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RESUME
Dans les Alpes du Sud de la France, des diminutions de populations de chamois (Rupicapra
rupicapra) ont été rapportées. Or, depuis une dizaine d’année, des pestivirus ont causé de fortes
mortalités dans des populations d’isards des Pyrénées (Rupicapra pyrenaica). Bien que les signes
cliniques associés à cette infection aient été caractérisés chez cette espèce, la pathogénie chez les
animaux gestants est peu étudiée. De plus, des transmissions inter-espèces ont régulièrement été
incriminées dans l’épidémiologie des pestiviroses ; ceci particulièrement au niveau des alpages où des
contacts fréquents sont décrits entre ruminants sauvages et domestiques.
Les objectifs de ce travail de thèse ont donc été, dans un premier temps, d’étudier la pathogénie de
l’infection à pestivirus chez des isards et plus particulièrement ses effets sur la gestation. Dans un
second temps, nous avons étudié l’épidémiologie de l’infection dans différentes zones de la région
Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), tout d’abord chez des ruminants sauvages, puis à l’interface
entre les ruminants sauvages et domestiques partageant les mêmes alpages.
Trois femelles isards ont été inoculées, durant le deuxième tiers de leur gestation, avec une souche de
BDV-4, préalablement isolée d’un isard sauvage dans les Pyrénées espagnoles. Un groupe témoin était
constitué d’une quatrième femelle isard gestante, associée à une agnelle. Une virémie longue, de
quatre jours post infection jusqu’à la mort des animaux, était associée à des profils de séroconversion
variables et à des lymphopénies importantes. Bien qu’aucune gestation n’ait été menée à terme, la
détection des ARN viraux dans tous les organes testés des fœtus de femelles inoculées suggéraient la
naissance possible d’animaux infectés persistants immunotolérants (IPI) chez cette espèce.
Par ailleurs, dans la région PACA, une première étude séro-épidémiologique, longitudinale, a été
réalisée dans le département des Hautes-Alpes sur les campagnes de chasse de 2003 à 2007. Des
anticorps dirigés contre les pestivirus étaient présents chez 45,9% (Intervalle de confiance à 95%
[IC95%] : 40,5-51,3) des chamois et 61,1% (IC 95% : 38,6-83,6%) des mouflons (Ovis aries
musimon). Une deuxième étude épidémiologique transversale, conduite à la fois chez les ruminants
sauvages et domestiques lors des saisons de chasse 2009 et 2010, a montré des séroprévalences
élevées, atteignant 38,8% (IC95% : 74,3 – 78,8 %) chez les chamois et 25,9% (IC95% : 9,4 – 42,4 %)
chez les chevreuils (Capreolus capreolus). Tous les cheptels ovins testés (n=37) présentaient une
séroprévalence positive, atteignant 76,6 % (IC95%: 74,3 – 78,8 %) pour l’ensemble des 1383 sérums
analysés. Dans le département des Alpes-Maritimes, deux souches ovines de pestivirus ont été isolées
et classées respectivement dans le génogroupe BDV-3 (Border Disease Virus type 3) et dans le
génogroupe BDV-Tunisien. Dans le département des Alpes de Haute-Provence, deux souches ont été
isolées, d’une brebis avortée et, pour la première fois, d’un chamois (souche « Rupi-05 »). Les deux
souches ont été classées parmi les virus du génogroupe BDV-6. Des séroneutralisations croisées ont
montré que les chamois avaient des titres en anticorps supérieurs contre la souche « Rupi-05 », alors
que les moutons réagissent de façon homogène envers les différentes souches ovines locales. De plus,
les ovins ont des titres en anticorps neutralisants en moyenne plus élevés que les chamois pouvant
laisser suspecter une circulation plus importante chez les moutons. Des anticorps neutralisant ont été
détectés chez un seul chevreuil et étaient dirigés vers une souche de BVDV-1 (Bovine Viral Diarrhea
Virus type 1).
En conclusion, une circulation active de pestivirus est présente dans la région PACA, chez les
animaux sauvages comme domestiques. Dans les Alpes de Haute-Provence, les souches isolées des
différentes espèces sont classées parmi le même génogroupe, montrant une continuité géographique
dans la répartition des souches. Les résultats obtenus lors de l’infection expérimentale montrent des
effets sur la gestation importants, avec une possible présence d’animaux IPI chez les chamois comme
chez les ovins. Bien que nos résultats ne permettent pas d’établir de façon précise un sens de
transmission entre les espèces de ruminants domestiques et sauvages, deux cycles épidémiologiques
semblent être présents, caractérisés par une forte circulation intra-spécifique et connectés à des
transmissions ponctuelles entre chamois et moutons.