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intime, politique, social, physique, l’instant, et ce qui est permanent,
toutes ces vies de ma mère, pour fonder une équivalence avec ce qui
s’est tissé entre le lecteur et sa mère. Il faut que je trouve ce lien. Quelle
est sa tragédie. De quelle folie terrestre, de quel conit il est la trace ?
Qu’est-ce qui le dévore ? Pourquoi, quand les années passent, quelque
chose altère le sentiment des enfants ? Où est parti notre amour ? Notre
vie pour toujours ? Est-il parti ? Je n’ai pas fait la synthèse de tout ça. Le
livre est encore à l’état d’intention, et de quelques phrases que j’efface,
les unes après les autres. C’est que la vérité doit être complète. Elle
ne peut pas se présenter par morceaux, il faut toute la pelote de laine.
Emmêlée. Puis déroulée. Telle que l’auteur la ressent, la sait.
Christine Angot, extraits de « Conférence à New York »,
parue dans La Nouvelle Revue Française, n°614, Gallimard, septembre 2015.
« LES MOTS D’UN AMOUR INDICIBLE », PAR CÉLIE PAUTHE
J’ai été bouleversée par la lecture du dernier roman de Christine Angot,
Un amour impossible. Sans doute, comme beaucoup d’autres, m’y
suis-je en grande partie reconnue, y ai-je trouvé les mots d’un amour
indicible avec ma propre mère, l’explosion d’une émotion intacte et
pourtant si enfouie. Je crois n’avoir jamais ressenti cela à la lecture d’un
livre : c’était comme si les mots écrits faisaient remonter, parallèlement
aux situations si singulières, précises et personnelles que je découvrais,
des pans entiers de souvenirs (scènes, paysages, odeurs, échanges...)
tout aussi précis, et pourtant si différents. Il est très rare qu’un livre
soit l’occasion de telles retrouvailles. Et puis arrivèrent les vingt-cinq
dernières pages, – la « logique de fer » – , qui rebattent toutes les cartes,
qui poussent chacun d’entre nous à se penser, à se repenser, sujet
d’une histoire collective, politique, ancestrale, dont nous sommes tous,
tout à la fois, les héritiers, les victimes et les acteurs. Ces vingt-cinq
dernières pages furent pour moi, dans mon chemin de lecture, une
force immense, la transformation d’un « je » en « nous », l’écriture d’une
histoire en mouvement, donc en devenir. L’envie de porter à la scène
Un Amour impossible, a pris forme dès la lecture achevée, et trouve en
moi sa nécessité précisément dans un désir de partage, dans ces rares
endroits de ressentis vécus en commun que sont encore les théâtres.
Célie Pauthe, 15 octobre 2015
EXTRAIT DE LA PIÈCE : ACTE I, SCÈNE I.
Mort du père.
RACHEL – Ça va ?
CHRISTINE – Non, pas très bien.
RACHEL – Qui t’a prévenue ?
CHRISTINE – Mon demi-frère a appelé chez mon éditeur, et j’étais là.
Il avait appelé plusieurs fois, on lui avait dit à quel moment j’allais passer.
Il m’a dit : « Bonjour. C’est Fabrice. Notre père est mort ». Voilà. Et il m’a
donné la date de l’enterrement.
RACHEL – C’est quand ?
CHRISTINE – Vendredi. Je m’y attendais pas maman tu vois, mais ça
me fait quelque chose d’apprendre sa mort. Et toi ? Ça te fait quelque
chose ?
RACHEL – Non.
CHRISTINE – Ça te fait rien ?