L'erreur de l’ancienne Église fut de vouloir structurer parfaitement l'esprit des
fidèles, de définir parfaitement ce qu'il leur fallait tenir pour certain, et donc ce
qu'ils devaient croire pour assurer leur salut. À cette fin, l’Église catholique
avait ramassé en discours, dogmes, encycliques, catéchismes, etc. tout le
contenu de la Révélation, ne laissant pratiquement plus à Dieu la possibilité de
dire autre chose. Elle gérait ce capital de « vérités » censé suffire à vivre
chrétiennement. Le fidèle pouvait aussi se passer de philosophie, et même
d’une pensée personnelle, pourvu qu’il s’en remît entièrement à l’Église.
Abandonnez votre liberté, vous aurez en échange la vérité et le salut, semblait-
elle dire aux fidèles ; vous serez intégrés au corps du Christ et tous vos
problèmes théoriques au moins seront résolus, il ne restera plus que les
problèmes moraux.
Le Christ a promis la liberté par le moyen de la vérité, il n'a pas promis le salut
par le moyen de l'obéissance à ses représentants et l'acceptation d'une
doctrine qui dispenserait de penser par soi-même. En abdiquant cette liberté,
ce n’est pas seulement le meilleur de lui-même que le chrétien perdait, bien
que cela pût être dramatique étant donné que ce qui reste, le fin fond de lui-
même, est le plus souvent obscur et boueux, sinon pourri comme le croyaient
Pascal et les jansénistes ; c’est aussi et surtout la possibilité d’un authentique
dialogue avec Dieu. Ou même, la possibilité d’une foi vivante et créatrice,
laquelle vit de signes et même de « miracles ». Du moins, telle est l’opinion de
Marc Renault. Dans La Liberté confisquée, l’Hexagone, coll. La ligne du risque, Montréal, 2000.)
Cet auteur va jusqu’à parler d’une « paganisation », sinon de l’Église, du moins
de son clergé. Le mot nous semble trop fort. Nous dirions plutôt emprise de
l’institution sur la foi ; ou étouffement de la foi par l’Église d’ancien modèle, c.-
à-d. celui d’une société hiérarchiquement constituée et censément parfaite,
surtout dans sa partie supérieure. On pourrait parler aussi d’une emprise de la
« religion » sur la foi, religion au sens païen du terme, c.-à-d. celle qui repose
sur l’immolation d'un bouc émissaire et dont le cœur est dur comme l’acier ;
par conséquent violent. Certes, la religion ne se réduit pas au rituel du bouc
émissaire, elle est aussi l’ensemble des moyens matériels qu’utilise la foi pour
s’exprimer, se relancer, se tenir vivante. On pense ici à Pascal qui conseillait au
« libertin » d’utiliser les moyens de la piété comme s’il avait la foi : aller à la
messe, prendre de l’eau bénite, dire le chapelet, porter des médailles, etc. Or
l’Église a tendance à trop croire à cette formule, à l’efficacité de la piété – qui
est toujours un peu païenne – et elle risque de détourner du dialogue de soi-
même avec Dieu, dans les évènements, les rencontres de la vie, qui sont parfois
des signes que Dieu nous fait, des « paroles » qu’il nous adresse. Par ailleurs,