"Se décider en conscience" - Intervention du 20 mars à Soissons

SE DÉCIDER EN CONSCIENCE - Quelques repères - Soissons le 20 mars 2010
I. Introduction et exemples de décisions
II. Mœurs, éthique, morale et droit
III. Aller progressivement vers Dieu par nos actes
IV. Se décider en conscience
V. Des repères normatifs
I. INTRODUCTION ET EXEMPLES DE CISIONS
Pour commencer je vous propose un trio inédit : saint Joseph, Michel Platini et un
généticien !
Hier, pour la fête de saint Joseph, nous lisions ceci en Matthieu (1,16-24) : « (Joseph)
décida de la répudier en secret... Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l'ange du Seigneur lui
avait prescrit : il prit chez lui son épouse. » Dans cet évangile, Joseph prend deux décisions
successives et apparemment contradictoires. Sa première décision était de répudier en secret.
Pourtant cette décision n'existe pas dans l'Ancien Testament. Pris entre le désir d'être juste
envers Dieu et fidèle à son amour envers Marie, il a décidé dans l'étroitesse de sa liberté. La
deuxième décision lui est demandée par l'ange. Il obéit avec la même liberté. En mentionnant
l'une et l'autre décision, l'évangile souligne la pleine liberté de Joseph en chaque décision.
Dans Paris Match (n°2007, du 13 novembre 1987), Michel Platini dit ceci : « Ma
seule ambition, c'est le bonheur de mes enfants. J'ai eu la chance d'avoir des parents qui
m'ont donné un formidable capital. Je vais essayer de faire pareil pour mes enfants. Paris
Match : Qu'est-ce que vos parents vous ont donné de si inestimable ? Michel Platini : Une
éducation faite d'amour, de liberté, mais avec une direction morale, une présence légère qui
rassure quand on s'interroge et qui pose des questions que l'on évite. Leur plus belle leçon est
sans doute d'avoir introduit dans ma tête, dans mon cœur, la notion de conscience. Ils m'ont
toujours mis devant ma conscience. Encore aujourd'hui, je réagis comme l'enfant que j'étais.
Je peux me sentir très mal, et quand je dis très mal, je veux dire pratiquement malade, si un
de mes actes ne me paraît pas honnête ou s'il me semble que ce que je fais n'est pas bien.
Paris Match : Que voulez-vous dire par conscience ? Michel Platini : La connaissance du
bien et du mal. Ma mère enseignait le catéchisme. »
En 1993, lors d’un comité d’éthique, à Paris, un généticien nous fit part de son cas de
conscience : « Un jeune de 18 ans m’a demandé un test génétique dont le résultat est négatif.
Mais à cette occasion, j’ai découvert qu’il était porteur d’une autre maladie, la chorée de
Huntington. Faut-il que je lui dise la vérité ? Je crains de retenir une vérité à laquelle il a
droit. Pourtant, si je parle, je risque de lui briser la vie. Que décider ? » Le dilemme entraîna
une discussion entre généticiens, médecins et juristes. Dubitatif, le vice-président du Conseil
de l’Ordre se tourna vers moi et me demanda : « Qu’en pense l’Église ? ». Surpris, je répondis
que je n’avais pas de réponse immédiate et que je n’avais pas de téléphone rouge avec le bon
Dieu ! L’Église, certes, a son intelligence, son expérience, sa sagesse, sagesse d’ailleurs issue
aussi bien de l’humanité, de l’expérience que de la méditation de la Parole révélée : c’est
qu’elle cherche des réponses qui doivent être élaborées sans cesse, car les questions sont
toujours nouvelles. La question, en tout cas, était révélatrice d’une perplexité face à la
décision concrète à prendre, d’une tension entre capacité de diagnostic et incapacité
thérapeutique.
Afin d’entrer plus avant dans le sujet, notons que toutes les décisions ne sont pas du
même ordre et se répartissent en plusieurs catégories :
1. Des décisions ordinaires
Acheter ; décider d’une heure de lever ; décider de prier ; prendre le bus ou la voiture.
2. Des décisions difficiles ou graves
Dire la vérité à un malade ; placer de l'argent pour spéculer ou dans des placements éthiques ;
parler ou se taire en cas de violences conjugales ; licencier des salariés ; stériliser des
handicapés mentaux ; faire une fécondation in vitro ; choisir une méthode de régulation des
naissances.
3. Des décisions de vie ou de mort
Avorter ou non ; poser un acte d’euthanasie ; décider de se suicider.
4. Des décisions à conséquences sociales et politiques
Voter ; refuser de payer un impôt ; délocaliser une entreprise ; déclarer une guerre.
5. Des décisions gratuites
Visiter des malades ; offrir un cadeau.
6. Des décisions d’état de vie
Décider de se marier ou d’entrer au Séminaire ou dans la vie religieuse ; divorcer.
7. Des décisions au sujet de soi
Accepter son corps ; consentir à avoir des parents divorcés ou des parents alcooliques ;
accepter la contingence des événements.
II. MŒURS, ÉTHIQUE, MORALE ET DROIT
Pour bien prendre une cision, il convient de prendre conscience que nous
dépendons de mœurs environnantes, d’éthiques plurielles dans notre société, de normes
morales diverses. En simplifiant, on peut distinguer quatre « étages » :
1. Mœurs
Les mœurs, ce sont nos habitudes de vie, c’est ce que l’on constate : notre société est
marquée par une pluralité de manières d’être en couple (mariage, concubinage, pacs…), par
des pratiques sociales et économiques (sécuri sociale, délocalisation, syndicalisme,
libéralisme, corruption, spéculation…), par des lois qui transforment nos repères moraux
(avortement, divorce…).
2. Éthique
L'éthique, c’est le résultat de réflexions sur ces mœurs et sur nos actes humains. C'est
une science qui analyse les mœurs. Elle se place du côté de la raison contre l'immédiateté des
sentiments et des réactions. C'est une science qui vise l'humanisation des mœurs, la
responsabilisation, la liberté, le bonheur des hommes. L'éthique est la "visée de la vie bonne
avec et pour les autres dans des institutions justes" selon l’expression de Paul Ricœur. Il y a
dans nos cultures différents types d’éthiques : éthique humaniste, scientifique, personnaliste,
téléologique, déontologique, légaliste, hédoniste, laxiste, utilitariste, « de situation », « en
situation », religieuse, biblique, coranique… L’Église a aussi, dans la foi, une réflexion sur la
vie morale, sur le caractère bon ou mauvais des actes humains et de la personne qui les pose.
3. Morale
La morale, c’est un ensemble de normes morales, d'interdits, d'obligations, de
commandements, de lois… véhiculés par le droit, l'école, les institutions, les personnes, la
société. Exemples : l'interdit de l'inceste, du vol, du meurtre, des mères de substitution…
La morale de l'Église catholique est un ensemble de propositions normatives que l’on
trouve notamment dans le Catéchisme de l'Église Catholique.
4. Droit
Dans la société, le droit est l'ensemble des lois civiles et des sanctions contenues dans
le droit constitutionnel, civil, pénal ou administratif. Le droit organise les rapports sociaux. Il
a ses absences et ses envahissements. Il y a différents droits : droits de l'homme, droit
subjectif, droit naturel, droit-dit. Il n'est ni le reflet des mœurs, ni la totalité de la morale. Il a
un rôle objectivant face à l'absence de consensus moral. Il oblige à penser aux conséquences
sociales de nos actes. Dans l'Église, le Code de droit canonique vise le respect de chaque
fidèle et le bien de tous (règles sur les sacrements, les droits des curés, des personnes…).
III. ALLER PROGRESSIVEMENT VERS DIEU PAR NOS ACTES
L’encyclique de Jean-Paul II sur la morale, Veritatis splendor, commence par une
méditation sur « le jeune homme riche ». La question de cet homme est une question de vie
avant d’être une question morale : « Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » La vie
morale naît d'abord d'une question de vie. Se décider en conscience demande donc de se poser
la question du sens de la vie. Cette question du sens est à la source de toute décision humaine.
Xavier Thévenot (moraliste français) estime que la morale est ce à quoi on s'oblige quand on
a décidé de donner sens à sa vie, malgré ou dans l'expérience du mal. La vie morale est
recherche du vrai bonheur, chemin de vie et d'humanisation dans nos situations concrètes et
parfois brisées.
Cette perspective du sens et notamment de la foi doit changer notre manière de voir la
morale, comme chrétien. Je ne parlerai pas des non-chrétiens qui ont eux aussi une conscience
à former : « Ceux qui ne connaissent pas l'Évangile du Christ ni son Église, sans qu'il y ait de
leur faute, mais qui cherchent Dieu d'un coeur sincère et s'efforcent d'agir, sous l'influence de
la grâce, de façon à accomplir sa volonté, connue par les impératifs de leur conscience, ceux-
là peuvent obtenir le salut éternel. »
Pour des chrétiens, la foi offre une large perspective qui part du sens de la vie et du
désir de la vie éternelle. La morale s'enracine dans un désir de vie. Le Christ veut non
seulement nous conduire jusqu'à une vie morale bonne, mais surtout jusqu'à la foi en lui. Pour
un chrétien, la morale ne sera jamais seulement une ligne de conduite, un ensemble de
repères. Elle est certes un chemin d'humanisation, un chemin vers un bonheur. Mais surtout
elle est un chemin de vie à la suite du Christ. Le bonheur du chrétien ne consistera donc pas
dans une recherche du seul plaisir mais dans un bonheur paradoxal, celui des béatitudes, celui
vécu par le Christ jusqu'à la Croix. La vie en Christ donne un fondement extraordinaire à la
vie morale.
Se décider en conscience est donc un cheminement qui est à la fois celui de la
conscience morale et de la conscience croyante. Quand il faut se décider en conscience, un
chrétien ne peut pas faire abstraction de ce que la foi lui a donné ou permis d'éclairer.
Dans l'évangile, Jésus invite donc peu à peu le jeune homme à se placer face à sa vie,
face à lui, sus, face à son appel, face à Son amour. Jésus le respecte infiniment. Jésus n'est
pas qu'un Maître. Il ne déverse pas une doctrine, ni une morale toute faite. Il entre dans un
dialogue vrai. Il est pédagogue, non par ruse, mais par respect de la singularité de cet homme.
« Avec une délicate attention pédagogique, Jésus conduit le jeune homme de l'évangile
presque par la main, pas à pas, vers la vérité tout entière » (Jean-Paul II). Jésus ne manipule
pas. Il fait le chemin humain avec nous. Il sait la nécessité d'un développement de la
conscience. La conscience ne naît pas mature. Elle a besoin d'être éduquée. Elle a besoin de
grandir. Elle doit aller jusqu'à des choix irréversibles de vie, jusqu'au don de soi. Il nous faut
prendre conscience que la morale est d'abord un cheminement, avec la liberté que Dieu nous
donne. On ne décide pas de la même manière à 7 ans ou à 18 ans, à 30 ans ou à 60 ans.
Jean-Paul II a insisté sur la conscience et sur son cheminement : nécessité d’un
« cheminement pédagogique de croissance », de « l'accompagnement patient de la conscience
de chacun » ; « le sens… du respect au cheminement de la conscience, constitue une
acquisition positive de la culture moderne » (VS 31) ; « la présentation claire et vigoureuse
de la vérité morale ne peut jamais faire abstraction du respect profond et sincère, inspiré par
un amour patient et confiant, dont l'homme a toujours besoin au long de son cheminement
moral rendu souvent pénible par des difficultés, des faiblesses et des situations douloureuses»
(VS 95).
L’Église parle aussi de la loi de gradualité qu’il ne faut pas confondre avec une
« ‘gradualité de la loi’, comme s’il y avait, dans la loi divine, des degrés et des formes de
préceptes différents selon les personnes et les situations diverses. »
Le respect au cheminement de la conscience est aujourd'hui un élément important
car il s'agit de ne pas désespérer les consciences face à des lois ou des normes qui, dans un
premier temps, peuvent parfois apparaître comme inaccessibles.
Jésus nous fait donc progresser par un cheminement qui n'est ni facultatif, ni
secondaire. Ce cheminement est indispensable. Veritatis Splendor ajoute: "Il est donc bien
certain que le sens (...) du respect dû au cheminement de la conscience, constitue une
acquisition positive de la culture moderne." (VS 31)
Cela signifie que nous avons à avoir cette pédagogie pour nous ou pour nos enfants, ou
pour nos proches. Mais qui dit pédagogie ne dit pas démagogie, ni laxisme. Il faut plus
d'amour pour dire un "non" qu'un "oui" à un enfant. Il faut plus de force intérieure pour
permettre à un adolescent de choisir par lui-même plutôt que de prendre la décision à sa place.
Jésus donne alors des commandements : "Si tu veux entrer dans la vie, observe les
commandements". Ceux-ci indiquent à l'homme le chemin de la vie. Les voici : "Tu ne tueras
pas, tu ne commettras pas d'adultère, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux
témoignage, honore ton père et ta mère, et tu aimeras ton prochain comme toi-même". Jésus
n'entend pas dresser la liste de tous les commandements nécessaires pour entrer dans la vie.
Mais ceux-ci expriment le minimum pour que la digni de la personne humaine soit
respectée et la vie sociale possible (le mensonge détruit toute communication sociale).
Ils sont donc la première étape nécessaire sur le chemin vers la liber: « La première
liberté, écrit saint Augustin, c'est de ne pas commettre de chés graves... comme l'homicide,
l'adultère, le vol, la tromperie ... Quand un homme s'est mis à renoncer à les commettre, il
commence à relever la tête vers la liberté, mais ce n'est qu'un commencement de liberté, ce
n'est pas la liberté parfaite… ».
Le respect des commandements constitue le terrain indispensable par lequel la
conscience peut mûrir vers sa perfection. Les interdits font parfois fuir mais ils font aussi
grandir. Ils font parler : l’interdit permet l’inter-diction.
Tout ce cheminement de la conscience se situe sur le chemin vers Dieu. Dieu a voulu
que nous allions vers lui par des actes libres. Chaque acte anticipe et prépare la vision
béatifique. C'est "par ses actes que l'homme s'oriente vers la parfaite connaissance de Dieu"
et vers l’amour de Dieu. Chacune de nos décisions est une liberté en œuvre et une action de la
grâce, une action de grâce. D’où l’importance de chacune de nos décisions.
IV. SE DÉCIDER EN CONSCIENCE
Nous en arrivons au cœur de notre thème : se décider en conscience. Je commence par
une belle citation que l’on pourrait ainsi résumer : « Nous sommes les enfants de nos actes ».
Saint Grégoire de Nysse l’exprime de la manière suivante : « Tous les êtres soumis au
devenir ne demeurent jamais identiques à eux-mêmes, mais ils passent continuellement d'un
état à un autre par un changement qui opère toujours en bien ou en mal [...]. Or, être sujet au
changement, c'est naître continuellement [...]. Mais ici la naissance ne vient pas d'une
intervention étrangère, comme c'est le cas pour les êtres corporels [...]. Elle est le résultat
d'un choix libre et nous sommes ainsi, en un sens, nos propres parents, nous créant nous-
mêmes tels que nous voulons être, et, par notre volonté, nous façonnant selon le modèle que
nous choisissons »." (cité par Veritatis Splendor 71)
Autrement dit : Nous devenons nous-mêmes, non pas en laissant faire la génétique,
l’éducation et les événements, mais par nos décisions et nos choix quotidiens. Je deviens moi-
même par les actes que je pose. Et je deviens ainsi non seulement meilleur, ou plus
mauvais… mais aussi moi-même, ce que je suis appelé à être, un « saint unique » !
Que dire sur les décisions en conscience ?
QUELQUES REPÈRES
1. La singularité de la décision en situation
Tout d’abord, chaque décision exige une analyse singulière. La décision n'est jamais
une photocopie de la précédente. Rien ne se répète. La situation est elle-même toujours
unique et contingente. Même si on a connu une semblable situation, la décision ne peut pas
être la même. Pour deux raisons : le sujet change et les circonstances changent. En ce sens,
personne ne prendrait la même décision à ma place, non seulement à cause des circonstances
mais aussi parce qu'une décision reste liée au sujet.
2. La conscience
La décision naît de la conscience. C'est elle qui unifie ou unifiera tout ce qui est en jeu
dans une décision. La conscience est le lieu sacré tout commence, tout se délibère, se
conclut. Personne ne peut avoir accès totalement à ce lieu.
Mais il ne faut pas oublier l'état de notre conscience. Elle ne naît pas mature. Elle est
toujours en éducation.
Il s'agit aussi de ne pas surcharger les consciences. Saint Thomas d’Aquin signale que
mettre la barre trop haut, c'est risquer de tomber dans des maux plus graves.
3. La raison droite
La décision est principalement œuvre de raison, de la raison droite. Le sentiment, le
désir naturel sont à réguler par la raison. Il faut passer du réactif au réfléchi. Notre capacité
d’indignation étant sauve, face à une injustice, il faut aussitôt réfléchir posément.
Mais attention, il y a plusieurs rationalités qui s'imbriquent et dont il faut être
conscient ! Par exemple : la rationalité française n'est pas la rationalité napolitaine,
informatique, procédurale, communicationnelle, naturelle...
Le choix rationnel ne rend pas totalement compte du choix raisonnable. Le choix
rationnel est un modèle mathématique qui envisage toutes les options, qui calcule tout et qui
agit avec le maximum de sécurité. Le choix raisonnable d'un homme concret est plus humble
et plus risqué.
4. La question morale
Il convient avant toute décision de cerner le problème réel. Dans un couple en
difficulté, il ne s'agit pas de décider de « faire un enfant » s’il y a un problème de dialogue !
Il faut ensuite faire advenir les questions morales. On perçoit généralement les
problèmes techniques mais peu les questions morales. Ce qui est techniquement possible n'est
pas du fait même moralement bon. Il faut toujours s’interroger : Est-ce bon pour l'homme ?
Il faudra ensuite prendre en compte la complexité du problème. Admettre cette
complexité, c'est déjà agir moralement. Dire que tout est simple, c'est oublier le réel. Dans les
discussions sur les problèmes nouveaux et complexes en matière morale, il est vain de dire
que c’est simple. Nous ne sommes pas dispensés d'affronter la complexité du réel.
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