Facteurs d’évolution et biodiversités Patrick DE WEVER Professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle, Président honoraire de la Société Géologique de France Conférence du dimanche 20 novembre 2005. Le vocable Dimanche dérive de dies dominicus : le jour du seigneur. Cette évocation religieuse n’est pas le terrain sur lequel je situe cette intervention. La religion relève du domaine de la foi, elle donne un sens aux choses. La science est l’école du doute, elle cherche à expliquer des phénomènes en un système cohérent en fonction des éléments alors disponibles. C’est pourquoi quand un scientifique dit « je crois », ce n’est pas son credo qu’il énonce, mais plutôt « étant donnés les éléments dont je dispose et en l’état actuel de ma réflexion, j’ai plutôt tendance à privilégier telle hypothèse ». C’est un peu long, alors il utilise une formule plus lapidaire mais sémantiquement moins correcte. Il importe de différencier le discours religieux qui possède sa vérité immuable, du discours scientifique qui énonce un état de la science qui avance et qui est probablement appelé à se détruire puisqu’une « vérité » scientifique n’est guère qu’une hypothèse qui n’a pas encore été réfutée. Quand j’étais au collège ou au lycée, nous apprenions les « sciences naturelles ». On disait « l’herbe est verte, le ciel est bleu, » etc. Aujourd’hui, pour montrer que l’on fait de la science on utilise des courbes, des chiffres, Néanmoins les courbes et les chiffres ne sont pas des vérités, des objectifs à atteindre. Ces courbes et ces chiffres sont parfois de faux amis car ils ne sont que des expressions chiffrées d’un phénomène mesuré dans certaines conditions. Nombres et courbes ne sont donc que des éléments de réflexion. Ce n’est pas parce que l’on utilise des chiffres que l’on fait de la science. Il ne faut pas non plus confondre concordance entre courbes et corrélation entre les phénomènes ainsi représentés. Cela est vrai pour les courbes et pour le langage. On a pu entendre, par exemple, lors d’une émission radio, le 7 juin 2005, une auditrice qui téléphonait : « j’ai noté que la Grande-Bretagne et la Norvège ont le taux de chômage le plus bas, or elles ne sont pas dans la zone euro. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait revenir au franc ?». Heureusement, la répartie fut efficace : « l’Irlande aussi a un taux de chômage très bas, or elle est dans la zone euro ». CQFD. Une autre expression est facile à retenir par les élèves : « le coq chante au point du jour : est-ce à dire que le coq fait se lever le soleil ? » Il est sage de repenser systématiquement à cette question quand on analyse la signification de courbes. Biodiversité et biodiversités Qu’est-ce que la biodiversité ? Le vocable biodiversité a été popularisé, lors du Congrès du Rio de Janeiro. La Convention de la Diversité biologique de 1992 définit les termes de la façon suivante dans son article 2 : « La variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces, et entre les espèces et ainsi que celle des écosystèmes. ». Il convient de distinguer la biodiversité de la biomasse. La biodiversité est le nombre de taxons différents (espèces, ou genres, ou familles…). La biomasse se traduit en terme de poids. Si on considère la Seine d’aujourd’hui par 45 exemple, sa biomasse en poissons est bien plus forte que celle du XVIIe siècle, mais sa biodiversité est bien moindre. Bref l’unité de biodiversité n’est pas le kilo. Quand on parle de biodiversité, on évoque souvent la forêt équatoriale, les jolies fleurs, les bébés phoques (comme c’est attendrissant), l’ours des Pyrénées, les éléphants abattus par des braconniers. Entre nous, quand le scientifique entend dire « l’ours des Pyrénées est en danger », il se doit de sourire si ce n’est de répondre : « l’ours des Pyrénées n’est pas en danger, il n’existe plus depuis la mort de Canelle ». Si on a la volonté de réimplanter l’ours dans les Pyrénées, il ne faut pas se réclamer de sa biodiversité. En revanche, je comprends qu’on veuille le faire pour des raisons poétiques, ou bucoliques ou économiques ou autres mais ce ne peut être au seul nom de la biodiversité en général. Le directeur de la Direction régionale de l’Environnement (DIREN) de la Région Midi-Pyrénées ne dit pas autre chose « on va me dire que l’espèce en elle-même n’est pas en danger car elle existe ailleurs. Cela n’est pas mon problème. Mon travail est de maintenir, ici, la richesse de la biodiversité ». En effet, les mots qu’il utilise sont importants. Il précise bien qu’il ne s’agit pas de sauvegarder l’espèce, sinon il eût pu être soupçonné d’incompétence. Mais bien que sa mission soit locale : « maintenir, ici ». Les ours que l’on cherche à réimplanter sont des ours de Slovénie, où ils sont surabondants, à tel point qu’ils sont chassés pour être transformés en saucisson. Les évocations spontanées liées au vocable biodiversité sont généralement plus affectives que raisonnées. Le dinosaure, est l’archétype de l’évocation onirique. L’ours fait aussi vibrer par un vieux reste du nounours de notre enfance. Les bébés phoques, eux, sont tellement attendrissants etc. Pourtant il convient de ne pas mélanger les choses. On oublie par exemple que la biodiversité comprend aussi les anciennes céréales. Aujourd’hui on se dirige vers l’usage d’un seul type de céréale. Les anciennes variétés produisaient peut-être moins, mais elles permettaient une adaptation à des environnements variables. La biodiversité inclut aussi les moustiques, le monde des parasites, et toute la vermine invisible. L’usage intensif des pesticides dans les jardins ou dans les champs est susceptible de mettre en danger une certaine biodiversité. J.-F. Minster a montré, l’influence des pesticides sur les huîtres du bassin d’Arcachon par l’intermédiaire du pico plancton, etc. la diversité de ces pico organismes nous a-t-il dit se situe entre 50 et 100 espèces par mm3 d’eau. Édifiant ! On disperse largement des pesticides pour l’agriculture. En France, par exemple depuis 15 ans, 25 % des espèces d’oiseaux adaptés aux champs ouverts ont disparu. Cette observation a aussi été effectuée au RoyaumeUni, aux Pays-Bas… mais pas au Danemark, qui a pris de mesures limitant l’usage des pesticides depuis quelques années. La gravité ne réside pas seulement dans la disparition de ces oiseaux. Outre que ce ne sont pas seulement des individus qui disparaissent mais des espèces, la gravité réside dans ce que cette extinction traduit une chaîne alimentaire rompue, c’est-à-dire toute une biodiversité peu visible, voire invisible. Ce n’est pourtant pas de ce dont on entend 46 parler dans les médias… La biodiversité c’est donc aussi le monde microscopique, celui du sol, celui du plancton marin (fig. 1). Une lame mince d’un calcaire à milioles expose des coques d’organismes microscopiques. Elles sont si nombreuses qu’elles forment l’essentiel de la roche. La splendeur de Notre Dame de Paris est permise par cette roche. La plupart des monuments de la capitale sont construits avec des restes de la vie invisible. Parmi celle-ci, il convient de citer aussi le monde micro-microscopique, c’est-à-dire le nanoscopique. Les falaises du Vercors, ou celles du Verdon, impressionnent par leur gigantisme, mais on est encore plus frappé quand on pense que cette démesure est le résultat d’une autre démesure, celle de l’extrêmement petit. Les massifs du Vercors, de la Chartreuse etc. sont construits par la vie ! Quand on voit du calcaire, il faut penser activité vitale. Imaginons qu’au Jurassique, un samedi soir, à la sortie d’un bar de nuit (imaginons disais-je), il y eut une rixe de dinosaures. Une querelle tellement violente qu’il y eut des morts. Qu’est-ce qui en resterait aujourd’hui ? Au mieux, un tas d’os. Un gros tas, peut être, mais jamais une montagne. Ce qui fait la montagne, ce n’est pas le gros dinosaure, c’est le tout petit plancton. Cette leçon de nature est aussi une leçon de la vie citoyenne : une veille d’appareil électrique ne consomme presque rien, mais la sommation, au niveau de la France, équivaut à la production électrique d’une tranche de centrale nucléaire. Le nanoplancton construit la montagne, et la veille d’appareils électriques nécessite une centrale nucléaire. Quelle biodiversité, comptée, estimée ? La biodiversité est connue à partir de comptages ou d’estimations, en tout cas forcément à partir d’éléments disponibles, tant pour le passé que pour le présent. Toutes les espèces décrites de par le monde répondent aux normes d’une réglementation, soit celles du Code International de Nomenclature Zoologique soit celles du Code International de Nomenclature Botanique. Chaque nom est donc répertorié dans le Zoological record, ou le Botanical record. Il suffirait donc d’interroger ces bases de données pour connaître les chiffres de la biodiversité ? Voire. En effet, si le code régit facilement les homonymies, il n’en est pas de même pour les synonymies (deux noms différents pour désigner une même espèce) qui subsistent et leur cas n’est identifié et réglé qu’au hasard de leur découverte. On peut certes penser que ces synonymies ne modifient les nombres que marginalement, ce n’est pourtant pas le cas pour tous les taxons (ex. les gastéropodes terrestres). Ainsi donc, même pour les espèces répertoriées il est impossible de connaître le nombre avec exactitude. Le nombre d’espèces décrites à ce jour est de 1,7 million (tabl. 1). A B 1.- Des bijoux microscopiques Les radiolaires, organismes du plancton microscopique, sont de véritables joyaux réservés à l’observation au microscope. Ils ont d’ailleurs inspiré des joailliers. A- radiolaires collectés lors de l’expédition du HMS Challenger, illustrés par Haeckel, 1874 B- radiolaires réalisés par un bijoutier © Krauss. 47 Bactéria (Eubactéries et Archées) 4 000 Protoctista 80 000 Fungia 72 000 Plantes 270 000 Animaux 1 320 000 Total 1 700 000 Tableau 1 : Nombres d’espèces décrites On sait que toutes les espèces ne sont pas décrites. Une prise de conscience de la quantité d’inconnues a émergé suite aux expériences menées sur la canopée en Amérique du Sud notamment. Des estimations ont alors été effectuées. L’une d’elles a été proposée par R. May, en 1999, au colloque de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (tableau 2) Hypothèse serrée 7 millions Nombre plausible 5 à15 millions Fourchette probable 3 à 100 millions Tableau 2 : Nombre estimé d’espèces vivantes (seuls eucaryotes). Données selon R. May, 1999, UICN La largeur de la fourchette acceptée par ce spécialiste est impressionnante, puisqu’elle se situe entre 2 et 60 fois le nombre d’espèces décrites. Cette grande incertitude concerne la biodiversité actuelle. Bien entendu l’incertitude pour la biodiversité passée est encore plus importante, à la fois parce que les données sont plus incomplètes, mais aussi parce que des hypothèses plus osées doivent être avancées pour ces estimations. Évolution de la biodiversité pour les années à venir Les médias fournissent souvent des chiffres concernant la dégradation de la biodiversité projetée sur quelques décennies. On entend même « d’ici peu de temps » ce qui représente, une unité de mesure quelque peu troublante pour un scientifique… Parler d’une dégradation de la biodiversité implique que l’on observe une diminution numérique de la biodiversité passée. Mais comment connaît-on cette dernière ? Et jusqu’où peut-on remonter ? En fait on ne peut chiffrer des éléments de la biodiversité que depuis la Renaissance. Aucun élément plus ancien n’est fiable ou disponible. Ce passé n’a donc que 4 siècles, pas grand chose à l’échelle des temps géologiques. La connaissance de la biodiversité est en fait une estimation élaborée à partir de comptages que certains seigneurs ont fait réaliser sur leur domaine, par leurs gardes, tantôt pour les oiseaux, tantôt pour les 48 mammifères. Le dénombrement est donc incomplet en terme de variété d’organismes et en terme de territoire. Et il ne couvrait pas l’ensemble du territoire national… encore moins la planète ! À partir de ces éléments, et à partir des proportions relatives, connues ou supposées, entre les différents types d’organismes (insectes/oiseaux, plantes/mammifères etc.) des hypothèses sont échafaudées pour établir l’inventaire de la biodiversité. Ce chiffrage est donc certes hautement conjecturel mais incontournable pour permettre des projections sur le futur. En outre il conviendrait de mentionner lors de telles déclarations quelle est la biodiversité actuelles choisie (3, 5, 7, 15, ou 100 millions d’espèces), il est évident que, ne serait-ce qu’à partir de ces différents nombres les pourcentages d’espèces en danger varient dans une large proportion… À quand une connaissance complète de la biodiversité actuelle ? Il est décrit annuellement 15 000 nouvelles espèces environ. À ce rythme, pour que toutes les espèces soient décrites, il faudrait environ trois siècles si la biodiversité actuelle est de 5 millions et environ un millénaire si elle est de 15 millions. Il est souvent rassurant de trouver un responsable, surtout quand c’est l’autre. Alors il est tentant d’accuser les médias pour les informations inexactes qu’ils nous fournissent. Pourtant, en l’occurrence, les médias font normalement leur travail : ils nous rapportent une information nouvelle et brève (même s’il est vrai qu’ils ont peut-être tendance à présenter une information choc qui favorise l’audimat ou la vente de papier). Imaginons en effet a contrario qu’ils nous fournissent les détails de ces estimations. L’explication sera forcément longue et fastidieuse et risque de ne pas retenir l’attention de l’auditeur, ou du téléspectateur, qui rentre de sa journée de travail. On attend en effet du média qu’il soit « efficace » c’est-à-dire clair et rapide. Pour des raisons identiques, si le scientifique explicite tous les tenants et les aboutissants de son raisonnement, toutes ses hypothèses de travail nécessaires, tous les degrés d’incertitude on risque fort d’en conclure qu’il ne pratique qu’un exercice de style parce qu’au fond il ne sait rien. Il ressort de ces remarques qu’il est vain de rechercher un coupable car la responsabilité incombe à chaque sommet du triangle de communication : à l’auditeur qui attend une information concise, au journaliste qui doit être clair et qui souhaite attirer l’attention, au scientifique qui doit faire passer son message. En conclusion même pour la biodiversité actuelle de grandes incertitudes subsistent, même si on part d’éléments enregistrés au niveau international (les noms enregistrés dans le Zoological Record ou le Botanical Record). On imagine facilement que les incertitudes sont encore plus grandes pour le passé. Paléobiodiversité Quand l’évolution de la biodiversité au cours du temps est évoquée il est fréquent qu’elle le soit accompagnée d’une courbe. Une courbe, et une seule. Pourtant la biodiversité est représentée par des courbes différentes selon que l’on traite d’un environnement ou d’un niveau particulier de la classification (fig. 2). Cette figure montre que lorsqu’on évoque la biodiversité au cours du temps, il est capital de préciser l’environnement et le niveau de la classification concernés. Il est tout aussi important de ne pas mélanger sur un même diagramme des niveaux de la classification différents. En terme de biodiversité représenter des « ammonites » (sous-classe –Ammonoidea- marine) avec des familles (ex. Phyloceratidae) ou avec des genres ou même des espèces, n’a aucun sens. Encore moins si (cas réel) sur une courbe de familles marines on reporte des « invertébrés marins » (embranchement –Invertebrata- marin), des « végétaux terrestres » (règne –Plantea), des « insectes » (classe d’animaux marins et terrestres), des « poissons osseux » (classe d’animaux aquatiques), des « mammifères » (classe d’animaux marins et terrestres), « Pterosaurus » (l’ordre des ptérosaures –Pterosauria- comprend 5 genres, mais aucun Pterosaurus milieu aérien), des « plantes à graines » (Spermaphytes milieu terrestre), des « oiseaux » (classe d’animaux terrestres -aériens), des « chauves souris » (sousfamille –Macroglossinae- d’animaux terrestres-aériens), des « Cétacés » (ordre –Cetacea-, marins) et même l’« Homme » (espèce terrestre). La biodiversité au cours du temps : une variable indépendante ? La variation de la biodiversité au Phanérozoïque peut être comparée à d’autres données afin de faire ressortir d’éventuelles corrélations ou indépendances (fig. 3) Le diagramme de la figure 3 attire l’attention sur plusieurs points : 1- quel est le facteur majeur, celui qui influence les autres ? : a- est-ce le nombre important d’espèces qui requiert un grand nombre de spécialistes pour les étudier ? Mais alors que signifie la correspondance avec la surface d’affleurement ? b- est-ce la grande superficie d’un âge donné, qui nécessite de nombreux spécialistes qui créent des espèces à profusion ? Si tel est le cas, alors la courbe du nombre d’espèces ne représente pas la biodiversité. 2- si les chiffres sont discutables, les variations le sont donc aussi et alors peut-on encore parler de crises ? Les chiffres ne sont que des indications. Ce sont des outils indispensables pour la science, pas des vérités. Cet exemple illustre la démarche scientifique qui doit rester basée sur le doute. Quoi qu’il en soit il importe de garder les éventuelles limites toujours présentes à l’esprit si l’on ne veut pas se laisser emporter par un torrent incontrôlable de conclusions enchaînées. Le géologue part d’un état actuel et essaye de reconstituer le passé (démarche « actualiste »). Il essaie de reconstituer des environnements à partir d’informations terriblement incomplètes. Pour en mesurer les lacunes il suffit de considérer une succession naturelle d’états. Partons d’un environnement terrestre par exemple (fig. 4) qui comprend des arbres, de l’herbe, des oiseaux, des poissons etc. Quand les différents types d’organisme mourront, certains seront consommés par d’autres et disparaîtront, d’autres seront peut-être déplacés, mélangés et enfouis. Le bilan est que seule une toute petite partie sera conservée. On comprend bien qu’il y a là comme un filtre à maille très serrée et que seule une toute petite partie de l’information perdurera. Ensuite les sédiments et les éléments inclus vont subir une diagenèse, fréquemment marquée par une mobilisation d’éléments chimiques, une circulation de fluides. Certains restes, préservés jusque-là, vont alors encore disparaître. Un filtre supplémentaire. Qu’un organisme soit préservé à l’état fossile est une chose, qu’il soit connu en est une autre. En effet, chaque fossile n’est pas trouvé (nouveau filtre) et chaque fossile ramené au laboratoire n’est pas forcément dégagé (filtre) et encore moins identifié (filtre). In fine on constate que l’on ne dispose que d’une toute petite partie de l’information initiale (quelques millièmes ou fractions de millièmes de la variété initiale). Et pourtant, c’est à partir de cette infime information que le géologue tente des reconstitutions de milieu, de biodiversité. Il ne peut prétendre reconstituer la réalité, il essaie seulement de restituer une possibilité qui soit à la fois cohérente et respectueuse des faits connus. Certains esprits cléments considéreront qu’ils ont bien du mérite les gens qui travaillent sur ce thème, je serai d’accord avec eux ! D’autres plus circonspects diront que c’est presque de la poésie, et je serai d’accord aussi… La biodiversité dans le contexte historique de la Terre Il n’est pas rare d’entendre des médias déclarer que la planète, ou la biodiversité sont en danger à cause du réchauffement climatique. Ce discours devrait faire réagir le scientifique, car la planète Terre se fiche que sa température de surface varie de quelques degrés. Par ailleurs son histoire nous apprend que la biodiversité a connu bien des crises et qu’après chacune d’elles, elle fut encore plus diversifiée. Ainsi donc, au niveau global une crise n’est pas une malédiction, c’est une bénédiction ! Mais il est vrai que certains organismes disparaissent à jamais… et pour celle dont il est question… l’Homme pourrait en être victime. L’Homme, pas la biodiversité, encore moins « la planète ». Les composantes actuelles de la biodiversité, dans laquelle l’espèce humaine exerce sa domination, seront bouleversées, mais cela ne suffit pas à dire que la planète est en danger. Quand on évoque la biodiversité, tel que nous l’avons fait plus haut par exemple, on ne parle que du 49 50 2. - Courbes de la variation de la biodiversité au cours des temps géologiques (Phanérozoïque). Les étoiles positionnent les 5 crises majeures : fin Ordovicien, Dévonien supérieur (limite Frasnien-Famennien), fini Permien, fini Trias, fini Crétacé. V= Vendien, C :Cambrien, O : Ordovicien, S :Silurien, D : Dévonien, C : Carbonifère, P : Permien, Tr : Trias, Jur : Jurassique, Crt : Crétacé, Tert : Tertiaire. A- Niveau : famille, milieu : terrestre + marin. La seule crise qui présente une nette diminution de biodiversité est celle de la limite Primaire-Secondaire. La limite Secondaire –Tertiaire reste peu marquée (d’après Benton, modifié). B- Niveau : famille, milieu : terrestre. La crise de la fin de l’Ordovicien ne ressort pas du tout comme une diminution de la biodiversité. Au contraire elle représente le démarrage de cette biodiversité car les organismes n’étaient que marins jusque-là. Après cette période, apparaissent des organismes continentaux (sortie des eaux des plantes). Voila donc une crise qui n’en est pas une pour les organismes continentaux. Seule la crise fini Permien correspond à une diminution de la biodiversité (d’après Benton, modifié). C- Niveau : famille, milieu : marin. Cette courbe montre clairement les 5 grandes crises, elle est même la seule à les présenter aussi distinctement… c’est pourquoi elle est systématiquement illustrée, même quand le sujet traité concerne les dinosaures ou autres organismes continentaux (d’après Sepkoski, modifié). D- Niveau : genre, milieu : marin. L’allure de la courbe est proche de celle de la figure C (familles marines) mais les variations sont amplifiées. Certes les crises sont bien visibles, mais de nombreuses autres variations semblent brouiller le signal. La courbe bleue comporte plus de 18 000 genres qui durent au moins deux intervalles de calcul. La courbe jaune prend en compte tous les genres (plus de 33 000) (d’après Sepkoski, 1996 modifié). 51 E- Niveau : Familles de tétrapodes, milieu : continental. I- amphibiens primitifs, anapsides et Reptiles à tendances mammaliennes. IIPremiers diapsides, Dinosaures et Ptérosaures III- Amphibiens modernes, lézards, serpents, tortues, crocodiles, oiseaux et mammifères (d’après Benton 1988, modifié). F- Niveau : famille, milieu : terrestre. Les trois courbes représentent la biodiversité des amniotes : mammifères, reptiles et poissons… Il ressort bien que les courbes n’ont pas du tout la même allure. (d’après Benton 1988, modifié). G- trois niveaux taxonomiques différents d’organismes marins : ordres, classes, phyla Les courbes bien que traitant de la même biodiversité, à des niveaux hiérarchiques différents de la classification, n’ont pas du tout la même allure, elles ne délivrent pas le même message (d’après Valentine, 1973 modifié). D Ord S Carb P T J Cret C Millions d’années Primaire Secondaire Tert 3. - Évolution phanérozoïque de la biodiversité spécifique, du nombre de spécialistes et du nombre de km2. La courbe jaune : indique le nombre d’espèces par million d’année. Elle montre deux maxima, un vers 400 Ma et un vers 280 Ma. Depuis le Secondaire une augmentation quasi exponentielle ressort clairement. Diagramme rouge : nombre de spécialistes par millions d’années de chaque période. Une bonne correspondance avec la courbe précédente est possible. Une réponse logique parce que lorsqu’il y a beaucoup d’espèces, il faut beaucoup de spécialistes pour les étudier. À moins que ce ne soit… l’inverse ? En bleu : nombre de km2 de chaque type d’âge à l’affleurement. On note ici aussi une bonne correspondance et une logique simple : beaucoup de km2 d’affleurements donc beaucoup d’espèces, donc beaucoup de spécialistes… mais alors que signifie la biodiversité ? Ne serait-elle que fonction de la surface d’affleurements ? (d’après Sheehan, 1977, modifié) 52 Biodiversité, écosystème Du vivant au fossile trouvé (des biocoenoses aux symmigies) : Etats de vie, de l’état de vie à la sédimentation, trouvailles, de l’état sédimenté à l’enfouissement (diagenèses), extraction 4. - Illustration des quantités d’informations qui disparaissent à chaque étape allant d’un environnement réel à ce que trouvera le géologue. On commence par un paysage avec des organismes en état de vie (toute l’information est présente). Une première diminution, lors de la sédimentation correspond à une perte d’information. Une autre réduction intervient lors de l’enfouissement et la diagenèse (stades successifs). Enfin, avec les trouvailles et l’extraction un nouveau déficit d’information. 53 Phanérozoïque, qui est, comme le nom l’indique, l’époque de « la vie qui se voit ». Pourtant la vie est apparue bien plus tôt. Elle le fit vers 4 000 à 3500 Ma (fig. 5). Traiter du seul Phanérozoïque ce n’est donc considérer que 13 % de l’histoire de la Terre, 15 % de l’histoire de la vie. En d’autres termes, quand on prétend parler de l’histoire de la biodiversité sur Terre en ne remontant qu’au Vendien (ou pire au Cambrien) on ignore 85 % de l’histoire de la vie ! Ces chiffres soulignent combien il convient d’être précis dans le propos. Facteurs d’influence de la biodiversité La biodiversité est liée, avant tout, aux conditions environnementales. Certains facteurs ont une influence prépondérante. Volcanisme Dès le XVIII e siècle il est apparu que le volcanisme influençait le climat, si fortement qu’il avait conduit des populations à la famine. En effet, en 1783, l’éruption du Laki, en Islande, se fit ressentir dans toute l’Europe occiden- tale. En quelques mois plus d’une douzaine de km3 de lave se sont épanchés. Les gaz émis ont détruit la végétation et par conséquent les animaux entraînant une famine qui a tué le quart de la population. Les effets létaux du volcanisme sont surtout secondaires (famines, épidémies). Benjamin Franklin alors ministre plénipotentiaire des États-Unis en France est frappé que de nombreux témoignages attestent d’une altération du climat en Europe du Nord : couleurs du ciel inaccoutumées, brouillards « secs » et violacés, canicule estivale inhabituelle suivie d’un hiver anormalement rigoureux. Il propose de relier cet événement climatique à l’éruption du volcan Laki. D’autres éruptions, par la suite, ont confirmé la relation entre volcanisme et climat (fig. 6). On a longtemps imputé les modifications climatiques au seul effet de voile que jouaient les cendres éjectées. On sait aujourd’hui que le processus est bien plus complexe. On a pu apprécier l’influence du volcanisme sur le climat dans le passé récent, cependant, les émissions de trapps ont une importance d’un autre de grandeur : si on parle de près de 12 à 14 km3 pour le Laki, on parle de centaines et de milliers de km3 pour une seule coulée de trapps et, pour les trapps du Deccan (fini Crétacé) un total qui dépasse trois millions de km3 couvrant l’équivalent de la surface de la France sous 5500 m ! Les trapps de Sibérie (Permien terminal) couvriraient entre 5 et 10 fois l’équivalent de la surface Biodiversité sur Terre …. ? Formation Terre 4,6 3,8 vie 0 0,5 Cambrien Vendien … …. 13% de l’histoire de la Terre, … .. 15% de l’histoire de la vie … 5. - Âge de la Terre, âge de la vie, âge des fossiles minéralisés La Terre s’est formée par accrétion, il y a 4 567 Ma (4,6 Ga).La vie est apparue vers 3,8 Ga. Les plus vieux fossiles minéralisés ont environ 600 millions d’années. Si on prétend évoquer la biodiversité terrestre il conviendrait donc de considérer plus que le dernier 0,6 Ga, évidemment encore plus la Renaissance (voir plus haut les estimations). 54 Volcans -0,4° -0,3° -0,1° -0,5° -0,25° 6. - Effets du volcanisme sur le climat pour la période 1840-2000. Les éruptions qui ont le plus d’influence sont celles dont les cendres atteignent la stratosphère. Ce sont par exemple les cendres qui étaient dans le ciel en 1992 (explosion du Pinatubo en 1991), qui ont permis de si beaux couchers de soleil pendant près d’un an. Au niveau planétaire, le volcanisme est d’autant plus influent que sa position est proche de la zone intertropicale car ses produits volcaniques sont alors plus largement répartis. de la France sous une épaisseur identique. On peut alors aisément imaginer l’effet sur le climat de ces coulées, même si on ne peut que les imaginer, tant le phénomène est complexe et… manque d’équivalent actuel. Modification du taux de CO2, atténuation de la lumière solaire (clarté d’une nuit d’été), chute de pluies acides (acide sulfurique), ont dû marquer le monde vivant, et ce d’autant plus que des effets climatiques inverses s’enchaînaient. Ainsi, à une baisse de température, brève, mais atteignant une dizaine de degrés succédait un réchauffement important. Un événement isolé est susceptible d’avoir des effets récupérables, mais la répétition d’événements opposés pendant des centaines de milliers d’années marque durablement la biodiversité. Les volcans rejettent du CO2, facteur de déséquilibre, tout comme la vie induit un déséquilibre géochimique. Les éruptions produisent annuellement 0,2 gigatonnes de CO2. Les algues, les toutes petites, celles de la nanoflore, consomment 6,2 gigatonnes par an. C’est-à-dire que les gros volcans rejettent annuellement 30 fois moins de CO2 que les algues n’en consomment. Elles sont toutes petites mais elles sont nombreuses… Les gaz volcaniques contiennent du CO 2 mais aussi de l’eau (autre gaz à effet de serre). Si de l’eau existe sur Terre c’est en partie grâce aux volcans, même s’il est difficile d’en estimer la proportion. En effet, j’avais demandé à un collègue qui travaille sur les météorites quelle était la proportion d’eau apportée par les météorites par rapport à celle due aux volcans. Il me fut répondu que le précieux liquide était essentiellement météoritique (jusqu’à 75 %). J’ai posé la même question à un vulcanologue, il m’a dit la même chose : 75 % de l’eau venait… des volcans cette fois ! Je propose donc que nous admettions que l’eau sur Terre provienne, en gros, pour moitié, des volcans… Toujours est-il que l’apport du volcanisme est bénéfique à la vie car outre l’eau, l’exhalation de ce CO2 qui est présenté comme un poison aujourd’hui, a été fondamentale pour la vie parce que (1) s’il n’y avait pas ce CO2 la Terre eût été toujours gelée (elle se trouverait à -18 °C) contre les +13 °C actuels, faute d’effet de serre, (2) c’est le CO2 qui a permis la photosynthèse, c’est-àdire le développement de la matière organique et le dégagement de l’oxygène. En conclusion, les volcans sont toujours présentés comme néfastes à la vie, alors qu’ils lui sont tout 55 aussi favorables, tout comme le gaz carbonique. Comme souvent certaines choses sont bonnes jusqu’à un certain degré et deviennent nocives au-delà (… à méditer en maintes occasions). On sait que la biodiversité dépend, au moins en partie, du niveau marin et de ses vitesses de variation. La Terre est un système d’interactions à toutes les échelles de temps et d’espace avec une caractéristique : son temps particulier. Si ce message passe, un grand objectif est atteint. Des connexions existent entre l’activité volcanique et le niveau de la mer. Il convient toutefois de ne pas en conclure que cette relation est démontrée par les courbes du niveau marin et de l’activité volcanique (fig. 7) car la cause est inverse : c’est parce que l’on suppose cette relation que les courbes ont pu être établies. L’activité volcanique sur Terre se fait surtout sentir au niveau des dorsales océaniques, on pourrait donc se contenter de ne représenter que celles-ci. Quand l’activité volcanique est peu intense, la dorsale fonctionne peu, les plaques s’écartent lentement, on dit que la dorsale est lente. Le nouveau plancher océanique créé a le temps de refroidir et de devenir ainsi plus dense. Il s’enfonce à peu de distance de l’axe de la dorsale. La dorsale est étroite (fig. 8). Au contraire, quand la dorsale est rapide, les éléments nouvellement créés s’écartent vite de l’axe sans avoir le temps de refroidir et de s’enfoncer. La dorsale est large, elle apparaît plus gonflée que la dorsale lente. Volumineuse la dorsale rapide correspondrait à un haut niveau marin. Precamb Camb Ord Si Devo Carb On peut reporter d’autres courbes sur le schéma associant niveau marin et activité volcanique (fig. 9). La courbe du climat montre la même tendance que celle de l’activité volcanique à une exception prêt : le coup de froid de l’Ordovicien (glaciation hirnantienne). La biodiversité présente cinq crises qui correspondent à des moments où un ensemble de facteurs évolue rapidement, soulignant une relation entre tous les phénomènes, qu’ils soient d’origine profonde (activité des dorsales) ou localisé en surface (biodiversité). La courbe du CO2 épouse correctement les variations du niveau marin et de l’activité volcanique. Il y a de fortes connexions entre tectoniques des plaques (mouvements), paléogéographie (répartition des continents), productivité et biodiversité. Cette courbe tirée du modèle de Berner n’est qu’une tentative parmi d’autres. Elle n’en montre pas moins que l’assertion médiatique « le CO 2 est plus élevé que jamais » est pour le moins inexacte, et qu’il convient d’y ajouter « de mémoire d’homme ». En effet, la Quaternaire et le Carbonifère partagent un point commun : le très faible taux de CO2. Au Carbonifère des forêts étaient rapidement enfouies, elles étaient donc des puits épisodiques de carbone. Aujourd’hui le taux de gaz carbonique est l’un des plus bas, même s’il augmente rapidement à l’échelle humaine. Perm Tr Jur Cret Cenoz Niveau marin Activité volcanique (dorsales) 7. - Évolution de l’activité volcanique et du niveau marin au Phanérozoïque. La courbe en rouge représente l’importance de l’activité volcanique, surtout celle au niveau des dorsales, celle en bleu le niveau marin. Les deux courbes présentent des maximums (Ordovicien et Jurassique Crétacé) et minimum (Permien) aux mêmes périodes. 56 Dorsale lente Dorsale rapide 8. - Schéma des relations entre dorsale rapide/ lente et niveau marin. Biodiversité (A/D) * Climat * serre * * * glaciaire Precamb Camb Ord Si Devo Carb Perm Tr Jur Cret Cenoz Niveau marin CO2 activité volcanique (dorsales) 9. - Évolution de différents paramètres au Phanérozoïque. La courbe du climat (en violet) est référencée par rapport au climat actuel (ligne horizontale). La biodiversité (courbe vert foncé) est représentée ici par le nombre d’apparitions de taxons (A) par rapport aux disparitions (D). Quand D est supérieur à A, il y a crise (un pic vers le bas). Les plus importantes sont positionnées par une étoile. 57 induisant un magnétisme dipolaire et un bouclier magnétique (fig. 11). Ce bouclier dévie certains rayons du soleil qui seraient nocifs à la vie sur Terre. On conçoit donc facilement que des modifications éventuelles de la magnéto terrestre puissent laisser passer certains rayons solaires et donc influencer la vie. Pour cette raison des relations entre les inversions du champ magnétiques (celles qui ressemblent à un code-barres) et la biodiversité ont été recherchées. Rien de probant n’a été trouvé à ce jour. La paléogéographie Les plateformes continentales sont des lieux où la biodiversité est particulièrement importante. Modifier la taille de ces plateformes au niveau global induit donc un changement de la biodiversité totale. Les périodes de l’histoire de la Terre où les continents sont rassemblés (ex. la Pangée permienne) correspondent à une faible superficie de plateforme continentale, leur périphérie étant plus restreinte qu’aux périodes pendant lesquelles les continents sont éclatés (fig. 10). L’activité solaire n’est pas uniforme. De temps à autre des taches solaires apparaissent. Elles sont aujourd’hui bien connues et une courbe de leur succession est tracée (fig. 12). Le report de cette activité solaire face à celui de la température terrestre sur un diagramme révèle une bonne concordance des deux types de courbe. Le soleil Le soleil intervient par son énergie calorifique et par son rayonnement interagissant en partie avec la magnéto terrestre. La Terre possède un noyau métallique en rotation, Paléogéographie et biodiversité 1 eau 1 S = C² = 1 S Continent 1 P = 4C = 4 1 0,5 0,5 0,5 0,5 S=1 P= 2+2 +2+2 = 8 0,5 0,5 0,5 0,5 10. - Proportions relatives de plateforme continentale en fonction de deux situations paléogéographiques opposées. En haut les continents sont regroupés (ex. Permien). Pour une surface S, la périphérie a une longueur de 4 fois les côtés (si chaque côté = 1 unité, S=1 et P= 4) En bas, le même continent éclaté en 4 sous-continents. Pour la même surface S, la périphérie est plus importante (S=1, P=8). Il y a deux fois plus de plateformes continentales, donc deux fois plus de niches écologiques, et on peut s’attendre à ce qu’il y ait une augmentation de la biodiversité. À l’inverse, quand on passe d’une situation à continents fragmentés vers une période à continent unique, on doit s’attendre à une diminution de la biodiversité. 58 Soleil & magnéto terrestre Soleil Terre 11. - Représentation du Soleil, de la Terre et de son bouclier magnétique. Le Soleil, à gauche, montre des éruptions. La Terre, petite boule bleutée, sur la droite, est entourée de son champ magnétique dont les lignes de force sont représentées en un camaïeu de bleu et de son bouclier, en violet, qui détourne des rayons solaires. 59 Taches solaires et tp° terrestre 12. - Durée du cycle des taches solaires et température terrestre depuis 1860. Les courbes montrent, avec un décalage de 5 ans, une bonne concordance. Vitesse de rotation du noyau terrestre Le méthane Le noyau terrestre ne tourne pas toujours exactement à la même vitesse que l’ensemble de la Terre. Les modifications de la vitesse de rotation du noyau induisent des changements de rotation de l’ensemble de la Terre. Ces légères variations signifient que la durée des journées change de quelques infimes fractions de secondes modifiant par là la quantité d’énergie solaire reçue quotidiennement. La variation temporelle n’est certes pas importante mais la surface en jeu est tellement grande que les changements sont significatifs et influent sur la température terrestre (fig. 13) Le report de cette variation de vitesse sur celle de la Terre montre une concordance globale entre les deux courbes (avec un décalage d’une dizaine d’années). Le méthane est un puissant gaz à effet de serre, bien plus que le gaz carbonique puisqu’il est 30 fois plus « efficace ». Il se présente généralement sous forme de gaz, mais on le trouve aussi sous une forme solide particulière : les hydrates de méthane, encore appelés clathrates, nom lié au fait que le méthane est enfermé dans une cage de molécules d’eau (du grec klathron = cage), (fig. 14). Un volume de clathrate est susceptible de libérer jusque 160 volumes de gaz. Ces hydrates de gaz représentent donc un réservoir de méthane très important. 60 Vitesse de rotation Température 13. - Variations de la vitesse de rotation de la Terre (d’après Le Mouël et al., 1992, in Poirier, 1996) et température terrestre. Les courbes concernant les vitesses de rotation, en bleu, montrent la vitesse de la déclinaison magnétique (en degré/an) et la variation de la vitesse de rotation de la Terre en 10-12 radian/seconde. Les maxima et minima des courbes de variations de la vitesse de rotation et de variation de température terrestre montrent une bonne concordance. A B 14. - Hydrates de gaz A- Structure d’une molécule (d’après Suess 2002). Les molécules de gaz « encapsulées » représentent essentiellement le méthane (99 %), mais aussi l’éthane, le CO2, l’H2S. Du fait de la grande dominante de méthane on trouve aussi la mention hydrates de méthane. B- Les clathrates se présentent comme de la glace qui, sortie de ses conditions de gisement habituel, se vaporise (sublimation). Elle est alors susceptible de brûler. On peut alors avoir de la « glace qui brûle » (© Bohrmann). 61 Les clathrates sont stockés principalement au niveau des plateformes continentales ou dans les zones très froides à pergélisols. Depuis quelques années les hydrates de gaz sont évoqués comme cause de bouleversements climatiques, au cours de temps géologiques, lors de leurs brusques dégazages. En effet, ils sont stables dans certaines conditions de température et de pression. Que la température augmente, ou que la pression diminue et ils sont susceptibles de dégazer. Considérons par exemple une augmentation de température : les clathrates des steppes sont susceptibles d’être déstabilisés, ils relâchent alors du méthane, puissant gaz à effet de serre qui va emballer le système. Le phénomène peut être encore amplifié si les hydrates de gaz des plateformes sont déstabilisés. A contrario, considérons maintenant une diminution importante de température. Elle conduit éventuellement à une glaciation qui abaisse le niveau de la mer. Au fond de celle-ci la pression diminue alors et du méthane risque d’être relâché. Ce dégazage contrecarre la diminution de température, et joue un effet tampon. Ainsi, la libération d’hydrates de gaz, selon qu’elle se fait ici ou là induit des effets inverses. Certains peuvent passer inaperçus dans l’enregistrement géologique alors que d’autres au contraire, ceux résultant d’un emballement, peuvent laisser de profondes marques, tant au niveau de la biodiversité que de celui des sédiments. Certaines intumescences de la taille d’une grande colline, sorte de volcan de boue, contiennent aussi du méthane, sous forme de gaz ou de clathrates. Ces structures se rencontrent aussi bien à terre (ex. Azerbaïdjan) qu’en mer. Le report des quantités de méthane contenu dans les glaces (ex : carottes de Vostok) et celui de la température de l’air (fig. 15) montre une excellente corrélation entre les deux courbes. Surveiller les flatulences et les rots pour maîtriser le réchauffement climatique Le méthane est un gaz à effet de serre si puissant que l’on surveille toutes les causes méthanogènes, y compris les éléments biogènes. Parmi les systèmes les plus productifs au niveau de la planète figurent : les rizières, les rots de ruminants et les flatulences de termites (vous avez bien lu !). Des équipes de chercheurs de par le monde travaillent sur ces sujets complexes. En effet, on sait par exemple comment diminuer la production de méthane d’une vache, mais alors celle-ci produit moins de lait, et si l’on veut obtenir la même production laitière alors il faut tellement augmenter le nombre de têtes, que la quantité de méthane est in fine supérieure à celle initialement constatée. Complexe la nature ! 15. - Courbes de température et du méthane livrées par les carottes de glace d’Antarctique (forage de Vostok) depuis 450 000 ans. La concordance entre les deux courbes est remarquable. 62 De façon parallèle, pour les rizières, il est apparu que si la rizière était asséchée une fois au cours de l’année, moins de méthane était dégagé par la fermentation, mais alors la rizière produisait un composé azoté qui avait un effet de serre encore plus puissant. Décidément, rien n’est simple et Dame nature est bien complexe… à toutes les échelles de temps et d’espace… Depuis la canicule de l’été 2003 chaque Français a conscience de l’influence de la température sur la biodiversité puisqu’elle a tant marqué l’espèce humaine. Les médias et des scientifiques attribuent généralement le réchauffement actuel au seul CO2 anthropique. Néanmoins, les éléments fournis ci-dessus montrent que plusieurs moteurs sont susceptibles d’induire un réchauffement : le soleil (fig. 12), la variation de vitesse de rotation du noyau terrestre (fig. 13) et le méthane (fig. 15), outre le gaz carbonique. Pour résumer, on dispose de 4 causes possibles, ce qui est presque 3 de trop pour que ce soit simple. Il y a à chaque fois une bonne concordance, y a-t-il corrélation ? Faut-il alors négliger les cris d’alarme ? Si les causes de premiers ordres sont « naturelles », c’est-à-dire dues au soleil ou au noyau terrestre ou au dégazage de méthane, nous n’y pouvons rien. En revanche s’il s’avère par la suite que l’Homme est le facteur principal (rizières, élevage de ruminants, combustion d’énergie fossile)… il sera peut-être trop tard… n’appelle-ton pas cela le principe de précaution ? Un certain regard sur quelques crises Les crises de la biodiversité sont toujours marquées par deux événements successifs, (1) la disparition de groupes taxonomiques suivie quelque temps plus tard de (2) l’apparition de beaucoup d’autres. En cela elles font partie intégrante de l’évolution de la biodiversité au cours du temps. Au cours de l’histoire de la Terre, les crises sont très nombreuses et d’amplitude variable. On en distingue habituellement 5 majeures. Ces modifications brutales de biodiversité ont, depuis A. d’Orbigny, servi à découper l’échelle des temps géologiques. Il est donc logique que plusieurs de ces crises se trouvent à la limite entre des ères ou des étages. Dans ce qui suit seules les 2 crises qui séparent les ères Primaire, Secondaire et Tertiaire sont évoquées. Elles le sont avec un éclairage un peu inhabituel, car j’ai désiré montrer qu’il est souvent difficile, voire impossible, de parler de science sans tenir compte aussi des hommes qui la font. La crise de la limite Crétacé/Tertiaire Incontestablement la plus médiatique, cette crise est associée à (1) la chute d’une météorite sur la Terre qui débride l’imaginaire et (2) la disparition de ces terribles dinosaures pourtant si costauds (fig. 16). La crise Crétacé / Tertiaire est bien distincte au niveau des familles en domaine marin (fig. 2C). En domaine terrestre en revanche, là où vivent les dinosaures, il est impossible d’observer une diminution de la biodiversité, tout au plus voit-on un replat, une pause dans l’augmentation de la biodiversité (fig. 2B). Quand on observe les événements on note bien que des espèces marines sont disparues, et que d’autres sont apparues ultérieurement. Mais à y regarder de très près il ressort que les espèces ne sont pas toutes disparues exactement en même temps, elles n’ont pas réagi à un coup de sifflet ! Ainsi la limite apparaît tranchée vue de loin, mais de près elle est moins évidente. Ce flou résulte de plusieurs causes. Tout d’abord parce que, simplement, tous les organismes ne disparaissent pas exactement en même temps, certains sont plus fragiles que d’autres. Ensuite, surtout à proximité du cratère de Chicxulub, les sédiments, à cause de l’impact, sont mélangés. Une autre cause enfin, valable pour toutes les disparitions, est liée au fait que les organismes en train de disparaître deviennent de moins en moins nombreux et finissent ainsi par être de plus en plus difficiles à trouver. À partir d’un certain seuil, ils sont si rares que l’on peut penser qu’ils sont disparus. La question qui se pose alors : n’existent-ils plus ou sont-ils si rares qu’on ne puisse en retrouver des restes ? Il en résulte que l’on a donc tendance, généralement à vieillir la date de la disparition effective. Pour cette raison on n’utilise plus la disparition d’organismes pour définir les limites d’étages ou sous étages. La limite Crétacé-Tertiaire est connue pour correspondre à la disparition des dinosaures. Pourtant lors des 10 millions d’années qui ont précédé la crise K/T, 40 % des dinosaures ont disparu. Juste avant la crise, on ne connaît que très peu de grands reptiles. Est-ce à dire qu’ils savaient qu’un bolide allait venir les exterminer et que, cardiaques, cette nouvelle leur fut létale ? Il n’en reste pas moins que l’on ne trouve plus de grands reptiles après cette limite. Il est fréquent de voir évoquer « la fin des dinosaures » au lieu de « grands reptiles », pourtant ces appellations ne sont pas identiques, surtout pour un naturaliste. En effet le groupe des dinosaures comprend les Théropodes dont fait partie T. rex et d’où sont issus les oiseaux actuels. En revanche, les Ptérosaures (aériens), les Plésiosaures et autres Mosasaures marins, sont bien disparus à la fin de Secondaire mais n’appartiennent pas au groupe des Dinosaures. Un des lieux mythiques de la crise crétacé-tertiaire, où le niveau à iridium fut décrit pour la première fois, a été visité par tant de géologues et d’étudiants que c’en est devenu un site touristique, mentionné comme tel le long de la route (fig. 17). L’affleurement se trouve à proximité du col de la Bottacione (fig. 18). 63 A C B © De Wever 16. - Illustrations des éléments principalement évoqués pour la crise Crétacé Tertiaire. A- La chute de la météorite de la limite Crétacé –Tertiaire vue par un artiste. La taille de la météorite peinte est ici bien supérieure aux 10 km de diamètre supposés de cette météorite. Il est vrai que si la proportion était gardée, on ne verra à cette échelle qu’un tout petit grain tombé sur Terre, pas de quoi faire un événement ! © DR B- La pluie de météorites embase le ciel et affole les dinosaures, on le comprend. Ce qui surprend en revanche ce sont les trajectoires des chutes, comme si la chute était un point focal… © DR C- Cette couverture de livre scientifique est certes moins spectaculaire néanmoins une chute de météorite ; grosse, est évoquée, même si l’artiste a pris soin de séparer la grosse météorite (qui reste le « produit d’appel ») du paysage terrestre. © DR 17. - Panneau de signalisation routière à la sortie du village médiéval de Gubbio le long de la route, il y est précisé qu’il s’agit d’un « site scientifique d’importance mondiale » © De Wever 64 © De Wever A B © De Wever © De Wever 18. - A- Affleurement de la limite Crétacé Tertiaire, Col de la Botaccione, Apennins, Italie. Le site, aménagé, permet aux véhicules de se garer. Comme en France les parois de la montagne sont recouvertes d’un grillage qui limite la dangerosité de la chute des pierres. Le grillage recouvrait l’affleurement, mais manifestement les géologues savent où se procurer des pinces coupantes ! Dans la zone déprimée. Le niveau d’argile à iridium n’est plus visible, tant il a été collecté. Le panneau jaune est là pour attester qu’il s’agit bien du niveau stratigraphique. © De Wever B- (détail de la photo précédente) Les bancs qui encadrent le niveau d’argile ont été abondamment étudiés, comme en attestent les dizaines de traces de microforages (des flèches positionnent quelques-unes). © De Wever 65 La météorite : un succès médiatique La crise de la limite Permien-Trias La limite Crétacé Tertiaire est bien connue de par son caractère onirique, mais aussi sans doute parce que la publication de la découverte du niveau d’iridium a bénéficié d’un fort battage médiatique pour une double raison. Tout d’abord les Alvarez, père et fils étaient connus scientifiquement, surtout le père qui avait obtenu le prix Nobel de physique en 1968. La deuxième raison est politique. En effet, quand les Alvarez publient le contenu en iridium de ces argiles, au début des années 80, le gouvernement du président Reagan, en pleine guerre froide, souhaite développer un type de missiles balistiques susceptibles d’intercepter en l’air d’éventuelles fusées ennemies. Cette stratégie, médiatisée sous le nom de « guerre des étoiles », était très coûteuse aussi le peuple américain traînait-il un peu des pieds pour le financement. Le retour de la théorie de grave crise de la biodiversité due à une chute de météorite était du pain béni pour les faucons américains. En effet, si une chute de météorite avait pu exterminer les grands reptiles, une autre, même plus petite, était susceptible de tuer beaucoup d’humains, fussent-ils de solides gaillards comme les cow-boys le sont. La solution pour éviter que cette situation ne se rencontre était de mettre au point des fusées capables, par leur explosion à proximité du dangereux météore, de détourner la trajectoire suffisamment pour que la Terre ne fût plus menacée. Voila une bien noble ambition que le public américain doit pouvoir accepter, et qui va dans le sens de la politique décidée… Aussi cette hypothèse des Alvarez méritait-elle d’être soutenue. Elle le fut largement dans les médias (est-ce à l’initiative du gouvernement ? je ne puis le préciser). Des fonds d’état furent attribués pour cette recherche comme en attestent des publications dans lesquelles sont spécifiquement mentionnés les numéro de programmes de recherche qui sont des numéros du Pentagone (et non de la NSF comme c’est généralement le cas). Il importait donc de souligner qu’un tel bolide pouvait encore frapper la Terre, de faire un peu peur en quelque sorte. Et dans ce plan Alvarez n’était pas le dernier (fig. 19) La crise de biodiversité la plus importante sépare l’ère Primaire de l’ère Secondaire. Elle est la seule qui affecte visiblement à la fois les organismes marins et terrestres (fig. 2). Comme pour la crise Crétacé-Tertiaire, seuls seront fournis ici quelques éclairages complémentaires de ce que l’on peut trouver dans les livres. Si l’équipe qui travaillait sur ce phénomène obtint des subsides, y compris ultérieurement de la recherche civile américaine (NSF), il est clair que ce qui était dépensé pour ce programme ne pouvait plus l’être pour d’autres, ce qui invita certains de ses collègues à le mentionner aussi, dans le même livre d’or (fig. 20). La crise Crétacé Tertiaire est indiscutablement un événement important dans l’histoire de la vie, mais son succès n’est donc pas lié uniquement à son intérêt scientifique, l’onirisme et, surtout, la politique y ont aussi leur place. Retenons aussi que si l’on veut évoquer la disparition des grands reptiles pour cet événement, il convient pour le moins de ne pas utiliser la courbe des familles marines, même si celle des familles terrestres est moins démonstrative. 66 Une des difficultés lors de l’analyse de crises est de trouver les espèces qui deviennent rares, on l’a signalé ci-dessus. En outre quand des faunes sont trouvées, encore faut-il réussir à les déterminer au niveau spécifique, car la préservation est souvent tellement médiocre que la liste des espèces identifiées, est très inférieure à la liste des espèces présentes. Le résultat est que l’on a tendance à amplifier artificiellement l’aspect crise. Comment se présente la crise dans son ensemble ? Il fut d’abord supposé que cette crise durait entre 8 et 14 millions d’années. En fait plusieurs phénomènes sont certes continus (baisse du niveau marin par exemple au Permien, ou période d’anoxie à l’extrême base du Trias) mais d’autres événements sont doubles (ex. les excursions du δC13, ou les manifestations volcaniques qui se constatent d’abord en Chine du Sud, puis en Sibérie). On admet aujourd’hui que cette crise est un fusil à deux coups, chacun d’environ 1 million d’années, séparés de 8 millions d’années et que c’est leur succession en peu de temps qui, par effet cumulé, fait l’importance de la modification. L’identification des causes a suscité bien des recherches et généré bien des débats. Aujourd’hui, on utilise pour la décrire la métaphore du « Meurtre de l’Orient-express ». Dans ce roman d’Agatha Christie, Hercule Poirot, chargé d’enquêter sur le meurtre intervenu dans le train, constate que la victime a reçu plusieurs coups de couteau. Il finit par découvrir qu’il n’y a pas un meurtrier mais, que chaque personne du compartiment a participé en donnant un coup de couteau. Une crise de biodiversité relève généralement (si ce n’est toujours) de la même logique (fig. 21). Un ensemble de phénomènes conjugués qui créent un système complexe comprenant de nombreuses actions et rétroactions, des pas de temps différents etc. conduisant à un profond déséquilibre. Une crise de biodiversité résulte, en général, de la conjonction d’un ensemble de facteurs. La formation de la Pangée est associée à une régression qui implique une réduction de la diversité des habitats par diminution de la plateforme continentale (voir fig. 10). Un seul immense continent modifie le climat par augmentation de la saisonnalité (type même du climat continental) et induit des instabilités écologiques. La régression permet l’oxydation des substances organiques, conduisant à un accroissement du CO2 qui peut amener une anoxie océanique et un réchauffement global. La régression est aussi susceptible de permettre une déstabilisation d’hydrates de 19. - Page d’un livre d’or signée par W. Alvarez. Le tenancier d’une petite auberge située sur la route du col de la Botaccione à proximité du célèbre site (Gubbio, Italie), fait signer au fil des années bon nombre de géologues qui passent par là. L’une de ces pages, de 1982, dit : « Remember it can happen again, prepare to meet thy maker » (= souviens-toi que cela peut encore arriver, soit prêt à rencontre ton créateur) et elle est signée Walter Alvarez ! On ne peut être plus clair, il faut entretenir la peur, elle génère des moyens de travail. © De Wever 20. - Page d’un livre d’or où les collègues d’Alvarez témoignent d’un avis différent. © De Wever Dans la même auberge que celle citée sur la figure précédente, le même livre d’or montre une page de l’année 1988 sur laquelle on lit « nous avons calculé le montant en dollars fourni par la NSF pour que Walter Alvarez et ses étudiants puissent signer ce livre plus de 50 fois. Ce montant outrancier (en 105 $) aurait permis… » et c’est signé M. Arthur, S. Schlanger, T. Bralower etc. tous des noms très connus de la communauté internationale. On devine que quelques dents grincent, même si cela est relaté sous forme de la plaisanterie. © De Wever. 67 Crise de biodiversité = meurtre de l’Orient Express Réduction de la diversité des habitats Pangée Point chaud Régression Trapps de Sibérie Augmentation de la saisonnalité Oxydation des substances organiques Dégagement de gaz hydrates Accroissement de CO2 Instabilité écologique Anoxie océanique Réchauffement global EXTINCTION 21. – Schéma de quelques causes de la crise de la limite Permien-Trias Deux moteurs indépendants : une situation géographique – la Pangée – et une manifestation volcanique exceptionnelle – les trapps de Sibérie – se conjuguent pour aboutir à un résultat au niveau de la biodiversité : une crise. gaz par baisse de pression. Le méthane qui est alors libéré s’oxyde et participe à l’augmentation du CO2 et au réchauffement climatique, etc. Le volcanisme de type point chaud produisant les trapps de Sibérie libère une grande quantité de CO2 et de vapeur d’eau, gaz à effet de serre etc. Regards sur une démarche scientifique De la démarche scientifique présentée ici il ressort nettement que le regard du naturaliste sur le monde extérieur se fait au travers du prisme de ses préjugés. Après le succès rencontré par l’hypothèse d’une météorite, cratère de Chicxulub, responsable de la crise Crétacé-tertiaire, le débat s’est focalisé sur la possibilité d’une météorite responsable de la crise pour la limite Permien-Trias, plutôt que d’événements volcaniques qui ont eu la faveur, reprenant une hypothèse déjà émise dès 1972 (voir ci-dessus). La question se résume en fait à connaître la durée du phénomène. Pour les tenants de l’hypothèse de la météorite le phénomène doit être bref si ce n’est instantané. Pour ceux privilégiant la cau- 68 se volcanique le phénomène, même bref à l’échelle géologique est beaucoup plus long (0,5 à 2 Ma). Le reproche qui est fait à l’hypothèse volcanique, défendue avec le brio qu’on lui connaît par Vincent Courtillot, est que cette manifestation n’induirait qu’un réchauffement de 5 °C, jugé insuffisant pour causer une grande crise du monde vivant. On suppose qu’il a fallu près de 10 °C. Le point faible de l’hypothèse de la météorite, soutenue par Michael Rampino, est qu’aucune preuve directe ou indirecte de cette météorite n’existe. Il est donc allé dans les Dolomites en Italie où s’observent cette limite et les couches qui l’entourent (fig. 22). Dans les dépôts sombres bien rythmés il a réussi à identifier des cycles de précessions. Il conclut que ces rythmites représentent des cycles de 23 000 ans. La première question qui se pose : est-il possible d’identifier des cycles de précession aussi loin dans le temps, est-on autorisé à conclure qu’à cette époque la durée du cycle est la même qu’actuellement ? En effet, selon certains auteurs, on ne peut mathématiquement pas extrapoler aussi loin des phénomènes dont on ne connaît pas toutes les conditions à l’origine. D’après Rampino, si un couplet banc dur - banc mou représente 23 000 ans, alors le seul banc d’argile représente approximativement la moitié de ce A B © De Weve 22. - Localité des Dolomites où sont exposées les couches de la limite Permien-Trias. A- Vue générale, la limite est localisé au 3e plan, en bas, où des sédiments lités sont visibles © De Wever B- La limite Permien-Trias est située dans les niveaux inférieurs, à proximité du lit du torrent. Les niveaux sombres, bien rythmés ont été identifiés comme correspondant à des cycles de précession. © De Wever 69 temps, soit 10 000 ans. Pour lui la démonstration est alors faite que le phénomène est rapide, ce qui soutient l’hypothèse météoritique. La chute brutale et importante de température serait due aux poussières éjectées lors de la collision, créant une sorte d’hiver nucléaire. Il cherchait sa météorite… Ces indices restaient néanmoins un peu faibles et cette damnée météorite restait introuvable ! L’absence de traces est d’autant plus surprenante qu’il avait été calculé que si la météorite de la limite Crétacé – Tertiaire faisait environ 10 km de diamètre, celle de la limite Permo-Trias devait en faire au moins 15, l’événement étant plus important. Et une météorite de cette taille devait laisser des traces, directes, comme un cratère, ou indirectes, comme des quartz choqués, certes il en avait été signalé en Antarctique, par Gregory Retallack, mais très peu. Adrian Jones intervint alors et tint un raisonnement étonnant. Il déclara en effet qu’un bolide de cette taille est si important qu’il ne peut manquer de provoquer un rebond des couches tellement violent que le cratère sera difficilement visible. En outre, la température va tellement augmenter avec le choc qu’au moment de la décompression, se produira une remontée de lave qui va combler la dépression. Donc, si on le comprend bien, s’il n’y a pas de cratère visible, c’est la preuve qu’il y a eu chute d’un très gros aérolithe. CQFD ! La limite du Permien-Trias est largement exposée au Groenland et sur une grande épaisseur. Paul Wignall considère l’endroit propice pour étudier le contenu des couches en détail. Il constate dans un premier temps que l’extinction n’a pas été instantanée mais s’est effectuée progressivement, sur des dizaines de milliers d’années. Pour être plus précis il a observé une succession de 3 événements différents : (1) d’abord une extinction qui touche les organismes terrestres pendant environ 40 000 ans, puis (2) une brève extinction marine pendant laquelle il relève une quantité importante de 12C, et enfin (3) une nouvelle extinction terrestre. Il propose alors un scénario qui fait entrer en jeu le méthane des clathrates. Il y aurait d’abord eu un épisode volcanique qui induit une augmentation de la température de l’ordre de 5 °C, suffisante pour provoquer une extinction des organismes terrestres. Consécutivement à cette élévation de température des clathrates sont déstabilisés. Le méthane ainsi dégagé emballe le système qui augmente encore de 5 °C. On retrouve ainsi les 10 °C requis initialement et… le compte est bon ! Voilà où nous en sommes aujourd’hui. Est-ce la réalité ? En tout cas c’est une belle histoire. Cette hypothèse présente l’avantage d’intégrer toutes les données disponibles à ce jour dans un système cohérent. Bref il s’agit d’une « vérité scientifique ». L’avenir nous dira si des arguments contraires viendront la rejeter. Elle illustre qu’une bonne théorie scientifique, est une hypothèse qui n’est pas démolie, rien de plus. 70 Les limites : une question simple de loin L’échelle des temps géologiques est un continuum même si elle est découpée en étages pour des raisons pratiques. Ces étages ont d’abord été définis par leur contenu en fossiles et chaque référence constituait un stratotype (il y en a ainsi 43 en France, berceau de la stratigraphie). Ces étalons étant souvent incomplets, biologiquement –généralement très marqués par leur environnement- et, surtout, temporellement, il fut ultérieurement considéré plus judicieux d’établir un découpage par la définition de leur limite. On définissait ainsi non plus une tranche de temps, représentée par des couches, mais un point. On parle alors de stratotype de limite, marqué par un clou d’or (golden spike). La présentation théorique est simple. Si la question, vue de loin, est facile, regardée de près elle devient beaucoup plus délicate. En effet les étages sont définis par des changements de faune mais ce changement n’est pas instantané, il semble plutôt y avoir un relais accéléré. La question qui se pose alors est de choisir quelle est l’espèce indicatrice. Pour la limite Crétacé –Tertiaire il est admis une catastrophe marquée par une petite couche d’argile enrichie en iridium (fig. 18). On infère dans le raisonnement qu’il y a un changement de faciès. Pourtant les limites sont définies par des fossiles. Que se passe-t-il si les deux ne sont pas synchrones partout ? La limite entre l’ère Primaire et l’ère Secondaire voit aussi un changement de faciès : on passe de calcaires à des niveaux plus argileux, très fins (fig. 23), anoxiques avant le retour des calcaires (dans les régions pacifiques –Japon, Ouest Amérique, Nouvelle-Zélande – on trouve des radiolarites à la place des calcaires). Pour définir cette limite les brachiopodes et les conodontes étaient de bons candidats. Finalement c’est une espèce de conodonte qui est choisie : Hindeodus parvus. Ce choix s’est effectué après maintes études de coupes. Quand le dossier apparut suffisamment bien documenté, le temps de la décision vint. Cette décision, comme pour toutes les limites, revient à une commission internationale qui vote. Et comme pour tout vote… il y a des campagnes, des alliances, voire des perfidies. On constate alors encore une fois, si on l’avait oublié, que les scientifiques sont d’abord de pauvres humains… Finalement cette définition relève plus de la démocratie que de la science. La définition d’une limite est une convention, certes basée sur des faits, mais non dictée par les faits. Les faciès du Primaire et ceux du Secondaire sont différents en Italie du Nord. L’agacerie est que le changement ne se fait pas à la limite entre ces deux ères mais juste au dessus. La limite fixée par l’apparition du conodonte H. parvus se trouve dans un banc de calcaire (fig. 23). © De Wever © De Wever B A 23. - Limite Permien-Trias en Italie du Nord (Dolomites, coupe de Tesero). A- Un ensemble calcaire, en blanc sur la photo, est surmonté d’une série plus argileuse avec quelques bancs calcaires, plus grisâtre. La limite P-T se situe à proximité du panneau couvert (au niveau des coudes du personnage avec une chemise rosâtre, localisée par une flèche rouge). © De Wever. B- Le niveau de la limite Permo-Trias, vu de près. La limite se situe quelques centimètres au-dessus du double –mètre jaune. Rien dans le faciès ne permet de distinguer un événement important. La seule information est fournie par un échantillon centimétrique qui a livré le conodonte indicateur. © De Wever La commission ad hoc a défini la limite pour le permotrias sur une coupe en Chine (fig. 24) après bien des tergiversations car la coupe ne respectait pas, pendant longtemps, tous les pré-requis de la norme ISO 19 108, qui requiert notamment un accès libre au site, or la coupe était située dans une zone militaire fermée aux étrangers. Ce site est aujourd’hui accessible et protégé. Les chinois en ont même fait un Géopark avec un musée de site. Le site est donc visité par des spécialistes, des touristes et… des jeunes mariés qui viennent s’y faire photographier, car comme me l’a dit mon collègue chinois : « en Europe les mariés vont à l’église, ici ils viennent sur le golden spike (clou d’or) car rien que ce nom leur paraît prestigieux ». Voilà un bel exemple de volonté scientifique soutenue par les autorités, relayé par des médias, renforcée par la population… C’est en Chine… Qu’elle nous semble parfois loin la Chine !… La légende de la figure 24 présente des noms assez compliqués à prononcer pour les occidentaux. Nous sommes loin des noms tels que Lutétien, Turonien, Barremien etc. La stratigraphie a été créée en France au milieu du XIXe siècle, de ce fait beaucoup d’étages ont pour base des noms français ou d’Europe occidentale. Les noms d’étage à bases de toponymes américains sont ensuite apparus, surtout dans le Paléozoïque supérieur (Mississipien, Pensylvanien), puis des noms russes (Permien, Cisuralien, Artinskien, Sakmarien…) et plus récemment encore des noms chinois. Ces modifications de nom correspondent certes à des terrains mieux conservés, mais aussi mieux étudiés dans des pays qui ne considèrent pas la stratigraphie comme une discipline dépassée… Cette observation permet aussi d’effectuer un parallèle avec le développement du pays, son ouverture sur le monde, illustrant une liaison entre sciences et développement de société. Ces noms, et leurs évolutions seront sans nul doute des témoignages lisibles pour les générations futures. 71 limite PT Chine (Meishan) © Crasquin A © De Wever © De Wever C B 24. - Coupe de Meishan (Chine). Point stratotypique de la limite Permien-Trias Ce site (situé quelque 200 km au SSE de Nankin) aménagé présente deux points stratotypiques, celui de la limite permien-trias (A) et celui de la limite entre les deux derniers sous-étages du Permien (Wuchiapingien et Changhsingien), au sud de la coupe (C). L’endroit est aménagé pour les visites où les deux coupes stratotypiques sont visibles, distantes de quelques dizaines de mètre seulement. L’ensemble, de plus de 3 km de long, présente plusieurs coupes (6 en tout) visibles sur la photo A : les parties dépourvues de végétation alignées avec le site principal du premier plan. À l’entrée du Géopark, un musée de site très moderne expose sur 2000 m2 les principaux éléments de la géologie. A- Site de la limite Permo-Trias. L’ensemble monumental permet au public de se renseigner sur l’histoire de la vie au Phanérozoïque (les panneaux sombres en pierre noire), alors que l’escalier permet de s’approcher de la coupe. Un livre en marbre blanc (que lit un personnage) explique ce qu’est un point stratotypique au pied d’une colonne qui porte triomphalement l’objet phare : une sculpture du conodonte H. parvus agrandi près de 2000 fois (© Crasquin). B- À côté d’un panneau explicatif de la notion de point stratotypique, un escalier secondaire, tel celui d’un autel, conduit le visiteur jusque sur LE banc. On y voit alors, dans une partie dégagée du filet la limite P-T, marquée à la peinture rouge, qui passe au milieu du banc calcaire n° 27 (© De Wever) C- Limite entre le Wuchiapingien et le Changhsingien, dernier sous-étage du Permien (© De Wever). 72 La biodiversité : un phénomène superficiel ? L’influence des météorites est à prendre en considération dans le déroulement d’une crise de la biodiversité, néanmoins, le volcanisme de type point chaud l’est au moins tout autant. L’avantage de cette dernière relation est qu’elle correspond presque point pas point avec les principales crises (fig. 25). C ris es Tr a pp s Au niveau global existe une liaison entre le volcanisme, de type océanique ou de type point chaud, et la biodiversité. Il convient toutefois de ne pas réfléchir au volcanisme tel que nous le connaissons actuellement sur Terre pour celui qui concerne les points chauds. En effet, le volcanisme qui génère des trapps est sans commune mesure avec celui que nous connaissons aujourd’hui à la Réunion, en Islande ou à Hawaï. La dernière manifestation volcanique importante est celle de 1783-84 du Laki en Islande dont nous avons parlé plus haut. Les trapps du Deccan, quant à elles représentent en quantité l’équivalent de la France recouverte de laves jusque 700 m au-dessus du Mont Blanc, les trapps de Sibérie et de Chine, c’est 10 à 20 fois plus que cela encore. Avant qu’un de ces points chauds se manifeste par des coulées de lave il provoque une intumescence d’environ 4000 km de diamètre sur une hauteur de plus de 3000m. Imaginons un instant qu’un tel point chaud émerge aujourd’hui au milieu de l’Atlantique, nous irions à pied de San Francisco à Vladivostok… en plus il faudrait franchir une montagne entre Paris et New York ! Les conséquences, avant même que des laves ne soient émises, seraient drastiques et variées : complète modification des courants océaniques et ses conséquences sur le climat et la biodiversité, installation d’un climat extrêmement continental à très forte saisonnalité. Bien entendu quand les laves s’écouleront et que les gaz s’échapperont, une nouvelle série de modifications interviendra. Avec ce type de volcanisme, la réflexion basée sur l’actualisme montre ses limites. 25. - Relation entre crise de la biodiversité et grandes périodes de manifestation de point chaud sous forme de trapps (d’après Courtillot, modifié). 73 Outre les effets de l’émergence d’un point chaud envisagés ci-dessus la plupart des points chauds depuis le Permien ont été les prédécesseurs d’une dérive continentale marquée par l’initiation d’une séparation continentale ce qui implique des modifications de paléogéographie, de courants et leurs effets sur la biodiversité etc. (fig. 26). Les éléments précédents montrent le lien unissant les crises de biodiversité et les manifestations de gros points chauds même si cette relation n’est pas univoque. La biodi- versité est typiquement une manifestation de la partie la plus superficielle de la Terre. Les points chauds trouveraient leur origine au niveau de la limite entre le noyau et le manteau, elle est donc très profonde (fig. 27). Étudier ce qui se passe en surface, la biodiversité par exemple, nécessite donc aussi de s’intéresser à ce qui se passe quelque 3000 km plus profondément, puisque les manifestations de surface résultent de phénomènes ayant leur origine à proximité du noyau ! Quelle magnifique illustration du système Terre qui associe intimement surface et profondeur. 26. - Positionnement de quelques points chauds principaux correspondants à des crises de la biodiversité et annonçant une ouverture océanique (à l’exception de la limite Permo-Trias). 250 Ma : limite Permien –Trias, les trapps de Sibérie n’ont pas généré de nouvelle séparation de masses continentales. Rappelons que ce magmatisme suit de 8 Ma celui de Chine du Sud (Emeishan). 205 Ma : crise de la limite Trias-Lias, aurore de l’ouverture de l’Atlantique Nord, 185 Ma (Toarcien), précédant la séparation de l’Afrique du bloc Antarctique-Australie-Inde, 135 Ma : limite Jurassique-Crétacé, avant l’ouverture de l’Atlantique Sud, 65 Ma : limite Crétacé –Tertiaire, pas d’ouverture nouvelle mais une accélération brutale du déplacement de l’Inde, 32 Ma : crise Eocène-Oligocène correspondant à l’ouverture des rifts Est-Africains (d’après Courtillot, modifié) 74 75 27. - Coupe de la Terre positionnant l’origine des points chauds. Le manteau était représenté en vert, puisque c’est la seule couleur que l’on soit autorisé à mettre, les roches issues des profondeurs ne sont rouges que lorsqu’elles sont en fusion au moment de leur émission. Le manteau en revanche est riche en olivine, minéral d’un beau vert tendre. Conclusion L’histoire de la biodiversité n’est pas « un long fleuve tranquille ». Des phases de stase sont interrompues par secousses qui la modifient profondément. Ces crises, plus ou moins fortes, sont nombreuses et semblent exister depuis toujours. Toutes les crises ont été suivies de périodes de diversification si bien que la biodiversité semble plus riche après qu’avant la crise. In fine une crise est favorable à la richesse de la biodiversité. Une période de crise n’est donc pas un drame pour la biodiversité dans son ensemble, même si elle l’est, pour les espèces qui n’y survivent pas ! Les médias nous disent aujourd’hui que « la planète est en danger », ou que « la biodiversité est en danger ». On mesure combien ces locutions sont malheureuses au regard de l’histoire de la biodiversité. En effet, la planète Terre peut continuer d’exister sans la biodiversité ! Et si nous vivons une crise, on a le droit de penser que la biodiversité ultérieure sera encore plus diversifiée. Mais il est vrai que dans celle-ci l’Homme n’aura peut-être plus sa place… Alors, il serait plus correct de dire « la place de l’homme sur la planète est en danger » ou encore « la biodiversité dans laquelle l’Homme a sa place est en danger ». Ne nous trompons pas, les jolies fleurs et les petits oiseaux sont utiles à la survie physique de l’Homme. Il ne faut pas se tromper de propos. Bien sûr, on peut positionner l’Homme au centre de la biodiversité. Mais alors il ne faut pas prétendre s’intéresser aux petits poissons et aux papillons virevoltants alors qu’on pense à Soi en premier… Le maintien d’une biodiversité nécessite un équilibre entre ses composants. Si l’environnement change brutalement – à l’échelle géologique – ou si une espèce devient très largement dominatrice, l’équilibre est rompu et c’est toute la biodiversité qui est susceptible d’être modifiée. L’espèce « Homme pensant » s’est dégagée voila 250 000 ans. Elle s’est développée, a occupé des niches écologiques de plus en plus diversifiées, des milieux les plus hospitaliers aux plus hostiles. Sa population a cru depuis lors, mais elle explose littéralement depuis le milieu du XIXe siècle (fig. 28), sa densité augmente donc, fatalement au détriment d’autres espèces. Chaque jour la population mondiale croît d’environ 200 000 unités, à ce jour 28 % de la population a moins de 15 ans. À ce rythme on serait 15 milliards dans 40 ans, mais des démographes prédisent un ralentissement. Ils retiennent un plafond d’environ 9,5 milliards d’individus, soit encore un tiers de plus qu’aujourd’hui vers 2050. L’ONU suppose que nous ne serons que (!) 11 ou 12 milliards dans un siècle. La question que je me pose alors est de déterminer quelle doit être mon action prioritaire pour la biodiversité actuelle : est-ce réellement de m’intéresser par exemple à une espèce, qui n’est d’ailleurs pas en danger, dans les Pyrénées ? 76 Les crises sont le résultat de facteurs complexes qui sont généralement d’ordre géologique. Le pas de temps est lui aussi d’ordre géologique car il se compte facilement en millions, ou fraction de million d’année. Les interactions Terre et Vie sont permanentes à toutes les échelles de temps et d’espace. Quelques références D E W EVER (P.) et al. – Volcanisme, cause de mort et source de vie. – Vuibert & MNHN, 2002, 345 p. LETHIERS (F.). – Évolution de la biosphère et événements géologiques. – Gordon & Breach, 1998, 321 p. B ABIN (C.). – Autour du catastrophisme. – VuibertAdapt, 2005, 167 p. REVAULT D’ALLONNES. – Du temps qui passe au temps qu’il fera. – In Géochronique, dossier Le temps, n° 98, 2006, pp. 25-26. L’ogre et la carte L’histoire de la biodiversité est inscrite dans les roches. Les roches sont nos archives et seules les plus récentes sont accessibles. Goya avait représente Saturne par cet ogre mangeant ses enfants. Il voyait là une illustration du temps. Cette peinture, un peu terrible, il faut bien le dire, mais elle montre bien que le temps, du fait qu’il existe, du fait qu’il passe, crée des secondes. Mais ces secondes, du fait même que le temps passe, il les détruit : l’ogre mange ses propres enfants. La carte du monde présente des couleurs qui correspondent, non pas à des roches différentes, mais à des sédiments et roches d’âges différents. Une carte géologique est une carte temporelle. Si on ne considère que les océans (répartition des couleurs plus simple que celle des continents pour une majorité de la surface 75 %). L’océan est donc le plus important en terme de surface, et c’est surtout le meilleur enregistreur. Les terrains les plus récents sont, en rose au centre de l’Atlantique. Ils sont encadrés par du jaune (environ 50 millions d’années), puis du vert (environ 100 millions d’années), puis du bleu plus ancien encore dans l’Atlantique nord. Cette répartition indique que l’Atlantique nord s’est ouvert avant l’Atlantique sud. C’est parce que l’ouverture océanique fonctionne que cet enregistrement est possible, en larges bandes. Cette carte fournit aussi des indications de cinématique. En effet, dans l’océan Pacifique, si on a du vert, du jaune, et du bleu localement, on constate que les bandes temporelles sont plus larges que celles de l’Atlantique. Elles traduisent tout simplement une ouverture plus rapide que dans l’océan Atlantique. A la différence de l’Océan Atlantique les bandes de couleur ne sont pas symétriques : dans l’Est de l’océan Pacifique les bandes orangées et vertes ne sont pas visibles. La raison de cette absence est le mouvement des plaques, à cet endroit en effet la plaque du sud pacifique plonge sous la plaque de l’Amérique du sud, emmenant avec elle les sédiments qui s’y sont déposés depuis des millions d’années. Des parties du meilleur enregistreur terrestre disparaissent du fait même du fonctionnement de la Terre. Ce fonctionnement génère des bandes de sédiments qui sont mangées par la subduction. Cela nous évoque Chronos de Goya, l’ogre. On peut penser que ces disparitions d’informations sont peu importantes finalement à l’échelle de la planète. Il n’en est rien car si l’on ajoute la disparition à l’est et à l’ouest de l’océan pacifique, cela représente environ 30 000 km, l’équivalent des 2/3 de la circonférence de la Terre ! Ah marâtre Nature qui détruit des documents qu’elle aurait pu nous laisser. ■ Evolution de lí abondance d’une espèce 5 millions 2000 6 milliards 1987 5 milliards 1975 4 milliards 1960 3 milliards 1930 2 milliards 1800 1 milliard 250 millions 0 10 000 av. J.-C. 5000 av. J.-C. An 1 1000 2000 28. - Évolution de la population humaine depuis le Néolithique. L’espèce différenciée vers 250 000 ans, est passée de 5 millions au néolithique à 250 au début de l’ère chrétienne. Elle a mis 16 siècles pour doubler, passant de 250 à 550. Le premier milliard a été atteint en 1800. 130 ans plus tard on passait au deuxième milliard. 60 ans plus tard, le 3e, 15 ans plus tard le 4e, etc. De 6 milliards que nous étions en 2000, nous avons augmenté de 0,5 en 2005. Il nous a fallu 250 000 ans pour être 250 millions, il nous faut aujourd’hui 5 ans pour augmenter de 500 000 individus. « Des millions d’années pour atteindre le premier milliard, 100 ans pour le deuxième, même pas 30 pour chacun des suivants… comment en sommes-nous arrivés là ». INED 77 78 29. - Le Saturne de Goya est ici comparé au fonctionnement de la Terre qui, par son fonctionnement, permet à la fois de bons enregistrements (sédimentation océanique) et détruit ces enregistrements (au niveau des subductions). Carte du monde extraite du fascicule Vrielynck et Bouysse, 2001 : Le visage changeant de la terre CCGM/Fascicule et CDrom, carte de Bouysse et al., 2000