revue Virologie 2012, 16 (3) : 148-57 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. Les récepteurs d’entrée du HTLV-1 : un ménage à trois Sophie Lambert1 , 2 , 3 , 4 Manuella Bouttier1 , 2 , 3 , 4 David Ghez1 , 2 , 3 , 4 Oliver Hermine1 , 2 , 3 , 4 Claudine Pique1 , 2 , 3 , 4 1 Institut Cochin, Inserm, U1016, 22 rue Méchain, 75014 Paris, France 2 CNRS, UMR8104, Paris, France 3 Université Paris-Descartes, Sorbonne-Paris-Cité, Paris, France 4 CNRS, UMR8147, université Paris-Descartes, Sorbonne-Paris-Cité, Paris, France <[email protected]> Résumé. L’identification du récepteur d’entrée pour un virus est toujours un défi et à l’heure actuelle, certains virus importants en pathologie humaine restent toujours sans récepteur connu. Le virus T-lymphotrope humain de type 1 (HTLV-1), seul rétrovirus responsable d’un cancer chez l’homme fut identifié au début des années 1980. La nature de son récepteur resta un mystère pendant plus de 20 ans, jusqu’à l’identification par différents laboratoires de trois protéines présentant les critères attendus : le transporteur de glucose Glut1, La neuropiline 1, un récepteur du VEGF, et les héparanes sulfates protéoglycanes. Cette revue décrit les différentes étapes qui ont conduit à l’identification de ces trois récepteurs et propose un modèle intégré dans lequel ces protéines interviennent successivement au cours du processus d’entrée. Mots clés : leucémie, rétrovirus, étapes précoces, protéoglycanes, neuropiline, Glut1 Abstract. The identification of the cellular receptor used by viruses to enter their target cells is always a challenge and to date entry receptors remain to be identified for a variety of pathogenic human viruses. Human T-lymphotropic virus type 1 (HTLV-1), the unique oncogenic retrovirus in human, was identified in the early 1980’s. The nature of its entry receptor has remained a mystery for over 20 years, until the independent identification of three proteins presenting the expected criteria, the glucose transporter Glut1, Neuropilin 1, a VEGF receptor, and heparan sulfate proteoglycans. In this review, we summarize the data pertaining to HTLV-1 entry molecules and present a new model, in which these three proteins successively intervene during the entry process. Key words: leukemia, retrovirus, early steps, proteoglycans, Neuropilin, Glut1 HTLV-1, l’autre rétrovirus humain Tirés à part : C. Pique 148 Virologie, Vol 16, n◦ 3, mai-juin 2012 Pour citer cet article : Lambert S, Bouttier M, Ghez D, Hermine O, Pique C. Les récepteurs d’entrée du HTLV-1 : un ménage à trois. Virologie 2012; 16(3) : 148-57 doi:10.1684/vir.2012.0452 doi:10.1684/vir.2012.0452 Le virus T-lymphotrope humain de type 1 (human T-cell lymphotropic virus, type 1 [HTLV-1]) fut le premier rétrovirus pathogène découvert chez l’homme, environ deux ans avant la découverte du virus de l’immunodéficience humaine de type 1 (VIH-1). HTLV-1, dans un premier temps reconnu comme l’agent étiologique de la leucémie aiguë de l’adulte (adult T-cell leukemia, [ATL]) fut ensuite associé à une pathologie de type inflammatoire, la paraparésie spastique tropicale/myélopathie associée à HTLV-1 (TSP/HAM). À la différence du VIH-1, HTLV-1 n’est pas responsable d’une pandémie mais est uniquement retrouvé dans certains foyers endémiques bien définis (Afrique, Amérique centrale et du Sud et Iles Caraïbes, Mélanésie, Japon), représentant environ 20 millions d’individus infectés dans le monde [1]. HTLV-1 fut isolé à partir d’une culture de lymphocytes T CD4 + établie d’un patient atteint d’un lymphome cutané à cellules T [2]. Bien que les lymphocytes CD4 + soient les cibles majoritaires du virus, d’autres types cellulaires sont infectés in vivo incluant les cellules T CD8 + [3], les monocytes et les lymphocytes B [4]. L’infection des cellules dendritiques (DC) et leur capacité à infecter dans un second temps des lymphocytes T CD4 + ont été également mises en évidence [5, 6]. Enfin, l’ADN proviral du HTLV-1 a été détecté dans les cellules endothéliales [7] ainsi que dans les astrocytes de patients atteints de TSP/HAM [8]. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. revue Contrairement au VIH-1, les virions HTLV-1 ne sont pas capables d’infecter directement un lymphocyte T cible et la transmission du HTLV-1 entre lymphocytes T nécessite un transfert de cellule à cellule. Deux modes de transmission cellule-cellule ont été mis en évidence : la synapse virologique (SV) et les biofilms (figure 1). La SV, qui présente des analogies avec la synapse immunologique est une jonction membranaire délimitant un espace intercellulaire au sein duquel les particules virales sont libérées juste au contact de la cellule cible [9]. Les biofilms sont des structures adhésives présentes à la surface de la cellule infectée qui sont formées de particules virales enchâssées dans une matrice d’origine cellulaire [10]. L’acteur viral : les glycoprotéines d’enveloppe Le cycle de réplication des virus débute par l’entrée du virus dans la cellule hôte. Chez les rétrovirus, le processus d’entrée se décompose en deux étapes majeures : – liaison de la particule virale au(x) récepteur(s) présent(s) à la surface de la cellule cible ; – fusion de l’enveloppe virale avec la membrane plasmique de la cellule cible (figure 2). Du côté rétroviral, l’entrée fait intervenir les glycoprotéines d’enveloppe virales (Env), enchâssées dans l’enveloppe A. Synapse virologique lipidique entourant la nucléocapside virale (figure 2). Les protéines Env sont constituées d’une sous-unité de surface (SU) et d’une sous-unité transmembranaire (TM), toutes deux issues du clivage dans l’appareil de Golgi d’un précurseur préalablement synthétisé au niveau du réticulum endoplasmique. La SU, exposée à la surface de la particule virale est liée à la TM qui, par son domaine transmembranaire, ancre le complexe ainsi formé dans l’enveloppe virale. La TM porte également dans sa partie N-terminale un peptide hydrophobe capable de s’insérer dans les membranes (peptide de fusion, figure 2). La SU intervient en premier dans le processus d’entrée en recrutant le(s) récepteur(s) cellulaire(s). Cette interaction SU/récepteur(s) déclenche un changement de conformation qui déplace la SU au sein du complexe SU/TM, permettant ainsi l’exposition de la TM et de son peptide de fusion et finalement, la fusion des membranes virale et cellulaire. Dans le cas des gammarétrovirus, le processus d’entrée fait intervenir un seul récepteur. En revanche, dans le cas des lentivirus, le VIH-1 notamment, deux récepteurs sont engagés, le récepteur de liaison (CD4) utilisé par l’ensemble des souches virales et un corécepteur qui diffère selon la souche virale et le type de cellule cible (CCXCR4 ou CCR5) [11, 12]. Pour ce qui concerne HTLV-1, le précurseur Env correspond à une protéine de 61 kDa, clivée en SU/gp46 et TM/gp21 [13]. Aucune donnée structurale directe n’est disponible à ce jour pour la SU du HTLV-1. En revanche, les études B. Biofilms COMT Actine Cellule infectée Zone synaptique COMT : Centre Organisateur des microtubules Cellule cible Cellule infectée ICAM-1 Virions HTLV-1 lFA-1 Capside virale Env Récepteur(s) d'entrée Cellule cible Matrice extracellulaire Figure 1. HTLV-1 se transmet de cellule à cellule par la synapse virologique (SV) ou au sein de biofilms. A) Représentation schématique de la SV formée entre un lymphocyte T infecté par HTLV-1 et un lymphocyte T cible. Les protéines virales (Env) et cellulaires (récepteurs, molécules d’adhérence ICAM-1 et LFA-1) impliquées dans la formation de la SV ainsi que la polarisation du centre organisateur des microtubules (COMT) induite dans la cellule infecté sont représentées. B) Représentation schématique des biofilms produits par le lymphocyte T infecté et transmis au lymphocyte T cible. Les particules virales enchâssées dans une matrice extracellulaire collées à la cellule sont représentées. Virologie, Vol 16, n◦ 3, mai-juin 2012 149 revue B-CHANGEMENT DE CONFORMATION DE LA SU ET EXPOSITION DU PEPTIDE DE FUSION DE LA TM A-LIAISON DE LA SU AU RÉCEPTEUR Particule rétrovirale Protéine transmembranaire (TM) Env Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. Milieu extracellulaire Protéine de surface (SU) Membrane cellulaire Récepteur d´entrée C-ANCRAGE DU PEPTIDE DE FUSION ET FUSION DES MEMBRANES VIRALE ET CELLULAIRE Peptide de fusion D-FORMATION ET ELARGISSEMENT DU PORE ET LlBÉRATION DE LA NUCLÉOCAPSIDE DANS LE CYTOPLASME Figure 2. L’entrée des particules rétrovirales dans la cellule hôte est gouvernée par les glycoprotéines d’enveloppe qui correspondent à un complexe formé entre une glycoprotéine de surface (SU) et une glycoprotéine transmembranaire (TM). La SU porte le domaine de liaison au récepteur et la TM contient le peptide de fusion dans sa partie N-terminale. A) La SU enchâssée dans l’enveloppe virale se lie au récepteur d’entrée. B) L’interaction SU/récepteur induit un changement de conformation de la SU qui aboutit à un déplacement de celle-ci et à l’exposition de la TM, en particulier de son peptide de fusion. C) Le peptide de fusion s’insère dans la membrane plasmique et déclenche la fusion de l’enveloppe virale et de la membrane plasmique. D) Enfin, le pore ainsi formé s’élargit et permet la libération de la nucléocapside virale dans le cytoplasme. structurales et fonctionnelles réalisées sur les rétrovirus murins de type Murine Leukemia Virus (MLV) ont montré que la SU est organisée en trois modules : – un domaine N-terminal portant la région minimale de liaison au récepteur (Receptor Binding Domain [RBD]) ; – une courte région riche en proline (Proline Rich Region [PRR]) ; – un domaine C-terminal (C-terminal Domain [CTD]) [14] (figure 5). L’alignement des séquences d’acides aminés des SU de HTLV-1 et MLV montre que la SU du HTLV-1 est organisée de façon similaire [15]. La région 25-180 de la SU de HTLV-1, correspondant au domaine RBD, est bien responsable de la liaison des glycoprotéines d’enveloppe à la surface des cellules cibles [15, 16]. Cependant, des domaines situés en dehors du RBD sont également impliqués dans cette interaction [17]. 150 La contrepartie cellulaire : données initiales sur le récepteur du HTLV-1 Bien avant l’identification du récepteur du HTLV-1, différentes propriétés de celui-ci avaient été mises en évidence. Il avait ainsi été montré, que ce ou ces récepteur(s) étaient exprimés de façon ubiquitaire et étaient très conservés parmi les vertébrés [18] : en effet, la presque totalité des lignées de laboratoires s’avéraient capables de fusionner avec des cellules exprimant les glycoprotéines d’enveloppe du HTLV-1 (formation de cellules géantes multinuclées appelées syncytia), cette fusion étant dépendante des interactions Env/récepteur. Cette large expression a constitué un obstacle majeur dans la découverte du récepteur, empêchant d’utiliser la stratégie classique d’introduction d’ADN complémentaire de cellules permissives dans une lignée non permissive. Virologie, Vol 16, n◦ 3, mai-juin 2012 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. revue D’autres informations concernant les modalités de liaison du HTLV-1 furent ensuite obtenues grâce à la génération de protéines SU solubles. Cela permit de définir une large série de lignées cellulaires exprimant un ou des récepteurs capables de lier directement la SU [19] et d’identifier la seule lignée connue à ce jour pour ne pas lier la protéine de surface du virus, la lignée de cellules de drosophile S2. D’autres travaux montrèrent que l’expression du récepteur du HTLV-1 est induite lors de l’activation des lymphocytes T [20, 21]. Des molécules impliquées dans l’entrée du HTLV-1 ont été recherchées dès la découverte du virus. Il a été initialement proposé que la région q23 du chromosome 17 contienne un gène codant le récepteur du virus [22]. Ces données ont été remises en question ultérieurement [19] et l’hypothèse actuelle est que ce gène code plutôt pour un co-facteur de l’entrée. Certains candidats initialement identifiés en tant que cibles d’anticorps neutralisant la formation de syncytia se sont avérés être plutôt des facilitateurs des contacts cellulaires (molécules d’adhérence) ou des protéines associées à Env (CD82) [23, 24]. Il a été également montré que la protéine HSP70 (Heat Shock Protein 70) est capable de lier la SU et que des anticorps anti-HSP70 inhibent la formation de syncytia [25]. Ces résultats ont été cependant nuancés par des travaux ultérieurs montrant que l’expression de HSP70 dans des cellules peu permissives à l’infection par HTLV-1 ne restaure pas l’entrée du virus [26]. Enfin, la molécule DC-SIGN, déjà connue pour permettre la liaison aux cellules du VIH-1, a été récemment impliquée dans l’infection des DC par des particules HTLV-1 [27]. A Trois récepteurs identifiés Les premières données solides concernant l’identification d’un récepteur d’entrée furent publiées en 2003, soit plus de 20 ans après la découverte du virus (voir pour revue [28, 29]). Deux molécules furent ainsi identifiées indépendamment : – le transporteur de glucose Glut1 ; – un récepteur du VEGF165 , la neuropiline 1 (NRP1). La contribution directe d’un troisième acteur, les héparanes sulfates protéoglycanes (HSPG), dans le processus d’entrée fut également démontrée (figure 3). Glut1 est une perméase constituée de 12 hélices ␣ hydrophobes transmembranaires qui forment un véritable « pore » responsable du transport passif du glucose (figure 3A) [30]. Cette protéine est exprimée dans de nombreux tissus et dans la majorité des lignées de laboratoires. L’identification du rôle de Glut1 débuta par une observation macroscopique surprenante. L’expression du domaine N-terminal de la SU du HTLV-1 (H1-RBD) dans des cellules empêchait l’acidification du milieu et induisait ainsi un « effet rouge » [31]. Sachant que les SU d’autres rétrovirus forment des complexes intracellulaires avec leurs récepteurs, les auteurs émirent l’hypothèse que la SU était capable de lier une protéine impliquée dans le processus d’acidification, lui-même lié à la production de lactate. Des investigations plus poussées montrèrent que Glut1 était le transporteur impliqué. Les données de cette étude montraient ainsi que l’expression du H1-RBD altère le métabolisme glucidique et que la liaison du H1-RBD à la surface des cellules B Domaines C a a Core protéique Chaîne d´héparanes sulfates Milieu extra cellulaire c Bicouche lipidique NH2 Glut1 COOH Neuropiline 1 Héparanes sulfates protéoglycanes Figure 3. L’entrée du HTLV-1 fait intervenir trois protéines de surface. A) Glut1, un transporteur de glucose ubiquitaire à 12 domaines transmembranaires. B) La neuropiline 1 (NRP-1), protéine à un seul domaine transmembranaire composée de 3 domaines extracellulaire, a, b et c, et d’un court domaine cytoplasmique. C) Les Héparanes sulfates protéoglycanes (HSPG), constitués d’un squelette protéique sur lequel sont fixées des chaînes d’héparanes sulfates chargées négativement. Les HSPG existent sous formes ancrées dans la membrane ou solubles dans le milieu extracellulaire. Virologie, Vol 16, n◦ 3, mai-juin 2012 151 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. revue cibles, tout comme l’infectiosité des pseudoparticules, sont dépendantes du taux d’expression de Glut1 [31]. Une autre étude montra ensuite que la surexpression de Glut1 augmente la capacité des cellules à former des syncytia avec des cellules infectées par HTLV-1 [32]. Enfin, les domaines responsables de la liaison de Env ou d’événements postérieurs à la liaison furent identifiés au sein de Glut1 [33]. Bien que le rôle de Glut1 dans le processus d’entrée fut bien établi par ces premières données, des travaux d’autres groupes suggérèrent ensuite que cette protéine ne soit pas l’unique récepteur du HTLV-1. Ainsi, les cellules de la lignée de glioblastome/astroglyome U87 exprimant un faible niveau de Glut1 à la surface cellulaire restent pourtant permissives à l’infection par HTLV-1 [34]. De même, une expression faible ou forte de Glut1 par les cellules cibles module en retour l’efficacité d’infection de particules portant les glycoprotéines d’enveloppe de HTLV-1, sans pourtant affecter leur liaison [35]. Ces données apportaient une première indication de l’implication d’au moins une autre protéine cellulaire dans l’entrée du HTLV-1. NRP-1 est impliquée dans la liaison aux cellules de la sémaphorine-3A (facteur impliqué dans le guidage axonal), et de la forme majoritaire du facteur de croissance endothéliale vasculaire (VEGF165 ) [36]. Dans les deux cas, NRP-1 agit en tant que corécepteur, facilitant la liaison des deux ligands au récepteur de signalisation, plexine A dans le cas de la Sema3 et récepteur au VEGF (VEGF-R) dans le cas du VEGF165 . Au niveau structural, NRP-1 présente trois domaines extracellulaires (a, b et c), un domaine transmembranaire et un domaine intracytoplasmique court (figure 3B). Le domaine b est capable de lier le VEGF165 mais également les chaînes d’héparanes sulfates, (HS) des HSPG. En 2006, nos laboratoires se sont intéressés à NRP-1 après avoir noté de forts points communs entre cette protéine et le récepteur du HTLV-1. NRP-1 est en effet hautement conservée parmi les vertébrés, mais n’a pas d’homologue chez les insectes [37]. Elle est principalement exprimée par les cellules T, les DC et les cellules endothéliales, cibles privilégiées du HTLV-1 in vivo. Les DC plasmacytoïdes (pDC), capables (contrairement aux lymphocytes T) d’être infectées par des particules HTLV-1 libres in vitro expriment fortement NRP-1 [5]. NRP-1 n’est pas présente sur les cellules T naïves mais son expression est rapidement induite lors de leur activation [38]. Enfin, en vertu de son rôle dans l’angiogenèse, l’expression de NRP-1 est induite lors de la transformation cellulaire. NRP-1 est donc exprimée aux niveaux des cellules tumorales in vivo et donc des lignées de laboratoire établies à partir de tumeurs [39]. 152 Nos équipes ont d’abord montré que NRP-1 est un partenaire physique et fonctionnel de Env [40]. Plus précisément, Env et NRP-1 interagissent au sein d’un même complexe et la protéine NRP-1 endogène contribue à la liaison de la SU à la surface des cellules cibles. En outre, le taux de NRP-1 module la formation de syncytia et l’infection dépendante de Env du HTLV-1. De façon remarquable, Glut1, NRP-1 et Env forment un complexe ternaire quand elles sont surexprimées dans la même cellule. Enfin, NRP-1 colocalise avec Env dans les jonctions formées entre lymphocytes T infectés par HTLV-1 et lymphocytes T cibles (figure 4). D’autres données de cette étude, confirmées par ailleurs, montraient également que le VEGF165 , bloque la liaison et l’internalisation de particules HTLV-1 [41, 42]. Ce premier travail suggérait un lien fonctionnel entre deux des récepteurs, Glut1 et NRP-1, et mettait en lumière l’existence d’une compétition entre la SU et le VEGF165 pour la liaison à NRP-1. Les HSPG sont des glycosaminoglycanes constitués d’un squelette protéique sur lequel sont greffées une ou plusieurs chaînes polysaccharidiques de HS, portant une forte densité de charges négatives (figure 3C) [43]. Ils existent sous formes ancrées dans la membrane cellulaire par leurs domaines hydrophobes ou bien libres dans le milieu extracellulaire. Leur expression ubiquitaire et leur capacité à interagir avec tout ligand chargé positivement leur confèrent un rôle primordial dans l’attachement aux cellules de nombreux composants extracellulaires, notamment les particules virales [44]. L’interaction avec les HSPG permet non seulement l’adsorption des particules virales à la surface mais également leur agrégation, augmentant ainsi l’avidité des interactions ultérieures. Citons par exemple, la syndécane-3, capable de capturer spécifiquement les particules VIH-1, augmentant ainsi la survie des particules virales et favorisant la transmission aux cellules T [45]. Une première étude a montré que la déplétion enzymatique des HSPG de la surface des cellules cibles diminue de façon très importante la liaison de la SU [46]. Ces résultats étaient néanmoins délicats à interpréter dans la mesure où les cellules T CD4 + non activées expriment peu ou pas de HSPG. Cela fut clarifié par une étude ultérieure montrant que l’expression des HSPG augmente au cours de la phase de prolifération des lignées cellulaires T ou des lymphocytes T primaires activés [47]. Bloquer l’interaction avec les HSPG ou retirer chimiquement les chaînes d’HS à la surface des lymphocytes T activés ou des lignées T inhibe presque totalement la liaison de la SU ainsi que la liaison et l’internalisation de particules virales HTLV-1. Ces résultats identifient donc les HSPG comme des acteurs à part entière de l’entrée du HTLV-1. Virologie, Vol 16, n◦ 3, mai-juin 2012 revue NRP1 C91/PL Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. PBMC 5 µm NRP1/Env 5 µm NRP1/GLUT1 5 µm 5 µm Figure 4. NRP-1 et Glut-1 colocalisent au niveau de la jonction membranaire formée entre un lymphocyte T cible (PBMC) et un lymphocyte T chroniquement infecté par le HTLV-1 (C91/PL). La marquage par immunofluorescence de NRP-1 (rouge), Glut1 (bleu) et Env (vert) dans des cellules fixées et perméabilisées montre la colocalisation de NRP-1 et Glut1 à la membrane de la cellule cible en face d’une zone membranaire de la cellule infectée enrichie en glycoprotéines d’enveloppe virales (Env). Les points de colocalisation NRP-1/Env et NRP1/Glut1 apparaissent respectivement en jaune et blanc. Image publiée dans [40] (copyright : American Society for Microbiology. J Virol 2006 ; 80 (14) : 6844-54. doi: 10.1128/JVI.02719-05). L’entrée du HTLV-1 : un ménage à trois ? Les données présentées ci-dessus suggèrent un rôle prépondérant des HSPG dans l’attachement de la particule virale à la surface de la cellule cible. Les propriétés de Glut1 et de NRP-1 les identifient comme partie intégrante du récepteur. Il reste néanmoins, à définir l’implication de ces trois acteurs dans les étapes successives de liaison et de fusion mises en place lors de l’entrée. De ce point de vue, il est remarquable que ces trois récepteurs soient capables d’interagir deux à deux. Ainsi, comme mentionné précédemment, Glut1 et NRP-1 forment un complexe en présence des glycoprotéines d’enveloppe du Virologie, Vol 16, n◦ 3, mai-juin 2012 HTLV-1 [40]. Par ailleurs, HSPG et NRP-1 forment également des complexes puisque les chaînes d’héparanes sulfates sont capables de se lier au domaine b de la NRP-1 [48]. La relation entre NRP-1 et l’héparine (ou les chaînes d’héparanes sulfates) et la liaison du VEGF165 sont complexes et méritent d’être explicitée plus en détails. In vitro, l’héparine/HS favorise la dimérisation de NRP-1 mais également son interaction avec son ligand, VEGF165 . En outre, il a été montré que la formation des complexes HSPG/NRP1/VEGF165 est nécessaire pour le recrutement du récepteur de signalisation, VEGFR-2. Les HSPG forment donc un pont entre le VEGF165 (impliquant la séquence codée par l’exon 7 du gène vegf) et NRP-1 (domaine b). Par 153 revue Domaine de liaison directe à NRP-1 Domaine de liaison à Glutl Domaine de liaison aux HSPG 90 94 106 114 RBD 1 24 215 PRR 180 90 215 313 CTD 313 94 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. WIKKPNRN HTLV-1 SU Exon 8 VEGF165 CDKPRR Figure 5. Les régions de la SU du HTLV-1 impliquées dans l’entrée virale. La SU du HTLV-1 est composée de 313 résidus et est organisée en trois domaines, positionnés après le peptide signal (résidus 1-24): le domaine de liaison au récepteur (RBD, receptor binding domain, résidus 25-180), une région riche en prolines (résidus 181215) et un domaine C-terminal (CTD, résidus 216-313). Les régions d’interactions avec les HSPG, NRP-1 et Glut1 sont indiquées. Un alignement montrant l’homologie entre la région 90-94 de la SU et le domaine codé par l’exon 8 du gène vegf est également présenté. ailleurs, il existe une interaction directe entre le VEGF165 et NRP-1. Celle-ci implique la séquence C-terminale du VEGF165 codée par l’exon 8 du gène vegf (séquence CDKPRR, figure 5) [48]. Dans le cas du VEGF165 , on trouve donc un mécanisme de liaison à trois récepteurs, dans lequel l’association HSPG/NRP-1 favorise la liaison d’un ligand (VEGF165 ) à un troisième récepteur (VEGF-R2), analogie frappante avec le modèle du HTLV-1 où les HSPG et NRP-1 lient tous deux le même ligand (SU) et où un troisième récepteur (Glut1) est également en jeu. En nous basant sur cette homologie fonctionnelle, et sachant que l’existence de complexes SU/HSPG était déjà démontrée, nous avons recherché si la SU du HTLV-1 possédait un motif similaire à la séquence exon 8 du VEGF165 . Nous avons effectivement trouvé ce motif (aa 90-94 de la SU, séquence KKPNR, figure 5) et montré qu’un peptide de la SU comprenant ce motif était capable de se lier directement à NRP-1 in vitro [42]. Au niveau fonctionnel, nous avons mis en évidence que des peptides mimant : – le domaine de liaison du VEGF165 aux HSPG exon-7 ; – l’exon 8 du VEGF165 ; – la région 90-94 de la SU (exon 8 « like »), bloquent la liaison et l’internalisation de particules HTLV-1 dans des lymphocytes T ainsi que le transfert de particules HTLV-1 entre DC et lymphocytes T [5, 42]. Ces données, nous ont permis de démontrer l’existence d’un mimétisme moléculaire entre la SU du HTLV-1 et le VEGF165 , deux ligands liant donc NRP-1 par les mêmes mécanismes. 154 Ces résultats mettent en avant l’importance de la région 90-94 de la SU dans l’entrée du HTLV-1. Notons que nos travaux précédents, réalisés bien avant l’identification des récepteurs, avaient déjà désigné l’acide aminé 94 de la SU (R94) comme un des résidus critiques pour les fonctions de Env [49]. Nos données actuelles fournissent l’explication moléculaire pour ces observations, en montrant que R94 est en fait au cœur d’une région de liaison à un des récepteurs d’entrée (figure 5). Mentionnons en outre, que la région 9094 de la SU avait été préalablement décrite comme capable de générer des anticorps neutralisant l’entrée du virus [50]. Le domaine minimal de liaison au récepteur de la SU de HTLV-1 a été délimité aux 180 premiers acides aminés de la SU [15]. En accord avec cette conclusion, les données plus récentes montrent que ce domaine contient les cinq résidus important pour la liaison directe à NRP-1 (KKPNR, aa 90-94) ainsi que les deux résidus définis comme critiques pour la liaison à Glut1 (D106 et Y114) [31]. Cependant, la liaison de la SU à la surface cellulaire est largement dépendante de son interaction avec les HSPG, qui fait intervenir le domaine C-terminal de la SU [17]. Ainsi les interactions Env/cellules cibles font bien intervenir le RBD, partie N-terminale de la SU, mais également la région C-terminale portant le domaine de liaison aux HSPG (figure 5). Un autre point important à discuter concerne les modalités de liaison du H1-RBD, d’une part, et de la SU complète ou des particules virales elles-mêmes, d’autre part. Si la surexpression d’une forme étiquetée de Glut1 augmente de façon très importante la liaison du H1-RBD à la surface des cellules [31], elle a peu d’effet sur la liaison de la SU ou des particules virales [40, 51]. Ces données sont compatibles avec l’existence d’un changement de conformation induit par la liaison de la SU à NRP-1, qui rendrait possible son interaction avec Glut1. On retrouverait ainsi un mécanisme proche de celui mis en place lors de l’entrée du VIH-1, dans lequel la liaison à CD4 déclenche un changement de conformation nécessaire à la liaison au co-récepteur. Le H1RBD, version tronquée de la SU, pourrait représenter une forme « préactivée de la SU » capable de se lier directement à Glut1, sans interaction préalable avec le récepteur de liaison. Un modèle séquentiel pour l’entrée du HTLV-1 En se basant sur le modèle du VIH-1 et sur l’ensemble des données décrites ci-dessus, il est possible d’élaborer un modèle séquentiel rendant compte de l’entrée du HTLV-1 dans une cellule cible (figure 6). Durant la phase initiale d’adsorption des particules virales, la partie C-terminale de la SU interagit avec les HSPG. Parallèlement, la liaison des Virologie, Vol 16, n◦ 3, mai-juin 2012 revue A-ATTACHEMENT = Interaction de la SU avec les HSPG Particule HTLV-1 TM/gp21 Env (gp61) SU/gp46 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. Milieu extracellulaire Membrane plasmique HSPG Glut1 NRP-1 B-LIAISON = Interaction des complexes HSPG/SU avec NRP-1 C-CHANGEMENTS DE CONFORMATION = Interaction SU/Glut1, déplacement de la SU, exposition du peptide de fusion Peptide de fusion D-ANCRAGE DU PEPTIDE DE FUSION = Fusion des membranes virale et cellulaire E-FORMATION DU PORE = Elargissement du pore et libération de la nucléocapside dans le cytoplasme Figure 6. Un modèle à trois récepteurs pour l’entrée du HTLV-1. A) La particule HTLV-1 s’attache à la surface de la cellule cible via l’interaction de la SU/gp46 avec les chaînes d’HS des HSPG. Dans le cas du HTLV-1 qui se transmet entre lymphocytes T uniquement par contact cellule-cellule, cela s’applique aux particules libérées dans l’espace synaptique ou enchâssées dans les biofilms. B) L’interaction subséquente des HSPG avec le domaine b de NRP-1 facilite l’interaction SU/NRP-1, ensuite stabilisée par la liaison directe de la SU grâce à son motif « exon 8-like ». C) La liaison stable de la SU à NRP-1 induit le changement de conformation permettant le recrutement de Glut1 aboutissant au démasquage de la TM/gp21 et de son peptide de fusion. D) Le peptide de fusion s’ancre dans la membrane de la cellule cible et induit la fusion des membranes virale et cellulaire. E) Le pore s’élargit et permet la libération de la nucléocapside du HTLV-1 dans le cytoplasme. chaînes d’héparanes sulfates au domaine b de la NRP-1 permet un rapprochement entre les complexes Env/HSPG et NRP-1. La SU serait donc en position de lier NRP-1 par les deux types d’interaction décrits pour le VEGF165 , indirecte Virologie, Vol 16, n◦ 3, mai-juin 2012 (via les HSPG) et directe (via la région « exon 8-like » de la SU). Ces interactions induiraient des changements conformationnels de la SU permettant l’exposition du RBD, dont le résidu important Y114, et son interaction subséquente 155 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. revue avec Glut1 (figure 6). La liaison de Glut1 permettrait alors le déplacement de la SU donc l’exposition du peptide de fusion de la TM et déclencherait le processus final de fusion. Ce modèle est compatible avec les données obtenues avec les lymphocytes T et les DC. Il reste à définir s’il s’applique également aux autres cellules cibles. Dans le modèle soutenu par nos données, les complexes HSPG/NRP-1 représentent le récepteur de liaison et Glut1, le récepteur de fusion. Les HSPGs, quant à eux facilitent les premières phases du processus en favorisant la transition entre attachement des virions à la surface cellulaire et liaison de ceux-ci à NRP-1. Un point intéressant à mentionner ici est le fait que les biofilms décrits pour permettre la transmission cellule-cellule du HTLV-1 contiennent différentes protéines cellulaires dont des protéoglycanes [10]. En plus d’un effet de concentration, la fixation des virions sur les biofilms pourrait donc également préparer l’étape d’entrée en favorisant la formation des complexes SU/HS ayant une forte affinité pour le récepteur de liaison NRP-1. La caractérisation des récepteurs et l’établissement de ce modèle d’entrée permet également de revisiter la relation entre la nature des récepteurs d’entrée du HTLV-1 et son tropisme in vivo. Comme mentionné précédemment, les protéines d’enveloppe du HTLV-1 se lient à presque toutes les lignées cellulaires de laboratoire alors que le tropisme du virus est bien plus restreint in vivo. Les HSPG et Glut1 sont exprimés de manière ubiquitaires et peuvent donc difficilement rendre compte de ce tropisme limité. En revanche, NRP-1 n’est pas exprimée de façon ubiquitaire mais est présente à la surface des cellules endothéliales, des lymphocytes T activés et des DC, toutes des cibles du virus in vivo. En outre, l’expression de NRP-1 est induite lors de la transformation cellulaire, rendant son expression presque ubiquitaire dans les lignées cellulaires établies. L’ensemble de ces données sont compatibles avec l’idée que le tropisme du HTLV-1 est étroitement lié au niveau d’expression de la NRP-1. Conclusions La découverte des rôles de Glut1, NRP-1 et HSPG dans l’entrée du HTLV-1 a éclairci l’un des plus longs mystères du domaine et apporte une vision nouvelle de la relation HTLV-1/cellules cibles. Des études supplémentaires sont évidement nécessaires pour mieux définir le rôle précis des composants de ce « ménage à trois » mais également comprendre l’impact des interactions virus/récepteurs in vivo. En effet, on peut d’ores et déjà s’interroger sur les conséquences sur la physiopathologie de l’infection par le HTLV-1 des compétitions entre la SU et les ligands naturels de NRP-1. L’identification des récepteurs ouvre également 156 de nouvelles pistes cliniques puisque, comme dans le cas du VIH-1 [52], les récepteurs d’entrée du HTLV-1 et les domaines fonctionnels de Env seront des cibles de choix pour le développement de nouvelles molécules capables de bloquer la propagation virale in vivo. Remerciements. nous tenons à remercier Laurence Bénit pour la relecture de ce manuscrit et la Fondation cent pour sang la vie ainsi que la Ligue contre le cancer (Comité de Paris) pour son soutien financier. Conflits d’intérêts : aucun. Références 1. Goncalves DU, Proietti FA, Ribas JG, et al. Epidemiology, treatment, and prevention of human T-cell leukemia virus type 1-associated diseases. Clin Microbiol Rev 2010 ; 23 : 577-89. 2. Poiesz BJ, Ruscetti FW, Reitz MS, Kalyanaraman VS, Gallo RC. Isolation of a new type C retrovirus (HTLV) in primary uncultured cells of a patient with Sezary T-cell leukaemia. Nature 1981 ; 294 : 268-71. 3. 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