operis et muneris" [l'effort est une fonction déterminée soit de l'âme soit du corps qui comporte une activité
physique et morale relativement pénible]. Les génitifs animi et corporis qualifient functio et
distinguent l'effort moral et l'effort physique, mis sur le même plan par le connecteur double
vel...vel... La redondance du sens des trois mots functio, operis et muneris, insiste sur le fait que
labor est lié à une tâche, à une activité. Quant au comparatif gravioris, il justifie, par sa
signification [assez pénible], la proximité de labor avec dolor.
La douleur est définie ensuite : "dolor autem motus asper in corpore alienus a sensibus" [la
douleur, elle, est un mouvement rude qui se produit dans le corps et répugne à nos sens]. On voit bien qu'il
s'agit de souffrance physique aux termes motus, in corpore et sensibus. De plus, le parallélisme
avec la définition de labor est visible dans l'emploi de l'adjectif asper (proche du sens de
gravioris) et par l'utilisation systématique de deux ou de trois termes pour caractériser chaque
notion, le rythme binaire ou ternaire étant le fondement de l'éloquence qui ne quitte jamais
Cicéron. La seule différence, mais elle justifie à elle seule l'entreprise de définition de l'écrivain,
réside dans le mot alienus [contraire, étranger] s'appliquant à la douleur, qui est contraire, qui
heurte notre sensibilité.
Pourquoi distinguer ces deux notions ?
Il y a plusieurs raisons, dont la principale est linguistique et culturelle. Cicéron veut se
démarquer de la pensée grecque et des philosophes qui nient qu'une chose existe, s'il n'y a pas
de mot pour la désigner spécifiquement. Or, en grec - et nous l'avons mentionné en
introduction - le même mot désigne fatigue et souffrance, et, dans un premier temps, l'écrivain
ironise sur les conséquences de cette ambivalence de vocabulaire : "Haec duo Graeci illi,
quorum copiosior est lingua quam nostra, uno nomine appellant. Itaque industrios homines illi
studiosos vel potius amantes doloris appellant" [Pour ces deux notions, les Grecs, dont la langue est plus
riche que la nôtre, n'ont qu'un seul terme. Aussi appellent-ils les gens actifs gens qui ont le goût ou même la
passion de la douleur]. L'hommage au grec se lit dans les termes Graeci illi (laudatif) et copiosior
(quantitatif), hommage vite combattu par les mots uno nomine (restrictif) et studiosos vel
potius amantes doloris (traduction littérale du péjoratif φιλόπovoς philoponos, amoureux de la
peine/souffrance), qui sont d'autant plus ironiques qu'ils sont la conséquence (itaque) de la
double acception du mot grec πόvoς.
Dans un deuxième temps, Cicéron, risquant une contradiction, apostrophe directement la
Grèce, qu'il accuse de manquer de vocabulaire : "O verborum inops interdum, quibus abundare
te semper putas, Graecia !" [O combien parfois ton vocabulaire est pauvre, ô Grèce, qui te figures avoir
toujours des mots de reste !]. Le vocatif, la personnification de la Grèce (emploi de putare = penser
et à la 2ème personne du SG), l'antithèse inops/abundare, tout cela est très rhétorique et
révèle l'orateur aussi bien que le philologue (amateur de langage) et le philosophe. En tant que
tel, Cicéron croit au pouvoir du Logos (Λόγoς) : il croit qu'à force d'éloquence et de raison, de
travail sur les mots, il pourra se conférer à lui-même l'impassibilité. Faire ces distinctions
linguistiques, c'est d'abord se préparer spirituellement.
Linguistiquement et culturellement aussi, il oppose la sensibilité grecque à la romaine. En
effet, il met en parallèle à deux reprises les Grecs et les Romains : "nos commodius laboriosos;
aliud est enim laborare, aliud dolere ... Aliud, inquam, est dolere, aliud laborare." [tandis que nous
disons avec plus de justesse des gens laborieux : en effet, faire effort est une chose et souffrir en est une autre ...
Oui, je le répète, souffrir est une chose, faire effort en est une autre.]. Cette mise au point porte sur le
vocable labor, repris par le verbe laborare, et qui présentent ensemble dix occurrences dans