Collection LGR : notices d’œuvres Erik Dietman et Paul Rebeyrolle Proche de l’esprit duchampien, du mouvement Fluxus et du Nouveau Réalisme avec lesquels il entretenait quelques affinités, mais refusant toute adhésion à un groupe, Erik Dietman joue avec les mots et introduit de l'humour dans ses œuvres, oscillant entre réalité et poésie. Il se joue, voire se moque, des codes de représentation traditionnels tout comme des avant-gardes. Après avoir peint les yeux bandés, il casse et reconstitue des objets qu’il recouvre de sparadrap. Peu à peu, il travaille tous les matériaux pour leur spécificité respective dans une esthétique de l’objet à la fois hybride, sensible et macabre : la terre, le bois, le verre, le granit, le marbre, le bronze, l'acier, le fer, etc. Dans Le Penseur et L’Artiste (ensemble de huit sculptures), Dietman met en avant ses rapports avec la gastronomie. La cuisine est pour lui une pratique du traitement de la matière au même titre que l’art. Ces assemblages, de diverses matières et objets, donnent au regardeur une première impression de désordre. Les dessins, les assemblages et les sculptures s’articulent ici comme des rébus donnant une existence matérielle au mot. Né à Eymoutiers en Haute-Vienne en 1936, Paul Rebeyrolle est à la fois peintre, sculpteur et lithographe. Son œuvre figurative est imprégnée de violence, de rage et de révolte face à l'oppression et l'engagement politique. Son objectif étant de défendre l’homme face à la société et la nature à laquelle il est irrémédiablement lié. L’artiste souhaite dénoncer l’aveuglement des hommes et peint alors jusqu’à dislocation des images. C’est la Loi met en garde les citoyens afin qu’ils ne finissent pas asservis face à un quelconque pouvoir, à l’image de cette tête de mouton lessivée. Les peintures de Rebeyrolle sont ponctuées de figures animalières et de paysages qui entretiennent un dialogue étroit entre l’image et la réalité. L’artiste conçoit des amalgames par l’emploi de matériaux pauvres collés sur la toile : terre, paille, ferraille, cartons déchirés ou crin. Les matières et les couleurs volent en éclat et paraissent envahir l’espace pictural jusqu’à l’étouffement. Toute son œuvre se retrouve dans Amalthée qui reprend le mythe de la chèvre nourrissant Jupiter. La scène, censée être douce et paisible, est transformée par Rebeyrolle en un combat entre l’homme et l’animal : Jupiter hurlant sa présence, semble vouloir émerger de ce magma, fait de véritables poils et de litière de chèvre. Malgré toute cette violence, son œuvre est teintée d’une profonde humanité ; l’énergie triomphe toujours dans son travail et marque la volonté tenace de ne jamais renoncer. Pierre Buraglio L’artiste élabore très tôt une identité picturale par la critique de lui-même comme des autres et s’engage politiquement tout en gardant une distance vis-à-vis de tout mouvement artistique. Il est cependant proche de BMPT et de Supports-Surfaces avec lesquels il partage le rejet de l’illusion picturale. Buraglio présente dans ses « tableaux » deux univers : le monde pictural (suggéré par la constitution d’objets se rapprochant de celle d’un tableau) et l’univers des objets ordinaires. Ces derniers sont dépossédés de leur fonction première mais préservent leur aspect, comme celle d’une fenêtre par exemple. Dans chacune de ses séries, l’artiste opère un effet de basculement ayant pour effet de déstabiliser les supports, les moyens classiques et traditionnels de la peinture, tout en rejetant le spectaculaire. Il n’y a plus de référents immuables : œuvres sans cadres et cadres sans œuvres se suivent dans son travail. Dans la série des « Fenêtres », des objets quotidiens de rebuts sont récupérés directement sur des chantiers de démolition et utilisés en l’état évoquant la beauté des matériaux bruts, avec cette sensation commune d’inachèvement. Son travail mêle le geste du charpentier à celui du peintre-vitrier. « La fenêtre ouverte sur le monde » selon les propos d’Alberti à la Renaissance, laisse place à des écrans aveugles dans l’œuvre de Pierre Buraglio. L’artiste conçoit ses œuvres selon des actions opposées : découper et assembler, détruire et construire. La mise en espace devient inédite et le champ pictural traditionnel est ainsi renouvelé. Dans cette opération, pas de confusion possible avec le ready-made puisqu’il s’agit ici de peindre sans peinture, sans toile ni châssis. Sa peinture dépasse l’objet, le nie afin d’exprimer uniquement la picturalité. Dans Metro Della Robbia, l’artiste a eu l’idée de prélever la tôle émaillée lors de ces trajets en métro entre Paris et son atelier. Il transpose la tôle vers de nouvelles fonctions picturales à travers un jeu de contextualisation et de mémoire en faisant référence au céramiste italien de la Renaissance. Dans la série des « Masquages », l’artiste a recourt à un matériau ordinaire et pauvre : le ruban de masquage. Ici, ils sont appliqués sur Altuglas® venant remplir un vide jusqu’à recouvrir l’écran pictural. Buraglio commence à faire des « Recouvrements », appelés également « Caviardages », en 1964 après son voyage à New York. Dans Les très riches heures de P.B., titre non dénué d’ironie et évoquant une œuvre majeure de la Renaissance, il oblitère certains passages du journal Le Monde comme pour réaliser une censure de textes gênants ou immoraux ; un geste qui camoufle la surface et le texte comme un graffiti ou palimpseste. Buraglio raye aux crayons de couleurs et assemble les pages formant alors une croix qui dessine une fenêtre. Puis, le ruban de masquage trace un cadre qui engendre la mise en abyme de fenêtre dans la fenêtre. Remplir est également pour l’artiste une manière de tuer le temps et combattre son ennui. La Figuration narrative En opposition à des mouvements artistiques contemporains des années 1960 tels que le Nouveau Réalisme et le Pop Art ainsi que le courant de l’Art abstrait, la Figuration narrative est théorisée par Gérald Gassiot-Talabot en 1965. Il définit comme narrative toute œuvre qui évoque une représentation figurée dans la durée et doublée d’une critique de la société de consommation. Ces artistes furent marqués par Mai 68 et réattribuent à l’art sa fonction politique tout en multipliant les sources artistiques et littéraires à l’aide de techniques traditionnelles. Le style propre de Valerio Adami (né en 1935 à Bologne) est caractérisé par des figures aux contours noirs épais cernant des plages de couleurs acidulées traitées en aplat qui rappellent les vitraux des églises et les bandes-dessinées. Ses compositions ne laissent pas de place aux blancs ni à l’inachèvement. Les personnages, objets et paysages s’entremêlent et forment des imbrications complexes qui bousculent les perspectives et la profondeur de champ. Hommage à Gide est issu de son travail sur la mémoire individuelle puis collective que l’artiste entreprend dès les années 1970, et traite des portraits de personnages célèbres comme André Gide, écrivain français engagé du début du XXe siècle. Si les toiles du peintre Eduardo Arroyo ne manquent pas d’humour, elles sont imprégnées de critique envers les pouvoirs autoritaires, notamment le franquisme qu’il a fui en 1958 en se réfugiant en France. Cependant, lorsqu’il revient en Espagne après la mort du général Franco en 1977, son œuvre perd en partie sa dimension contestataire et accusatrice pour prendre en compte la dimension esthétique comme c’est le cas dans Faust, une peinture plus tardive datant de 1994, reprenant cette figure de héros issue d’un conte populaire. Islandais d’origine, Erró s’installe à Paris en 1958 et rencontre les surréalistes dont Roberto Matta qui l’influencera en matière de composition. Poupée – Woody Allen est le résultat d’une association d’images recyclées dans un ensemble complexe teinté d’une critique cinglante : il dénonce certaines perversions de notre société. « Le processus consiste à sélectionner les images, à les marier ensemble pour en faire des collages, puis des tableaux » (Erró). En quarante ans, Erró a abordé une multitude de sujets avec une préférence pour la culture de masse et la politique. Jacques Monory se définit comme un « peintre narratif d’ordre affectif ». L’univers parfois inquiétant de la société moderne, l’influence du cinéma et l’obsession de la mort rythment ses œuvres. Recouverte d’un bichrome bleu et gris, Casse Noir n°20 est baignée d’une atmosphère d’angoisse et de suspens à travers une composition fragmentée et un cadrage décalé. Bernard Rancillac commence à exposer en 1956 et devient rapidement un des piliers de la Figuration narrative. Au premier abord, le portrait présenté semble apparemment neutre mais il sert de prétexte pour transmettre un message d’ordre politique. Ben Barka miroir est à l’image de l’œuvre de Rancillac inspirée des thèmes engagés toujours proches de l’actualité. L’artiste n’hésite pas à mélanger un miroir brisé au médium photographique, prélevé directement dans les médias, et à la peinture, afin d’engager le regardeur à prendre du recul. Né à Port-au-Prince en 1937, Hervé Télémaque fait des études à New York avant de s’installer à Paris en 1961. Une figuration froide proche du Surréalisme, dresse une sorte d’inventaire subjectif de notre société, mêlant références artistiques et personnelles, comme ici où il déconstruit La Charrue du peintre cubiste Georges Braque. Yan Pei-Ming Né en Chine en 1960 dans une famille ouvrière, Yan Pei-Ming grandit sur fond de guerre civile lors de la Révolution culturelle de Mao. Lorsqu’il arrive en France en 1983 afin d’échapper aux contraintes sociales de son pays, il étudie les arts à Dijon puis à Paris. Dans une technique gestuelle engageant tout son corps, l’artiste travaille la saturation de la toile en noir, gris, blanc ou rouge pour réaliser des portraits d’actualité monumentaux : Mao, Barack Obama ou bien encore Coluche. Par un traitement à grands coups de brosse et l’utilisation d’un rouge vermillon lumineux, le Mao monumental (1995) libère de ce fait une énergie et une puissance qui envahissent tout l’espace. La démarche d’entreprendre un portrait de Mao est bien loin de celle d’Andy Warhol : elle a sens autobiographique. L’artiste ne reprend pas les icônes diffusées par la propagande communiste en Chine, pas plus qu’il ne peint à la manière du pop-artiste dans le but de les glorifier. Pei-Ming ne recherche pas une nouvelle technique mais continue de peindre, tout simplement. Il se livre à un corps à corps avec Mao. En effet, lorsqu’il était en Chine, il devait peindre chaque 1er mai un portrait de Mao. Cette toile est imprégnée de ses propres souvenirs alors qu’il était chef de la propagande et animait un atelier. La force qui se dégage de son œuvre est due au fait qu’il devait à cette époque transmettre le caractère et la vie à ses modèles en seulement quelques coups de pinceaux. Yan explique que dans l’esthétique chinoise « la qualité de la peinture ne se mesure pas à sa capacité à faire illusion, mais à l’efficacité du champ énergique créé ». Autoportrait de 2010 présenté au MAMAC, rappelle les bouddhas que l’artiste a côtoyés en Chine. S’inscrivant dans une longue tradition occidentale, Pei-Ming exécute son premier autoportrait à l’âge de treize ans à l’aide d’un miroir. S’ensuit une multitude d’autoportraits mettant en lumière le passage des années. Il se représente parfois mort comme un pendant aux portraits de son père. Tout en s’appropriant certaines questions sociales, Yan est donc à mi-chemin entre ses propres traditions chinoises et la peinture occidentale. « Je m’intéresse à l’homme en général, et mon travail peut être considéré comme une sorte de portrait universel. Ce que je peins dans la permanence est au fond une idée de cette humanité » (Yan Pei-Ming).