée il est fréquent qu’elle le soit accompagnée d’une
courbe. Une courbe, et une seule. Pourtant la biodiversité est
représentée par des courbes différentes selon que l’on traite
d’un environnement ou d’un niveau particulier de la classification (fig. 2).
Cette figure montre que lorsqu’on évoque la biodiversité
au cours du temps, il est capital de préciser l’environnement
et le niveau de la classification concernés. Il est tout aussi
important de ne pas mélanger sur un même diagramme des
niveaux de la classification différents. En terme de biodiversité représenter des « ammonites » (sous-classe
–Ammonoidea- marine) avec des familles (ex.
Phyloceratidae) ou avec des genres ou même des espèces,
n’a aucun sens. Encore moins si (cas réel) sur une courbe de
familles marines on reporte des « invertébrés marins »
(embranchement –Invertebrata- marin), des « végétaux terrestres » (règne –Plantea), des « insectes » (classe d’animaux marins et terrestres), des « poissons osseux » (classe
d’animaux aquatiques), des « mammifères » (classe d’animaux marins et terrestres), « Pterosaurus » (l’ordre des ptérosaures –Pterosauria- comprend 5 genres, mais aucun
Pterosaurus milieu aérien), des « plantes à graines »
(Spermaphytes milieu terrestre), des « oiseaux » (classe
d’animaux terrestres -aériens), des « chauves souris » (sousfamille –Macroglossinae- d’animaux terrestres-aériens), des
« Cétacés » (ordre –Cetacea-, marins) et même l’« Homme »
(espèce terrestre).
La biodiversité au cours du temps : une variable indépendante ?
La variation de la biodiversité au Phanérozoïque peut
être comparée à d’autres données afin de faire ressortir
d’éventuelles corrélations ou indépendances (fig. 3)
Le diagramme de la figure 3 attire l’attention sur plusieurs points :
1- quel est le facteur majeur, celui qui influence les
autres ? :
a- est-ce le nombre important d’espèces qui requiert un
grand nombre de spécialistes pour les étudier ? Mais alors que
signifie la correspondance avec la surface d’affleurement ?
b- est-ce la grande superficie d’un âge donné, qui nécessite de nombreux spécialistes qui créent des espèces à profusion ? Si tel est le cas, alors la courbe du nombre d’espèces
ne représente pas la biodiversité.
2- si les chiffres sont discutables, les variations le sont
donc aussi et alors peut-on encore parler de crises ?
Les chiffres ne sont que des indications. Ce sont des
outils indispensables pour la science, pas des vérités. Cet
exemple illustre la démarche scientifique qui doit rester
basée sur le doute. Quoi qu’il en soit il importe de garder les
éventuelles limites toujours présentes à l’esprit si l’on ne
veut pas se laisser emporter par un torrent incontrôlable de
conclusions enchaînées.
Le géologue part d’un état actuel et essaye de reconstituer le passé (démarche « actualiste »). Il essaie de reconstituer des environnements à partir d’informations terriblement
incomplètes. Pour en mesurer les lacunes il suffit de considérer une succession naturelle d’états. Partons d’un environnement terrestre par exemple (fig. 4) qui comprend des
arbres, de l’herbe, des oiseaux, des poissons etc. Quand les
différents types d’organisme mourront, certains seront
consommés par d’autres et disparaîtront, d’autres seront
peut-être déplacés, mélangés et enfouis. Le bilan est que
seule une toute petite partie sera conservée. On comprend
bien qu’il y a là comme un filtre à maille très serrée et que
seule une toute petite partie de l’information perdurera.
Ensuite les sédiments et les éléments inclus vont subir une
diagenèse, fréquemment marquée par une mobilisation
d’éléments chimiques, une circulation de fluides. Certains
restes, préservés jusque-là, vont alors encore disparaître. Un
filtre supplémentaire. Qu’un organisme soit préservé à l’état
fossile est une chose, qu’il soit connu en est une autre. En
effet, chaque fossile n’est pas trouvé (nouveau filtre) et
chaque fossile ramené au laboratoire n’est pas forcément
dégagé (filtre) et encore moins identifié (filtre). In fine on
constate que l’on ne dispose que d’une toute petite partie de
l’information initiale (quelques millièmes ou fractions de
millièmes de la variété initiale). Et pourtant, c’est à partir de
cette infime information que le géologue tente des reconstitutions de milieu, de biodiversité. Il ne peut prétendre
reconstituer la réalité, il essaie seulement de restituer une
possibilité qui soit à la fois cohérente et respectueuse des
faits connus. Certains esprits cléments considéreront qu’ils
ont bien du mérite les gens qui travaillent sur ce thème, je
serai d’accord avec eux ! D’autres plus circonspects diront
que c’est presque de la poésie, et je serai d’accord aussi…
La biodiversité dans le contexte historique de la
Terre
Il n’est pas rare d’entendre des médias déclarer que la
planète, ou la biodiversité sont en danger à cause du réchauffement climatique. Ce discours devrait faire réagir le scientifique, car la planète Terre se fiche que sa température de
surface varie de quelques degrés. Par ailleurs son histoire
nous apprend que la biodiversité a connu bien des crises et
qu’après chacune d’elles, elle fut encore plus diversifiée.
Ainsi donc, au niveau global une crise n’est pas une malédiction, c’est une bénédiction ! Mais il est vrai que certains
organismes disparaissent à jamais… et pour celle dont il est
question… l’Homme pourrait en être victime. L’Homme,
pas la biodiversité, encore moins « la planète ». Les composantes actuelles de la biodiversité, dans laquelle l’espèce
humaine exerce sa domination, seront bouleversées, mais
cela ne suffit pas à dire que la planète est en danger.
Quand on évoque la biodiversité, tel que nous l’avons
fait plus haut par exemple, on ne parle que du
49
50
2. - Courbes de la variation de la biodiversité au cours des temps géologiques (Phanérozoïque). Les étoiles positionnent les 5 crises majeures : fin Ordovicien, Dévonien supérieur
(limite Frasnien-Famennien), fini Permien, fini Trias, fini Crétacé. V= Vendien, C :Cambrien, O : Ordovicien, S :Silurien, D : Dévonien, C : Carbonifère, P : Permien, Tr : Trias,
Jur : Jurassique, Crt : Crétacé, Tert : Tertiaire.
A- Niveau : famille, milieu : terrestre + marin. La seule crise qui présente une nette diminution de biodiversité est celle de la limite Primaire-Secondaire. La limite Secondaire –Tertiaire
reste peu marquée (d’après Benton, modifié).
B- Niveau : famille, milieu : terrestre. La crise de la fin de l’Ordovicien ne ressort pas du tout comme une diminution de la biodiversité. Au contraire elle représente le démarrage de cette biodiversité car les organismes n’étaient que marins jusque-là. Après cette période, apparaissent des organismes continentaux (sortie des eaux des plantes). Voila donc une crise qui n’en
est pas une pour les organismes continentaux. Seule la crise fini Permien correspond à une diminution de la biodiversité (d’après Benton, modifié).
C- Niveau : famille, milieu : marin. Cette courbe montre clairement les 5 grandes crises, elle est même la seule à les présenter aussi distinctement… c’est pourquoi elle est systématiquement illustrée, même quand le sujet traité concerne les dinosaures ou autres organismes continentaux (d’après Sepkoski, modifié).
D- Niveau : genre, milieu : marin. L’allure de la courbe est proche de celle de la figure C (familles marines) mais les variations sont amplifiées. Certes les crises sont bien visibles, mais
de nombreuses autres variations semblent brouiller le signal. La courbe bleue comporte plus de 18 000 genres qui durent au moins deux intervalles de calcul. La courbe jaune prend en
compte tous les genres (plus de 33 000) (d’après Sepkoski, 1996 modifié).
51
E- Niveau : Familles de tétrapodes, milieu : continental.
I- amphibiens primitifs, anapsides et Reptiles à tendances mammaliennes. IIPremiers diapsides, Dinosaures et Ptérosaures III- Amphibiens modernes, lézards,
serpents, tortues, crocodiles, oiseaux et mammifères (d’après Benton 1988, modifié).
F- Niveau : famille, milieu : terrestre.
Les trois courbes représentent la biodiversité des amniotes : mammifères, reptiles
et poissons… Il ressort bien que les courbes n’ont pas du tout la même allure.
(d’après Benton 1988, modifié).
G- trois niveaux taxonomiques différents d’organismes marins : ordres,
classes, phyla
Les courbes bien que traitant de la même biodiversité, à des niveaux hiérarchiques
différents de la classification, n’ont pas du tout la même allure, elles ne délivrent
pas le même message (d’après Valentine, 1973 modifié).
D
Ord
S
Carb
P
T
J
Cret
C
Millions d’années
Primaire
Secondaire
Tert
3. - Évolution phanérozoïque de la biodiversité spécifique, du nombre de spécialistes et du nombre de km2.
La courbe jaune : indique le nombre d’espèces par million d’année. Elle montre deux maxima, un vers 400 Ma et un vers 280 Ma. Depuis
le Secondaire une augmentation quasi exponentielle ressort clairement. Diagramme rouge : nombre de spécialistes par millions d’années
de chaque période. Une bonne correspondance avec la courbe précédente est possible. Une réponse logique parce que lorsqu’il y a beaucoup d’espèces, il faut beaucoup de spécialistes pour les étudier. À moins que ce ne soit… l’inverse ? En bleu : nombre de km2 de chaque
type d’âge à l’affleurement. On note ici aussi une bonne correspondance et une logique simple : beaucoup de km2 d’affleurements donc
beaucoup d’espèces, donc beaucoup de spécialistes… mais alors que signifie la biodiversité ? Ne serait-elle que fonction de la surface d’affleurements ? (d’après Sheehan, 1977, modifié)
52
Biodiversité, écosystème
Du vivant au fossile trouvé
(des biocoenoses aux symmigies) :
Etats de vie,
de l’état de vie à la sédimentation,
trouvailles,
de l’état sédimenté à l’enfouissement (diagenèses),
extraction
4. - Illustration des quantités d’informations qui disparaissent à chaque étape allant d’un environnement réel à ce que trouvera le
géologue. On commence par un paysage avec des organismes en état de vie (toute l’information est présente). Une première diminution, lors de la sédimentation correspond à une perte d’information. Une autre réduction intervient lors de l’enfouissement et la
diagenèse (stades successifs). Enfin, avec les trouvailles et l’extraction un nouveau déficit d’information.
53
Phanérozoïque, qui est, comme le nom l’indique, l’époque
de « la vie qui se voit ». Pourtant la vie est apparue bien plus
tôt. Elle le fit vers 4 000 à 3500 Ma (fig. 5). Traiter du seul
Phanérozoïque ce n’est donc considérer que 13 % de l’histoire de la Terre, 15 % de l’histoire de la vie. En d’autres
termes, quand on prétend parler de l’histoire de la biodiversité sur Terre en ne remontant qu’au Vendien (ou pire au
Cambrien) on ignore 85 % de l’histoire de la vie ! Ces
chiffres soulignent combien il convient d’être précis dans le
propos.
Facteurs d’influence de la biodiversité
La biodiversité est liée, avant tout, aux conditions environnementales. Certains facteurs ont une influence prépondérante.
Volcanisme
Dès le XVIII e siècle il est apparu que le volcanisme
influençait le climat, si fortement qu’il avait conduit des
populations à la famine. En effet, en 1783, l’éruption du
Laki, en Islande, se fit ressentir dans toute l’Europe occiden-
tale. En quelques mois plus d’une douzaine de km3 de lave
se sont épanchés. Les gaz émis ont détruit la végétation et
par conséquent les animaux entraînant une famine qui a tué
le quart de la population. Les effets létaux du volcanisme
sont surtout secondaires (famines, épidémies). Benjamin
Franklin alors ministre plénipotentiaire des États-Unis en
France est frappé que de nombreux témoignages attestent
d’une altération du climat en Europe du Nord : couleurs du
ciel inaccoutumées, brouillards « secs » et violacés, canicule estivale inhabituelle suivie d’un hiver anormalement
rigoureux. Il propose de relier cet événement climatique à
l’éruption du volcan Laki.
D’autres éruptions, par la suite, ont confirmé la relation
entre volcanisme et climat (fig. 6). On a longtemps imputé
les modifications climatiques au seul effet de voile que
jouaient les cendres éjectées. On sait aujourd’hui que le processus est bien plus complexe.
On a pu apprécier l’influence du volcanisme sur le climat
dans le passé récent, cependant, les émissions de trapps ont
une importance d’un autre de grandeur : si on parle de près
de 12 à 14 km3 pour le Laki, on parle de centaines et de milliers de km3 pour une seule coulée de trapps et, pour les
trapps du Deccan (fini Crétacé) un total qui dépasse trois
millions de km3 couvrant l’équivalent de la surface de la
France sous 5500 m ! Les trapps de Sibérie (Permien terminal) couvriraient entre 5 et 10 fois l’équivalent de la surface
Biodiversité sur Terre …. ?
Formation Terre
4,6
3,8
vie
0
0,5
Cambrien
Vendien
… ….
13% de l’histoire de la Terre,
… ..
15% de l’histoire de la vie …
5. - Âge de la Terre, âge de la vie, âge des fossiles minéralisés
La Terre s’est formée par accrétion, il y a 4 567 Ma (4,6 Ga).La vie est apparue vers 3,8 Ga. Les plus vieux fossiles minéralisés ont environ 600 millions d’années. Si on prétend évoquer la biodiversité terrestre il conviendrait donc de considérer plus que le dernier 0,6 Ga, évidemment encore plus la Renaissance (voir plus haut les estimations).
54
Volcans
-0,4°
-0,3°
-0,1° -0,5°
-0,25°
6. - Effets du volcanisme sur le climat pour la période 1840-2000. Les éruptions qui ont le plus d’influence sont celles dont les
cendres atteignent la stratosphère. Ce sont par exemple les cendres qui étaient dans le ciel en 1992 (explosion du Pinatubo en 1991),
qui ont permis de si beaux couchers de soleil pendant près d’un an. Au niveau planétaire, le volcanisme est d’autant plus influent
que sa position est proche de la zone intertropicale car ses produits volcaniques sont alors plus largement répartis.
de la France sous une épaisseur identique. On peut alors
aisément imaginer l’effet sur le climat de ces coulées, même
si on ne peut que les imaginer, tant le phénomène est complexe et… manque d’équivalent actuel. Modification du
taux de CO2, atténuation de la lumière solaire (clarté d’une
nuit d’été), chute de pluies acides (acide sulfurique), ont dû
marquer le monde vivant, et ce d’autant plus que des effets
climatiques inverses s’enchaînaient. Ainsi, à une baisse de
température, brève, mais atteignant une dizaine de degrés
succédait un réchauffement important. Un événement isolé
est susceptible d’avoir des effets récupérables, mais la répétition d’événements opposés pendant des centaines de milliers d’années marque durablement la biodiversité.
Les volcans rejettent du CO2, facteur de déséquilibre,
tout comme la vie induit un déséquilibre géochimique. Les
éruptions produisent annuellement 0,2 gigatonnes de CO2.
Les algues, les toutes petites, celles de la nanoflore, consomment 6,2 gigatonnes par an. C’est-à-dire que les gros volcans
rejettent annuellement 30 fois moins de CO2 que les algues
n’en consomment. Elles sont toutes petites mais elles sont
nombreuses… Les gaz volcaniques contiennent du CO 2
mais aussi de l’eau (autre gaz à effet de serre). Si de l’eau
existe sur Terre c’est en partie grâce aux volcans, même s’il
est difficile d’en estimer la proportion. En effet, j’avais
demandé à un collègue qui travaille sur les météorites quelle
était la proportion d’eau apportée par les météorites par rapport à celle due aux volcans. Il me fut répondu que le précieux liquide était essentiellement météoritique (jusqu’à
75 %). J’ai posé la même question à un vulcanologue, il m’a
dit la même chose : 75 % de l’eau venait… des volcans cette fois ! Je propose donc que nous admettions que l’eau sur
Terre provienne, en gros, pour moitié, des volcans…
Toujours est-il que l’apport du volcanisme est bénéfique à la
vie car outre l’eau, l’exhalation de ce CO2 qui est présenté
comme un poison aujourd’hui, a été fondamentale pour la
vie parce que
(1) s’il n’y avait pas ce CO2 la Terre eût été toujours
gelée (elle se trouverait à -18 °C) contre les +13 °C actuels,
faute d’effet de serre,
(2) c’est le CO2 qui a permis la photosynthèse, c’est-àdire le développement de la matière organique et le dégagement de l’oxygène. En conclusion, les volcans sont toujours
présentés comme néfastes à la vie, alors qu’ils lui sont tout
55
aussi favorables, tout comme le gaz carbonique. Comme
souvent certaines choses sont bonnes jusqu’à un certain
degré et deviennent nocives au-delà (… à méditer en
maintes occasions).
On sait que la biodiversité dépend, au moins en partie, du
niveau marin et de ses vitesses de variation. La Terre est un
système d’interactions à toutes les échelles de temps et d’espace avec une caractéristique : son temps particulier. Si ce
message passe, un grand objectif est atteint. Des connexions
existent entre l’activité volcanique et le niveau de la mer. Il
convient toutefois de ne pas en conclure que cette relation
est démontrée par les courbes du niveau marin et de l’activité volcanique (fig. 7) car la cause est inverse : c’est parce que
l’on suppose cette relation que les courbes ont pu être établies.
L’activité volcanique sur Terre se fait surtout sentir au
niveau des dorsales océaniques, on pourrait donc se contenter de ne représenter que celles-ci. Quand l’activité volcanique est peu intense, la dorsale fonctionne peu, les plaques
s’écartent lentement, on dit que la dorsale est lente. Le nouveau plancher océanique créé a le temps de refroidir et de
devenir ainsi plus dense. Il s’enfonce à peu de distance de
l’axe de la dorsale. La dorsale est étroite (fig. 8). Au contraire, quand la dorsale est rapide, les éléments nouvellement
créés s’écartent vite de l’axe sans avoir le temps de refroidir
et de s’enfoncer. La dorsale est large, elle apparaît plus gonflée que la dorsale lente. Volumineuse la dorsale rapide correspondrait à un haut niveau marin.
Precamb
Camb
Ord
Si
Devo
Carb
On peut reporter d’autres courbes sur le schéma associant niveau marin et activité volcanique (fig. 9).
La courbe du climat montre la même tendance que celle
de l’activité volcanique à une exception prêt : le coup de
froid de l’Ordovicien (glaciation hirnantienne). La biodiversité présente cinq crises qui correspondent à des moments où
un ensemble de facteurs évolue rapidement, soulignant une
relation entre tous les phénomènes, qu’ils soient d’origine
profonde (activité des dorsales) ou localisé en surface (biodiversité).
La courbe du CO2 épouse correctement les variations du
niveau marin et de l’activité volcanique. Il y a de fortes
connexions entre tectoniques des plaques (mouvements),
paléogéographie (répartition des continents), productivité et
biodiversité. Cette courbe tirée du modèle de Berner n’est
qu’une tentative parmi d’autres. Elle n’en montre pas moins
que l’assertion médiatique « le CO 2 est plus élevé que
jamais » est pour le moins inexacte, et qu’il convient d’y
ajouter « de mémoire d’homme ». En effet, la Quaternaire et
le Carbonifère partagent un point commun : le très faible
taux de CO2. Au Carbonifère des forêts étaient rapidement
enfouies, elles étaient donc des puits épisodiques de carbone. Aujourd’hui le taux de gaz carbonique est l’un des plus
bas, même s’il augmente rapidement à l’échelle humaine.
Perm
Tr
Jur
Cret
Cenoz
Niveau marin
Activité volcanique (dorsales)
7. - Évolution de l’activité volcanique et du niveau marin au Phanérozoïque. La courbe en rouge représente l’importance de l’activité volcanique, surtout celle au niveau des dorsales, celle en bleu le niveau marin. Les deux courbes présentent des maximums
(Ordovicien et Jurassique Crétacé) et minimum (Permien) aux mêmes périodes.
56
Dorsale lente
Dorsale rapide
8. - Schéma des relations entre dorsale rapide/ lente et niveau marin.
Biodiversité (A/D)
*
Climat
*
serre
*
*
*
glaciaire
Precamb
Camb
Ord
Si
Devo Carb
Perm Tr
Jur
Cret
Cenoz
Niveau marin
CO2
activité volcanique (dorsales)
9. - Évolution de différents paramètres au Phanérozoïque. La courbe du climat (en violet) est référencée par rapport au climat
actuel (ligne horizontale). La biodiversité (courbe vert foncé) est représentée ici par le nombre d’apparitions de taxons (A) par rapport aux disparitions (D). Quand D est supérieur à A, il y a crise (un pic vers le bas). Les plus importantes sont positionnées par
une étoile.
57
induisant un magnétisme dipolaire et un bouclier magnétique (fig. 11). Ce bouclier dévie certains rayons du soleil qui
seraient nocifs à la vie sur Terre. On conçoit donc facilement
que des modifications éventuelles de la magnéto terrestre
puissent laisser passer certains rayons solaires et donc
influencer la vie. Pour cette raison des relations entre les
inversions du champ magnétiques (celles qui ressemblent à
un code-barres) et la biodiversité ont été recherchées. Rien
de probant n’a été trouvé à ce jour.
La paléogéographie
Les plateformes continentales sont des lieux où la biodiversité est particulièrement importante. Modifier la taille de
ces plateformes au niveau global induit donc un changement
de la biodiversité totale. Les périodes de l’histoire de la Terre
où les continents sont rassemblés (ex. la Pangée permienne)
correspondent à une faible superficie de plateforme continentale, leur périphérie étant plus restreinte qu’aux périodes
pendant lesquelles les continents sont éclatés (fig. 10).
L’activité solaire n’est pas uniforme. De temps à autre
des taches solaires apparaissent. Elles sont aujourd’hui bien
connues et une courbe de leur succession est tracée (fig. 12).
Le report de cette activité solaire face à celui de la température terrestre sur un diagramme révèle une bonne concordance des deux types de courbe.
Le soleil
Le soleil intervient par son énergie calorifique et par son
rayonnement interagissant en partie avec la magnéto terrestre. La Terre possède un noyau métallique en rotation,
Paléogéographie et biodiversité
1
eau
1
S = C² = 1
S
Continent
1
P = 4C = 4
1
0,5
0,5
0,5
0,5
S=1
P= 2+2 +2+2 = 8
0,5
0,5
0,5
0,5
10. - Proportions relatives de plateforme continentale en fonction de deux situations paléogéographiques opposées. En haut les
continents sont regroupés (ex. Permien). Pour une surface S, la périphérie a une longueur de 4 fois les côtés (si chaque côté = 1 unité, S=1 et P= 4) En bas, le même continent éclaté en 4 sous-continents. Pour la même surface S, la périphérie est plus importante
(S=1, P=8). Il y a deux fois plus de plateformes continentales, donc deux fois plus de niches écologiques, et on peut s’attendre à ce
qu’il y ait une augmentation de la biodiversité. À l’inverse, quand on passe d’une situation à continents fragmentés vers une période à continent unique, on doit s’attendre à une diminution de la biodiversité.
58
Soleil & magnéto terrestre
Soleil
Terre
11. - Représentation du Soleil, de la Terre et de son bouclier magnétique. Le Soleil, à gauche, montre des éruptions. La Terre, petite boule bleutée, sur la droite, est entourée de son champ magnétique dont les lignes de force sont représentées en un camaïeu de
bleu et de son bouclier, en violet, qui détourne des rayons solaires.
59
Taches solaires et tp° terrestre
12. - Durée du cycle des taches solaires et température terrestre depuis 1860. Les courbes montrent, avec un décalage de 5 ans, une
bonne concordance.
Vitesse de rotation du noyau terrestre
Le méthane
Le noyau terrestre ne tourne pas toujours exactement à la
même vitesse que l’ensemble de la Terre. Les modifications
de la vitesse de rotation du noyau induisent des changements
de rotation de l’ensemble de la Terre. Ces légères variations
signifient que la durée des journées change de quelques
infimes fractions de secondes modifiant par là la quantité
d’énergie solaire reçue quotidiennement. La variation temporelle n’est certes pas importante mais la surface en jeu est
tellement grande que les changements sont significatifs et
influent sur la température terrestre (fig. 13) Le report de cette variation de vitesse sur celle de la Terre montre une
concordance globale entre les deux courbes (avec un décalage d’une dizaine d’années).
Le méthane est un puissant gaz à effet de serre, bien plus
que le gaz carbonique puisqu’il est 30 fois plus « efficace ».
Il se présente généralement sous forme de gaz, mais on le
trouve aussi sous une forme solide particulière : les hydrates
de méthane, encore appelés clathrates, nom lié au fait que le
méthane est enfermé dans une cage de molécules d’eau (du
grec klathron = cage), (fig. 14). Un volume de clathrate est
susceptible de libérer jusque 160 volumes de gaz. Ces
hydrates de gaz représentent donc un réservoir de méthane
très important.
60
Vitesse de rotation
Température
13. - Variations de la vitesse de rotation de la Terre (d’après Le Mouël et al., 1992, in Poirier, 1996) et température terrestre. Les
courbes concernant les vitesses de rotation, en bleu, montrent la vitesse de la déclinaison magnétique (en degré/an) et la variation
de la vitesse de rotation de la Terre en 10-12 radian/seconde. Les maxima et minima des courbes de variations de la vitesse de rotation et de variation de température terrestre montrent une bonne concordance.
A
B
14. - Hydrates de gaz
A- Structure d’une molécule
(d’après Suess 2002). Les molécules
de gaz « encapsulées » représentent
essentiellement le méthane (99 %),
mais aussi l’éthane, le CO2, l’H2S.
Du fait de la grande dominante de
méthane on trouve aussi la mention
hydrates de méthane.
B- Les clathrates se présentent comme de la glace qui, sortie de ses
conditions de gisement habituel, se
vaporise (sublimation). Elle est alors
susceptible de brûler. On peut alors
avoir de la « glace qui brûle »
(© Bohrmann).
61
Les clathrates sont stockés principalement au niveau des
plateformes continentales ou dans les zones très froides à
pergélisols. Depuis quelques années les hydrates de gaz sont
évoqués comme cause de bouleversements climatiques, au
cours de temps géologiques, lors de leurs brusques dégazages. En effet, ils sont stables dans certaines conditions de
température et de pression. Que la température augmente, ou
que la pression diminue et ils sont susceptibles de dégazer.
Considérons par exemple une augmentation de température :
les clathrates des steppes sont susceptibles d’être déstabilisés, ils relâchent alors du méthane, puissant gaz à effet de
serre qui va emballer le système. Le phénomène peut être
encore amplifié si les hydrates de gaz des plateformes sont
déstabilisés. A contrario, considérons maintenant une diminution importante de température. Elle conduit éventuellement à une glaciation qui abaisse le niveau de la mer. Au
fond de celle-ci la pression diminue alors et du méthane
risque d’être relâché. Ce dégazage contrecarre la diminution
de température, et joue un effet tampon. Ainsi, la libération
d’hydrates de gaz, selon qu’elle se fait ici ou là induit des
effets inverses. Certains peuvent passer inaperçus dans l’enregistrement géologique alors que d’autres au contraire,
ceux résultant d’un emballement, peuvent laisser de profondes marques, tant au niveau de la biodiversité que de
celui des sédiments. Certaines intumescences de la taille
d’une grande colline, sorte de volcan de boue, contiennent
aussi du méthane, sous forme de gaz ou de clathrates. Ces
structures se rencontrent aussi bien à terre (ex. Azerbaïdjan)
qu’en mer. Le report des quantités de méthane contenu dans
les glaces (ex : carottes de Vostok) et celui de la température
de l’air (fig. 15) montre une excellente corrélation entre les
deux courbes.
Surveiller les flatulences et les rots pour maîtriser le réchauffement climatique
Le méthane est un gaz à effet de serre si puissant que l’on
surveille toutes les causes méthanogènes, y compris les éléments biogènes. Parmi les systèmes les plus productifs au
niveau de la planète figurent : les rizières, les rots de ruminants et les flatulences de termites (vous avez bien lu !). Des
équipes de chercheurs de par le monde travaillent sur ces
sujets complexes. En effet, on sait par exemple comment
diminuer la production de méthane d’une vache, mais alors
celle-ci produit moins de lait, et si l’on veut obtenir la même
production laitière alors il faut tellement augmenter le
nombre de têtes, que la quantité de méthane est in fine supérieure à celle initialement constatée. Complexe la nature !
15. - Courbes de température et du méthane livrées par les carottes de glace d’Antarctique (forage de Vostok) depuis 450 000 ans.
La concordance entre les deux courbes est remarquable.
62
De façon parallèle, pour les rizières, il est apparu que si
la rizière était asséchée une fois au cours de l’année, moins
de méthane était dégagé par la fermentation, mais alors la
rizière produisait un composé azoté qui avait un effet de serre encore plus puissant. Décidément, rien n’est simple et
Dame nature est bien complexe… à toutes les échelles de
temps et d’espace…
Depuis la canicule de l’été 2003 chaque Français a
conscience de l’influence de la température sur la biodiversité puisqu’elle a tant marqué l’espèce humaine. Les médias
et des scientifiques attribuent généralement le réchauffement actuel au seul CO2 anthropique. Néanmoins, les éléments fournis ci-dessus montrent que plusieurs moteurs sont
susceptibles d’induire un réchauffement : le soleil (fig. 12),
la variation de vitesse de rotation du noyau terrestre (fig. 13)
et le méthane (fig. 15), outre le gaz carbonique. Pour résumer, on dispose de 4 causes possibles, ce qui est presque 3 de
trop pour que ce soit simple. Il y a à chaque fois une bonne
concordance, y a-t-il corrélation ? Faut-il alors négliger les
cris d’alarme ? Si les causes de premiers ordres sont « naturelles », c’est-à-dire dues au soleil ou au noyau terrestre ou
au dégazage de méthane, nous n’y pouvons rien. En
revanche s’il s’avère par la suite que l’Homme est le facteur
principal (rizières, élevage de ruminants, combustion
d’énergie fossile)… il sera peut-être trop tard… n’appelle-ton pas cela le principe de précaution ?
Un certain regard sur quelques crises
Les crises de la biodiversité sont toujours marquées par
deux événements successifs, (1) la disparition de groupes
taxonomiques suivie quelque temps plus tard de (2) l’apparition de beaucoup d’autres. En cela elles font partie intégrante de l’évolution de la biodiversité au cours du temps.
Au cours de l’histoire de la Terre, les crises sont très nombreuses et d’amplitude variable. On en distingue habituellement 5 majeures. Ces modifications brutales de biodiversité
ont, depuis A. d’Orbigny, servi à découper l’échelle des
temps géologiques. Il est donc logique que plusieurs de ces
crises se trouvent à la limite entre des ères ou des étages.
Dans ce qui suit seules les 2 crises qui séparent les ères
Primaire, Secondaire et Tertiaire sont évoquées. Elles le sont
avec un éclairage un peu inhabituel, car j’ai désiré montrer
qu’il est souvent difficile, voire impossible, de parler de
science sans tenir compte aussi des hommes qui la font.
La crise de la limite Crétacé/Tertiaire
Incontestablement la plus médiatique, cette crise est
associée à (1) la chute d’une météorite sur la Terre qui
débride l’imaginaire et (2) la disparition de ces terribles
dinosaures pourtant si costauds (fig. 16).
La crise Crétacé / Tertiaire est bien distincte au niveau
des familles en domaine marin (fig. 2C). En domaine terrestre en revanche, là où vivent les dinosaures, il est impossible d’observer une diminution de la biodiversité, tout au
plus voit-on un replat, une pause dans l’augmentation de la
biodiversité (fig. 2B). Quand on observe les événements on
note bien que des espèces marines sont disparues, et que
d’autres sont apparues ultérieurement. Mais à y regarder de
très près il ressort que les espèces ne sont pas toutes disparues exactement en même temps, elles n’ont pas réagi à un
coup de sifflet ! Ainsi la limite apparaît tranchée vue de loin,
mais de près elle est moins évidente. Ce flou résulte de plusieurs causes. Tout d’abord parce que, simplement, tous les
organismes ne disparaissent pas exactement en même temps,
certains sont plus fragiles que d’autres. Ensuite, surtout à
proximité du cratère de Chicxulub, les sédiments, à cause de
l’impact, sont mélangés. Une autre cause enfin, valable pour
toutes les disparitions, est liée au fait que les organismes en
train de disparaître deviennent de moins en moins nombreux
et finissent ainsi par être de plus en plus difficiles à trouver.
À partir d’un certain seuil, ils sont si rares que l’on peut penser qu’ils sont disparus. La question qui se pose alors :
n’existent-ils plus ou sont-ils si rares qu’on ne puisse en
retrouver des restes ? Il en résulte que l’on a donc tendance,
généralement à vieillir la date de la disparition effective.
Pour cette raison on n’utilise plus la disparition d’organismes pour définir les limites d’étages ou sous étages.
La limite Crétacé-Tertiaire est connue pour correspondre
à la disparition des dinosaures. Pourtant lors des 10 millions
d’années qui ont précédé la crise K/T, 40 % des dinosaures
ont disparu. Juste avant la crise, on ne connaît que très peu
de grands reptiles. Est-ce à dire qu’ils savaient qu’un bolide
allait venir les exterminer et que, cardiaques, cette nouvelle
leur fut létale ? Il n’en reste pas moins que l’on ne trouve
plus de grands reptiles après cette limite. Il est fréquent de
voir évoquer « la fin des dinosaures » au lieu de « grands
reptiles », pourtant ces appellations ne sont pas identiques,
surtout pour un naturaliste. En effet le groupe des dinosaures
comprend les Théropodes dont fait partie T. rex et d’où sont
issus les oiseaux actuels. En revanche, les Ptérosaures
(aériens), les Plésiosaures et autres Mosasaures marins, sont
bien disparus à la fin de Secondaire mais n’appartiennent
pas au groupe des Dinosaures.
Un des lieux mythiques de la crise crétacé-tertiaire, où le
niveau à iridium fut décrit pour la première fois, a été visité
par tant de géologues et d’étudiants que c’en est devenu un
site touristique, mentionné comme tel le long de la route
(fig. 17). L’affleurement se trouve à proximité du col de la
Bottacione (fig. 18).
63
A
C
B
© De Wever
16. - Illustrations des éléments principalement évoqués pour la crise Crétacé Tertiaire.
A- La chute de la météorite de la limite Crétacé –Tertiaire vue par un artiste. La taille de la météorite peinte est ici bien supérieure aux 10
km de diamètre supposés de cette météorite. Il est vrai que si la proportion était gardée, on ne verra à cette échelle qu’un tout petit grain
tombé sur Terre, pas de quoi faire un événement ! © DR
B- La pluie de météorites embase le ciel et affole les dinosaures, on le comprend. Ce qui surprend en revanche ce sont les trajectoires des
chutes, comme si la chute était un point focal… © DR
C- Cette couverture de livre scientifique est certes moins spectaculaire néanmoins une chute de météorite ; grosse, est évoquée, même si
l’artiste a pris soin de séparer la grosse météorite (qui reste le « produit d’appel ») du paysage terrestre. © DR
17. - Panneau de signalisation routière à la sortie du village médiéval de Gubbio le long de la route, il y est précisé qu’il s’agit d’un
« site scientifique d’importance mondiale » © De Wever
64
© De Wever
A
B
© De Wever
© De Wever
18. - A- Affleurement de la limite Crétacé Tertiaire, Col de la Botaccione, Apennins, Italie. Le site, aménagé, permet aux véhicules
de se garer. Comme en France les parois de la montagne sont recouvertes d’un grillage qui limite la dangerosité de la chute des
pierres. Le grillage recouvrait l’affleurement, mais manifestement les géologues savent où se procurer des pinces coupantes ! Dans
la zone déprimée. Le niveau d’argile à iridium n’est plus visible, tant il a été collecté. Le panneau jaune est là pour attester qu’il
s’agit bien du niveau stratigraphique. © De Wever
B- (détail de la photo précédente) Les bancs qui encadrent le niveau d’argile ont été abondamment étudiés, comme en attestent les
dizaines de traces de microforages (des flèches positionnent quelques-unes). © De Wever
65
La météorite : un succès médiatique
La crise de la limite Permien-Trias
La limite Crétacé Tertiaire est bien connue de par son
caractère onirique, mais aussi sans doute parce que la publication de la découverte du niveau d’iridium a bénéficié d’un
fort battage médiatique pour une double raison. Tout d’abord
les Alvarez, père et fils étaient connus scientifiquement, surtout le père qui avait obtenu le prix Nobel de physique en
1968. La deuxième raison est politique. En effet, quand les
Alvarez publient le contenu en iridium de ces argiles, au
début des années 80, le gouvernement du président Reagan,
en pleine guerre froide, souhaite développer un type de missiles balistiques susceptibles d’intercepter en l’air d’éventuelles fusées ennemies. Cette stratégie, médiatisée sous le
nom de « guerre des étoiles », était très coûteuse aussi le
peuple américain traînait-il un peu des pieds pour le financement. Le retour de la théorie de grave crise de la biodiversité due à une chute de météorite était du pain béni pour les
faucons américains. En effet, si une chute de météorite avait
pu exterminer les grands reptiles, une autre, même plus petite, était susceptible de tuer beaucoup d’humains, fussent-ils
de solides gaillards comme les cow-boys le sont. La solution
pour éviter que cette situation ne se rencontre était de mettre
au point des fusées capables, par leur explosion à proximité
du dangereux météore, de détourner la trajectoire suffisamment pour que la Terre ne fût plus menacée. Voila une bien
noble ambition que le public américain doit pouvoir accepter, et qui va dans le sens de la politique décidée… Aussi cette hypothèse des Alvarez méritait-elle d’être soutenue. Elle
le fut largement dans les médias (est-ce à l’initiative du gouvernement ? je ne puis le préciser). Des fonds d’état furent
attribués pour cette recherche comme en attestent des publications dans lesquelles sont spécifiquement mentionnés les
numéro de programmes de recherche qui sont des numéros
du Pentagone (et non de la NSF comme c’est généralement
le cas). Il importait donc de souligner qu’un tel bolide pouvait encore frapper la Terre, de faire un peu peur en quelque
sorte. Et dans ce plan Alvarez n’était pas le dernier (fig. 19)
La crise de biodiversité la plus importante sépare l’ère
Primaire de l’ère Secondaire. Elle est la seule qui affecte
visiblement à la fois les organismes marins et terrestres
(fig. 2). Comme pour la crise Crétacé-Tertiaire, seuls seront
fournis ici quelques éclairages complémentaires de ce que
l’on peut trouver dans les livres.
Si l’équipe qui travaillait sur ce phénomène obtint des
subsides, y compris ultérieurement de la recherche civile
américaine (NSF), il est clair que ce qui était dépensé pour
ce programme ne pouvait plus l’être pour d’autres, ce qui
invita certains de ses collègues à le mentionner aussi, dans le
même livre d’or (fig. 20).
La crise Crétacé Tertiaire est indiscutablement un événement important dans l’histoire de la vie, mais son succès
n’est donc pas lié uniquement à son intérêt scientifique,
l’onirisme et, surtout, la politique y ont aussi leur place.
Retenons aussi que si l’on veut évoquer la disparition des
grands reptiles pour cet événement, il convient pour le moins
de ne pas utiliser la courbe des familles marines, même si
celle des familles terrestres est moins démonstrative.
66
Une des difficultés lors de l’analyse de crises est de trouver les espèces qui deviennent rares, on l’a signalé ci-dessus.
En outre quand des faunes sont trouvées, encore faut-il réussir à les déterminer au niveau spécifique, car la préservation
est souvent tellement médiocre que la liste des espèces identifiées, est très inférieure à la liste des espèces présentes. Le
résultat est que l’on a tendance à amplifier artificiellement
l’aspect crise.
Comment se présente la crise dans son ensemble ?
Il fut d’abord supposé que cette crise durait entre 8 et
14 millions d’années. En fait plusieurs phénomènes sont
certes continus (baisse du niveau marin par exemple au
Permien, ou période d’anoxie à l’extrême base du Trias)
mais d’autres événements sont doubles (ex. les excursions
du δC13, ou les manifestations volcaniques qui se constatent
d’abord en Chine du Sud, puis en Sibérie). On admet aujourd’hui que cette crise est un fusil à deux coups, chacun d’environ 1 million d’années, séparés de 8 millions d’années et
que c’est leur succession en peu de temps qui, par effet
cumulé, fait l’importance de la modification.
L’identification des causes a suscité bien des recherches et
généré bien des débats. Aujourd’hui, on utilise pour la décrire la métaphore du « Meurtre de l’Orient-express ». Dans ce
roman d’Agatha Christie, Hercule Poirot, chargé d’enquêter
sur le meurtre intervenu dans le train, constate que la victime
a reçu plusieurs coups de couteau. Il finit par découvrir qu’il
n’y a pas un meurtrier mais, que chaque personne du compartiment a participé en donnant un coup de couteau. Une
crise de biodiversité relève généralement (si ce n’est toujours) de la même logique (fig. 21). Un ensemble de phénomènes conjugués qui créent un système complexe comprenant de nombreuses actions et rétroactions, des pas de temps
différents etc. conduisant à un profond déséquilibre. Une crise de biodiversité résulte, en général, de la conjonction d’un
ensemble de facteurs.
La formation de la Pangée est associée à une régression
qui implique une réduction de la diversité des habitats par
diminution de la plateforme continentale (voir fig. 10). Un
seul immense continent modifie le climat par augmentation
de la saisonnalité (type même du climat continental) et
induit des instabilités écologiques. La régression permet
l’oxydation des substances organiques, conduisant à un
accroissement du CO2 qui peut amener une anoxie océanique et un réchauffement global. La régression est aussi
susceptible de permettre une déstabilisation d’hydrates de
19. - Page d’un livre d’or signée par W. Alvarez.
Le tenancier d’une petite auberge située sur la route du col de la Botaccione à proximité du célèbre site (Gubbio, Italie), fait signer au fil
des années bon nombre de géologues qui passent par là. L’une de ces pages, de 1982, dit : « Remember it can happen again, prepare to
meet thy maker » (= souviens-toi que cela peut encore arriver, soit prêt à rencontre ton créateur) et elle est signée Walter Alvarez ! On ne
peut être plus clair, il faut entretenir la peur, elle génère des moyens de travail. © De Wever
20. - Page d’un livre d’or où les collègues d’Alvarez témoignent d’un avis différent. © De Wever
Dans la même auberge que celle citée sur la figure précédente, le même livre d’or montre une page de l’année 1988 sur laquelle on lit
« nous avons calculé le montant en dollars fourni par la NSF pour que Walter Alvarez et ses étudiants puissent signer ce livre plus de 50
fois. Ce montant outrancier (en 105 $) aurait permis… » et c’est signé M. Arthur, S. Schlanger, T. Bralower etc. tous des noms très connus
de la communauté internationale. On devine que quelques dents grincent, même si cela est relaté sous forme de la plaisanterie. © De
Wever.
67
Crise de biodiversité =
meurtre de l’Orient Express
Réduction
de la diversité
des habitats
Pangée
Point chaud
Régression
Trapps de Sibérie
Augmentation
de la
saisonnalité
Oxydation
des substances
organiques
Dégagement
de
gaz hydrates
Accroissement
de CO2
Instabilité écologique
Anoxie océanique
Réchauffement global
EXTINCTION
21. – Schéma de quelques causes de la crise de la limite Permien-Trias
Deux moteurs indépendants : une situation géographique – la Pangée – et une manifestation volcanique exceptionnelle – les trapps de
Sibérie – se conjuguent pour aboutir à un résultat au niveau de la biodiversité : une crise.
gaz par baisse de pression. Le méthane qui est alors libéré
s’oxyde et participe à l’augmentation du CO2 et au réchauffement climatique, etc.
Le volcanisme de type point chaud produisant les trapps
de Sibérie libère une grande quantité de CO2 et de vapeur
d’eau, gaz à effet de serre etc.
Regards sur une démarche scientifique
De la démarche scientifique présentée ici il ressort nettement que le regard du naturaliste sur le monde extérieur se
fait au travers du prisme de ses préjugés. Après le succès rencontré par l’hypothèse d’une météorite, cratère de
Chicxulub, responsable de la crise Crétacé-tertiaire, le débat
s’est focalisé sur la possibilité d’une météorite responsable
de la crise pour la limite Permien-Trias, plutôt que d’événements volcaniques qui ont eu la faveur, reprenant une hypothèse déjà émise dès 1972 (voir ci-dessus). La question se
résume en fait à connaître la durée du phénomène. Pour les
tenants de l’hypothèse de la météorite le phénomène doit
être bref si ce n’est instantané. Pour ceux privilégiant la cau-
68
se volcanique le phénomène, même bref à l’échelle géologique est beaucoup plus long (0,5 à 2 Ma).
Le reproche qui est fait à l’hypothèse volcanique, défendue avec le brio qu’on lui connaît par Vincent Courtillot, est
que cette manifestation n’induirait qu’un réchauffement de
5 °C, jugé insuffisant pour causer une grande crise du monde vivant. On suppose qu’il a fallu près de 10 °C. Le point
faible de l’hypothèse de la météorite, soutenue par Michael
Rampino, est qu’aucune preuve directe ou indirecte de cette
météorite n’existe. Il est donc allé dans les Dolomites en
Italie où s’observent cette limite et les couches qui l’entourent (fig. 22). Dans les dépôts sombres bien rythmés il a
réussi à identifier des cycles de précessions.
Il conclut que ces rythmites représentent des cycles de
23 000 ans. La première question qui se pose : est-il possible
d’identifier des cycles de précession aussi loin dans le
temps, est-on autorisé à conclure qu’à cette époque la durée
du cycle est la même qu’actuellement ? En effet, selon certains auteurs, on ne peut mathématiquement pas extrapoler
aussi loin des phénomènes dont on ne connaît pas toutes les
conditions à l’origine. D’après Rampino, si un couplet banc
dur - banc mou représente 23 000 ans, alors le seul banc
d’argile représente approximativement la moitié de ce
A
B
© De Weve
22. - Localité des Dolomites où sont exposées les
couches de la limite Permien-Trias.
A- Vue générale, la limite est localisé au 3e plan, en bas,
où des sédiments lités sont visibles © De Wever
B- La limite Permien-Trias est située dans les niveaux
inférieurs, à proximité du lit du torrent. Les niveaux
sombres, bien rythmés ont été identifiés comme correspondant à des cycles de précession. © De Wever
69
temps, soit 10 000 ans. Pour lui la démonstration est alors
faite que le phénomène est rapide, ce qui soutient l’hypothèse météoritique. La chute brutale et importante de température serait due aux poussières éjectées lors de la collision,
créant une sorte d’hiver nucléaire. Il cherchait sa météorite… Ces indices restaient néanmoins un peu faibles et cette
damnée météorite restait introuvable ! L’absence de traces
est d’autant plus surprenante qu’il avait été calculé que si la
météorite de la limite Crétacé – Tertiaire faisait environ
10 km de diamètre, celle de la limite Permo-Trias devait en
faire au moins 15, l’événement étant plus important. Et une
météorite de cette taille devait laisser des traces, directes,
comme un cratère, ou indirectes, comme des quartz choqués,
certes il en avait été signalé en Antarctique, par Gregory
Retallack, mais très peu. Adrian Jones intervint alors et tint
un raisonnement étonnant. Il déclara en effet qu’un bolide de
cette taille est si important qu’il ne peut manquer de provoquer un rebond des couches tellement violent que le cratère
sera difficilement visible. En outre, la température va tellement augmenter avec le choc qu’au moment de la décompression, se produira une remontée de lave qui va combler la
dépression. Donc, si on le comprend bien, s’il n’y a pas de
cratère visible, c’est la preuve qu’il y a eu chute d’un très
gros aérolithe. CQFD ! La limite du Permien-Trias est largement exposée au Groenland et sur une grande épaisseur.
Paul Wignall considère l’endroit propice pour étudier le
contenu des couches en détail. Il constate dans un premier
temps que l’extinction n’a pas été instantanée mais s’est
effectuée progressivement, sur des dizaines de milliers d’années. Pour être plus précis il a observé une succession de 3
événements différents : (1) d’abord une extinction qui
touche les organismes terrestres pendant environ 40 000 ans,
puis (2) une brève extinction marine pendant laquelle il relève une quantité importante de 12C, et enfin (3) une nouvelle
extinction terrestre. Il propose alors un scénario qui fait
entrer en jeu le méthane des clathrates. Il y aurait d’abord eu
un épisode volcanique qui induit une augmentation de la
température de l’ordre de 5 °C, suffisante pour provoquer
une extinction des organismes terrestres. Consécutivement à
cette élévation de température des clathrates sont déstabilisés. Le méthane ainsi dégagé emballe le système qui augmente encore de 5 °C. On retrouve ainsi les 10 °C requis initialement et… le compte est bon ! Voilà où nous en sommes
aujourd’hui. Est-ce la réalité ? En tout cas c’est une belle histoire. Cette hypothèse présente l’avantage d’intégrer toutes
les données disponibles à ce jour dans un système cohérent.
Bref il s’agit d’une « vérité scientifique ». L’avenir nous dira
si des arguments contraires viendront la rejeter. Elle illustre
qu’une bonne théorie scientifique, est une hypothèse qui
n’est pas démolie, rien de plus.
70
Les limites : une question simple de loin
L’échelle des temps géologiques est un continuum même
si elle est découpée en étages pour des raisons pratiques. Ces
étages ont d’abord été définis par leur contenu en fossiles et
chaque référence constituait un stratotype (il y en a ainsi 43
en France, berceau de la stratigraphie). Ces étalons étant
souvent incomplets, biologiquement –généralement très
marqués par leur environnement- et, surtout, temporellement, il fut ultérieurement considéré plus judicieux d’établir
un découpage par la définition de leur limite. On définissait
ainsi non plus une tranche de temps, représentée par des
couches, mais un point. On parle alors de stratotype de limite, marqué par un clou d’or (golden spike).
La présentation théorique est simple. Si la question, vue
de loin, est facile, regardée de près elle devient beaucoup
plus délicate. En effet les étages sont définis par des changements de faune mais ce changement n’est pas instantané, il
semble plutôt y avoir un relais accéléré. La question qui se
pose alors est de choisir quelle est l’espèce indicatrice. Pour
la limite Crétacé –Tertiaire il est admis une catastrophe marquée par une petite couche d’argile enrichie en iridium
(fig. 18). On infère dans le raisonnement qu’il y a un changement de faciès. Pourtant les limites sont définies par des
fossiles. Que se passe-t-il si les deux ne sont pas synchrones
partout ?
La limite entre l’ère Primaire et l’ère Secondaire voit
aussi un changement de faciès : on passe de calcaires à des
niveaux plus argileux, très fins (fig. 23), anoxiques avant le
retour des calcaires (dans les régions pacifiques –Japon,
Ouest Amérique, Nouvelle-Zélande – on trouve des radiolarites à la place des calcaires). Pour définir cette limite les
brachiopodes et les conodontes étaient de bons candidats.
Finalement c’est une espèce de conodonte qui est choisie :
Hindeodus parvus. Ce choix s’est effectué après maintes
études de coupes. Quand le dossier apparut suffisamment
bien documenté, le temps de la décision vint. Cette décision,
comme pour toutes les limites, revient à une commission
internationale qui vote. Et comme pour tout vote… il y a des
campagnes, des alliances, voire des perfidies. On constate
alors encore une fois, si on l’avait oublié, que les scientifiques sont d’abord de pauvres humains… Finalement cette
définition relève plus de la démocratie que de la science. La
définition d’une limite est une convention, certes basée sur
des faits, mais non dictée par les faits.
Les faciès du Primaire et ceux du Secondaire sont différents en Italie du Nord. L’agacerie est que le changement ne
se fait pas à la limite entre ces deux ères mais juste au dessus. La limite fixée par l’apparition du conodonte H. parvus
se trouve dans un banc de calcaire (fig. 23).
© De Wever
© De Wever
B
A
23. - Limite Permien-Trias en Italie du Nord (Dolomites, coupe de Tesero).
A- Un ensemble calcaire, en blanc sur la photo, est surmonté d’une série plus argileuse avec quelques bancs calcaires, plus grisâtre. La
limite P-T se situe à proximité du panneau couvert (au niveau des coudes du personnage avec une chemise rosâtre, localisée par une flèche
rouge). © De Wever.
B- Le niveau de la limite Permo-Trias, vu de près. La limite se situe quelques centimètres au-dessus du double –mètre jaune. Rien dans le
faciès ne permet de distinguer un événement important. La seule information est fournie par un échantillon centimétrique qui a livré le
conodonte indicateur. © De Wever
La commission ad hoc a défini la limite pour le permotrias sur une coupe en Chine (fig. 24) après bien des tergiversations car la coupe ne respectait pas, pendant longtemps,
tous les pré-requis de la norme ISO 19 108, qui requiert
notamment un accès libre au site, or la coupe était située
dans une zone militaire fermée aux étrangers. Ce site est
aujourd’hui accessible et protégé. Les chinois en ont même
fait un Géopark avec un musée de site. Le site est donc visité par des spécialistes, des touristes et… des jeunes mariés
qui viennent s’y faire photographier, car comme me l’a dit
mon collègue chinois : « en Europe les mariés vont à l’église, ici ils viennent sur le golden spike (clou d’or) car rien que
ce nom leur paraît prestigieux ». Voilà un bel exemple de
volonté scientifique soutenue par les autorités, relayé par des
médias, renforcée par la population… C’est en Chine…
Qu’elle nous semble parfois loin la Chine !…
La légende de la figure 24 présente des noms assez compliqués à prononcer pour les occidentaux. Nous sommes loin
des noms tels que Lutétien, Turonien, Barremien etc. La
stratigraphie a été créée en France au milieu du XIXe siècle,
de ce fait beaucoup d’étages ont pour base des noms français
ou d’Europe occidentale. Les noms d’étage à bases de toponymes américains sont ensuite apparus, surtout dans le
Paléozoïque supérieur (Mississipien, Pensylvanien), puis
des noms russes (Permien, Cisuralien, Artinskien,
Sakmarien…) et plus récemment encore des noms chinois.
Ces modifications de nom correspondent certes à des terrains mieux conservés, mais aussi mieux étudiés dans des
pays qui ne considèrent pas la stratigraphie comme une discipline dépassée… Cette observation permet aussi d’effectuer un parallèle avec le développement du pays, son ouverture sur le monde, illustrant une liaison entre sciences et
développement de société. Ces noms, et leurs évolutions
seront sans nul doute des témoignages lisibles pour les générations futures.
71
limite PT Chine (Meishan)
© Crasquin
A
© De Wever
© De Wever
C
B
24. - Coupe de Meishan (Chine). Point stratotypique de la limite Permien-Trias
Ce site (situé quelque 200 km au SSE de Nankin) aménagé présente deux points stratotypiques, celui de la limite permien-trias (A) et celui
de la limite entre les deux derniers sous-étages du Permien (Wuchiapingien et Changhsingien), au sud de la coupe (C). L’endroit est aménagé pour les visites où les deux coupes stratotypiques sont visibles, distantes de quelques dizaines de mètre seulement. L’ensemble, de
plus de 3 km de long, présente plusieurs coupes (6 en tout) visibles sur la photo A : les parties dépourvues de végétation alignées avec le
site principal du premier plan. À l’entrée du Géopark, un musée de site très moderne expose sur 2000 m2 les principaux éléments de la géologie.
A- Site de la limite Permo-Trias. L’ensemble monumental permet au public de se renseigner sur l’histoire de la vie au Phanérozoïque (les
panneaux sombres en pierre noire), alors que l’escalier permet de s’approcher de la coupe. Un livre en marbre blanc (que lit un personnage) explique ce qu’est un point stratotypique au pied d’une colonne qui porte triomphalement l’objet phare : une sculpture du conodonte
H. parvus agrandi près de 2000 fois (© Crasquin).
B- À côté d’un panneau explicatif de la notion de point stratotypique, un escalier secondaire, tel celui d’un autel, conduit le visiteur jusque
sur LE banc. On y voit alors, dans une partie dégagée du filet la limite P-T, marquée à la peinture rouge, qui passe au milieu du banc calcaire n° 27 (© De Wever)
C- Limite entre le Wuchiapingien et le Changhsingien, dernier sous-étage du Permien (© De Wever).
72
La biodiversité : un phénomène superficiel ?
L’influence des météorites est à prendre en considération
dans le déroulement d’une crise de la biodiversité, néanmoins, le volcanisme de type point chaud l’est au moins tout
autant. L’avantage de cette dernière relation est qu’elle correspond presque point pas point avec les principales crises
(fig. 25).
C
ris
es
Tr
a
pp
s
Au niveau global existe une liaison entre le volcanisme,
de type océanique ou de type point chaud, et la biodiversité.
Il convient toutefois de ne pas réfléchir au volcanisme tel
que nous le connaissons actuellement sur Terre pour celui
qui concerne les points chauds. En effet, le volcanisme qui
génère des trapps est sans commune mesure avec celui que
nous connaissons aujourd’hui à la Réunion, en Islande ou à
Hawaï. La dernière manifestation volcanique importante est
celle de 1783-84 du Laki en Islande dont nous avons parlé
plus haut. Les trapps du Deccan, quant à elles représentent
en quantité l’équivalent de la France recouverte de laves
jusque 700 m au-dessus du Mont Blanc, les trapps de Sibérie
et de Chine, c’est 10 à 20 fois plus que cela encore. Avant
qu’un de ces points chauds se manifeste par des coulées de
lave il provoque une intumescence d’environ 4000 km de
diamètre sur une hauteur de plus de 3000m. Imaginons un
instant qu’un tel point chaud émerge aujourd’hui au milieu
de l’Atlantique, nous irions à pied de San Francisco à
Vladivostok… en plus il faudrait franchir une montagne
entre Paris et New York ! Les conséquences, avant même
que des laves ne soient émises, seraient drastiques et
variées : complète modification des courants océaniques et
ses conséquences sur le climat et la biodiversité, installation
d’un climat extrêmement continental à très forte saisonnalité. Bien entendu quand les laves s’écouleront et que les gaz
s’échapperont, une nouvelle série de modifications interviendra.
Avec ce type de volcanisme, la réflexion basée sur l’actualisme montre ses limites.
25. - Relation entre crise de la biodiversité et grandes périodes de manifestation de point chaud sous forme de trapps (d’après Courtillot, modifié).
73
Outre les effets de l’émergence d’un point chaud envisagés ci-dessus la plupart des points chauds depuis le Permien
ont été les prédécesseurs d’une dérive continentale marquée
par l’initiation d’une séparation continentale ce qui implique
des modifications de paléogéographie, de courants et leurs
effets sur la biodiversité etc. (fig. 26).
Les éléments précédents montrent le lien unissant les
crises de biodiversité et les manifestations de gros points
chauds même si cette relation n’est pas univoque. La biodi-
versité est typiquement une manifestation de la partie la plus
superficielle de la Terre. Les points chauds trouveraient leur
origine au niveau de la limite entre le noyau et le manteau,
elle est donc très profonde (fig. 27). Étudier ce qui se passe
en surface, la biodiversité par exemple, nécessite donc aussi
de s’intéresser à ce qui se passe quelque 3000 km plus profondément, puisque les manifestations de surface résultent
de phénomènes ayant leur origine à proximité du noyau !
Quelle magnifique illustration du système Terre qui associe
intimement surface et profondeur.
26. - Positionnement de quelques points chauds principaux correspondants à des crises de la biodiversité et annonçant une ouverture océanique (à l’exception de la limite Permo-Trias).
250 Ma : limite Permien –Trias, les trapps de Sibérie n’ont pas généré de nouvelle séparation de masses continentales. Rappelons que ce
magmatisme suit de 8 Ma celui de Chine du Sud (Emeishan).
205 Ma : crise de la limite Trias-Lias, aurore de l’ouverture de l’Atlantique Nord,
185 Ma (Toarcien), précédant la séparation de l’Afrique du bloc Antarctique-Australie-Inde,
135 Ma : limite Jurassique-Crétacé, avant l’ouverture de l’Atlantique Sud,
65 Ma : limite Crétacé –Tertiaire, pas d’ouverture nouvelle mais une accélération brutale du déplacement de l’Inde,
32 Ma : crise Eocène-Oligocène correspondant à l’ouverture des rifts Est-Africains (d’après Courtillot, modifié)
74
75
27. - Coupe de la Terre positionnant l’origine des points chauds.
Le manteau était représenté en vert, puisque c’est la seule couleur que l’on soit autorisé à mettre, les roches issues des profondeurs ne sont rouges que lorsqu’elles sont en fusion au moment
de leur émission. Le manteau en revanche est riche en olivine, minéral d’un beau vert tendre.
Conclusion
L’histoire de la biodiversité n’est pas « un long fleuve
tranquille ». Des phases de stase sont interrompues par
secousses qui la modifient profondément. Ces crises, plus ou
moins fortes, sont nombreuses et semblent exister depuis
toujours. Toutes les crises ont été suivies de périodes de
diversification si bien que la biodiversité semble plus riche
après qu’avant la crise. In fine une crise est favorable à la
richesse de la biodiversité. Une période de crise n’est donc
pas un drame pour la biodiversité dans son ensemble, même
si elle l’est, pour les espèces qui n’y survivent pas !
Les médias nous disent aujourd’hui que « la planète est
en danger », ou que « la biodiversité est en danger ». On
mesure combien ces locutions sont malheureuses au regard
de l’histoire de la biodiversité. En effet, la planète Terre peut
continuer d’exister sans la biodiversité ! Et si nous vivons
une crise, on a le droit de penser que la biodiversité ultérieure sera encore plus diversifiée. Mais il est vrai que dans celle-ci l’Homme n’aura peut-être plus sa place… Alors, il
serait plus correct de dire « la place de l’homme sur la planète est en danger » ou encore « la biodiversité dans laquelle l’Homme a sa place est en danger ». Ne nous trompons
pas, les jolies fleurs et les petits oiseaux sont utiles à la survie physique de l’Homme. Il ne faut pas se tromper de propos. Bien sûr, on peut positionner l’Homme au centre de la
biodiversité. Mais alors il ne faut pas prétendre s’intéresser
aux petits poissons et aux papillons virevoltants alors qu’on
pense à Soi en premier…
Le maintien d’une biodiversité nécessite un équilibre
entre ses composants. Si l’environnement change brutalement – à l’échelle géologique – ou si une espèce devient très
largement dominatrice, l’équilibre est rompu et c’est toute la
biodiversité qui est susceptible d’être modifiée.
L’espèce « Homme pensant » s’est dégagée voila
250 000 ans. Elle s’est développée, a occupé des niches écologiques de plus en plus diversifiées, des milieux les plus
hospitaliers aux plus hostiles. Sa population a cru depuis
lors, mais elle explose littéralement depuis le milieu du
XIXe siècle (fig. 28), sa densité augmente donc, fatalement
au détriment d’autres espèces. Chaque jour la population
mondiale croît d’environ 200 000 unités, à ce jour 28 % de
la population a moins de 15 ans. À ce rythme on serait 15
milliards dans 40 ans, mais des démographes prédisent un
ralentissement. Ils retiennent un plafond d’environ 9,5 milliards d’individus, soit encore un tiers de plus qu’aujourd’hui vers 2050. L’ONU suppose que nous ne serons que (!)
11 ou 12 milliards dans un siècle. La question que je me pose
alors est de déterminer quelle doit être mon action prioritaire pour la biodiversité actuelle : est-ce réellement de m’intéresser par exemple à une espèce, qui n’est d’ailleurs pas en
danger, dans les Pyrénées ?
76
Les crises sont le résultat de facteurs complexes qui sont
généralement d’ordre géologique. Le pas de temps est lui
aussi d’ordre géologique car il se compte facilement en millions, ou fraction de million d’année. Les interactions Terre
et Vie sont permanentes à toutes les échelles de temps et
d’espace.
Quelques références
D E W EVER (P.) et al. – Volcanisme, cause de mort et
source de vie. – Vuibert & MNHN, 2002, 345 p.
LETHIERS (F.). – Évolution de la biosphère et événements
géologiques. – Gordon & Breach, 1998, 321 p.
B ABIN (C.). – Autour du catastrophisme. – VuibertAdapt, 2005, 167 p.
REVAULT D’ALLONNES. – Du temps qui passe au temps
qu’il fera. – In Géochronique, dossier Le temps, n° 98, 2006,
pp. 25-26.
L’ogre et la carte
L’histoire de la biodiversité est inscrite dans les roches.
Les roches sont nos archives et seules les plus récentes sont
accessibles. Goya avait représente Saturne par cet ogre mangeant ses enfants. Il voyait là une illustration du temps. Cette
peinture, un peu terrible, il faut bien le dire, mais elle montre
bien que le temps, du fait qu’il existe, du fait qu’il passe,
crée des secondes. Mais ces secondes, du fait même que le
temps passe, il les détruit : l’ogre mange ses propres enfants.
La carte du monde présente des couleurs qui correspondent,
non pas à des roches différentes, mais à des sédiments et
roches d’âges différents. Une carte géologique est une carte
temporelle.
Si on ne considère que les océans (répartition des couleurs plus simple que celle des continents pour une majorité
de la surface 75 %). L’océan est donc le plus important en
terme de surface, et c’est surtout le meilleur enregistreur.
Les terrains les plus récents sont, en rose au centre de
l’Atlantique. Ils sont encadrés par du jaune (environ 50 millions d’années), puis du vert (environ 100 millions d’années), puis du bleu plus ancien encore dans l’Atlantique
nord. Cette répartition indique que l’Atlantique nord s’est
ouvert avant l’Atlantique sud. C’est parce que l’ouverture
océanique fonctionne que cet enregistrement est possible, en
larges bandes.
Cette carte fournit aussi des indications de cinématique.
En effet, dans l’océan Pacifique, si on a du vert, du jaune, et
du bleu localement, on constate que les bandes temporelles
sont plus larges que celles de l’Atlantique. Elles traduisent
tout simplement une ouverture plus rapide que dans l’océan
Atlantique.
A la différence de l’Océan Atlantique les bandes de couleur ne sont pas symétriques : dans l’Est de l’océan Pacifique
les bandes orangées et vertes ne sont pas visibles. La raison
de cette absence est le mouvement des plaques, à cet endroit
en effet la plaque du sud pacifique plonge sous la plaque de
l’Amérique du sud, emmenant avec elle les sédiments qui
s’y sont déposés depuis des millions d’années. Des parties
du meilleur enregistreur terrestre disparaissent du fait même
du fonctionnement de la Terre. Ce fonctionnement génère
des bandes de sédiments qui sont mangées par la subduction.
Cela nous évoque Chronos de Goya, l’ogre.
On peut penser que ces disparitions d’informations sont
peu importantes finalement à l’échelle de la planète. Il n’en
est rien car si l’on ajoute la disparition à l’est et à l’ouest de
l’océan pacifique, cela représente environ 30 000 km, l’équivalent des 2/3 de la circonférence de la Terre ! Ah marâtre
Nature qui détruit des documents qu’elle aurait pu nous laisser.
■
Evolution de lí abondance d’une espèce
5 millions
2000
6 milliards
1987
5 milliards
1975
4 milliards
1960
3 milliards
1930
2 milliards
1800
1 milliard
250 millions
0
10 000 av. J.-C.
5000 av. J.-C.
An 1
1000
2000
28. - Évolution de la population humaine depuis le Néolithique.
L’espèce différenciée vers 250 000 ans, est passée de 5 millions au néolithique à 250 au début de l’ère chrétienne. Elle a mis 16 siècles pour
doubler, passant de 250 à 550. Le premier milliard a été atteint en 1800. 130 ans plus tard on passait au deuxième milliard. 60 ans plus tard,
le 3e, 15 ans plus tard le 4e, etc. De 6 milliards que nous étions en 2000, nous avons augmenté de 0,5 en 2005.
Il nous a fallu 250 000 ans pour être 250 millions, il nous faut aujourd’hui 5 ans pour augmenter de 500 000 individus.
« Des millions d’années pour atteindre le premier milliard, 100 ans pour le deuxième, même pas 30 pour chacun des suivants… comment
en sommes-nous arrivés là ». INED
77
78
29. - Le Saturne de Goya est ici comparé au fonctionnement de la Terre qui, par son fonctionnement, permet à la fois de bons enregistrements
(sédimentation océanique) et détruit ces enregistrements (au niveau des subductions).
Carte du monde extraite du fascicule Vrielynck et Bouysse, 2001 : Le visage changeant de la terre CCGM/Fascicule et CDrom, carte de Bouysse et al.,
2000
Téléchargement