L'ECHEC D'UN TRAITEMENT ANTIBIOTIQUE
EN REANIMATION
C. Martin, X. Viviand, S. Arnaud, C. Boisson, Département d'Anesthésie-
Réanimation et Centre de Traumatologie, Hôpital Nord, Marseille, France.
INTRODUCTION
La prescription d'un traitement antibiotique est initiée à des moments variables
par rapport au début de la maladie infectieuse selon l'urgence et les circonstances de
prise en charge du malade. Cette prescription se fait également soit sur des bases
bien établies et objectives qui permettent un traitement documenté (prélèvements
bactériologiques positifs) soit sur des arguments de forte probabilité en faveur d'une
infection bactérienne qui conduisent à un traitement probabiliste.
L'interprétation d'un échec intervient donc dans des circonstances très variées
mais fréquentes [1, 2]. En effet, l'analyse du dossier d'AMM d'un antibiotique
montre que la prescription d'un antibiotique est suivie d'un taux de succès de
80 à 90 %. C'est donc 10 à 20 % des traitements prescrits que le clinicien devra
analyser comme un échec.
MAPAR 1997
576
1. DEFINITION
L'échec est défini comme la persistance ou l'aggravation des signes locaux et/ou
généraux de l'infection en dépit d'une thérapeutique antibiotique jugée initialement
adaptée ou efficace. Une rechute est également considérée comme une situation
d'échec. Elle est définie par la réapparition, à plus ou moins longue échéance après
l'arrêt du traitement, du syndrome infectieux avec la même bactérie. L'absence de
rechute est d'ailleurs le seul critère absolu de guérison d'une infection. La
problématique de l'interprétation d'une rechute n'est pas différente de celle de la
persistance ou de l'aggravation du syndrome infectieux. Elle fait cependant appel à
un élément supplémentaire ; la durée du traitement qui a pu être trop courte en cas
de rechute. Le Tableau I présente les durées d'antibiothérapie habituellement
retenues pour les infections les plus communes [3]. A la limite de la définition de
l'échec d'une antibiothérapie se situent les surinfections où la bactérie identifiée est
différente de celle responsable du syndrome infectieux initial. Elle peut cependant
appartenir à la même espèce et seule l'étude des marqueurs d'espèce (antibiotype,
sérotype, biotype, phénotype...) permet de redresser le diagnostic.
TABLEAU I
Durées d'antibiothérapies habituellement retenues.
Diagnostics durée (jours)
péritonites
pneumopathies à BGN
pneumopathies à pneumocoque
pneumopathies à mycoplasme
pneumopathies à légionnelles
ostéomyélites
arthrites septiques (non gonococciques)
méningites à méningocoque
méningites à pneumocoque
méningites à pneumocoque péni R
méningites à haemophilus
méningites à listeria
pyélonéphrite primitive
pyélonéphrite secondaire
10-14
10-14
? trois jours de plus que l'apyrexie
14
21
28-42 (atteinte vertébrale)
21-28
7-10
10-14
? (14-21)
10-14
21
14
28-42
D'après R.E. Reese et R.F. Bettes [ref. 3)
2. DIAGNOSTICS DIFFERENTIELS
C’est la persistance du syndrome infectieux non imputable à un échec de
l'antibiothérapie. C'est une situation clinique fréquente, complexe, et souvent
difficile d'interprétation.
Infections nosocomiales
577
2.1. SYNDROME INFECTIEUX PERSISTANT : QUAND FAUT-IL
S'INQUIETER
Est-il normal que mon patient soit toujours fébrile ? C'est la première chose à
considérer avant d'envisager de débuter une valse d'antibiotiques sur un rythme bi
ou tri-hebdomadaire. La défervescence thermique et l'amélioration franche du
syndrome infectieux peuvent prendre (normalement) jusqu'à 5 à 7 jours pour une
pneumopathie, 5 à 7 jours aussi pour une méningite et 3 à 4 jours pour une
pyélonéphrite grave. L'absence de défaillance viscérale et/ou d'anomalies
hémodynamiques doit conforter le clinicien dans sa décision de surseoir à un
changement du traitement.
2.2. LES REACTIONS MEDICAMENTEUSES ALLERGIQUES
Elles se rencontrent le plus souvent avec les bêtalactamines («fièvre aux
antibiotiques»). La fréquence est très variable pouvant aller jusqu'à 8 % en cas
d'endocardite [1]. Certains éléments sont en faveur de ce diagnostic : amélioration
de signes après arrêt du traitement (de 2-3 jours à... plus !), présence d'une éruption
cutanée, d'une hyperéosinophilie, d'une leucopénie, d'une élévation des
transaminases, d'une protéinurie. Tous ces signes sont inconstants et peu
spécifiques.
2.3. COMPLICATIONS
Une veinite, une lymphangite, un thrombophlébite profonde, une réaction
inflammatoire au site d'injection intra-musculaire sont des complications à
reconnaître et qui doivent être différenciées de l'échec d'une antibiothérapie.
2.4. ROLE DE LA MALADIE SOUS-JACENTE
Le tableau clinique peut être induit par l'évolution ou le traitement de la maladie
sous-jacente : néoplasie évolutive, maladie de système, présence d'une
trachéotomie, d'une intubation, hémorragie cérébrale ou cérébro-méningée...
2.5. SYNDROME DE DEFAILLANCE POLYVISCERALE
L'évolution d'un syndrome de défaillance polyviscérale avec les conséquences
liées à l'inflammation peut expliquer une persistance du syndrome infectieux. Une
défaillance monoviscérale, telle un SDRA avec forte composante inflammatoire
donne le même type de tableau clinique.
Une fois ces causes éliminées, l'analyse de la situation permet d'envisager
plusieurs situations différentes.
- erreur dans le pari bactériologique de l'antibiothérapie probabiliste.
-ré-isolement de la bactérie initiale, où dans ce cas l'échec peut être principalement
expliqué par la persistance de foyers infectieux ou par des facteurs liés à l'hôte, en
général une baisse des défenses anti-infectieuses.
MAPAR 1997
578
3. ERREUR DANS LE PARI BACTERIOLOGIQUE
L'antibiothérapie probabiliste repose sur un pari bactériologique
Dans tous les cas une réévaluation du pari bactérien et de la résistance supposée
doit être faite à la 48ème heure, sur les résultats des prélèvements dirigés. En premier
lieu, il faut envisager une étiologie non bactérienne au syndrome infectieux : virus,
parasite, champignons. Un changement de prescription des agents anti-infectieux
s'impose. Il n'est pas besoin d'insister sur la fréquence des infections virales et
fungiques que l'on observe en réanimation.
En second lieu, il peut s'agir d'une bactérie, mais pas celle que l'on attendait, ou
bien son profil de résistance en fait une bactérie difficile à traiter.
La liste de ces bactéries est longue : pneumocoques de sensibilité diminuée, ou
résistants à la pénicilline ; entérocoques résistants aux bêtalactamines et à la
vancomycine, Escherichia coli résistants à l'association amoxicilline-acide
clavulanique, entérobactéries sécrétrices de bêtalactamases à spectre élargi,
staphylocoques méticilline-résistants, Pseudomonas aeruginosa résistants à
l'imipénème... Le Tableau II présente les principaux profils de résistance rencontrés
chez les bactéries hospitalières en 1997.
La pari bactériologique est difficile en cas d'infections graves même s'il peut être
aidé par les données de l'examen direct, la connaissance de la flore de colonisation
du patient, de l'écologie de l'unité de soins, de l'antibiothérapie préalable éventuelle,
et par l'utilisation au moins à la phase initiale d'une association d'antibiotiques.
une flore mixte aérobie (staphylocoque + entérobactérie, ou P. aeruginosa) ou
une flore mixte aéro-anaérobie en présence d'une infection gynécologique, d'une
pneumopathie ou d'un abcès profond (foie, cerveau, poumon). Dans tous les cas il
est indispensable de reconsidérer les examens microbiologiques initiaux sur le plan
de leur signification [2] : fiabilité en fonction du site infecté, du type de prélèvement
(protégé ou non), du nombre de prélèvements positifs (hémocultures en particulier)
si la bactérie isolée est réputée non pathogène) ; y-a t'il eu un comptage bactérien ?
le prélèvement est-il compatible avec le tableau clinique observé ?
Au terme de ces réflexions, éventuellement après réalisation de nouveaux
prélèvements, l'antibiothérapie est modifiée, soit en fonction de la bactérie isolée,
soit en fonction du spectre négatif (qu'il faut bien connaître) de l'antibiotique ou de
l'association d'antibiotiques utilisés. Un antifungique ou un antiviral peut également
être prescrit. Par ailleurs, le pari microbiologique peut être inexact car il n'a pas été
envisagé
Infections nosocomiales
579
4. BACTERIE DEVENUE RESISTANTE : ECHEC PAR RE-ISOLEMENT
L'émergence de variants résistants en cours de traitement est favorisée par
certains facteurs : l'espèce bactérienne (P. aeruginosa, entérobactéries...), un
inoculm bactérien élevé (où statistiquement un plus grand nombre de souches avec
une CMI élevée sont présentes), un foyer mal accessible (abcès, empyèmes,
thrombophlébites suppurées, foyers osseux, endocardite...), la présence de matériel
ou de corps étrangers, des posologies insuffisantes d'antibiotique ou une diffusion
insuffisante au sein du foyer infectieux, le type d'antibiotiques (bêtalactamines,
quinolones, fosfomycine, rifampicine, a. fusidique), et l'emploi d'une monothérapie.
Dans la pratique plusieurs facteurs sont en général associés. Il faut d'emblée insister
sur l'importance que jouent de faibles concentrations d'antibiotiques obtenues dans
le(s) foyer(s) infecté(s) ce qui sera détaillé ci-dessous. C'est le cas lorsque l'on
emploie des doses insuffisantes, ou bien (cf. infra) des doses normales chez des
sujets présentant des anomalies de paramètres pharmacocinétiques ; c'est aussi le cas
lorsque deux antibiotiques sont associés et que leur diffusion inégale (ou des
conditions locales d'activité défavorable) conduit à une véritable monothérapie dans
le foyer à traiter. Si l'antibiotique qui diffuse le mieux est celui qui a le plus fort taux
de mutation en monothérapie, toutes les conditions sont réunies pour qu'émergent
des variants résistants.
4.1. INFLUENCE DU TYPE D'ANTIBIOTIQUE
4.1.1. BETALACTAMINES
Les échecs dus à l'émergence de variants résistants aux bêtalactamines sont
principalement décrits pour les bacilles à Gram négatif (BGN) de type
entérobactéries (Enterobacter sp, Serratia sp, Providencia sp, Citrobacter freundii,
Proteus indole positif) ou chez Pseudomonas aeruginosa. Les bêtalactamines
concernées sont les céphalosporines (y compris celles de 3ème génération), les
céphamycines, les carboxy et les uréidopénicillines. Apparue avec une de ces
molécules, la résistance les concerne toutes ; elle n'est en général pas croisée avec
celle aux fluoroquinolones et aux aminosides. Les carbapénèmes sont
préservées [4]. Le mécanisme est une induction par un antibiotique fortement
inducteur (Tableau III) d'une hypersécrétion de céphalosporinases (synthèse x 1000)
chromosomiques à partir de l'activation temporaire d'un gène qui gouverne à l'état
basal un faible niveau de synthèse de céphalosporinase, sans traduction clinique.
L'hypersécrétion de céphalosporinase conduit à la lyse de certaines céphalosporines
de 3ème génération (C3G) comme céfotaxime et à l'inactivation des autres (céfépime
et cefpirome par exemple sont plutôt stables vis à vis de l'hydrolyse par les
céphalosporinases) qui sont noyées dans une masse d'enzymes (effet «éponge») et
ne peuvent plus venir se fixer sur les sites d'actions (protéines de liaison des
pénicillines-PLP).
1 / 22 100%