Cet ouvrage présente les travaux du groupe d’experts réunis par... le cadre de la procédure d’expertise collective, pour répondre aux...

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Cet ouvrage présente les travaux du groupe d’experts réunis par l’Inserm dans
le cadre de la procédure d’expertise collective, pour répondre aux questions
posées par la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt), la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés
(Cnamts) et l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé
(Inpes – ex CFES, Comité français d’éducation pour la santé) sur les modes de
consommation, les dommages sociaux, l’abus et la dépendance à l’alcool.
Il s’appuie sur les données scientifiques disponibles en date du second semestre
2002. Plus de 2 000 articles et documents ont constitué la base documentaire
de cette expertise.
Le Centre d’expertise collective de l’Inserm a assuré la coordination de cette
expertise collective avec le Département animation et partenariat scientifique
(Daps) pour l’instruction du dossier et avec le service de documentation du
Département de l’information scientifique et de la communication (Disc)
pour la recherche bibliographique.
Groupes d’experts et auteurs
Philippe ARVERS, centre de recherche du service de santé des armées,
La Tronche
Jean-Pascal ASSAILLY, Institut national de recherche sur les transports et leur
sécurité, Arcueil
Philippe BATEL, unité de traitement ambulatoire des maladies addictives,
hôpital Beaujon, Clichy
Marie CHOQUET, épidémiologie et biostatistique, Inserm U 472, Villejuif
Thierry DANEL, service d’addictologie, centre hospitalier régional universitaire de Lille, Lille
Martine DAOUST, unité de recherche sur les adaptations physiologiques et
comportementales, université de Picardie, Amiens
Philippe DE WITTE, biologie du comportement, université catholique de
Louvain, Louvain-La-Neuve, Belgique
Françoise FACY, épidémiologie des conduites addictives, Inserm XR 302,
Le Vésinet
Jean-Dominique FAVRE, service de psychiatrie, hôpital d’instruction des
armées Percy, Clamart, président de la Société française d’alcoologie
Eric HISPARD, service de médecine interne, hôpital Fernand-Widal, Paris
Thérèse LEBRUN, centre de recherches économiques, sociologiques et de
gestion (CRESGE-LABORES) université catholique de Lille, Lille
Anne-Marie LEHR-DRYLEWICZ, médecin généraliste, Parçay-Meslay
Michel LEJOYEUX, service de psychiatrie, hôpital Louis-Mourier, Colombes
Pierre MORMÈDE, laboratoire de neurogénétique et stress, unité mixte
Inra - université Victor Segalen Bordeaux II, institut François Magendie,
Bordeaux
Véronique NAHOUM-GRAPPE, centre d’études transdisciplinaires, sociologie,
anthropologie, histoire, École des hautes études en sciences sociales - CNRS,
Paris
Claudine PÉREZ-DIAZ, centre de recherche psychotropes, santé mentale,
société, CESAMES (UMR 8136), CNRS-université René Descartes Paris V, Paris
Myriam TSIKOUNAS, centre d’histoire sociale du XXe siècle/Credhess
(UMR 8058), université Paris I, Paris
Ont présenté une communication
Patrick AIGRAIN, Office national interprofessionnel des vins - Inra, Paris
Jean-Michel COSTES, Observatoire français des drogues et des toxicomanies,
Paris
Colette MÉNARD, Institut national de prévention et d’éducation pour la santé,
Vanves, et Stéphane LEGLEYE, Observatoire français des drogues et des toxicomanies, Paris
Michel REYNAUD, département de psychiatrie et d’addictologie, hôpital PaulBrousse, Villejuif
Jacques WEILL, Professeur honoraire des universités, Tours
Marie ZINS, épidémiologie, santé publique et environnement professionnel et
général, Inserm U 88-IFR 69, Saint-Maurice
Coordination scientifique et éditoriale
Élisabeth ALIMI, chargé d’expertise, Centre d’expertise collective de l’Inserm,
faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris
Catherine CHENU, attaché scientifique, Centre d’expertise collective de
l’Inserm, faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris
Jeanne ÉTIEMBLE, directeur du Centre d’expertise collective de l’Inserm,
faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris
Catherine POUZAT, attaché scientifique, Centre d’expertise collective de
l’Inserm, faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris
Assistance bibliographique et technique
Chantal RONDET-GRELLIER, documentaliste, Centre d’expertise collective de
l’Inserm, faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris, Claire NGUYEN-DUY,
relectrice, Paris
VIII
Préface
Partie intégrante de notre culture, de notre patrimoine et de nos traditions, la
consommation d’alcool accompagne tous les événements festifs de la vie familiale
et sociale. « À votre santé ! », disent, en trinquant, les convives autour de la table.
Paradoxe pour un produit qui affecte la santé d’au moins 5 millions de personnes
en France, parmi lesquelles 2 millions sont dépendantes. Par ses effets délétères sur
le foie, le système cardiovasculaire, le système nerveux et le développement de
cancers, l’alcoolisation chronique est responsable chaque année de 23 000 décès,
et la prise d’alcool de 2 700 décès sur la route. L’importance du problème en termes
de santé et de sécurité publiques n’est donc plus à démontrer.
Ce n’est pourtant que très récemment que l’alcool a pris sa place parmi les
substances psychoactives considérées comme dangereuses du fait de ses effets
potentiellement sévères. Ainsi, depuis 1999, les compétences de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt) ont été étendues à
l’ensemble des substances psychoactives licites au rang desquelles figure l’alcool, et
un partenariat très actif avec l’Inserm a permis le lancement de projets de recherches financés conjointement dans ce domaine.
Parce que l’alcool affecte tous les organes, la recherche en alcoologie recouvre
l’ensemble des disciplines médicales et scientifiques. L’Inserm contribue à
l’avancée des connaissances par une approche pluridisciplinaire qui associe
biologie, neurobiologie, physiopathologie, génétique, sociologie, anthropologie,
psychologie, et s’étend également à l’épidémiologie et au domaine des sciences
sociales. Une vingtaine de laboratoires se consacrent à une thématique de
recherche sur l’alcool, et notre Institut s’est engagé depuis 2001, par une action
thématique concertée, à renforcer ce potentiel de recherche en apportant un
soutien financier à de nouveaux projets et en favorisant le travail en réseau des
équipes. En tant que Directeur général, cet effort m’est apparu nécessaire en regard
du peu de travaux effectués en alcoologie en France.
Depuis plusieurs années, l’Inserm s’est doté d’une procédure d’expertise des
connaissances, dite expertise collective, qui permet d’apporter à nos partenaires
une aide à la décision pour la mise en place d’actions en santé publique. L’analyse
critique et la synthèse des travaux de recherche au plan international par un
groupe pluridisciplinaire d’experts coordonné par l’Inserm permet de proposer des
recommandations fondées sur des connaissances scientifiquement validées. À ce
jour, plus d’une quarantaine d’expertises concernant la santé ont été réalisées.
C’est à la demande conjointe de la Mildt, de la Cnamts et du Comité français
d’éducation pour la santé (CFES, devenu l’Inpes) que l’Inserm a réalisé en 2001 une
première expertise collective sur l’alcool, qui a donné lieu à l’ouvrage intitulé
« Alcool. Effets sur la santé ». Cette expertise s’est attachée à évaluer les effets de
l’exposition à l’alcool au niveau des différents organes, son rôle dans le développement de diverses affections (maladies cardiovasculaires, cancers, cirrhose du foie,
anomalies fœtales{) et les avancées réalisées dans la compréhension des mécanismes d’apparition de ces pathologies. Effets néfastes de l’alcool sur la santé mais
aussi effets bénéfiques à petites doses selon certains travaux. C’est dire combien il est
difficile d’établir des doses-seuil pour les effets de l’alcool d’autant que l’expertise
démontre la diversité des effets selon le sexe, l’âge, la corpulence, et les facteurs de
risque associés comme par exemple une pathologie hépatique. Par ailleurs, l’expertise montre qu’il existe des différences inter-individuelles dans les effets de l’alcool
sur la santé tenant aux modes de consommation, aux habitudes alimentaires et à des
prédispositions génétiques. Ainsi, il apparaît indispensable de tenir compte de ces
différents éléments dans les campagnes d’information et de prévention.
Le présent ouvrage restitue les résultats d’une seconde expertise, engagée à la
demande des trois mêmes partenaires, et porte sur les différents contextes d’usage de
l’alcool, l’évolution des modes de consommation et les conséquences collectives
tant sociales qu’économiques de la consommation excessive d’alcool dans notre
pays. Il présente également l’ensemble des données épidémiologiques, cliniques et
expérimentales sur l’abus et la dépendance, leurs déterminants et les traitements.
Les experts mettent l’accent sur les différences entre les modes de consommation
des jeunes et des adultes, des filles et des garçons. Ils soulignent l’importance de ces
connaissances pour définir des stratégies de prévention adaptées aux différentes
populations et aux différentes situations (conduite automobile, travail{).
De mieux en mieux compris, les mécanismes sous-tendant la dépendance révèlent
des similitudes entre les substances psychoactives, qui ont en commun d’activer des
réseaux de neurones bien identifiés. Pendant longtemps peu étudiés, les facteurs
génétiques de vulnérabilité à la dépendance ouvrent de nouvelles perspectives.
Si l’alcoologie clinique a souffert de la lenteur des progrès dans la connaissance du
déterminisme de l’alcoolisation pathologique et de son traitement, elle a surtout
pâti pendant longtemps de la résistance des médecins à s’engager dans la prise en
charge de cette pathologie. Cette expertise souligne en effet combien, encore
aujourd’hui, la prise en charge des patients présentant un problème avec l’alcool
est limitée en France, puisque moins de 20 % de ces personnes consultent un
professionnel de santé, et ceci généralement dix ans après le début des symptômes.
C’est donc là que se situe le vrai problème de santé publique qui, pour évoluer,
appelle un changement conceptuel et organisationnel des pratiques médicales.
Dans ce contexte, je souhaite apporter un soutien institutionnel aux équipes de
recherche en médecine générale et promouvoir la mise en place de réseaux de
médecins plus particulièrement sensibilisés à la prise en charge des patients ayant
un problème avec l’alcool.
Il me semble essentiel de faire passer le message que l’alcoolodépendance est une
maladie qui se soigne. Organisées par l’Anaes, deux conférences de consensus, sur
les modalités du sevrage en alcoologie (1999) et sur les modalités de l’accompagnement du sujet alcoolodépendant après un sevrage (2001), ont apporté des éléments
de référence pour les soignants. En recherche clinique, des progrès restent à faire
pour mieux adapter le traitement au profil de chaque patient. Si des raisons
biologiques peuvent expliquer l’inégalité des personnes devant l’alcool, les facteurs
psychologiques et socioculturels sont loin d’être négligeables. Appréhender
l’alcoolodépendance dans sa complexité pour mieux la prévenir et la soigner, tel
est bien l’enjeu des actions à venir.
Les deux ouvrages consacrés à l’alcool rassemblent une somme importante de
connaissances qui devrait fournir aux pouvoirs publics des arguments essentiels
pour engager des actions en santé publique et également servir de levier au
développement de travaux de recherche dans notre Institut. Je remercie les scientifiques qui ont contribué à ce travail collectif de grande valeur.
X
Christian Bréchot
Directeur général de l’Inserm
Note de lecture
Il y a des expertises collectives « faciles », elles concernent des problèmes de
santé que l’on peut prendre en considération suivant un nombre limité d’axes
qui portent sur la santé physique. D’autres sont confrontées à la complexité de
la relation entre l’individu et le groupe, et elles semblent sortir du domaine de
la prise en compte exhaustive des connaissances disponibles, comme s’il y
avait plusieurs types de références possibles, contraignant à des sélections
arbitraires, ou exposant au risque d’éparpillement entre des critères que l’on ne
sait pas coordonner entre eux, car ils relèvent de logiques différentes et
contradictoires. Écrire sur l’alcool est toujours délicat dans le pays qui, par
habitant, est le premier producteur et consommateur mondial du produit. Une
première expertise de l’Inserm, publiée en 2001, concernait les pathologies
liées à la consommation d’alcool et les mécanismes qui les produisent. Elle
était relativement « protégée » par la caractérisation objective des faits pris en
compte. Cette seconde expertise aborde les risques sanitaires et sociaux, et le
risque est alors inévitable de privilégier certains aspects, indiquant les références retenues qui ne sont jamais neutres.
La description de la consommation semble un acte simple, mais elle butte sur
des problèmes techniques tels que la définition d’une unité de consommation
et les incertitudes concernant la sincérité des réponses. La description des
difficultés est particulièrement détaillée dans ce premier chapitre, elle montre
l’intérêt de croiser les résultats de toutes les méthodes mises en œuvre. Il est
important d’utiliser des études reproduisant les mêmes modalités, ce qui
justifie la description détaillée de l’enquête Espad réalisée périodiquement
dans les collèges et lycées, avec un questionnaire en partie documenté au
niveau européen. Ces faits sont bien resitués dans les chapitres sur les dimensions historiques, culturelles et sociales de la façon de boire de l’alcool, mais
ces derniers entrent de plain-pied dans l’ambiguïté du produit. Faire coexister
les termes de « festif » et de « déchéance » est une nécessité, mais jusqu’où
faut-il promouvoir la fête si le résultat est éventuellement la déchéance pour
les plus fragiles ou les plus exposés ? À ce stade, l’expert peut décrire, mais ce
n’est pas lui qui définira les modèles à retenir, ni qui fera les choix. Peut-on
même dire qu’il y a des choix dans un tel domaine ? Il y a des situations qui
dérivent des mesures prises, mais la séquence est rarement décrite explicitement dès la décision. Le Parlement vient de rétablir partiellement le privilège
des bouilleurs de cru, pour valoriser les vergers dans nos campagnes,
programme séduisant, mais quel sera le développement de la production
d’alcool à coût réduit et son incidence sur le cancer de l’œsophage dans les
zones de production ? Personne ne le sait. J’ai apprécié le développement sur
XII
les représentations visuelles de l’alcool et de sa consommation, nos insuffisances de connaissances dans ce domaine sont patentes, notamment quand les
promoteurs du produit utilisent des publicités déguisées qui brouillent la
lisibilité du message.
Les problèmes liés à la consommation d’alcool en milieu du travail sont mal
connus, nous en avons la confirmation : certaines études ont vingt ans d’âge et
devraient être reproduites à l’identique pour documenter l’évolution. Les
mauvaises relations entre l’alcool et la conduite des véhicules sont beaucoup
mieux documentées, la loi de 1970 et les recherches obligatoires chez les
impliqués dans les accidents ayant produit une information considérable,
même si l’on peut regretter que l’INRETS n’ait pas eu les moyens de continuer
ses études hors accidents, qui constituaient une source de renseignements
particulièrement utiles pour approcher les notions de risque relatif et de
fraction attribuable. Le contrôle de l’alcool au volant est devenu une des
formes dominantes du contrôle social des alcoolisations potentiellement
dangereuses. Les autres formes de violence liées à l’alcool demeurent un sujet
honteusement sous-documenté en France. Il faut aider les quelques chercheurs qui tentent d’améliorer les connaissances dans ce domaine, cela apparaît évident à la lecture du chapitre consacré à ce drame.
Les difficultés continuent avec l’évaluation du coût social de l’alcoolisme. Les
économistes ont fait de gros progrès dans l’harmonisation de leurs définitions
et la justification de leurs méthodes, mais l’approche de leurs études exige
encore une phase d’initiation. Heureusement, nous avons eu la chance de voir
des économistes s’intéresser spécifiquement à ce problème en France depuis
quelques années.
La seconde partie de l’ouvrage traite de l’abus et de la dépendance, et dans ces
domaines le vocabulaire est loin d’être neutre. Les définitions sont explicitées
avec soin, ainsi que les difficultés rencontrées dans l’appréciation des interrelations entre différentes pathologies des comportements. La frontière entre
ce qui est primaire et secondaire, comorbidité et facteur déclenchant,
conserve un flou certain, et cela explique en partie la difficulté d’identifier des
facteurs prédictifs de l’abus ou de la dépendance. Le chapitre sur les fondements génétiques de la vulnérabilité à l’alcool est également d’un usage
pratique relativement difficile, alors que celui sur les questionnaires et les
marqueurs biologiques nous ramène dans la simplicité du questionnement
fermé et du laboratoire, comparativement à la complexité de l’humain et de la
société. Quand il faut utiliser tous les outils disponibles, et définir la place du
généraliste dans la prévention, les difficultés réapparaissent. Il y a des lacunes
dans la formation, et en conséquence une difficulté à diffuser l’usage des
techniques simples qui semblent avoir fait leurs preuves, comme les interventions brèves.
Comparativement, le chapitre sur les thérapeutiques d’une dépendance
affirmée semble relativement mieux caractérisé et plus aisé à mettre en œuvre
que la prédiction et la prévention, malgré la diversité des solutions proposées,
certaines n’étant pas exclusives. Les données sur l’expérimentation animale et
les mécanismes neurobiologiques qui structurent les relations avec l’alcool
font comprendre les fondements des thérapeutiques et ramènent vers des
concepts, largement développés dans la période récente, prenant en compte
les facteurs généraux et les facteurs spécifiques à certaines molécules. Ils
déterminent les relations des individus, dotés de similitudes fondamentales et
de personnalités irréductibles, avec les produits psychotropes.
L’expertise rend bien les difficultés d’une société et des individus qui la
composent, confrontés à un produit aussi « polyvalent ». L’être humain, subissant les difficultés de l’existence et, pire, en ayant conscience, a été contraint
de trouver des solutions, bonnes et/ou mauvaises, l’usage des psychotropes en
est une. Suivant le climat et la végétation qui l’accompagnait, il mâche ici la
coca, là le kat, fume l’opium, le tabac ou le cannabis et fait fermenter un peu
n’importe quel jus sucré pour obtenir de l’alcool. Il « bénéficie » maintenant
des molécules de synthèse au statut hésitant, plusieurs ont troqué l’étiquette
du médicament pour celle de stupéfiant ! Pour des zones étendues du globe,
l’alcool est la drogue de base, respectée, voire sanctifiée, parfaitement incluse
dans les circuits économiques et le fonctionnement social. Produit à double
visage, il suscite à la fois un contrôle et une promotion par la société, qui ne
résultent pas d’un équilibre raisonné, mais d’un rapport de forces établissant
des compromis transitoires entre des exigences contradictoires. Faire le point
sur cette complexité était une aventure, je considère que l’équipe qui a tenté
de le faire a réussi et que ce texte va constituer pour plusieurs années notre
référence.
Professeur Claude Got
Président du Collège scientifique de l’Observatoire français
des drogues et des toxicomanies (OFDT)
Note de lecture
Venant compléter le tome « Alcool. Effets sur la santé » publié en 2001, ce
second ouvrage, intitulé « Alcool. Dommages sociaux, abus et dépendance »,
représente un complément essentiel du premier. Par la masse des documents
analysés ainsi que par la qualité des synthèses et recommandations qui y
figurent, les deux volumes de l’expertise collective de l’Inserm représentent un
ensemble que se doit absolument de posséder tout chercheur ou praticien
impliqué dans le domaine de l’alcoologie.
S’agissant d’une discipline tant sujette à des opinions contradictoires et
souvent passionnelles, cette expertise permet une mise au point à la fois
objective et actualisée, dont la consultation apparaît indispensable pour tous
les décideurs et acteurs en santé publique.
Alors que l’essentiel du premier tome portait sur des données résultant de la
recherche biomédicale fondamentale, ce nouvel ouvrage comporte, outre les
éléments épidémiologiques nécessaires quant à la consommation de boissons
alcoolisées, son évolution et ses conséquences, une étude approfondie de ses
dimensions sociales ainsi que d’autres apports des sciences humaines, trop
souvent insuffisamment considérées. On ne saurait qu’approuver à ce propos la
recommandation portant sur la constitution de réseaux de recherche entre
laboratoires aux compétences complémentaires.
S’il n’est pas possible d’établir une liste exhaustive des principales données du
présent ouvrage, on peut citer, parmi les faits généralement ignorés du public
et importants pour la prévention, l’accent mis sur la relation entre précocité
de l’expérimentation et prévalence de la consommation d’alcool, notion que
ne devraient méconnaître ni les parents, ni les éducateurs. Le fait qu’une
résistance aux effets de l’alcool est prédictive d’une consommation excessive
d’alcool est également souligné à juste titre, de même que le décalage entre
estimation subjective de l’état d’alcoolisation et réalité de l’alcoolémie, décalage particulièrement important du fait de ses consequences sur l’accidentalité
routière.
Un autre point souvent méconnu – et qui mérite, comme l’indique l’expertise,
des développements ultérieurs – concerne le danger des ivresses répétées,
lesquelles entraînent des altérations neurobiologiques de plus en plus
marquées, alors que la plupart des jeunes ne sont conscients que des risques
d’accidentalité ou d’actes de violence associés à ces épisodes d’alcoolisation
aiguë.
Alors que l’expertise relate le retard historique de notre culture nationale en
matière de gestion du risque et de prévention – retard auquel l’Académie
nationale de Médecine tente de remédier par un ensemble de recommandations récentes – le présent ouvrage met l’accent sur le rôle fondamental du
généraliste dans le dépistage et l’accompagnement (terme que nous préférons,
personnellement, à « prise en charge ») du patient ayant des problèmes avec
l’alcool. La conclusion de ce chapitre, selon laquelle « les médecins généralistes ont intégré la prévention et le dépistage dans leur pratique quotidienne,
bien qu’il existe une sous-estimation du risque alcool », nous semble cependant pécher par excès d’optimisme. Une amélioration de la formation des
généralistes et de la prise en compte de leur activité de prévention devrait
contribuer à des résultats supérieurs à ceux obtenus à l’heure actuelle.
Malgré l’importance des deux volumes de l’expertise, certains aspects méritent, à notre avis, un complément, en particulier dans deux domaines qui
n’ont été que partiellement abordés. Le premier est représenté par les interrelations entre alcool et autres substances psychoactives. En raison de la
prévalence élevée de la consommation simultanée de boissons alcoolisées et
de tabac et/ou de cannabis, l’étude des interactions entre éthanol, nicotine et
cannabinoïdes nous semble devoir être largement encouragée, tant en ce qui
concerne les mécanismes neurobiologiques en cause que leurs conséquences
cliniques. À titre d’exemple, les relations récemment mises en évidence entre
appétence à l’alcool et stimulation des récepteurs cannabinoïdes devraient
être confirmées et mieux connues. Il en est de même des interférences entre
consommation de cannabis et sevrage d’alcool chez les patients alcoolodépendants.
Le second domaine, qui mériterait, selon nous, un large développement,
concerne les interactions entre alcool et médicaments. Certes, celles-ci ont
été développées dans le tome « Alcool. Effets sur la santé » à propos du
cytochrome P4502E1, et ceci en citant notamment les risques de la prise de
paracétamol en cas d’alcoolisation chronique importante. Il apparaît cependant que les conséquences de l’association d’alcool avec d’autres médicaments
sur l’incidence d’effets secondaires de la thérapeutique ainsi que sur l’accidentalité routière ou au travail méritent une mise au point des connaissances
actuelles et un effort de recherche considérable. Un grand nombre de notices
accompagnant les conditionnements de médicaments comporte bien une
mise en garde sur les dangers de la consommation parallèle de boissons
alcoolisées, mais cette mention est tellement fréquente qu’elle est vraisemblablement de peu d’efficacité. Une expertise permettant de classer ces interactions selon leur fréquence, leur intensité et leur gravité nous semble
nécessaire pour centrer l’attention des prescripteurs et des utilisateurs sur les
médicaments présentant des risques majeurs en cas d’association avec l’alcool.
XVI
Un dernier ajout, de moindre importance celui-là, pourrait concerner les voies
non oxydatives du métabolisme de l’éthanol. Certains métabolites formés par
le biais de ces voies (esters éthyliques d’acides gras, phosphatidyl-éthanol)
pourraient contribuer à la toxicité de l’éthanol, notamment au niveau du
système nerveux central. D’autre part, du fait de sa persistance pendant une
longue période dans les liquides biologiques et de son accumulation dans les
cheveux, le dosage de l’éthyl glucuronide, métabolite stable de l’alcool, pourrait s’avérer fort utile en médecine légale et en clinique (par exemple pour
objectiver la reprise de la consommation d’alcool après sevrage). Les études
concernant ces métabolites mineurs nous semblent ainsi mériter une analyse
critique et actualisée.
Ces exemples – non exhaustifs ! – nous permettent de conclure que l’expertise collective de l’Inserm représente non seulement un instrument essentiel
de connaissances objectives en matière d’alcoologie, mais qu’elle devrait être
poursuivie pour aborder certains points qui n’ont pu l’être jusqu’ici ou qui
méritent d’être complétés.
Professeur Roger Nordmann
Président de la Commission « Troubles mentaux-Toxicomanies »
de l’Académie nationale de Médecine
Président-fondateur de 1’ESBRA
(Société européenne de recherche biomédicale sur l’alcoolisme)
Sommaire
Avant-Propos ..................................................................................... XXI
Analyse
Données sur les consommations
et leurs conséquences sociales ......................................................
1.
2.
3.
4.
5.
6
7.
8.
Consommations dans différents pays ................................................
Consommations des élèves de collège et de lycée .............................
Dimensions historiques, culturelles et sociales du « boire » .............
Imageries du « boire » ........................................................................
Consommations en milieu du travail ................................................
Consommations et insécurité routière ..............................................
Consommations et violence ..............................................................
Évaluation des coûts sociaux liés à l’alcoolisation ............................
1
3
33
55
89
113
129
171
233
Abus et dépendance ......................................................................... 245
9. Données épidémiologiques sur l’abus, la dépendance
et les comorbidités .............................................................................
10. Rôle des attentes dans les comportements de consommation ........
11. Facteurs cliniques prédictifs d’abus ou de dépendance ...................
12. Questionnaires et marqueurs biologiques d’alcoolisation ...............
13. Place du médecin généraliste dans la prévention ...........................
14. Traitements de l’alcoolodépendance ...............................................
15. Données génétiques sur la dépendance et la vulnérabilité .............
16. Modèles animaux pour l’étude de la préférence
et de la dépendance .........................................................................
17. Modèles animaux pour l’étude des relations entre consommation
et stress .............................................................................................
247
263
271
281
301
317
339
351
367
Avant-Propos
La consommation de boissons alcooliques a régulièrement baissé au cours des
dernières décennies en France comme en Europe. La France reste néanmoins
en tête des pays européens pour la mortalité masculine prématurée attribuée à
l’alcool. L’abus de boissons alcooliques demeure un problème majeur de santé
publique dans notre pays.
Malgré une certaine uniformisation dans les pays occidentaux, les manières de
boire restent très ancrées dans les cultures locales. La nature des consommations (vin, bière, alcools forts) et le mode d’alcoolisation (quotidien, occasionnel, massif avec recherche d’ivresse) varient selon l’âge, le sexe,
l’environnement social et culturel. Dès lors, les dangers ne sont pas les
mêmes : accidents, conduites à risque, violences et traumatismes liés à
l’ivresse ; cancers, cirrhoses, complications cardiovasculaires, troubles neurologiques, dépendance liés à une surconsommation chronique. Cinq millions
de Français connaissent aujourd’hui des problèmes médicaux et des difficultés
psychologiques ou sociales liés à une consommation nocive d’alcool.
Les mesures prises pour faire face à ce problème apparaissent encore trop
modestes. Malgré la loi Évin de 1991, les exceptions à l’interdiction de la
publicité pour les boissons alcooliques se sont multipliées. On note jusqu’à
présent un faible effet des campagnes préventives et des actions répressives
contre l’alcool au volant. Insuffisamment formés, les généralistes abordent
rarement le sujet de la consommation d’alcool avec leurs patients et dans
l’ensemble utilisent peu les instruments de dépistage. Malgré une volonté
affichée de faire de la lutte contre les méfaits de l’alcool une priorité de santé
publique, le manque de moyens reste patent pour la prévention comme pour la
prise en charge.
La Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie
(Mildt), la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés
(Cnamts) et l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé
(Inpes – ex CFES, Comité français d’éducation pour la santé), qui sont parties
prenantes des politiques publiques de prévention et de prise en charge des
problèmes liés à la consommation d’alcool, ont souhaité interroger l’Inserm à
travers la procédure d’expertise collective. Cette expertise, qui fait suite à un
premier volet traitant plus spécifiquement des effets de l’alcool sur la santé,
permettra de disposer de données scientifiquement validées concernant les
modes de consommation des boissons alcooliques et leur évolution au fil du
temps, les dommages sociaux liés aux consommations excessives, les facteurs
de risque de l’abus et de la dépendance et les problèmes de prise en charge qui
y sont attachés.
Pour mener cette deuxième expertise sur l’alcool, l’Inserm a réuni un groupe
pluridisciplinaire d’experts dans les domaines de l’épidémiologie, des sciences
humaines et sociales, de la sécurité routière, de la psychiatrie et de la biologie.
Le groupe d’experts a travaillé à partir de la grille de questions suivantes :
• Quelles sont les connaissances disponibles sur l’évolution des consommations de boissons alcooliques depuis une vingtaine d’années en France et dans
le monde ? Quelles sont les principales tendances repérables en France ?
• Quelles sont les connaissances sur les usages sociaux de l’alcool (en situation professionnelle, en tant que vecteur de sociabilité familiale ou
amicale{) ? Que sait-on des phénomènes de polyconsommations ?
• Quelles sont les données sur les dommages sociaux associés à la consommation excessive d’alcool en termes d’accidentologie (accidents du travail, de la
circulation, domestiques), de violence, de délinquance, de marginalisation ?
• Quelles sont les données disponibles sur les actions de prévention des
conduites d’alcoolisation et sur leurs résultats, en particulier chez les adolescents et les jeunes adultes ?
• Quelles sont les données sur la prévalence de l’abus et la dépendance à
l’alcool ? Quels sont les outils disponibles pour le repérage des patients ayant
un problème avec l’alcool ?
• Quels sont les mécanismes en cause dans l’installation du comportement de
dépendance à l’alcool ? Que sait-on de l’interaction de ces mécanismes avec
des facteurs de risque ou de protection (susceptibilités individuelles, facteurs
environnementaux) ?
• Quelles sont les réponses sanitaires disponibles pour les malades alcoolodépendants ? Quels sont les éléments d’évaluation disponibles sur l’efficacité
des prises en charge ?
L’interrogation des bases bibliographiques internationales a conduit à sélectionner plus de 2 000 articles. Au cours de huit séances de travail organisées
entre les mois de septembre 2001 et de juillet 2002, les experts ont présenté
une analyse critique et une synthèse des travaux publiés au plan international
et national sur les différents aspects du cahier des charges de l’expertise. Les
trois dernières séances ont été consacrées à l’élaboration des principaux
constats et recommandations. Plusieurs communications en fin d’ouvrage
viennent compléter l’analyse des experts avec des données françaises.
XXII
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