Randonnées automnales

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Randonnées automnales
La constellation du Verseau
Andromède et Pégase sont certainement les constellations les plus célèbres et les plus
marquantes du ciel d’automne, et il est vrai que l’observation à l’œil nu de la Grande Galaxie
d’Andromède suscite toujours le vertige, que l’on soit novice ou amateur confirmé. Toutefois,
il existe sous ces deux constellations une région peu connue et – comme le Serpent dont nous
avons parlé dans le dernier numéro de Galactée – souvent délaissée par les observateurs : la
constellation du Verseau. Celle-ci héberge actuellement la brillante planète Mars, véritable
star de l’été 2003 ; la Planète rouge sera donc le phare dans la nuit qui nous permettra de
repérer cette grande mais discrète constellation du ciel d’automne.
Comme les étoiles du Verseau se sont pas très brillantes, et qu’elles ne montent pas
très haut dans le Ciel, leur visibilité est fortement affectée par la pollution lumineuse.
Choisissez de préférence une nuit sans Lune et un site relativement sombre pour tenter cette
randonnée qui vous conduira hors des sentiers battus...
1. La onzième constellation du Zodiaque
La présence de Mars dans la constellation du Verseau est en elle-même porteuse d’une
importante information : le Verseau – Aquarius (Aqr) – est l’une des douze (ou treize)
constellations du Zodiaque. Si cette notion est très utilisée par les astrologues, il n’en demeure
pas moins que le Zodiaque est un concept astronomique bien concret : il correspond à cette
bande du ciel où se déplacent au fil des jours et des nuits le Soleil, la Lune et les planètes. Il
est ainsi tout à fait inutile d’espérer observer Jupiter ou Saturne dans la constellation de
Cassiopée… Par contre, ces astres peuvent se trouver par exemple dans le Taureau, le
Scorpion ou le Verseau, toutes trois constellations du Zodiaque !
L’existence de cette « bande de circulation des planètes » est assez facile à
comprendre. En effet, la très grande majorité des planètes gravitent autour du Soleil
pratiquement dans un même plan, le plan de l’Écliptique. Dès lors, vus depuis la Terre, le
Soleil et toutes les planètes se déplacent sur une même ligne1, qui est l’intersection du plan de
l’Écliptique avec notre Voûte céleste. Comme les objets du Système solaire ne sont pas tous
exactement dans le même plan2, on ne les observe pas rigoureusement sur une ligne, mais
plutôt sur une bande, le Zodiaque. Quant aux étoiles qui forment les célèbres constellations du
Zodiaque, ce sont des astres situés en arrière plan, très loin des planètes. Si on observe la
constellation de Cassiopée, notre regard porte vers une région qui se trouve presque à la
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Que l’on appelle aussi Écliptique !
Sauf le Soleil qui, par définition, circule toujours exactement sur l’Écliptique !
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perpendiculaire du plan de notre Système solaire, et il est donc normal de ne jamais y voir
circuler de planètes !
Aux environs du mois
d’octobre, les étoiles du Verseau
sont situées, pour les observateurs
terrestres, à l’opposé du Soleil : les
conditions d’observation de la
constellation sont donc optimales.
Six mois plus tard, comme notre
planète a bouclé une demi-orbite
autour du Soleil, ces mêmes étoiles
se retrouvent à l’opposé de la Terre
par rapport au Soleil : le Verseau
est donc invisible, totalement perdu
dans la lumière éblouissante de
l’Astre du jour. Si une éclipse de
Soleil se produisait pendant la
période allant de la mi-février à la
mi-mars,
les
étoiles
qui
apparaîtraient juste à côté du Soleil
En octobre, les conditions d’observation de la constellation du
éclipsé seraient celles de la
Verseau sont optimales : vu de la Terre, le Verseau est à l’opposé
constellation du Verseau. Or, selon du Soleil, qui se trouve à ce moment dans la constellation du Lion
(haut). Six mois plus tard, c’est le Lion qui est visible la nuit : le
les astrologues, un enfant né à cette
Soleil est dans le Verseau (bas).
époque de l’année est placé sous le
signe des Poissons : ils continuent à utiliser les positions occupées par le Soleil dans le
Zodiaque il y a plus de 2 000 ans ! Ce décalage est dû à la précession des équinoxes3. En fait,
le Soleil se trouve réellement dans la constellation des Poissons un mois plus tard.
2. Origine mythologique
Le terme « verseau » est la contraction de « verse-eau », traduction du grec
hudrokhoeus, « qui verse de l’eau ». Les Babyloniens voyaient dans cette région du Ciel un
océan céleste, et c’est à eux que l’on doit non seulement le Verseau, mais aussi toutes les
constellations voisines, logiquement associées à l’eau. Via les Grecs, nous avons ainsi hérité
de quelques-unes de ces figures « aquatiques » comme la Baleine, les Poissons, le Capricorne
(le Poisson-Chèvre), le Poisson Austral et l’Éridan (la Rivière).
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Voir dans ce numéro : Astronomes célèbres et astronomes moins connus (3) : Hipparque et Les rouages de la
sphère céleste (6).
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Les sources historiques attribuent diverses origines à cette constellation. La version la
plus répandue associe le Verseau au mythe de Ganymède, fils de Tros, le fondateur de la ville
de Troie, ou bien de Laomédon, père du célèbre roi troyen Priam. Selon Homère, le jeune
Ganymède, d’une très grande beauté, fut enlevé par les dieux, ou par Zeus lui-même
transformé en aigle, et transporté dans l’Olympe. Zeus envoya son messager Hermès prévenir
le père de Ganymède du privilège qui lui avait été accordé ; il lui offrit deux juments
immortelles, qui donneront naissance à l’écurie royale de Troie, et un cep d’or forgé par
Héphaïstos en personne. Ganymède devint l’échanson des dieux, et remplaça à cette fonction
Hébé (Juventas chez les Romains) : il verse l’ambroisie et le nectar qui assurent
l’invulnérabilité aux dieux, la jeunesse éternelle et l’immortalité aux héros. Zeus devint
l’amant de Ganymède, qui fut ensuite placé sur la Voûte céleste sous la forme de la
constellation du verseur d’eau ; l’aigle qui permit le rapt de Ganymède fut placé à ses côtés.
Voilà pourquoi les constellations du Verseau et de l’Aigle sont assez voisines dans le Ciel !
D’autres associent le Verseau au mythe de Deucalion, fils de Prométhée et époux de
Pyrrha, elle-même fille d’Épiméthée et de Pandore. L’histoire raconte que Zeus, déçu du
caractère mauvais de l’Humanité, décida de provoquer un déluge afin de tout anéantir.
Prométhée, au courant de ce qui allait se produire, conseille à son fils Deucalion de construire
une embarcation qui lui permettrait à lui et à son épouse de s’abriter pendant les neuf jours et
les neuf nuits que dureraient les inondations, ce qu’ils font. Le bateau s’échoue sur le Mont
Parnasse. Deucalion et Pyrrha se rendent alors compte qu’ils sont les seuls survivants de
l’espèce humaine. Zeus leur envoie Hermès qui leur demande de formuler un vœu ; leur désir
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est de voir renaître l’Humanité. Le maître de l’Olympe leur conseille alors de jeter les os de
leur mère par-dessus leurs épaules en se voilant la tête et en dénouant leur ceinture. Après
avoir été choqués par le sacrilège que le dieu leur demande de commettre, Deucalion et
Pyrrha comprennent que leur « mère » est en fait leur « Grande Mère la Terre », et que ses os
ne sont rien d’autre que des pierres. De celles lancées par Deucalion naissent les hommes, et
de celles jetées par Pyrrha les femmes. Plus tard, le couple eut des enfants, dont Hellen, qui
laissera son nom au peuple grec. Hellen et sa femme Orséis ont donné naissance aux ancêtres
des trois grands peuples de la Grèce : Doros, ancêtre des Doriens, Éole, père des Éoliens, et
Xouthos, qui donnera naissance aux Ioniens et aux Achéens.
La constellation du Verseau représenterait donc Deucalion, et l’eau qu’il verse serait
l’eau du déluge. Il est évident que cette histoire ressemble étrangement à celle de Noé…
3. Description de la constellation du Verseau
La partie du Verseau la plus facilement identifiable est celle de la « Jarre à Eau », qui a
la forme caractéristique d’un Y, centré autour de l’étoile ζ ; la partie basse du Y est formée par
l’étoile γ, et ses deux branches sont limitées par η et π. À droite de la Jarre, on trouve les deux
étoiles les plus brillantes de la constellation, de troisième magnitude environ. L’étoile α est
connue sous le nom de Sadalmelik (« l’astérisme favorable au roi ») et est distante de
760 années-lumière. Quant à β Aquarii, elle est appelé Sadalsuud (« la bonne étoile du monde
entier ») et est distante de 610 années-lumière.
À gauche de la Jarre, on observe deux bras parallèles, qui correspondent à l’eau qui
s’en écoule.
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La constellation du Verseau se trouve dans une zone du Ciel éloignée de la Voie
Lactée : on ne peut donc pas espérer y observer une grande quantité de nébuleuses ou d’amas
stellaires, puisque si vous observez cette région du ciel, votre regard ne porte pas dans le plan
de la Galaxie, mais plutôt vers les lointains espaces extragalactiques. Toutefois, trois objets
tout à fait remarquables de notre Galaxie sont observables dans le Verseau : l’amas globulaire
M2, la nébuleuse Saturne et la nébuleuse Hélix.
La constellation du verseur d’eau est également riche en belles étoiles doubles. Je ne
citerai ici que la plus facile à localiser, l’étoile ζ, cœur de la Jarre, dont les deux composantes,
de magnitudes 4,3 et 4,5, sont liées physiquement et sont actuellement séparées de
2,1 secondes d’arc. Observée dans un petit instrument (lunette de 60 mm de diamètre par
exemple), ζ Aquarii se présente comme une paire d’étoiles blanches très serrées. Dans un
instrument plus puissant, les composantes présentent plutôt une couleur jaunâtre. Ce système
se trouve à 104 années-lumière de la Terre.
4. L’amas globulaire M2
L’amas
globulaire
M2
(NGC7089) a été découvert par
Maraldi en 1746, et inséré dans le
catalogue de Messier en 1760. Il se
trouve à un peu moins de 37 000
années-lumière de la Terre. Il serait
âgé de 13 milliards d’années, c’està-dire contemporain de la formation
de notre Galaxie. L’amas M2 est
déjà visible à travers des jumelles ou
un petit instrument. Pour le localiser,
L’amas globulaire M2 dans la constellation du Verseau.
il suffit de se déplacer de 5° vers le
Nord, en partant de β Aquarii, pour arriver environ à la même hauteur qu’α Aquarii. Observé
avec un télescope de 200 à 250 mm de diamètre, l’amas se présente comme un beau halo
diffus de 5’ de diamètre, avec un noyau beaucoup plus brillant ; les étoiles du bord de l’amas
peuvent en principe être résolues avec un tel instrument. Avec un grossissement de 100 ×, le
cœur de M2 n’est toujours pas résolu en étoiles individuelles.
Le Verseau accueille également deux autres objets Messier : le très pâle amas
globulaire M72 et l’astérisme M73, composé de quatre étoiles.
5. La nébuleuse Saturne
Un curieux objet se cache dans le Verseau : NGC7009, la célèbre nébuleuse planétaire
« Saturne ». C’est William Herschel qui l’observa pour la première fois en 1782, mais c’est
Lord Rosse qui lui donna son nom actuel en 1850, à cause de la présence de deux fines
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extensions qui lui donnent un air de famille avec la
planète aux anneaux. Il ne faut évidemment pas
perdre de vue que NGC7009 se trouve à environ
3 000 années-lumière de la Terre, et qu’il s’agit bel et
bien d’un objet du Ciel profond !
Cette nébuleuse se trouve à un degré à
l’Ouest de l’étoile ν, de magnitude 4,5. Elle est assez
petite mais brillante. Observée avec un télescope de
200 à 250 mm de diamètre, elle se présente comme
La nébuleuse Saturne (NGC7009).
un petit disque bleu-vert d’environ 20 à 25’’ de
diamètre, de magnitude 8,3 et de luminosité assez uniforme ; à 10’ au Nord-Nord-Ouest, on
trouve une étoile de neuvième magnitude. Par un ciel bien pur, les fameuses extensions de
part et d’autre de la nébuleuse sont visibles sur un angle d’une minute d’arc, mais restent très
faibles et difficiles à observer.
6. La nébuleuse Hélix
C’est dans la constellation du Verseau que l’on trouve une des nébuleuses planétaires
les plus proches : la nébuleuse
Hélix (NGC7293). Elle ne se
trouve en effet qu’à environ
450 années-lumière de la Terre :
c’est la seule nébuleuse planétaire
dont on ait pu déterminer la
parallaxe. Autre record à l’actif de
NGC7293 : c’est, dans cette
classe d’objets, celui qui soustend le plus grand diamètre
apparent ; avec ses 16’ d’arc, la
nébuleuse Hélix est aussi large
qu’une demi pleine Lune !
La nébuleuse Hélix est La Nébuleuse Hélix, photographiée par le télescope spatial Hubble.
extrêmement difficile à observer
au télescope. En effet, sa luminosité surfacique est très faible, et il n’est donc pas aisé de la
déceler à l’oculaire d’un instrument qui n’est pas équipé d’un filtre O-III. Par contre, des
jumelles ou des instruments à très grand champ permettent de l’admirer, mais ils ne révèlent
pas sa structure annulaire.
Bonne balade !
Francesco Lo Bue (UMH)
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