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Les Dramaturgies catalanes
Bref panorama du théâtre catalan
Le théâtre catalan offre, depuis les années 90, un panorama d’une vitalité sans précédent dans son histoire
récente, à tel point que cet âge d’or fait figure de revanche historique sur ce que l’écrivain Salvador Espriu a
appelé « la longue nuit de pierre » du franquisme, période marquée par les constantes entraves imposées par
le régime à la culture catalane. Cette renaissance de la scène est indissociable d’un regain d’intérêt pour le
théâtre de texte, permettant l’émergence dans les années 90 d’une nouvelle génération d’auteurs. La Sala
Beckett, petit théâtre de Barcelone, alors dirigée par le dramaturge et metteur en scène José Sanchis Sinisterra
devient un lieu de ralliement pour tous ceux qui souhaitent s’engager sur la voie de l’écriture dramatique. Dès
ses débuts, en 1989, elle assure une double vocation : former les jeunes auteurs dans le cadre de séminaires
de dramaturgie et proposer une programmation faisant la part belle à ces nouvelles écritures.
Le retour au théâtre de texte ne signifie pas pour autant une renaissance du drame bourgeois. Au contraire,
des auteurs tels que Josep Maria Benet i Jornet, Sergi Belbel ou encore Lluïsa Cunillé ambitionnent
d’expérimenter des formes nouvelles et développent ce que José Sanchis Sinisterra appelle «une théâtralité
mineure» en réaction à un théâtre toujours plus spectaculaire. Il s’agit de défendre des pièces représentables
partout. Le pendant de cette économie de moyens est une explosion du sens que seul le texte, par sa force
évocatrice, rend possible. Dans la lignée de l’œuvre d’Harold Pinter, ces auteurs mettent souvent l’accent sur
l’inanité du langage et privilégient une parole minée par le silence, qui recèle plus qu’elle ne révèle. Mais c’est
aussi dans l’éclipse des mots que leur théâtre puise sa force, dans l’équivoque qui multiplie les virtualités et, en
dernière instance, défait l’ordre apparent des choses.
Depuis les années 2000, le théâtre de texte continue à se développer et une nouvelle génération d’auteurs
dramatiques, majoritairement formés à l’Institut del Teatre, a fait son apparition. Parmi ces jeunes dramaturges
âgés d’une trentaine d’années, nombreux sont ceux qui combinent le théâtre et la pratique du scénario des
séries télévisées. Le constant va-et-vient entre ces deux formes d’écriture et la place prépondérante qu’occupe
le théâtre privé par rapport au public ont fini par faire émerger un nouveau canon théâtral, prônant le retour en
force de la fable et, avec elle, d’un drame conventionnel. La méthode Gronhölm (2003) de Jordi Galceran, qui
connaît un succès planétaire, devient le paradigme de ce nouveau réalisme.
Dans un tel contexte, d’autres auteurs ont néanmoins éprouvé le besoin d’expérimenter des voies alternatives.
Esteve Soler, par exemple, explore depuis quelques années la forme brève dans une suite de pièces
composées à ce jour de trois volets Contre le progrès (2008), Contre la démocratie (2008) et Contre l’amour
(2009). A travers une écriture ciselée, d’une précision dramatique remarquable, il exerce sur le réel un regard
puissant et corrosif qui s’attache à montrer l’anormalité de toute chose. Dans la lignée de Lluïsa Cunillé, Josep
Maria Miró cherche, lui aussi, une voie praticable hors du réalisme et défend un théâtre qui désoriente plus qu’il
ne rassure. Ses pièces font apparaître la contingence de toute morale et invite le spectateur à prendre part au
débat social qu’elles suscitent. Pau Miró, quant lui, développe un style poétique qui se détache du réalisme
pour élaborer un univers théâtral aux dimensions métaphoriques. Il est notamment l’auteur d’une Trilogie
animale, composée de Bufles (2008), Lions (2009) et Girafes (2009), pièces sur les thèmes de l’absence, de
l’aliénation et de la solitude, qui mettent à nu l’individu contemporain et donnent à voir ce qu’il a en lui de plus
instinctif.
Se posent aujourd’hui la question cruciale de la projection internationale du théâtre catalan et, plus pressante
encore, celle des conséquences de la crise économique qui touche de plein fouet l’Espagne et pourrait bien
mettre à mal les efforts entrepris ces dernières années pour soutenir la création.
Laurent Gallardo
Traducteur – Maison Antoine Vitez