JEAN-CLAUDE RICHEZ
Le château du
Haut-Kœnigsbourg
Frontière, mémoire et illusion
Châteaux de
l'empire,
La Wartburg.
Luther,
la tradition nationale
allemande, Wagner et son Tannhauser
s'y rejoignent
Jean-Claude Richez
historien,
Lycée Nessel, Haguenau.
Inaugurant le château du Haut-Kœ-
nigsbourg le 13 mai 1908, Guillaume II
proclamait fièrement « Puisse le Haut-
Kœnigsbourg, ici à l'ouest
du
Reich, comme
le Marienbourg à l'Est, être consacré comme
témoin de la culture et de la puissance
allemande jusque dans les temps les plus
lointains et servir à tous ceux
qui
accéderont
à ce trône impérial d'enseignement et les
réjouir à travers un regard en arrière plein
de piété sur le passé »L En quelques mots,
au-delà de la conjoncture politique, ce
discours résumait la signification profonde
de l'opération de reconstruction du Haut-
Kœnigsbourg menée à bien en ce début de
siècle par l'Empereur Guillaume II.
En restaurant le château il s'attachait à
délimiter l'espace de la culture et de la
puissance allemande. C'était une butte-
témoin, une borne frontière, un lieu de
mémoire dans lequel devait s'incarner
l'histoire impériale de l'Allemagne, point
de suture d'une mémoire déchirée par
l'histoire. En donnant une nouvelle jeu-
nesse au château
le
temps se trouvait d'une
certaine manière aboli, l'éternité était con-
voquée :1e château était
«
témoin
»
pour le
temps à venir comme pour les époques les
plus reculées. La mémoire incarnée dans le
lieu évacuait le temps de l'histoire. L'espace
de la culture et de la puissance allemande
était naturalisé dans le château restauré.
Naturaliser doit être
pris
ici dans son double
sens : assimiler quelqu'un aux nationaux
d'un état par acquisition
de
la nationalité et
conserver un animal mort ou une plante en
lui donnant l'apparence de la nature vi-
vante. Naturaliser consistait donc à la fois
à inscrire à travers la nationalité dans un
territoire dont le château marquait la limite
et à produire du vivant avec du mort. En
faisant du château ruiné, mort depuis des
siècles, un bâtiment de notre temps, était
effacée la rupture politique historique de
l'Alsace avec l'Allemagne.
Nous nous attacherons ici à l'étude de
la mise en place d'une frontière qui-
coupe l'espace à travers la résurrection du
château et à l'examen de la fonction du
château comme butte-témoin convoquant
une histoire pour la convertir en mémoire.
Il n'y a pas de frontière sans borne. Elle est
à la fois limite et borne. Elle s'inscrit dans
l'espace et dans la durée. La borne atteste
pour l'éternité de la véracité de la limite.
Elle est témoin2.
« ICI À
L'OUEST
DU REICH
COMME LE MARIENBURG
À
L'EST
»
Toute la portée symbolique de la
reconstruction du Haut-Kœnigsbourg ne
peut être correctement appréciée que si
l'on replace son histoire dans celle de la
Prusse moderne et de l'unification alle-
mande. Le Haut-Kœnigsbourg apparait
comme le dernier maillon d'une chaîne
que la dynastie prussienne avait commencé
N°18 L'identité, un mythe refuge? 125
à mettre en place, un siècle auparavant,
avec les premiers travaux de restauration à
Marienburg, lancés par Frédéric-Guillau-
me III (1770-1840),s 1804. Les travaux
du fait de la guerre ne commencèrent ce-
pendant qu'en 1817, grâce en partie aux
dommages de guerre payés par la France3.
Les châteaux médiévaux confrontent
les rêves
d'Empire
de
l'Allemagne
nouvelle.
Marienburg
(Prusse
orientale).
Dans le contexte de la guerre de libéra-
tion contre la France napoléonienne et de
réveil national allemand, l'opération qui
relevait à l'origine
d'une
simple curiosité
romantique prenait un tour beaucoup plus
politique. Le château de Marienburg avait
été après la conquête de la Poméranie par
les chevaliers teutoniques (1309) le siège
de leur Grand-Maître jusqu'en 1457, date à
laquelle le roi polonais Casimir Jagellon en
prit possession. Pendant toute cette-
riode, il avait été la maison centrale de
l'ordre qui avait converti les prussiens au
christianisme et avaient été le fer de lance
de l'expansion allemande sur les marches
de
l'est
polonaises, baltes et russes. A tra-
vers
la
référence aux chevaliers teutoniques,
la Prusse se conférait une légitimité natio-
nale allemande tout en marquant son at-
tachement à la présence germanique sur
les marches de l'Est. Le poète romantique,
Baron Julius von Eichendorff, en faisait la
théorie dans une petite plaquette qu'il pu-
bliait en 1844 : « Die Wiederherstellung
des Schlosses der deutschen ordensritter
zu Marienburg » (La reconstruction du
château des chevaliers teutoniques à
Marienburg).
Les prédécesseurs de Guillaume II
avaient poursuivi cette politique de
marquage symbolique de leur royaume en
s'attachant plus particulièrement à la res-
tauration d'un certain nombre de monu-
ments de la Prusse rhénane dont les châ-
teaux de Rheinstein et de Stolzenfels. L'en-
treprise la plus importante était l'achève-
ment de la cathédrale de Cologne terminée
en 1880. Sa consécration, le 15 octobre,
donna lieu à d'importantes manifestations
en présence de Guillaume I, le grand-père
de Guillaume II. La cathédrale, dont la
construction avait été entreprise en 1248
avait été arrêtée en 1500. Les travaux
n'avaient été repris qu'en 1842, grâce à une
souscription qui permit d'achever l'édifice
et ses deux tours occidentales. En appor-
tant son soutien à la restauration de la
cathédrale les rois protestants de Prusse
signifiaient à la fois leur attachement à
l'héritage catholique rhénan et aux valeurs
de la bourgeoisie colonaise et rhénane4.
La restauration de la Wartburg menée
parallèlement relevait
d'une
logique simi-
laire5. La Wartburg c'était à la fois le refuge
de Luther alors que tous les princes de
l'Empire le traquait, là où il avait traduit le
nouveau testament en allemand donnant
le livre fondateur de la langue allemande.
C'était
aussi, trois siècles plus tard, le
18 octobre 1817, la première grande mani-
festation de la nation allemande, célébrée
par la jeunesse étudiante libérale pour le
trois centième anniversaire de la Réforme
et le quatrième anniversaire de la victoire
de Leipzig contre Napoléon, le fameux
Volkerschlacht (bataille des nations). La
Wartburg symbolisait à la fois la tradition
réformée luthérienne et la tradition natio-
nale allemande confondues dans le même
monument. La puissance symbolique du
bâtiment était encore renforcé au milieu du
XIXe siècle par la composition en 1845 par
Richard Wagner
de
son Tannhaùser
d'après
le poème épique médiéval « Das Sânger-
krieg auf der Wartburg ». Le peintre Moritz
von Schwind un peu plus tard (1853-1855)
décorait l'intérieur du château de vastes
fresques illustrant le poème médiéval.
En annexant l'Alsace et une partie de la
Lorraine après 1870 les états allemands
sous la direction de la Prusse restauraient
en même temps l'Empire. La reconstruction
du château du Haut-Kœnigsbourg maté-
rialisait dans la pierre cette restauration, ce
nouveau moment de l'histoire nationale et
impériale allemande. Il devait, selon une
formule de l'Empereur, « concrétiser dans
la pierre la politique de reconquête
d'une
Revue
des
Sciences Sociales
de la
France
de
l'Est
ancienne possession »6. Désormais le dis-
positif symbolique dans sa géographie était
complet. Le Marienburg marquait l'Em-
pire à l'Est face à l'Empire des tsars. La
Wartburg au sud proclamait la différence
face à l'Empire catholique autrichien. Le
Haut-Kœnigsbourg verrouillait l'Ouest face
à la France républicaine.
« UN REGARD EN ARRIÈRE
PLEIN DE PIÉTÉ POUR LE
PASSÉ »
Le château devait être le symbole de
l'Empire ressuscité, du passé germanique
de l'Alsace et un lieu de culture proposant
au public une vivante leçon d'histoire.
La volonté de marquer la continuité de
l'histoire se réalisait d'abord par le choix
fait par l'architecte Bodo Ebhardt de res-
taurer le château des Thierstein. Oswald et
Guillaume de Thierstein avaient reçu de
l'Empereur d'Autriche Frédéric III de
Habsbourg le château en fief.
C'était
alors
une ruine qu'ils s'attachèrent à recons-
truire pour en faire une des plus belles
forteresses du pays. Ils y engloutirent toute
leur fortune. Le XVe siècle marquait la
dernière grande période de splendeur
qu'avait connu le château dont le déclin
était déjà largement entamé lorsqu'intervint
la guerre de trente ans qui lui fut fatale. A
l'automne 1633 les suédois après
s'être
emparés de la forteresse l'avait incendié.
Le choix historique et archéologique de
Bodo Ebhardt inscrivait la restauration du
château du Haut-Kœnigsbourg dans la
continuité de sa grandeur.
Le programme architectural était com-
plété par un important programme de-
coration et d'aménagement intérieur. La
mise en place du travail de sculpture avait
été incorporé à la restauration proprement
dite sous la responsabilité directe de Bodo
Ebhardt. La réalisation des fresques étaient
confiées à un jeune peintre alsacien,o
Schnug (1878-1933) formé à l'Ecole des
Arts décoratifs de Strasbourg et à l'Acadé-
mie des Beaux-arts de Munich. Il venait de
participer, le fait mérite
d'être
relevé, à des
travaux de restaurations des fresques de
Max von Schwind à la Wartburg ! Si l'Em-
pereur avait retenu son nom c'est vraisem-
blablement qu'il avait apprécié la qualité
de son travail à la Wartburg7.
Les fresques
du
Haut-Kœnigsbourg sont
incontestablement influencées dans leurs
conceptions par celles du château de
Thuringe. Les travaux se poursuivirent
pendant les deux années 1909 et 1910. Les
fresques relatent le siège du château par
Frédéric III en 1642 et représentent des
épisodes de la vie des différents propriétai-
res du château : les Hohenstauffen, les
ducs de Landsberg, les évêques de Stras-
bourg, les comtes de Thierstein, les
Sickingen, Bollwiller, Fugger et
Orschwiller. Elles illustrent tant les agré-
ments des arts libéraux que des scènes de la
vie courtoise, de la chasse et de la guerre.
La décoration et l'aménagement inté-
rieur du château racontait une histoire
exaltant les vieilles valeurs féodales
:
le lien
dynastique, la chasse et la guerre, dans le
contexte complexe de la politique du Neue
Kurs (cours nouveau) alors en vigueur dans
l'Empire. Le « cours nouveau » engageait
le pays dans une politique
d'essor
écono-
mique, de renforcement de son potentiel
militaire et d'expansion coloniale avec une
majorité conservatrice et nationaliste que
les transformations de l'Empire risquait de
déstabiliser. L'exaltation des valeurs féo-
dales et nationales à travers la recons-
truction du Haut-Kœnigsbourg manifes-
tait avec éclat l'attachement de l'Empereur
aux valeurs de sa majorité politique dans
un contexte de profondes mutations politi-
ques et sociales.
A l'entrée du château, le programme
était ostensiblement annoncé. Au dessus
de la porte d'honneur qui datait vraisem-
blablement
du
XVIe siècle, de l'époque des
Sickingen, et dont ne subsistait que le sou-
bassement, Guillaume II avait fait sculpter
ses armes au-dessus de celles de Charles
Quint, soulignant ainsi la continuité entre
les dynasties impériales des Habsbourg et
Le Haut Koenigsbourg.
Illustration de Léo Schnug
N°18 L'identité, un mythe refuge ? 127
des Hohenzollern que la reconstruction
du Haut-Kœnigsbourg était censée maté-
rialiser. Dans la salle de l'Empereur, ac-
tuelle salle des chevaliers^ des
figures
de
bois sculptées et polychromées portaient
des armoiries qui attestaient des innom-
brables quartiers de noblesse des Hohen-
zollern. Les fresques des galeries
d'accès
aux chambres développaient une histoire
légendaire des Hohenzollern en les ratta-
chant à celle des chevaliers de la Table
ronde ou encore à l'époque de
Charlemagne. Tout devait concourir à la
gloire de l'Empire confondue avec celle de
l'Empereur.
Dans la salle de l'Empereur les chaises
recouvertes de cuir de Cordoue étaient
frappées de l'aigle impérial qui étendait ses
ailes jusque sous les voûtes. L'hymne à
l'Empereur s'exprimait également sous la
forme d'innombrables inscriptions lapi-
daires mais aussi des marques des tailleurs
de pierre que Bodo Ebhardt avait imposé.
Chaque signe correspondait à une année
de travail à la restauration du château.
L'ensemble dessinait un hymne à la gloire
de Guillaume II, le « grand bâtisseur impé-
rial ».
Cette dimension
du
Haut-Kœnigsbourg
comme l'a noté Gilbert Fournier dans son
étude consacrée à « L'inauguration du
Haut-Kœnigsbourg dans la presse politi-
que alsacienne »8 a été de façon systéma-
tique rappelé dans les allocutions pro-
noncées à l'occasion de l'inauguration du
château. Les discours faisaient apparaître
toute une série de correspondances entre
les riches heures du château et celles de
l'Empire. Fritz Lienhardt en donnait la
formulation la plus laconique : « So zeigt
Hohkônigsburg genau/Der deutscher
Reichskraft Stand und Bau/eine feste Burg,
eine testes Reich »9 (Ainsi le Haut-Kœ-
nigsbourg montre-t-il exactement/la force
de l'Empire allemand, de son état et de sa
construction : un château solide, un Em-
pire solide). L'axiome était vérifié dans
l'actualité de l'inauguration : près de qua-
tre siècles après Maximilien Ier, un Empe-
reur, puissant de surcroît, « conquiert » à
nouveau le château. Une continuité s'ins-
taurait ainsi, immortalisée dans la décora-
tion intérieure du château et scandée selon
la formule de Bethman-Hollweg par les
dynasties impériales allemandes :
« Hohenstauffen, Habsbourg, Hohen-
zollern »10. Le château devait « servir
d'enseignement à tous ceux qui accéde-
raient au trône impérial ».
TÉMOIN DE LA CULTURE ET
DE LA PUISSANCE
ALLEMANDE
Cet éloge de l'Empereur était insépara-
ble de celui de la guerre, « la puissance
allemande ». Partout les valeurs guerrières
étaient rappelées avec insistance. Les fres-
ques deo Schnug retraçaient le siège du
château en 1462 mais aussi de nombreux
épisodes guerriers à travers l'évocation des
figures
de
ses propriétaires successifs. Dans
la salle de l'Empereur tout concourait à
mettre la guerre en valeur. Armures, ori-
flammes, noms des villes rappelaient le
souvenir de victoires que l'on voulait
immémoriales. Le château était par ailleurs
conçu comme un véritable musée de l'ar-
mement. Les collections étaient présen-
tées dans la salle d'armes et dans les tours
du grand bastion. Dans la salle d'armes
étaient rassemblés cottes de mailles, ar-
mures, heaumes, casques nasal et toutes
sortes d'armes de guerre : lances,
hallebardes, dagues, piques, épées, arbalè-
tes,
arquebuses et pistolets. Dans le grand
bastion était exposée une remarquable
collection de canons et de couleuvrines du
XVF siècle.
L'évocation de la guerre était accompa-
gné de l'exaltation des valeurs féodales, de
la chasse et de l'amour courtois. Une salle
spéciale était consacrée à la chasse. Elle
était décorée
d'une
fresque représentant
Saint-Hubert, ornée de bois de cerfs por-
tant des inscriptions dédiées à l'Empereur,
apothéose de Guillaume II chasseur.
L'amour courtois était notamment évoqué
par l'une des fresques des galeries retraçant
l'histoire de Tristan et Iseult.
On retrouvait encore cette idéologie
féodale dans l'adjonction dans l'avant-cour
du château d'éléments d'un village : ferme
alsacienne, forge
etc. Un
espèce d'écomusée
avant la lettre :écomusée féodal
!
Pris dans
l'enceinte de la forteresse ces éléments
symbolisant le village vivant sous la pro-
tection tutélaire du château et en commu-
nauté avec le seigneur. Nous retrouvons
une forme tout à fait similaire à la Wartburg.
Mentionnons encore pour mémoire l'exal-
tation des valeurs corporatives à travers la
mobilisation des meilleurs artisans dans
chaque corps de métier pour restaurer le
château. Les travaux de restitution et de
restauration avaient été confiés aux
meilleurs artisans de la région : vitraux du
peintre verrier de Fribourg en Brisgau
Eduard Stritt, boiseries de la salle des che-
valiers de Théophile Klem de Colmar.
Décor du passé allemand le château était
aussi musée
de
la culture allemande comme
vérité de la culture alsacienne. Le pro-
gramme ethnographique comprenait pour
l'essentiel du mobilier, dont une remar-
quable collection de poêles de faïence et
des objets de la vie quotidienne.
Cette collection avait été rassemblée
aussi bien dans les villages voisins du châ-
teau que dans le reste de l'Alsace et même
au-delà : en Lorraine, en Suisse et jusqu'au
Tyrol. L'extension du champ de collecte
était justifié à la fois par les liens qu'avait
entretenu le château dans le passé avec ces
régions que par le fait que « l'Alsace a été
de
tout temps une région de passage, et que
surtout pour les ustensiles ménagers et les
couverts des formes communes sont lar-
gement répandues. Ainsi du fait de sa ri-
chesse la Suisse avait fourni nombre
d'étains. On était allé chercher les objets
de menuiserie, aussi bien les plus simples
que les plus luxueux au Tyrol »u. Les ob-
jets trouvés permettaient d'aménager une
chambre lorraine, une pièce gothique, une
pièce renaissance.
Le musée ethnographique était conçu à
l'évidence comme une réponse au musée
alsacien de Strasbourg ouvert en 1902 sur
le modèle du musée arlétan de Mistral par
un petit groupe d'alsaciens francophiles
rassemblés autour de la Revue alsacienne
illustrée. Le musée alsacien avait
strictement limité ses collections à la-
gion dont il essayait d'exalter l'originalité
par rapport aux espaces voisins alors que
de façon systématique le Hohkônigsburg
Verein qui était le maître d'œuvre du mu-
e du château avait étendu sa recherche
d'objets à l'ensemble de l'espace aléma-
nique et même au-delà avec une volonté
explicite de mettre en évidence l'absence
de toute différence entre l'Alsace et les
régions voisines de l'espace germanique. Il
s'agissait à l'opposé de l'entreprise du mu-
1
Revue
des
Sciences Sociales
de la
France
de
l'Est
e alsacien de valoriser à travers les col-
lections ethnographiques la germanité de
l'Alsace.
Dans sa conception même le Haut-
Kœnigsbourg apparaît comme un lieu de
mémoire par excellence tel que le définis-
sait Pierre Nora en ouverture de ses lieux
de mémoire : « tout ce qui ressort du culte
des morts, tout ce qui relève
du
patrimoine,
tout ce qui administre la présence du passé
dans le présent »12. Si l'on retient cette
définition le Haut-Kœnigsbourg apparaît
comme un lieu de mémoire par excellence
combinant les trois grandes catégories
données par Pierre Nora. Il relève à l'évi-
dence, à la fois, du culte des morts, du
patrimoine et de la présence du passé.
Nous remarquerons au passage la précocité
de l'entreprise dans l'espace germanique
ce qui invalide pour partie la thèse de
Pierre Nora de l'émergence des lieux de
mémoire comme événement tout à fait
contemporain, mais là n'était pas notre
propos.
Ce que nous retiendrons ici c'est que le
lieu de mémoire
s'est
vu ressaisi par l'his-
toire qui en bouleversant les frontières, en
provoquant l'effondrement de l'Empire,
vide de sens le monument. Sa
reconstruction, son décor, ses inscriptions
deviennent illisibles. La borne demeure
mais les frontières ont disparu. Sa visibilité
devient problématique. Le Haut-Kœnigs-
bourg devient le château d'illusion selon
l'intuition géniale de Jean Renoir. La
grande illusion c'est la guerre mais c'est
surtout l'impossibilité de fixer les frontiè-
res,
d'exiger des bornes-frontières qu'elles
attestent pour l'éternité
d'une
véracité. La
vérité de la butte-témoin est dans l'image
du champ de neige qui termine le film.
Gabin (Maréchal) et Dalio (Rosenthal) er-
rent dans une immensité blanche en quête
d'une
frontière invisible et par, hypothé-
tique.
Les frontières, les mémoires, les identi-
s sont toujours problématiques.
NOTES
1 Der
Ekâsser,
13/5/1908.
2 Cet article
s'inscrit
dans le cadre
d'une
recher-
che
plus
générale consacrée
à
la question de la
restauration des château au XIXe siècle et à la
genèse du site touristique. Sur le Haut-Kœ-
nigsbourg voir Richez J.C., «
l'invention
ro-
mantique du château du Haut-Kœnigsbourg »
dans Richez
J.C.,
Willaume A.,
Haut-Kœnigs-
bourg.
Le
château
cT/V/us/on,
Strasbourg,
1990 ;
voir également sur la question en général dans
l'espace
germanique Wohlleben M.,
Konservieren oder restaurieren
; zur Diskussion
ùber aufgaben, Ziel und Problème der
Denkmalpflege
um die
Jahrhundert
Wende,
Zurich,
1989. Sur la restauration du Haut-
Kœnigsbourg la meilleure étude à ce jour est
celle de Stein G. « Trifels und Hohkônigsburg.
Zitate
und
Gedanken zweier Burgruinen
»
dans
Oberrheinische
Studien,
1975 (pp. 373-404).
3 Sur Marienburg, Malbork en polonais, voir
Boockmann H., Die Marienburg um 19
jahrhundert,
Frankfurt am
Main,
1982.
4 Sur la cathédrale de Cologne voir Clemen P.,
DerDomzu
Kôln,
Dusseldorf, 1937
; Der
kôlner
Domzur700 lahrfeier
1248-1948,
Kôln,
1948 :
Lutzeler H., Der kôlner
Dom
in
der
deutsche
Geschichte,
Bonn,
1948, et les remarques
d'Aycoberry P.
dans
sa
thèse
Histoire
sociale
de
la ville
de
Cologne
(1815-1875), 2 t., Univer-
sité de Paris I,
Lille,
1977.
5 Sur la Wartburg voir Asche S., Die
Wartburg,
ein
Denkmal deutsche Geschichte
und
Kunst,
Bonn,
1965,
et Die
Wartburg,
Geschichte
und
Gestalt,
Berlin, 1962.
6
Cité dans
Wurch-Kozel
js M. Le
château
du
Haut-
Kœnigsbourg,
reconstitution
et
reconstruction
du
château
par
Bodo
Ebhardt
pour Guillaume
II,
CE.A.A., 1987-1988(dact.),
(peutêtre
consulté
à
l'Ecole
d'architecture de Strasbourg).
7 II
n'existe
à ce jour, à notre connaissance,
aucune étude sérieuse consacrée
ào
Schnug.
On pourra cependant
se
reporter
à
Metz R., Les
peintres alsaciens de 1870 à 1914, Thèse
Strasbourg,
1971.
8 Fournier G.,
l'inauguration
du
Haut-Kœnigs-
bourg dans
la
presse politique
alsacienne.
Re-
marques méthodologiques
et
premiers
résul-
tats,
D.E.A.
Langueetculture
régionales,
U.S.H.
Strasbourg,
1990.
9 Prologue du hérault
d'armes
reproduit dans le
Strasburger
Post,
14/5/1908.
10 DerElsâsser, 21/5/1908.
11 Fricker
J.,
« Der Hohkônigsburg Verein 1904-
1918.
Die Austattung der Burg durch den
Verein
»
dans
DasReichsIandElsass-Lothringen,
bd.
3, Frankfurt
am
Main,
1934
(pp.
520-526),
p. 522.
12 Nora P., « Entre mémoire et histoire la
problématique des lieux » dans Les lieux de
mémoire,
t. 1, La République, Paris, 1984
(pp.
XV-XVII), p. XXXVII.
N°l8 L'identité, un mythe refuge?
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