exemple, sa biomasse en poissons est bien plus forte que cel-
le du XVIIesiècle, mais sa biodiversité est bien moindre.
Bref l’unité de biodiversité n’est pas le kilo. Quand on parle
de biodiversité, on évoque souvent la forêt équatoriale, les
jolies fleurs, les bébés phoques (comme c’est attendrissant),
l’ours des Pyrénées, les éléphants abattus par des bracon-
niers. Entre nous, quand le scientifique entend dire « l’ours
des Pyrénées est en danger », il se doit de sourire si ce n’est
de répondre : « l’ours des Pyrénées n’est pas en danger, il
n’existe plus depuis la mort de Canelle ». Si on a la volonté
de réimplanter l’ours dans les Pyrénées, il ne faut pas se
réclamer de sa biodiversité. En revanche, je comprends
qu’on veuille le faire pour des raisons poétiques, ou buco-
liques ou économiques ou autres mais ce ne peut être au seul
nom de la biodiversité en général. Le directeur de la
Direction régionale de l’Environnement (DIREN) de la
Région Midi-Pyrénées ne dit pas autre chose « on va me dire
que l’espèce en elle-même n’est pas en danger car elle exis-
te ailleurs. Cela n’est pas mon problème. Mon travail est de
maintenir, ici, la richesse de la biodiversité ». En effet, les
mots qu’il utilise sont importants. Il précise bien qu’il ne
s’agit pas de sauvegarder l’espèce, sinon il eût pu être soup-
çonné d’incompétence. Mais bien que sa mission soit
locale : « maintenir, ici ». Les ours que l’on cherche à réim-
planter sont des ours de Slovénie, où ils sont surabondants, à
tel point qu’ils sont chassés pour être transformés en saucis-
son. Les évocations spontanées liées au vocable biodiversité
sont généralement plus affectives que raisonnées. Le dino-
saure, est l’archétype de l’évocation onirique. L’ours fait
aussi vibrer par un vieux reste du nounours de notre enfance.
Les bébés phoques, eux, sont tellement attendrissants etc.
Pourtant il convient de ne pas mélanger les choses. On
oublie par exemple que la biodiversité comprend aussi les
anciennes céréales. Aujourd’hui on se dirige vers l’usage
d’un seul type de céréale. Les anciennes variétés produi-
saient peut-être moins, mais elles permettaient une adapta-
tion à des environnements variables. La biodiversité inclut
aussi les moustiques, le monde des parasites, et toute la ver-
mine invisible. L’usage intensif des pesticides dans les jar-
dins ou dans les champs est susceptible de mettre en danger
une certaine biodiversité. J.-F. Minster a montré, l’influence
des pesticides sur les huîtres du bassin d’Arcachon par l’in-
termédiaire du pico plancton, etc. la diversité de ces pico
organismes nous a-t-il dit se situe entre 50 et 100 espèces par
mm3d’eau. Édifiant ! On disperse largement des pesticides
pour l’agriculture. En France, par exemple depuis 15 ans,
25 % des espèces d’oiseaux adaptés aux champs ouverts ont
disparu. Cette observation a aussi été effectuée au Royaume-
Uni, aux Pays-Bas… mais pas au Danemark, qui a pris de
mesures limitant l’usage des pesticides depuis quelques
années. La gravité ne réside pas seulement dans la dispari-
tion de ces oiseaux. Outre que ce ne sont pas seulement des
individus qui disparaissent mais des espèces, la gravité rési-
de dans ce que cette extinction traduit une chaîne alimentai-
re rompue, c’est-à-dire toute une biodiversité peu visible,
voire invisible. Ce n’est pourtant pas de ce dont on entend
parler dans les médias… La biodiversité c’est donc aussi le
monde microscopique, celui du sol, celui du plancton marin
(fig. 1). Une lame mince d’un calcaire à milioles expose des
coques d’organismes microscopiques. Elles sont si nom-
breuses qu’elles forment l’essentiel de la roche. La splen-
deur de Notre Dame de Paris est permise par cette roche. La
plupart des monuments de la capitale sont construits avec
des restes de la vie invisible. Parmi celle-ci, il convient de
citer aussi le monde micro-microscopique, c’est-à-dire le
nanoscopique. Les falaises du Vercors, ou celles du Verdon,
impressionnent par leur gigantisme, mais on est encore plus
frappé quand on pense que cette démesure est le résultat
d’une autre démesure, celle de l’extrêmement petit. Les
massifs du Vercors, de la Chartreuse etc. sont construits par
la vie ! Quand on voit du calcaire, il faut penser activité vita-
le. Imaginons qu’au Jurassique, un samedi soir, à la sortie
d’un bar de nuit (imaginons disais-je), il y eut une rixe de
dinosaures. Une querelle tellement violente qu’il y eut des
morts. Qu’est-ce qui en resterait aujourd’hui ? Au mieux, un
tas d’os. Un gros tas, peut être, mais jamais une montagne.
Ce qui fait la montagne, ce n’est pas le gros dinosaure, c’est
le tout petit plancton. Cette leçon de nature est aussi une
leçon de la vie citoyenne : une veille d’appareil électrique ne
consomme presque rien, mais la sommation, au niveau de la
France, équivaut à la production électrique d’une tranche de
centrale nucléaire. Le nanoplancton construit la montagne,
et la veille d’appareils électriques nécessite une centrale
nucléaire.
Quelle biodiversité, comptée, estimée ?
La biodiversité est connue à partir de comptages ou d’es-
timations, en tout cas forcément à partir d’éléments dispo-
nibles, tant pour le passé que pour le présent.
Toutes les espèces décrites de par le monde répondent
aux normes d’une réglementation, soit celles du Code
International de Nomenclature Zoologique soit celles du
Code International de Nomenclature Botanique. Chaque
nom est donc répertorié dans le Zoological record, ou le
Botanical record. Il suffirait donc d’interroger ces bases de
données pour connaître les chiffres de la biodiversité ? Voire.
En effet, si le code régit facilement les homonymies, il n’en
est pas de même pour les synonymies (deux noms différents
pour désigner une même espèce) qui subsistent et leur cas
n’est identifié et réglé qu’au hasard de leur découverte.
On peut certes penser que ces synonymies ne modifient
les nombres que marginalement, ce n’est pourtant pas le cas
pour tous les taxons (ex. les gastéropodes terrestres). Ainsi
donc, même pour les espèces répertoriées il est impossible
de connaître le nombre avec exactitude.
Le nombre d’espèces décrites à ce jour est de 1,7 million
(tabl. 1).
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