Mots clés : facteur
de risque, éducation
thérapeutique,
entretien
motivationnel
DOI : 10.1684/med.2009.0400
HIPPOCRATE EN CAMPAGNE
Ànotre santé...
Les patients qui fument, qui boivent et qui man-
gent n’importe quoi, ils sont bêtes. Ils auront un
cancer du poumon, une cirrhose et un infarctus. Ils
sont bêtes, et en plus ils sont méchants.
Ils se fichent bien de tous les efforts qu’on fait pour
qu’ils soient en bonne santé. Alors, une partie de
notre travail, c’est de faire en sorte qu’ils ne fu-
ment pas, qu’ils ne boivent pas et qu’ils mangent
des haricots verts. Et, pour cette partie-là de mon
travail, je suis particulièrement nulle.
Ce n’est sans doute pas tout à fait étranger au fait
que je fume, que je bois trop, que je me nourris
essentiellement de pâtes, de crème fraîche et de
burgers, et que le seul sport que je pratique, c’est
mes 10 heures hebdomadaires de raid dans WoW.
Mais ce n’est pas que ça non plus. Je ne crois pas.
Je ne sais pas.
J’ai eu un prof dont c’était le dada. Ses yeux pétil-
laient à chaque fois qu’il disait les mots « préven-
tion » ou « motivation ».
Les patients, il fallait leur
faire comprendre. Leur
faire comprendre que c’est
mal de manger du saucis-
son ; leur faire comprendre
que c’est mauvais pour la
santé, la bière ; leur faire
comprendre que pas fu-
mer, c’est super vache-
ment chouette. Leur faire
comprendre.
Il était plein de bonne vo-
lonté, à nous raconter
comment on fait compren-
dre aux gens. Et qu’il faut
pas culpabiliser, et qu’il
faut pas menacer, et que ouhlala ! ! les entretiens
motivationnels c’est trop bien. Il nous expliquait en
long et en large qu’il ne faut surtout pas se mettre
dans la position du sage détenteur du savoir qui
regarde d’en haut le pauvre pêcheur en brandissant
l’index et en fronçant les sourcils de l’air mécontent
et déçu du bon paternaliste. Et, à côté de ça, il disait
qu’il fallait leur « faire comprendre ».
« Ah mais pourtant on y fait comprendre, hein, doc-
teur, au petit, qu’il faut bien travailler à l’école ! »...
Sic.
Je ne sais pas trop ce qu’il arrivait à faire compren-
dre à ses patients, mais moi, de l’écouter 10 min,
ça me donnait sauvagement envie d’allumer une
clope. Ou comment expliquer qu’il ne faut pas être
parternaliste tout en suant le paternalisme à gros-
ses gouttes.
J’en ai eu un autre aussi, qui disait à ses patients
qu’arrêter de fumer, c’était vraiment pas la mer à
boire. Que tout ce qu’il fallait, c’était de la VO-LON-
TÉ, de celles qui séparent les syllabes. Il refusait
de donner des substituts, même quand le patient
le demandait, parce qu’il suffisait de la vo-lon-té, et
que les patchs, c’était jamais qu’une cigarette plate
qu’on se colle sur le bras pour engraisser les labo-
ratoires (lui qui prescrivait de l’Acomplia®et de l’Art
50®à tout va, sic-again...) Parce que, ajoutait-il :
« Arrêter de fumer, c’est vraiment pas compliqué
quand on compare à d’autres choses. Vous vous
rendez compte qu’il y a des gens qui traversent
l’Atlantique à la rame ? À LA RA-ME ! Vous vous
rendez compte de la vo-lon-té qu’il faut pour faire
ça ? » (Ai-je déjà dit « sic... » ?)
Ok, n’empêche que l’autre, c’est pour arrêter de
fumer qu’il rame. Et n’empêche que moi, après
toutes ces heures de cours et de démonstrations
de haute volée, je ne sais toujours pas comment
on fait comprendre aux gens. Quand je m’écoute
prescrire un régime (« Prescrire un régime »... Une
formulation presque aussi belle que « Faire
comprendre »...), la part de moi qui m’observe hé-
site entre ricaner et me foutre une paire de baffes.
Histoire de me faire comprendre... « Hé bin ma jo-
lie, si avec ça il se met à faire le moindre effort, ce
sera vraiment parce qu’il l’aura décidé tout seul,
hein... » Je fais tout ce qu’il ne faut pas faire. Déjà,
j’explique mal, parce que la nutrition, ça me gave
et je n’y connais rien. Je saurais comment y mettre
de la bonne volonté que je
ne saurais pas quoi dire. J’ai
bien cru comprendre qu’en
théorie, y a le régime pour
les diabétiques, celui pour
les triglycéridiens, celui pour
les mauvais cholestéroliens.
En pratique, quand je lis
dans mes bouquins les dif-
férents régimes, à la fin du
chapitre, je me dis « Ouais,
bon, moins de sucres,
moins de gras, pis plus de
légumes. Un régime,
quoi... ». Dans ma tête, les
régimes alimentaires sont
aux dyslipidémies ce que les
dermocorticoïdes sont à la dermato : de toute fa-
çon, ça finit toujours pareil. Ensuite...
Bin ensuite je ne sais pas trop. Quand j’explique
les « règles hygiéno-diététiques » (voui, on appelle
ça comme ça, faire la morale, en médecine. On dit
règles hygiéno-diététiques. Je ne sais pas vous,
mais moi, une formulation avec « règles » et « hy-
giénique » dedans, je trouve pas ça super sexy), je
n’arrive pas à rentrer dedans. Je n’y crois pas. Le
type, en face, il a pas attendu 50 ans qu’une fille
avec des couettes viennent lui expliquer que c’est
mieux de manger des haricots verts que des piz-
zas, et que fumer ça donne le cancer du poumon.
À la rigueur, je veux bien lui donner des chiffres et
des faits. En toute neutralité. Lui raconter que le
mauvais cholestérol, ça augmente le risque d’acci-
dents cardiovasculaires, et que c’est lié en partie à
l’alimentation, et que tels ou tels types d’aliments
augmentent, ou pas, ce damné LDL. Lui mettre en
main les clés de l’équation.
À lui de savoir s’il veut essayer de la résoudre ou
pas.
Peut-être que je deviendrai meilleure avec l’âge.
Peut-être que je deviendrai meilleure quand j’arrê-
terai de fumer.
Jaddo
144 MÉDECINE mars 2009
09-04-07120027-PAO
L : 219.992
- Folio : --
- H : 306.994 - Couleur : BlackYellowMagentaCyan
- Type : -- 11:41:54
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017.