4
Résumé en français
Le roman négro-africain de dénonciation que nous appelons « roman subversif » et que
d‟aucuns insèrent dans la catégorie dite roman de la rupture, en tant que macro-acte de
langage, comporte bien une visée illocutoire subversive. Cela est vrai même si le discours
littéraire négro-africain d‟après les indépendances, à l‟instar de tout discours, reste contraint,
c‟est-à-dire en grande partie déterminé par le contexte sociopolitique, mais également le
champ littéraire francophone où entrent en concurrence divers « positionnements » et
« postures » d‟auteurs. Nous montrons dans ce travail que cette visée qui est une entreprise de
dévoilement des dérives des nouveaux régimes politiques et/ou religieux, résultante de
l‟intrication du contexte non verbal négro-africain et de l‟intérieur des romans, et qui se traduit
par la construction littéraire de divers ethos individuels et collectifs, peut s‟étudier, entre
autres, au moyen de la méthode d‟analyse du discours. En reliant extérieur et intérieur du texte
littéraire, ce qui écarte l‟immanence structuraliste, nous abordons le roman négro-africain
d‟après les indépendance comme un dispositif d‟énonciation dont le centre déictique et modal
est le garant du discours, à savoir le narrateur principal qui est le plus souvent
« homodiégétique » dans notre corpus à l‟exception de Perpétue où il est « extradiégétique ».
Ainsi, la thèse ruine la conception romantique qui distingue le moi social de l‟écrivain et le
moi créateur. Nous considérons donc que les romans de notre corpus sont des activités sociales
s‟insérant dans les pratiques discursives d‟une société, ce qui consacre définitivement la
relation texte et société en mettant en branle des notions de la problématique de l‟énonciation à
grande portée socioculturelle comme la « scénographie », la « scène générique », la « scène
validée », la « paratopie », etc. Nous confirmons donc la possibilité d‟un enrichissement des
approches de la littéraire négro-africaine considérant l‟histoire littéraire composée de trois
entités séparées (l‟ « homme », l‟ « œuvre » et le « milieu ») et qui sont restées plus ou moins
classiques, c‟est-à-dire thématiques, souvent sociologiques. En recourant systématiquement
aux outils de la linguistique de l‟énonciation, de la pragmatique, de la linguistique textuelle, de
l‟argumentation, de la linguistique interactionniste, etc., nous appliquons à quelques romans
négro-africains d‟après les indépendances et à plusieurs séquences textuelles que nous avons
sélectionnées et tirées de ce corpus, la méthode de l‟analyse du discours telle qu‟elle est
théorisée dans la sphère européenne par des chercheurs tels que Dominique Maingueneau et
Patrick Chareaudeau, mais également d‟autres qui ont développé des problématiques
linguistiques proches ou similaires : Jean Michel Adam, Ruth Amossy, Emile Benveniste,
Catherine Kerbrat-Orecchioni, Oswald Ducrot, etc., pour ne citer que ceux-là. L‟étude de la
polyphonie pour la détermination des voix en présence dans les romans nous conduit à l‟étude,
d‟une part, de la double énonciation qui se traduit par les dialogues en tant que modalité
narrative où plusieurs énonciateurs sont mis en scène, de l‟autre, de tous les types de discours
rapporté, mais également de la manifestation verbale du peuple négro-africain. Ces voix
définissent des identités énonciatives, celles des camps opposés, à savoir le pouvoir politique
et/ou religieux et les opposants qui sont sans cesse en conflit dans les romans. Bannissant
l‟ « authenticité » qui était la visée des conceptions identitaires négro-africaines comme la
Négritude, les auteurs du corpus utilisent le discours rapporté et la double énonciation non
pour restituer la réalité crue, comme dans le roman à thèse, mais pour dénoncer en dictant, en
creux, au lecteur modèle ce qu‟il faut penser ou croire. La tourmente politique et/ou religieuse
est décriée par la présentation au lecteur de « patrons discursif » et d‟un code langagier qui
s‟insérèrent dans l‟ « interdiscours » et qui montrent différents ethos populaires ou individuels
fonctionnant comme des repoussoirs utilisés pour la dénonciation. Le lecteur modèle arrive à
produire l‟effet discursif attaché aux textes par l‟activité d‟« incorporation » de ces ethos qui
se manifestent par une certaine corporalité et une vocalité précise.
Mots clés :
Énonciation, polyphonie, « scène d‟énonciation », genre, dialogue, interaction,
argumentation, « posture », « paratopie », ethos, discours, texte, contexte.