> SERVICES PUBLICS FACE à FACE y HéLèNE DE CHABERT - FATIMA BELLAREDJ 8 D’une génération à l’autre un féminisme apaisé mars, JouRnée de la femme Chaque année au mois de mars, la Journée de la Femme est l’occasion de reparler de l’égalité entre hommes et femmes. Rencontre avec deux figures du féminisme montpelliérain : la Présidente du Planning Familial de Montpellier, Fatima Bellaredj et la Présidente de l’association Féminin Plurielles, Hélène de Chabert. Réponses croisées. D’où vous vient votre engagement féministe ? Hélène de Chabert : Dans les années 70, il me semblait naturel de demander l’égalité entre hommes et femmes. Ça faisait partie de l’évolution de la société à ce moment-là. Fatima Bellaredj : Cela me vient de mon éducation. J’ai eu la chance d’avoir un père qui a toujours voulu l’égalité entre ses fils et ses filles. Ce qui était relativement rare dans notre culture patriarcale. Etre féministe, qu’est-ce que cela signifie pour vous ? H.D.C. : Le féminisme pour moi, c’est la liberté. Cela passe par deux choses : d’abord l’autonomie financière, et ensuite le droit de disposer librement de son corps. Cela paraît évident aujourd’hui, mais cela ne l’était pas il y a 50 ans. F.B. : Je revendique haut et fort mon féminisme ! Le terme est souvent malmené. Je n’exclus pas les hommes. Pour moi, le féminisme c’est la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Aujourd’hui, il y a encore beaucoup de stéréotypes dans la répartition des rôles qui font que les femmes acceptent d’être dominées. Pouvez-vous me parler d’une femme célèbre qui soit pour vous un exemple ? H.D.C. : J’ai une très grande admiration pour Simone Veil, qui est un exemple de dignité et qui a eu le courage, malgré toutes les pressions, de faire voter la Loi Veil en 1974, pour la légalisation de l’avortement. Je pense aussi à Sylviane Agacinski, comme philosophe, sur les questions éthiques liées à la procréation artificielle et aux nouvelles formes de parentalité. F.B. : Il y en a plusieurs. Simone Iff, qui présidait le Planning Familial dans les années 70 et a lancé le fameux « manifeste des 343 salopes » pour l’avortement. Françoise Héritier, l’anthropologue qui a consacré sa vie à analyser les stéréotypes homme-femme. Et enfin, Simone Veil. « Aujourd’hui, il y a encore beaucoup de stéréotypes sur les rôles des hommes et des femmes. » Fatima BELLAREDJ Quelle a été pour vous la plus grande victoire des femmes dans leur lutte pour l’égalité des sexes ? H.D.C. : Sans aucun doute, la contraception. Car à partir de ce moment-là, les femmes ont compris qu’elles n’étaient plus seulement destinées à la procréation, qu’elles pouvaient maîtriser leur destin. Elles se sont engagées dans leur vie professionnelle et sociale et elles ont vu qu’elles pouvaient s’y épanouir. Et ce qui est fabuleux dans le nouveau féminisme, c’est qu’il n’oppose plus la maternité et la carrière, comme le faisait Simone de Beauvoir. Nous pouvons nous épanouir des deux côtés. Fatima BELLAREDJ n 1970 : naissance à Somain (Nord) : installation à Montpellier n 2001 : adhésion au Planning Familial, lancement des premières actions contre les mariages forcés n 2006 : coordinatrice d’Alter Incub, incubateur d’entreprises sociales n 2008 : élection à la présidence du Planning Familial de Montpellier n 1999 16 Montpellier Agglomération • HARMONIE N° 260 • Mars 2009 • www.montpellier-agglo.com F.B. : Le droit de vote en 1945, et il faut savoir que la France était très en retard… Puis la légalisation de la contraception et de l’avortement : ça a permis aux femmes de décider quand elles voulaient des enfants, et quand elles souhaitaient avorter, de ne plus le faire dans la clandestinité et la souffrance. Pensez-vous que les jeunes femmes d’aujourd’hui soient encore sensibles à la question de l’égalité homme-femme ? H.D.C. : Elles profitent des acquis. On ne peut plus imaginer vivre sans cette liberté. Mais je pense que nous devons rester vigilantes face au retour d’un certain « ordre moral ». Quand on dit par exemple qu’on devrait laisser aux femmes le « choix » de rester à la maison pour élever leurs enfants... C’est un piège ! On culpabilise les femmes, et sournoisement, on empiète sur leurs libertés. F.B. : Pendant des années, on se reposait sur les acquis des années 70. Mais ces dix dernières années, je pense qu’on revient à une plus grande conscientisation. Car il y a des retours en arrière. L’Etat se désengage de la prévention sur la sexualité et les violences en milieu scolaire. C’est le signe d’une absence de volonté politique dans ce domaine. Quelles sont, aujourd’hui, pour vous, les grandes inégalités entre hommes et femmes ? H.D.C. : Ce sont de grandes causes internationales. Il y a dans le monde de nombreuses femmes en situation de dépendance, victimes de violences, d’intégrismes religieux… En France, il faut rester vigilantes et continuer à aider les femmes en demande Pensez-vous que les femmes doivent se comporter d’autonomie. F.B. : L’inégalité salariale et l’accès aux postes à rescomme des hommes pour s’imposer en politique ponsabilité. Il y a aussi encore d’importantes inégaou au travail ? H.D.C. : Je crois que c’est la politique qui impose lités sociales, dans l’accès à l’emploi, à la santé, au ses règles ! Nous avions imaginé une autre politi- droit, toutes les statistiques le montrent. que… Je suis avocate, ce métier est très féminisé aujourd’hui, et je ne vois pas d’énormes différences Aragon écrivait : « La femme est l’avenir entre les hommes et les femmes dans leur exercice. de l’homme ». Qu’en pensez-vous ? F.B. : C’est une question étrange… C’est avec H.D.C. : Je n’en sais rien. Ce qui est important pour ses propres idées qu’on avance. Être femme et se une femme, c’est d’être libre et épanouie, socialerevendiquer comme femme ne devrait pas être un ment et sexuellement. Aujourd’hui, nous sommes handicap. définitivement passées d’un féminisme conquérant à un féminisme triomphant. « Nous sommes passées F.B. : Cette phrase m’a toujours d’un féminisme conquérant à un touchée, parce qu’elle est féminisme triomphant. » dite par un homme. Dans la bouche d’une femHélène DE CHABERT me, ce serait arrogant. Je l’interprète comme Faut-il imposer la parité en politique une ode à la femme, ou laisser les femmes s’imposer ? une femme consiH.D.C. : Le manifeste pour la parité lancé en 1996 a dérée comme une beaucoup fait avancer les choses, mais d’une façon par tenaire, une générale, je ne suis pas favorable à la discrimination égale, qui peut, elle positive, et cela en est une forme. La loi sur la parité aussi, éclairer le chemin doit rester une mesure transitoire. de l’humanité. F.B. : Je ne voudrais pas qu’on dise : « si elle a réussi, c’est parce qu’elle est une femme, ou parce qu’elle est arabe… » Je suis contre les étiquettes et donc contre la discrimination positive. Mais je dois reconnaître que la loi sur la parité en politique a fait avancer les choses. Même si les femmes ont encore du mal à s’imposer. piège du communautarisme. Depuis 2001, le Planning Familial vient en aide aux victimes de mariages forcés. Notre réseau a traité 450 cas en huit ans. Après avoir refusé un mariage forcé, ces jeunes filles sont souvent en rupture avec leur famille et ont besoin de rebondir. Elles ont besoin d’aide. Dans les années 70, on parlait beaucoup de l’émancipation des femmes. Est-ce toujours un combat d’actualité ? H.D.C. : Dans les sociétés européennes et occidentales, je pense que l’émancipation est acquise. Aujourd’hui, nous pouvons profiter pleinement de nos droits et de nos libertés, mais selon le milieu social il existe encore des inégalités et nous devons rester attentives. F.B. : Il y a eu de sacrées avancées, je ne peux pas dire le contraire ! Mais face au lobbying des associations Pro-vie, en tant que féministes, nous luttons contre les atteintes au droit à l’avortement. Par exemple, si on donne un statut juridique au fœtus de 2 mois et demi, l’avortement à 3 mois devient un infanticide. Êtes-vous pour ou contre la Journée des Femmes ? Les Françaises issues de l’immigration H.D.C. : C’est un symbole, sont nombreuses à s’investir aujourd’hui dans les mais je pense qu’on doit agir associations féministes. Pourquoi selon vous ? tout au long de l’année, pas H.D.C. : Parce qu’elles viennent de sociétés où le seulement le 8 mars… poids des traditions est encore important, où il y a F.B. : Au départ je me suis encore beaucoup de violences familiales, de maria- dit : c’est débile ! Parce que ges forcés, et parfois de crimes d’honneur… C’est c’est réducteur, comme la Fête des important de les soutenir. Mères. Mais c’est vrai que cette journée a F.B. : L’investissement des jeunes femmes d’origine l’intérêt de mettre en lumière l’action des maghrébine est devenu plus visible il y a une dizaine associations et des situations qui montrent d’années avec l’émergence de l’association « Ni Putes que l’on est encore loin de l’égalité entre Ni Soumises » dans les quartiers. Mais je refuse le les hommes et les femmes. Hélène de CHABERT n 1952 : naissance à Montpellier : avocate au barreau de Montpellier, spécialiste en droit des personnes et de la famille. n1 996 : P résidente de l’association « Féminin Plurielles » pour la parité. Présidente-animatrice du « Café des Femmes ». n2 006 : organise avec le soutien de Jane Fonda et de la librairie Sauramps, le 1er V-day Montpellier, renouvelé chaque année depuis. n1 974 17