JANV 98 MEP 27/04/04 14:07 Page 3570 Immunologie et psychiatrie Indices humoraux du système immunitaire dans les pathologies psychiatriques : hypothèses et perspectives E. Tanneau*, S. Avraméas** L ’influence du cerveau et de l’esprit sur la pathologie est une notion très ancienne dans l’histoire de la médecine puisque la “psychosomatique” était déjà connue d’Hippocrate. Cependant, les travaux de Métalnikov (15) sur le “rôle du système nerveux et des facteurs psychiques dans l’immunité”, pourtant pasteurien célèbre, n’eurent pas le succès escompté. * SHU, Hôpital Sainte-Anne, Paris. ** Professeur, Institut Pasteur, unité d’immuno-cytochimie, Paris. Introduction Les études ont été poursuivies et le premier laboratoire de “psycho-immunologie” fut créé en 1965 associant l’Université de Stanford au “Palo Alto Veteran Administration Hospital”. Les résultats furent suffisamment conséquents pour qu’un ouvrage leur soit entièrement consacré dès 1981, remanié lors d’une seconde édition en 1991 (1). Des chercheurs de toutes disciplines contribuèrent à la naissance d’une discipline nouvelle, à l’intersection de spécialités jusque-là cloisonnées, la neuroimmunomodulation. Le système immunitaire n’apparaît plus seulement comme un système autonome chargé de la défense de l’organisme contre les agents pathogènes. Il s’intègre dans un vaste ensemble constitué également du système nerveux et du système endocrinien, les trois systèmes étant en interaction constante. Dès lors, toute perturbation physiologique ou non retentira sur les autres systèmes. La clinique nous fournit un certain nombre d’exemples éloquents de ces imbrications. Le déclenchement des poussées herpétiques lors d’épisodes stressants est classique. La participation des facteurs émotionnels à la genèse des crises d’asthme ou l’aggravation de l’eczéma atopique est bien connue des allergologues... et des patients. La maladie de Basedow, affection auto-immune, serait sensible au stress, l’un des facteurs potentiellement responsable du déclenchement et de poussées de la maladie ; elle s’accompagne régulièrement d’une irritabilité, d’une labilité émotionnelle, d’une dysphorie anxieuse, voire d’un authentique syndrome mélancolique. Les troubles psychiatriques font partie intégrante des critères diagnostiques du lupus érythémateux disséminé. Une physiopathologie auto-immune est fortement suspectée dans certaines affections neurologiques. Au niveau périphé- Act. Méd. Int. - Psychiatrie (15), n° 206, janvier 1998 3570 rique, l’altération de la jonction neuromusculaire de la myasthénie serait due à des anticorps dirigés contre le récepteur nicotinique post-synatique, tandis que la démyélinisation de la polyradiculonévrite de Guillain-Barré impliquerait également des anticorps circulants. Au niveau central, des mécanismes cellulaires et humoraux anormaux, contre des déterminants antigéniques de la myéline interviendraient dans la sclérose en plaques. Des traitements par interféron peuvent s’accompagner de réels tableaux dépressifs tandis qu’une chimiothérapie par l’interleukine-2 peut se compliquer de symptômes positifs ou négatifs évocateurs de troubles schizophréniformes tels que hallucinations, délire, troubles comportementaux. On pourrait évoquer plus banalement l’effet des corticoïdes sur l’humeur. Rappels immunologiques Rappelons brièvement l’organisation du système immunitaire et de la régulation de la réponse immune. On distingue 2 types d’immunité : l’immunité induite et l’immunité naturelle. Comme le montre la figure 1, dans l’immunité induite, un antigène active des cellules présentatrices de l’antigène (CP AG ou pour simplifier des macrophages). Celles-ci stimulent alors des lymphocytes T Helper (Th) par l’intermédiaire d’un médiateur soluble du nom générique de cytokine : l’interleukine-1 (IL-1). D’autres cytokines sont sécrétées par les lymphocytes T Helper activés : l’interleukine-2 (IL-2), l’interféron γ, ... Ils agissent en synergie pour activer à leur tour les lymphocytes B qui sécrètent alors des anticorps. Notons que seuls les lymphocytes activés possèdent des récepteurs d’IL-2, dont on retrouve une forme soluble dans le sérum. La réaction immunitaire s’atténue grâce à des lymphocytes suppressor (Ts) et à des interactions anticorps-anticorps au sein d’un réseau idiotypique. JANV 98 MEP 27/04/04 14:07 Page 3571 contrôle rétroactif négatif antigène Th récepteur de l'IL-2 CP AG stimulation inf-γ, IL-2, ... IL-1 suppression Ts “help” récepteur de l'IL-2 soluble anticorps B récepteur de l'IL-2 interactions du réseau idiotypique Figure 1 : Régulation de la réponse immunitaire (d’après A. Berneman, Institut Pasteur). Au niveau humoral, on décrit une immunité naturelle, innée, physiologique, indépendante de toute stimulation antigénique extérieure. Elle repose sur des anticorps dirigés contre des antigènes du soi. On les appelle ainsi auto-anticorps naturels. Ils existent chez tout individu normal. Un exemple simple est celui des antigènes de groupes sanguins. Ces anticorps naturels participent largement au réseau idiotypique et à l’homéostasie du système immunitaire. Indices humoraux dans la pathologie mentale L’essence de la neuro-immunomodulation étant d’expliciter les interactions entre système nerveux central et système immunitaire, c’est tout naturellement qu’elle a participé à ce mouvement de recherche en psychiatrie. Ainsi, le terme “immuno-psychiatrie” a été créé pour noter que des mécanismes de l’immunité sont impliqués dans la pathogénie de certaines maladies mentales. Les observations suivantes ont contribué au développement de l’immunopsychiatrie : – modulation de l’apprentissage et de la mémoire au moyen d’anticorps anticerveau chez l’animal ; – effets in vivo des “anticorps anti-cerveau” sur l’activité bio-électrique des structures cérébrales et sur le comportement. Nous donnerons quelques exemples d’interactions entre immunité humorale et pathologie mentale, en renvoyant aux autres articles pour des développements plus spécifiques. Nous insisterons sur la schizophrénie, pathologie dans laquelle les travaux ont été les plus éloquents et pour laquelle des hypothèses autoimmunes sont avancées. 3571 Les interactions entre système nerveux et système immunitaire sont par définition bidirectionnelles. Si des neurotransmetteurs sont capables de transférer des informations à des neurones ou à d’autres types cellulaires comme les lymphocytes, ces derniers doivent pouvoir également informer les neurones et les cellules associées. Les voies sont moins bien connues, mais les cytokines pourraient moduler les circuits neuronaux du système nerveux central. L’interleukine-1 (IL-1) est un candidat potentiel pour ce rôle d’“immunotransmetteur”. R. Dantzer a étudié les effets comportementaux des interleukines. Il a présenté une synthèse des changements qui accompagnent la fièvre et qu’il nomme “maladie comportementale” (3). Celleci comprend des symptômes aussi peu spécifiques que malaise généralisé, diminution des interactions sociales, diminution de l’activité, de la consommation de nourriture et d’eau, disparition du comportement de toilettage, allongement de la phase lente de sommeil. Il montre alors que des injections systémiques ou intracérébrales d’IL-1 induisent des modifications identiques chez les animaux sains. Les études sur le stress chez l’homme ont envisagé davantage les perturbations cellulaires engendrées que les modifications humorales. Pourtant, certains indices humoraux peuvent se trouver altérés. Dorian a montré chez des étudiants une diminution réversible de la réactivité mitogénique et de la production d’anticorps in vitro au moment du passage des examens (4). Les troubles de l’humeur peuvent s’accompagner d’anomalies immunologiques. Le concept de neuro-immunomodulation prend là toute sa valeur si l’on songe aux modifications neurohormonales observées chez les patients déprimés (axe hypothalamo-hypophyso-thyroïdien et axe hypothalamo- JANV 98 MEP 27/04/04 14:07 Page 3572 Immunologie et psychiatrie hypophyso-surrénalien). Ces modifications immunologiques observées pourraient permettre une meilleure connaissance des mécanismes physiopathologiques des troubles de l’humeur. Les anomalies de l’immunité humorale retrouvées consistent en la présence d’auto-anticorps à une fréquence anormalement élevée : facteur rhumatoïde, anticorps antinucléaires, anticorps antithyroide, anticorps antihistone, anticorps antisomatostatine. Mais ces résultats n’ont pas toujours été confirmés et restent contradictoires. La maladie d’Alzheimer se caractérise d’un point de vue histologique par la présence de nœuds neuro-fibrillaires intraneuronaux, de plaques séniles et de la présence anormale dans le cerveau de substance amyloïde, dont on sait l’association avec des troubles du système immunitaire. Il existe, de plus, des IgG et des facteurs du complément au sein des plaques séniles (26). Il semble donc que des processus immunologiques intracérébraux complexes existent dans cette maladie et donc que l’étiopathogénie puisse faire intervenir le système immunitaire. Jankovic a mis en évidence des autoanticorps dirigés contre 2 antigènes cérébraux (protéine S-100 et neurone specific enolase) (12). Ces anticorps étant retrouvés dans d’autres pathologies psychiatriques, les résultats sont à considérer avec réserve. La schizophrénie a été particulièrement étudiée. Les premiers paramètres mesurés étaient les taux des différentes immunoglobulines IgG, IgM, IgA. L’hétérogénéité des groupes de patients et le manque de contrôle des facteurs non spécifiques peuvent expliquer, au moins en partie, des résultats contradictoires. Les travaux se sont orientés vers la recherche d’auto-anticorps non spécifiques d’organes (anticorps antinucléaires, anti-DNA, antihistone, anticentromère). Si des différences appa- raissent entre patients schizophrènes et groupes témoins, l’objection d’une participation des traitements neuroleptiques n’est pas levée. D’autres auteurs ont décrit des autoanticorps spécifiques d’organes : – contre la thyroïde, l’estomac, le muscle lisse ; – antithymique ; – contre la thyroïde et les lymphocytes ; – antiplaquettes ; – contre la sérotonine. Toutes ces études se sont révélées peu concluantes. Plus intéressantes sont les études recherchant des anticorps anti-cerveau d’autant que les travaux de Heath et Krupp leur donnent une importance historique (7, 8). À partir de 1957, ces auteurs publièrent une série de travaux sur une fraction protéique isolée du sérum de schizophrènes qu’ils nommèrent “taraxéine”. L’administration de celle-ci à des singes induisait un comportement catatonique transitoire et des anomalies électroencéphalographiques de la région septale. L’injection à des volontaires sains provoquait des troubles schizophréniformes débutant 2 à 10 minutes après l’injection, réversibles en 2 heures au maximum. Utilisant une technique d’immunofluorescence indirecte, ils suggérèrent que la “taraxéine” était un anticorps qui réagissait contre la région septale et le noyau caudé, qu’elle se fixait in vivo sur le noyau de certaines cellules cérébrales et qu’elle était responsable des troubles. Plus récemment, Heath revient partiellement sur ses conclusions en discutant sa technique et en évoquant le rôle des neuroleptiques (9). Néanmoins, en utilisant cette fois l’immunoélectrophorèse croisée, il trouve que les sérums de 96 % des schizophrènes non traités contiennent des IgG spécifiques de la région septale (de singe), contre 0 % des sujets contrôles Act. Méd. Int. - Psychiatrie (15), n° 206, janvier 1998 3572 et 6 % des schizophrènes traités. Ces conclusions sont contestées. Un autre auteur retrouve une prévalence d’anticorps anti-cerveau plus élevée chez les patients étudiés (70 %) comparés aux témoins (12 %) (10). Les anticorps réactifs sont dirigés contre des structures péri-nucléaires de neurones de plusieurs régions cérébrales. Les régions incriminées sont principalement les suivantes : cortex frontal, amygdale, gyrus cingulaire, septum, régions impliquées dans la pathogénie de la schizophrénie. Il suggère ainsi qu’une liaison non spécifique peut être exclue puisque des régions non impliquées ne révèlent pas de tels phénomènes. Les études de ces dernières années se sont intéressées particulièrement aux cytokines visant à démontrer une participation auto-immune dans la schizophrénie. L’interleukine-2 a été la plus étudiée. En effet, la production d’IL-2 a été décrite comme diminuée dans un certain nombre de pathologies associées à des processus auto-immuns tels que lupus érythémateux disséminé, polyarthrite rhumatoïde, syndrome de Sjögren, diabète insulinodépendant, sclérose en plaque. On a ainsi supposé qu’une production basse d’IL-2 est une caractéristique importante dans la physiopathologie de l’auto-immunité. La production d’IL-2 était effectivement diminuée, au moins chez un certain nombre de patients schizophrènes. Si ces mécanismes de production concernent l’immunité cellulaire, des indices humoraux peuvent être modifiés, pas tant les taux sériques d’IL-2 qui sont normaux mais les taux sériques du récepteur soluble d’IL-2. Les travaux concernant l’IL-2 sont partis de l’hypothèse suivante : s’il existe une participation auto-immune, chez au moins un sous-groupe de schizophrènes, alors des anomalies similaires à d’autres pathologies auto-immunes doivent être retrouvées. Or les lymphocytes T activés produisent non seulement de l’IL2 mais aussi des récepteurs de l’IL-2 (IL- JANV 98 MEP 27/04/04 14:07 Page 3573 2R). En plus de sa forme membranaire, il existe une forme soluble du récepteur d’IL-2 (IL-2Rs). Cette forme soluble peut être détectée dans le sérum après activation de cellules T in vivo. Elle a été détectée à des faibles taux dans le sérum de sujets sains. Par contre, une augmentation de sa concentration sérique a été retrouvée chez des patients présentant des pathologies auto-immunes, suggérant un processus auto-immun actif. L’équipe de Rapaport a publié divers travaux concernant le récepteur soluble d’IL-2 : – augmentation chez 30 schizophrènes traités comparés à 13 sujets contrôles avec rôle potentiel des neuroleptiques (16) ; – absence d’effet à 24 et à 48 heures d’une administration d’halopéridol en aigu sur le taux d’IL-2Rs de 28 sujets sains (17) ; – étude de jumeaux répartis en 3 groupes (jumeaux discordants, jumeaux concordants sains, jumeaux concordants malades) : tendance à des taux d’IL-2Rs plus élevés chez les jumeaux malades par rapport aux jumeaux sains dans le groupe discordant et chez les jumeaux concordants malades par rapport aux jumeaux sains concordants (18) ; – augmentation du taux d’IL-2Rs dans un groupe de 12 schizophrènes non traités comparativement à un groupe contrôle, récusant ainsi le rôle potentiel des neuroleptiques (19) ; – augmentation du taux d’IL-2Rs chez des patients traités et présentant des dyskinésies tardives par rapport à des schizophrènes traités sans dyskinésie, suggérant une liaison entre les 2 phénomènes (19). Le, ou plutôt les interférons (IF) ont également été mesurés dans la schizophrénie. En effet, plusieurs auteurs ont postulé le rôle possible d’un agent viral dans la schizophrénie et par ailleurs d’un processus auto-immun. Or les IF ont été montrés associés à certaines maladies induites par les virus ou à certaines maladies auto-immunes. Il existe 2 types d’IF : – le type I, “interféron viral”, comprenant 3 sous-types α, β et ω ; – le type II, “interféron immunologique” ou interféron γ. Aujourd’hui, les IF sont considérés comme des cytokines multifonctionnelles. Si leur activité antivirale puissante leur fait jouer un rôle déterminant dans la première ligne de défense contre l’invasion virale, c’est tantôt en synergie, tantôt en antagonisme avec d’autres cytokines qu’ils interviennent dans le contrôle de la réplication cellulaire et exercent leurs nombreuses actions sur le système immunitaire. Si la recherche de modifications des taux sériques d’IF n’apporte pas de résultats concluants, on retrouve par contre certaines anomalies dans la production d’IF après stimulation antigénique. Inglot retrouve une plus faible production d’IF α mais pas d’IF γ et remarque qu’une analyse globale peut masquer des patterns individuels différents (11). Elle retrouve en fait 2 populations de schizophrènes : des hauts répondeurs et des bas répondeurs. Plus intéressant, elle constate que les hauts répondeurs ont des signes de schizophrénie de type positif (délire, hallucination, bizarrerie et trouble de la pensée), tandis que les faibles répondeurs ont plutôt des symptômes négatifs prévalents (retrait social, émoussement affectif, trouble de l’attention, avolition, apathie). De plus, elle relate la présence dans le plasma des schizophrènes de facteurs susceptibles de transférer une hypersensibilité aux inducteurs d’IF chez les sujets sains. Par exemple, dans les leucocytes cultivés en présence de plasma de schizophrènes, on retrouve 71 % de hauts répondeurs après stimulation par le virus NDV contre 26 % en présence de plasma de sujets normaux. Une deuxième interleukine a été étudiée dans la schizophrénie : l’interleukine-6 3573 (IL-6). Des anomalies de l’IL-6 ont été trouvées chez des patients présentant des pathologies auto-immunes et chez des souris présentant une encéphalite expérimentale, suggérant son implication dans les troubles de l’auto-immunité. Ainsi, comme pour l’IL-2, on s’est intéressé aux anomalies potentielles de l’IL6 dans la schizophrénie. Les premiers travaux datent de 1991. Deux auteurs, Ganguli et Shintani retrouvent une augmentation d’IL-6 dans le sérum des patients par rapport à des sujets contrôles (6, 22) mais des études plus récentes ne retrouvent pas ces résultats. Modèles explicatifs Nous avons vu que certains indices humoraux du système immunitaire étaient modifiés dans plusieurs pathologies mentales. En ce qui concerne la schizophrénie, certaines hypothèses étiopathogéniques ont été proposées. Elles font intervenir le système immunitaire et plus particulièrement une composante auto-immune. Nous présentons certains de ces modèles. Le modèle de l’interféron a (IF-a) Waltrip propose un modèle faisant intervenir l’IF-α (27) : une régulation défectueuse de l’IF-α conduirait à des effets excessifs responsables des symptômes de la schizophrénie. Cet interféron serait induit dans le cerveau par la réactivation de virus qui sont communément présents dans le système nerveux central. La schizophrénie se développerait en conséquence d’une stimulation de la production in situ, dans le système nerveux central, d’IF-α chez des sujets vulnérables ayant une anomalie de la production ou de la sensibilité à l’IF-α. Cet excès d’IF-α conduirait aux manifestations de la maladie. Ce modèle prend en compte les hypo- JANV 98 MEP 27/04/04 14:07 Page 3574 Immunologie et psychiatrie thèses virales de la schizophrénie. Le manque de preuves de l’implication d’un type de virus particulier fait suspecter un processus plus complexe. La stimulation exagérée de l’IF-α in situ en réponse à un des nombreux virus qui infectent de façon latente le système nerveux central entraîne des effets sur le cerveau. L’auteur fait référence aux études des taux d’IF chez les schizophrènes en précisant que son modèle ne prédit pas que des taux d’IF soient détectables dans le liquide céphalorachidien ou le sang des patients puisque la production d’IF-α est un phénomène local et rapidement atténué eu égard à sa courte demi-vie. Cette théorie fait appel également aux activités biologiques de l’IF-α outre son induction d’un état antiviral. L’auteur cite en effet les activités neurophysiologiques et les activités agoniste-opiacé ou ACTH-like et rappelle leurs interactions avec le système dopaminergique. Les mécanismes précités sont à l’origine des symptômes positifs de schizophrénie. La théorie de l’IF-α intègre également les modèles neuro-développementaux de la schizophrénie. L’inhibition de la prolifération et de la différenciation cellulaire par l’IF-α procure un dénominateur commun à tous ces modèles. Outre cet aspect, la toxicité directe de l’IF-α est mise en cause dans l’apparition des signes négatifs de schizophrénie. Le modèle des lymphocytes T macrophages- Plusieurs publications de Smith lui ont permis d’étayer sa théorie de la schizophrénie (23, 24, 25). Il fait l’hypothèse qu’une production excessive d’IL-2 et d’IL-2R serait à l’origine de la schizophrénie. Selon lui, la source principale d’IL-2 et d’IL-2R se situerait dans le tractus gastro-intestinal. En effet, il a été montré chez l’animal que les lymphocytes du tractus gastro-intestinal se différencient des lymphocytes du sang par une réponse proliférative à l’IL-2 six fois plus importante, par un pourcentage de récepteur à l’IL-2 dix-sept fois plus élevé et par une production d’IL-2 quatre-vingt-dix fois supérieure. Par ailleurs, les lymphocytes T du tractus gastro-intestinal ont des récepteurs d’IL-2, même s’ils ne sont pas activés, tandis que seuls les lymphocytes activés en possèdent dans le sang. Ainsi, les lymphocytes T du tractus gastro-intestinal constituent la source principale d’IL2 et d’IL-2R de l’organisme. L’auteur propose donc que la schizophrénie soit causée par une production excessive d’IL-2 et d’IL-2R par les lymphocytes T du tractus gastrointestinal. L’alimentation et les microorganismes joueraient un rôle majeur en déclenchant cette production de cytokines et de récepteurs chez des sujets sensibles, que cette sensibilité soit génétique ou développementale. Dans cette théorie, les macrophages seraient incapables de supprimer convenablement la sécrétion d’IL-2 et d’IL-2R. Pendant la phase prodromique de la maladie, les lymphocytes seraient toujours sous le contrôle des macrophages. Le passage de la phase prodromique à la phase active de la schizophrénie correspondrait à l’échec du contrôle des macrophages, résultant en une sécrétion explosive d’IL2 et d’IL-2R et des symptômes. Par ailleurs, l’auteur explique de la même façon l’efficacité des neuroleptiques sur la phase active de la maladie, puisqu’ils peuvent bloquer la production d’IL-2 et leur inefficacité sur la phase résiduelle, puisqu’ils n’ont aucune action sur la sécrétion des macrophages. Le modèle des auto-anticorps antirécepteurs dopaminergiques Knight propose un modèle auto-immun au sens le plus classique du terme (13). Il Act. Méd. Int. - Psychiatrie (15), n° 206, janvier 1998 3574 s’inspire de la maladie de Basedow dans laquelle des auto-anticorps stimulent la thyroïde et causent l’hyperthyroïdie. Il postule que des auto-anticorps interagissent et stimulent les récepteurs dopaminergiques de certaines voies neuronales et causent les signes positifs de schizophrénie. Une autre alternative serait que les signes positifs soient causés par des anticorps qui bloqueraient les auto-récepteurs présynaptiques et conduiraient ainsi à un relargage de dopamine dans des synapses particulières. Dans ce modèle, les symptômes chroniques sont expliqués par une variante d’anticorps stimulant les récepteurs dopaminergiques qui auraient une plus haute affinité pour les auto-récepteurs présynaptiques que postsynaptiques et qui éteindraient la sécrétion de dopamine de certaines voies dopaminergiques. Seules certaines voies dopaminergiques seraient touchées. Comme pour la thyroïde, les auto-anticorps seraient capables de distinguer entre les récepteurs de la même hormone ou du même agoniste mais situés en des sites anatomiques distincts. Le modèle des anticorps antiplaquettes Rapportant des taux élevés d’anticorps anti-plaquettes chez des schizophrènes par rapport à un groupe témoin, Shinitzky fait l’hypothèse de leur participation étiopathogénique (21). En effet, les anticorps des schizophrènes réagissent avec des antigènes du système nerveux central du rat alors que les anticorps des sujets sains n’ont pas la même capacité. L’on connaît par ailleurs la parenté entre les plaquettes et certains tissus cérébraux. Il suppose que les plaquettes des schizophrènes initieraient une réaction auto-immune et que la production des anticorps produirait une agrégation plaquettaire responsable d’un relargage JANV 98 MEP 27/04/04 14:07 Page 3575 sérotoninergique qui affecterait le fonctionnement mental. Un autre mécanisme consisterait en des interférences avec le métabolisme dopaminergique (2). Le modèle des auto-anticorps naturels Nous avons vu précédemment qu’il existait chez les individus sains et non intentionnellement immunisés des anticorps naturels dirigés contre des constituants du soi. Ces auto-anticorps naturels forment un réseau complexe et mouvant, qui participe au fonctionnement correct de l’organisme. Si un certain nombre de maladies autoimmunes résultent de la production d’auto-anticorps IgG de haute affinité, dans certains cas un sous-type d’auto-anticorps polyréactifs contribuent à la pathogénie. On a montré par exemple chez la souris que des anticorps anti-idiotypes pouvaient participer à une cascade immune aboutissant à des auto-anticorps antirécepteurs à l’insuline. Ainsi des anticorps anti-idiotypes, c’est à dire anticorps anti-insuline, possèdent la structure tridimensionnelle de l’insuline et peuvent se lier au récepteur de l’insuline entraînant l’effet physiologique habituel. Chez l’homme, les anticorps antirécepteurs à l’insuline retrouvés chez certains diabétiques seraient des anticorps anti-idiotypes dirigés contre des anticorps antiinsuline. De la même façon, on peut donc imaginer que parmi le réseau d’auto-anticorps naturels, certains anticorps réagissent contre le récepteur dopaminergique. Des auto-anticorps antidopamine (et antisérotonine) ont été mis en évidence non seulement chez les patients schizophrènes mais aussi chez des sujets sains (14) ; il est possible que des anticorps anti-idiotypes dirigés contre ces anticorps antidopamine se lient aux récepteurs dopaminergiques et les stimulent. En fonction des spécificités fines de ces anticorps, certaines voies dopaminergiques seraient préférentiellement touchées, ce qui expliquerait les variations cliniques observées. D’autres neurotransmetteurs (sérotoninergiques en particulier) pourraient être impliqués selon le même principe, amplifiant encore l’hétérogénéité observée cliniquement. Selon le modèle de Knight, l’effet thérapeutique des neuroleptiques serait mieux compris. Étayant cette hypothèse, on a retrouvé des anticorps anti-idiotype obtenus par immunisation avec un anticorps monoclonal antihalopéridol (5). Cet anticorps est une image interne du neuroleptique et interagirait avec les récepteurs dopaminergiques D2. Ce modèle n’explique pas l’origine d’un dysfonctionnement potentiel de ce réseau, pas plus qu’il n’est compris dans d’autres pathologies, tel le lupus érythémateux disséminé par exemple où une telle dysharmonie existe. Par contre, il laisse entrevoir des possibilités thérapeutiques nouvelles et adjuvantes aux traitements neuroleptiques classiques : l’utilisation d’immunoglobulines par voie intraveineuse, si cette hypothèse est correcte, permettrait de rétablir un fonctionnement normal et physiologique de ce réseau perturbé et responsable d’une auto-immunité devenue pathologique. Ainsi, dans la pathologie qui donne lieu au plus grand nombre d’hypothèses immunitaires, un traitement original viendrait renouveler notre compréhension des mécanismes biologiques de la schizophrénie. Références 1) Ader R. : Psychoneuroimmunology (second edition), 1991. R. Ader, D.L. Felten, N. Cohen Eds. Academic Press. 2) Amital H., Shoenfeld Y. : Autoimmunity and schizophrenia : an epiphenomenon or an etiology ? Israel J. Med. Sci., 1993, 29 : 594-8. 3) Dantzer R. : Sickness behaviour : evidence 3575 and neuroimmune mechanisms. Abstract. 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