des Hohenzollern que la reconstruction
du Haut-Kœnigsbourg était censée maté-
rialiser. Dans la salle de l'Empereur, ac-
tuelle salle des chevaliers^ des
figures
de
bois sculptées et polychromées portaient
des armoiries qui attestaient des innom-
brables quartiers de noblesse des Hohen-
zollern. Les fresques des galeries
d'accès
aux chambres développaient une histoire
légendaire des Hohenzollern en les ratta-
chant à celle des chevaliers de la Table
ronde ou encore à l'époque de
Charlemagne. Tout devait concourir à la
gloire de l'Empire confondue avec celle de
l'Empereur.
Dans la salle de l'Empereur les chaises
recouvertes de cuir de Cordoue étaient
frappées de l'aigle impérial qui étendait ses
ailes jusque sous les voûtes. L'hymne à
l'Empereur s'exprimait également sous la
forme d'innombrables inscriptions lapi-
daires mais aussi des marques des tailleurs
de pierre que Bodo Ebhardt avait imposé.
Chaque signe correspondait à une année
de travail à la restauration du château.
L'ensemble dessinait un hymne à la gloire
de Guillaume II, le « grand bâtisseur impé-
rial ».
Cette dimension
du
Haut-Kœnigsbourg
comme l'a noté Gilbert Fournier dans son
étude consacrée à « L'inauguration du
Haut-Kœnigsbourg dans la presse politi-
que alsacienne »8 a été de façon systéma-
tique rappelé dans les allocutions pro-
noncées à l'occasion de l'inauguration du
château. Les discours faisaient apparaître
toute une série de correspondances entre
les riches heures du château et celles de
l'Empire. Fritz Lienhardt en donnait la
formulation la plus laconique : « So zeigt
Hohkônigsburg genau/Der deutscher
Reichskraft Stand und Bau/eine feste Burg,
eine testes Reich »9 (Ainsi le Haut-Kœ-
nigsbourg montre-t-il exactement/la force
de l'Empire allemand, de son état et de sa
construction : un château solide, un Em-
pire solide). L'axiome était vérifié dans
l'actualité de l'inauguration : près de qua-
tre siècles après Maximilien Ier, un Empe-
reur, puissant de surcroît, « conquiert » à
nouveau le château. Une continuité s'ins-
taurait ainsi, immortalisée dans la décora-
tion intérieure du château et scandée selon
la formule de Bethman-Hollweg par les
dynasties impériales allemandes :
« Hohenstauffen, Habsbourg, Hohen-
zollern »10. Le château devait « servir
d'enseignement à tous ceux qui accéde-
raient au trône impérial ».
TÉMOIN DE LA CULTURE ET
DE LA PUISSANCE
ALLEMANDE
Cet éloge de l'Empereur était insépara-
ble de celui de la guerre, « la puissance
allemande ». Partout les valeurs guerrières
étaient rappelées avec insistance. Les fres-
ques de Léo Schnug retraçaient le siège du
château en 1462 mais aussi de nombreux
épisodes guerriers à travers l'évocation des
figures
de
ses propriétaires successifs. Dans
la salle de l'Empereur tout concourait à
mettre la guerre en valeur. Armures, ori-
flammes, noms des villes rappelaient le
souvenir de victoires que l'on voulait
immémoriales. Le château était par ailleurs
conçu comme un véritable musée de l'ar-
mement. Les collections étaient présen-
tées dans la salle d'armes et dans les tours
du grand bastion. Dans la salle d'armes
étaient rassemblés cottes de mailles, ar-
mures, heaumes, casques nasal et toutes
sortes d'armes de guerre : lances,
hallebardes, dagues, piques, épées, arbalè-
tes,
arquebuses et pistolets. Dans le grand
bastion était exposée une remarquable
collection de canons et de couleuvrines du
XVF siècle.
L'évocation de la guerre était accompa-
gné de l'exaltation des valeurs féodales, de
la chasse et de l'amour courtois. Une salle
spéciale était consacrée à la chasse. Elle
était décorée
d'une
fresque représentant
Saint-Hubert, ornée de bois de cerfs por-
tant des inscriptions dédiées à l'Empereur,
apothéose de Guillaume II chasseur.
L'amour courtois était notamment évoqué
par l'une des fresques des galeries retraçant
l'histoire de Tristan et Iseult.
On retrouvait encore cette idéologie
féodale dans l'adjonction dans l'avant-cour
du château d'éléments d'un village : ferme
alsacienne, forge
etc. Un
espèce d'écomusée
avant la lettre :écomusée féodal
!
Pris dans
l'enceinte de la forteresse ces éléments
symbolisant le village vivant sous la pro-
tection tutélaire du château et en commu-
nauté avec le seigneur. Nous retrouvons
une forme tout à fait similaire à la Wartburg.
Mentionnons encore pour mémoire l'exal-
tation des valeurs corporatives à travers la
mobilisation des meilleurs artisans dans
chaque corps de métier pour restaurer le
château. Les travaux de restitution et de
restauration avaient été confiés aux
meilleurs artisans de la région : vitraux du
peintre verrier de Fribourg en Brisgau
Eduard Stritt, boiseries de la salle des che-
valiers de Théophile Klem de Colmar.
Décor du passé allemand le château était
aussi musée
de
la culture allemande comme
vérité de la culture alsacienne. Le pro-
gramme ethnographique comprenait pour
l'essentiel du mobilier, dont une remar-
quable collection de poêles de faïence et
des objets de la vie quotidienne.
Cette collection avait été rassemblée
aussi bien dans les villages voisins du châ-
teau que dans le reste de l'Alsace et même
au-delà : en Lorraine, en Suisse et jusqu'au
Tyrol. L'extension du champ de collecte
était justifié à la fois par les liens qu'avait
entretenu le château dans le passé avec ces
régions que par le fait que « l'Alsace a été
de
tout temps une région de passage, et que
surtout pour les ustensiles ménagers et les
couverts des formes communes sont lar-
gement répandues. Ainsi du fait de sa ri-
chesse la Suisse avait fourni nombre
d'étains. On était allé chercher les objets
de menuiserie, aussi bien les plus simples
que les plus luxueux au Tyrol »u. Les ob-
jets trouvés permettaient d'aménager une
chambre lorraine, une pièce gothique, une
pièce renaissance.
Le musée ethnographique était conçu à
l'évidence comme une réponse au musée
alsacien de Strasbourg ouvert en 1902 sur
le modèle du musée arlétan de Mistral par
un petit groupe d'alsaciens francophiles
rassemblés autour de la Revue alsacienne
illustrée. Le musée alsacien avait
strictement limité ses collections à la ré-
gion dont il essayait d'exalter l'originalité
par rapport aux espaces voisins alors que
de façon systématique le Hohkônigsburg
Verein qui était le maître d'œuvre du mu-
sée du château avait étendu sa recherche
d'objets à l'ensemble de l'espace aléma-
nique et même au-delà avec une volonté
explicite de mettre en évidence l'absence
de toute différence entre l'Alsace et les
régions voisines de l'espace germanique. Il
s'agissait à l'opposé de l'entreprise du mu-
1
Revue
des
Sciences Sociales
de la
France
de
l'Est