120027-PAO - Folio : -09-04-07 11:41:54 - Type : -L : 219.992 - H : 306.994 - Couleur : Yellow Cyan Magenta Black HIPPOCRATE EN CAMPAGNE Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. Mots clés : facteur de risque, éducation thérapeutique, entretien motivationnel À notre santé... Les patients qui fument, qui boivent et qui mangent n’importe quoi, ils sont bêtes. Ils auront un cancer du poumon, une cirrhose et un infarctus. Ils sont bêtes, et en plus ils sont méchants. Ils se fichent bien de tous les efforts qu’on fait pour qu’ils soient en bonne santé. Alors, une partie de notre travail, c’est de faire en sorte qu’ils ne fument pas, qu’ils ne boivent pas et qu’ils mangent des haricots verts. Et, pour cette partie-là de mon travail, je suis particulièrement nulle. Ce n’est sans doute pas tout à fait étranger au fait que je fume, que je bois trop, que je me nourris essentiellement de pâtes, de crème fraîche et de burgers, et que le seul sport que je pratique, c’est mes 10 heures hebdomadaires de raid dans WoW. Mais ce n’est pas que ça non plus. Je ne crois pas. Je ne sais pas. DOI : 10.1684/med.2009.0400 J’ai eu un prof dont c’était le dada. Ses yeux pétillaient à chaque fois qu’il disait les mots « prévention » ou « motivation ». Les patients, il fallait leur faire comprendre. Leur faire comprendre que c’est mal de manger du saucisson ; leur faire comprendre que c’est mauvais pour la santé, la bière ; leur faire comprendre que pas fumer, c’est super vachement chouette. Leur faire comprendre. Il était plein de bonne volonté, à nous raconter comment on fait comprendre aux gens. Et qu’il faut pas culpabiliser, et qu’il faut pas menacer, et que ouhlala ! ! les entretiens motivationnels c’est trop bien. Il nous expliquait en long et en large qu’il ne faut surtout pas se mettre dans la position du sage détenteur du savoir qui regarde d’en haut le pauvre pêcheur en brandissant l’index et en fronçant les sourcils de l’air mécontent et déçu du bon paternaliste. Et, à côté de ça, il disait qu’il fallait leur « faire comprendre ». « Ah mais pourtant on y fait comprendre, hein, docteur, au petit, qu’il faut bien travailler à l’école ! »... Sic. Je ne sais pas trop ce qu’il arrivait à faire comprendre à ses patients, mais moi, de l’écouter 10 min, ça me donnait sauvagement envie d’allumer une clope. Ou comment expliquer qu’il ne faut pas être parternaliste tout en suant le paternalisme à grosses gouttes. J’en ai eu un autre aussi, qui disait à ses patients qu’arrêter de fumer, c’était vraiment pas la mer à boire. Que tout ce qu’il fallait, c’était de la VO-LONTÉ, de celles qui séparent les syllabes. Il refusait de donner des substituts, même quand le patient le demandait, parce qu’il suffisait de la vo-lon-té, et que les patchs, c’était jamais qu’une cigarette plate qu’on se colle sur le bras pour engraisser les laboratoires (lui qui prescrivait de l’Acomplia® et de l’Art 50® à tout va, sic-again...) Parce que, ajoutait-il : « Arrêter de fumer, c’est vraiment pas compliqué quand on compare à d’autres choses. Vous vous 144 MÉDECINE mars 2009 rendez compte qu’il y a des gens qui traversent l’Atlantique à la rame ? À LA RA-ME ! Vous vous rendez compte de la vo-lon-té qu’il faut pour faire ça ? » (Ai-je déjà dit « sic... » ?) Ok, n’empêche que l’autre, c’est pour arrêter de fumer qu’il rame. Et n’empêche que moi, après toutes ces heures de cours et de démonstrations de haute volée, je ne sais toujours pas comment on fait comprendre aux gens. Quand je m’écoute prescrire un régime (« Prescrire un régime »... Une formulation presque aussi belle que « Faire comprendre »...), la part de moi qui m’observe hésite entre ricaner et me foutre une paire de baffes. Histoire de me faire comprendre... « Hé bin ma jolie, si avec ça il se met à faire le moindre effort, ce sera vraiment parce qu’il l’aura décidé tout seul, hein... » Je fais tout ce qu’il ne faut pas faire. Déjà, j’explique mal, parce que la nutrition, ça me gave et je n’y connais rien. Je saurais comment y mettre de la bonne volonté que je ne saurais pas quoi dire. J’ai bien cru comprendre qu’en théorie, y a le régime pour les diabétiques, celui pour les triglycéridiens, celui pour les mauvais cholestéroliens. En pratique, quand je lis dans mes bouquins les différents régimes, à la fin du chapitre, je me dis « Ouais, bon, moins de sucres, moins de gras, pis plus de légumes. Un régime, quoi... ». Dans ma tête, les régimes alimentaires sont aux dyslipidémies ce que les dermocorticoïdes sont à la dermato : de toute façon, ça finit toujours pareil. Ensuite... Bin ensuite je ne sais pas trop. Quand j’explique les « règles hygiéno-diététiques » (voui, on appelle ça comme ça, faire la morale, en médecine. On dit règles hygiéno-diététiques. Je ne sais pas vous, mais moi, une formulation avec « règles » et « hygiénique » dedans, je trouve pas ça super sexy), je n’arrive pas à rentrer dedans. Je n’y crois pas. Le type, en face, il a pas attendu 50 ans qu’une fille avec des couettes viennent lui expliquer que c’est mieux de manger des haricots verts que des pizzas, et que fumer ça donne le cancer du poumon. À la rigueur, je veux bien lui donner des chiffres et des faits. En toute neutralité. Lui raconter que le mauvais cholestérol, ça augmente le risque d’accidents cardiovasculaires, et que c’est lié en partie à l’alimentation, et que tels ou tels types d’aliments augmentent, ou pas, ce damné LDL. Lui mettre en main les clés de l’équation. À lui de savoir s’il veut essayer de la résoudre ou pas. Peut-être que je deviendrai meilleure avec l’âge. Peut-être que je deviendrai meilleure quand j’arrêterai de fumer. Jaddo