La toxicité des antibiotiques Introduction [1, 2, 3, 4] Les antibiotiques sont des médicaments antibactériens d'origine naturelle, produits à partir des champignons ou des bactéries ou obtenus par synthèse ou semi-synthèse. Ils ont en principe une toxicité sélective, c'est à dire qu'ils sont toxiques pour les bactéries mais non pour l'organisme; ce qui malheureusement n'est pas toujours vrai. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la mise sur le marché d’un nouvel antibiotique est rarement retardée pour un problème de toxicité ou d’effet indésirable. Une enquête réalisée entre 1964 et 1985 dans sept laboratoires pharmaceutiques britanniques a montré que les causes principales d’arrêt de développement sont liées à un manque d’efficacité ou à des problèmes pharmacocinétiques. D’ailleurs, le nombre de patients inclus dans les études cliniques de phase I à III, est notoirement insuffisant pour mettre en évidence de tels effets (il faut en effet 50000 patients pour observer un effet dont l’incidence est de 0,01 % et 500 000 pour une incidence de 0,001 %). Il est donc illusoire d’espérer connaître toute la toxicité d’un nouvel antibiotique avant sa mise sur le marché. En 1992, la témafloxacine était retirée du marché six mois après sa commercialisation, en raison de la survenue du « syndrome de la témafloxacine » caractérisé par une défaillance rénale et hépatique, une hémolyse et un trouble de la coagulation. Trois ans après, la sparfloxacine voyait ses indications se limiter à cause d’une phototoxicité particulièrement sévère. 1 La toxicité des antibiotiques Plus tard, la trovafloxacine, mise sur le marché en décembre 1997, était retirée du marché en juin 1999 en raison d’hépatites cytoytiques mortelles. Enfin, la grépafloxacine, enregistrée en novembre 1997, était retirée du marché en octobre 1999 par la firme exploitante en raison d’un allongement de l’espace QT à l’origine de 7 décès en Allemagne. Plusieurs molécules antibiotiques sont donc retirées du marché pour des effets indésirables certes souvent très grave, voire mortels, mais dont la fréquence de survenue est de plus en plus rare. De ce fait, il est impératif de rester vigilant et de continuer à surveiller la tolérance de ces molécules dans le long terme. Ce travail a donc pour but de faire la synthèse de ces effets rapportés par la littérature pendant ces dernières années, il va nous permettre d’aborder la discussion -toujours ouverte- sur l’intolérance des antibiotiques, ses manifestations cliniques et ses facteurs de risques, et ce en fonction des différents systèmes d’organe atteints. 2 La toxicité des antibiotiques I. Rappels historiques [5, 6, 7,8] On ne peut évoquer la découverte des antibiotiques sans cité Alexander Flemming. En 1929, ce chercheur anglais découvre par hasard un principe actif capable d’inhiber la croissance bactérienne. Une de ses boites de pétri contenant une souche de staphylococus aureus est contaminé accidentellement par un champignon appelé Penicillium notatum. Il observe que la bactérie est absente à l’endroit où se trouve la moisissure. Il nomme alors cette substance « pénicilline ». Cependant cette découverte restera longtemps dans l’ombre, Flemming ne parvenant pas à isoler l’antibiotique. Pourtant, Flemming n’est pas le premier à avoir « inventé » la pénicilline. En effet, en 1897, Ernest Duchesne, médecin français, soutient dans l’indifférence générale une thèse intitulée « Contribution à l’étude de la concurrence vitale chez les micro-organismes » Il a découvert que Penicillium glaucum était capable d’inhiber la croissance de certains micro-organismes. Ce n’est qu’à la fin des années 30 qu’Howard Florey, biochimiste à l’Université d’Oxford, entreprend avec son équipe d’essayer de purifier ce qui n’est encore qu’un réactif de laboratoire. Avec le soutient de la fondation Rockefeller, Howard Florey et Ernst Chain entament des travaux qui les mèneront à isoler, en 1939, une protéine aux propriétés étonnantes : la pénicilline G. Poussés par l’urgence médicale et sanitaire engendrée par le début de la deuxième guerre mondiale, ils adaptent rapidement cette substance afin de l’utilisation chez l’homme. 3 La toxicité des antibiotiques C’est ainsi que le 12 février 1941, il y a juste 66 ans, un agent de police d’Oxford victime d’une septicémie fut le premier patient traité par la pénicilline. Malheureusement, l’antibiotique vient à manquer et le patient décède. En effet, la production du principe actif est problématique. Il faudra attendre 1942 pour que la puissance américaine et les besoins de la guerre permettent de produire l’antibiotique à l’échelle industrielle. La commercialisation de la pénicilline ne débutera qu’en 1944, aux Etats Unis. L’âge d’or des antibiotiques a duré un demi-siècle. Jusqu’en 1990, la recherche a produit un très grand nombre de nouveaux antibiotiques. Les sulfamides avaient précédé la pénicilline, puis il y eut la streptomycine, en1947 le chloramphénicol et un an plus tard l’oxytétracycline qui furent les premiers antibiotiques à large spectre. Puis vinrent la polymyxine, l’érythromycine, l’isoniazide, la vancomycine, la rifampicine, l’acide nalidixique, et bien d’autres. Au début des années soixante, plus des trois quarts des familles d’antibiotiques d’aujourd’hui avaient déjà un ou plusieurs représentants. II. Définition [9] Les antibiotiques sont des substances naturelles produites par des bactéries du sol et certains champignons qui, à faibles concentrations, agissent sur d’autres bactéries sans être toxique pour l’homme. Ils peuvent aussi être obtenus par synthèse chimique totale ou partielle. 4 La toxicité des antibiotiques Chaque antibiotique possède un mode d’action spécifique. En fonction de leur concentration et du temps de contact avec les bactéries, ils peuvent tuer les bactéries « effet bactéricide » ou ralentir leur croissance « effet bactériostatique ». III. Critères de choix d'un antibiotique Le choix de l’antibiotique occupe une place importante dans le traitement et la guérison de la maladie infectieuse. De ce fait, un certain nombre de critères doit être connu par les praticiens afin de guider ce bon choix. 1. Critères bactériologiques 1.1 Détermination de la bactérie en cause [10] Le choix d'un antibactérien suppose avant tout de connaître l'agent infectieux causal. Malheureusement, en pratique, on doit le plus souvent décider d'un traitement trop rapide (sans examen microbiologique préalable) pour identifier le germe en cause ; dans ce cas, un diagnostic clinique précis permet de présumer l'étiologie la plus probable de certaines infections communautaires. Le diagnostic microbiologique demeure obligatoire lorsque l’infection est sévère, le sujet est fragile (immunodéprimé...), les germes responsables sont variés ou de sensibilité inconstante aux antibiotiques. 1.2 Détermination de la sensibilité [11] Le choix de l'antibiotique dépend ensuite de la sensibilité de la bactérie en cause. En effet, les différentes espèces bactériennes sont classées en trois catégories vis-à-vis d’un antibiotique: 5 La toxicité des antibiotiques sensible : la probabilité de succès thérapeutique est forte dans le cas d’un traitement par voie systémique avec la posologie recommandée ; intermédiaire : le succès thérapeutique est imprévisible ; résistante : forte probabilité d’échec thérapeutique, quel que soit le type de traitement. L’antibiogramme bactériostatique réalisé de façon courante par la méthode des disques ou par automates permet cette évaluation. Dans certains cas cependant, la détermination de la CMI peut être nécessaire. 2. Critère pharmacocinétique [11] L’antibiotique doit à l’évidence pénétrer au mieux sur le site que l’on souhaite atteindre. Absorption et diffusion : La connaissance de critères d'absorption et de diffusion permet le choix d'un antibiotique efficace au niveau même du site de l'infection. Les sites les plus difficiles d'accès pour les antibiotiques sont le LCR, l'os, la prostate et les milieux oculaires. Demi-vie sérique : La demi-vie sérique de l'antibiotique choisi doit être connue du praticien, car elle permet de préciser l'intervalle d'administration de l'antibiotique. 6 La toxicité des antibiotiques Elimination : L’élimination est urinaire et/ou biliaire, sous forme métabolisée ou non. Il convient, dans la mesure du possible, d’éviter les antibiotiques à métabolisme hépatique chez les insuffisants hépatocellulaires, car l’adaptation posologique ne peut être qu’empirique. En revanche, en cas d’insuffisance rénale, on peut utiliser des antibiotiques à métabolisme hépatique sans modifier la posologie ou adapter à la clairance rénale du patient. 3. Critère toxicologique [12] Il est important de tenir compte de la toxicité de l’antibiotique choisi et des facteurs de risque présents chez un patient soit à un moment précis de son existence (âge, grossesse) soit de façon quasi permanente (allergie, par exemple) ainsi que du (des) traitement(s) associé(s). La connaissance de ces éléments permet d’établir ainsi le rapport bénéfice/risque et d’éviter qu’une prescription ne se complique d’une réaction néfaste pouvant être grave, voire menacer la vie du patient. 4. Critère économique [10] A efficacité et tolérance égales, le choix de l’antibiotique sera porté sur le moins coûteux. 5. Critère écologique [13] Il faudra enfin tenir compte de l’impact écologique de la prescription. En effet, l’antibiotique choisi ne sera pas uniquement actif sur le germe en cause dans la manifestation clinique : les autres germes non pathogènes de 7 La toxicité des antibiotiques l’organisme pâtiront de cette prescription et risqueront d’être à l’origine de complications (comme la colite pseudomembraneuse), mais aussi de l’apparition d’une diminution de sensibilité, voire d’une résistance (comme les pneumocoques ou Escherichia coli). Il faudra donc essayer d’utiliser la molécule dont le spectre est le plus étroit possible. IV. Classification des antibiotiques Les antibiotiques peuvent être classés selon leur structure chimique, leur activité et leur propriété pharmacologique, ou comme suit, leur mécanisme d’action. Figure 1 : Schéma d’une bactérie à Gram positif (gauche) et à Gram négatif (droite) avec les mécanismes d’action des principales familles d’antibiotiques. EP : espace périplasmique ; ME :membrane externe ; MC : membrane cytoplasmique ; PG : peptidoglycane. 8 [5] La toxicité des antibiotiques Tout en adoptant la classification des antibiotiques, nous étudierons également le mécanisme d'action ainsi que le spectre d'action des différents antibiotiques. 1. Antibiotiques inhibant la synthèse de la paroi cellulaire Trois classes d’antibiotiques sont concernées : les bêtalactamines, les glycopeptides et la fosfomycine. 1.1. Les bétalactamines [14, 15, 16, 17, 18, 19] La famille des bêtalactamines comporte de nombreuses molécules bactéricides dont les particularités communes sont de posséder un noyau bêtalactame et un mode d’action identique en inhibant la dernière étape de la synthèse du peptidoglycane. On en distingue quatre grands groupes. a. Les pénicillines - les Pénicillines naturelles du groupe G et V: leur spectre est étroit et limité aux bactéries Gram positif et les cocci à gram négatif à l’exception des bactéries productrices de bêtalactamases. - les pénicillines du groupe A ou aminopénicillines: Amoxicilline, Ampicilline et dérivés : se caractérisent par une activité antibactérienne élargie (entérobactéries comme Escherichia Coli, Salmonella sp, Shigella sp et Proteus mirabilis), mais des résistances acquises fréquentes sont décrites. - les Pénicillines du groupe M : ce sont des pénicillines antistaphylococciques. Elles résistent en effet à l’enzyme pénicillinase sécrétée par les staphylocoques. 9 La toxicité des antibiotiques - Carboxypenicillines : carbenicilline, ticarcilline. Leur spectre antibactérien comprend les cocci Gram + et Gram - (Neisseria et Haemophilus non producteur de beta lactamases). - Ureidopénicilline : mezlocilline, azlocilline, piperacilline actives sur Pseudomonas aeruginosa. b. Les céphalosporines : elles sont classées par génération - Céphalosporines de première génération (C1G) : C1G à administration parentérale : Céfalotine, Céfazoline, Céfacétrile, céfalopirine, céfaloridine. C1G à administration per os : céfadrine, Céfadroxil, Céfalexine, Céfaclor, Céfatrizine. Elles ont un spectre étroit limité aux coques à Gram positif et quelques bacilles à Gram négatif. Elles sont dégradées par l’enzyme céphalosporinase sécrétée par les bacilles à Gram négatif. - Céphalosporines de 2ème génération (C2G): Céfoxitine Céfamandole Céfotiam céfuroxime 10 La toxicité des antibiotiques Leur spectre est identique à celui des C1G, mais elles possèdent une résistance supérieure aux enzymes céphalosporinases des bacilles à Gram négatif. - Céphalosporines de 3ème génération (C3G): Céfotaxime Céftizoxime Céftriaxone Céfménoxine Céfotiam Ceftazidime Céfopérazone Cefixime Leur résistance vis à vis des céphalosporines est encore accrue. Elles ont une meilleure activité sur les souches sensibles (la concentration minimale inhibitrice est très basse). c. Carbapénèmes : Imipénème, méropénème. Leur spectre est large et recouvre celui de l’ampicilline, avec quelques souches de Pseudomonas et des entérobactéries plus nombreuses. d.les monobactams : Aztreonam Ils sont actifs uniquement sur les bacilles à Gram négatif. 11 La toxicité des antibiotiques e. Les inhibiteurs des béta-lactamases Acide clavulanique, Sulbactam et Tazobactam : ils sont dépourvus d’activité antibactérienne propre mais ils élargissent le spectre d’activité de la béta lactamine à laquelle ils sont associés. 1.2. Glycopeptides [20] La vancomycine et la teicoplanine : Ces deux molécules n'agissent que sur les bactéries à Gram positif en inhibant la synthèse du peptidoglycane donc de la croissance bactérienne. 1.3. La Fosfomycine [14, 15] La Fosfomycine est un antibiotique naturel à large spectre. Elle agit à la phase la plus précoce de la synthèse du peptidoglycane et doit pénétrer à l’intérieur de la cellule pour être active 2. Antibiotiques inhibant la synthèse protéique 2.1. Les Aminosides ou Aminoglycosides Gentamycine Streptomycine Kanamycine Tobramycine Amikacine Nétilmicine Spectiomycine 12 [15, 20,21] La toxicité des antibiotiques Ce sont des antibiotiques bactéricides à large spectre. Les streptocoques et les listeria sont peu sensibles, et les bactéries anaérobies sont résistantes. Ils agissent en perturbant la synthèse des protéines au niveau de la fraction 30S du ribosome. 2.2. Les Macrolides et apparentés [15, 20, 22] -Les macrolides vrais : Erythromycine Azithromycine Spiramycine Oléandomycine Midécamycine Iosamycine -Les Lincosamides : Lincomycine Clindamycine -Les streptogamines ou synergistines : Virginiamycine pristinamycine Ce sont des antibiotiques bactériostatiques qui agissent en inhibant la synthèse des protéines au niveau de la sous unité 50S des ribosomes. 13 La toxicité des antibiotiques Les Macrolides ont un spectre relativement étroit limité aux germes suivants: bactéries à Gram positif et coques à Gram négatif. Legionelle, Chlamydia, Mycoplasme. Les lincosamides sont inactifs sur les Neisseria (gonocoques et méningocoques) et les entérocoques, mais sont actifs sur les staphylocoques et les anaérobies stricts. Les synergistines sont essentiellement antistaphylococciques. 2.3. les Tétracyclines [15, 20, 23] Cyclines naturelles : Chlortetracycline Tétracycline base Cyclines semi-synthétiques : Oxytétracycline Doxycycline Minocycline Les tétracyclines sont bactériostatiques, agissent en inhibant la synthèse des protéines au niveau de la sous unité 30 S du ribosome. Ils ont un spectre très large (nombreuses espèces Gram positif et négatif, chlamydia, mycoplasmes). 14 La toxicité des antibiotiques 2.4. Les phénicolés [14,20] Représentés par chloramphénicol et thiamphénicol, ce sont des antibiotiques bactériostatiques qui agissent en se fixant sur la sous-unité 50 S du ribosome. Leur spectre d'activité est très large englobant les bacilles à Gram positif, les bacilles à Gram négatif, les cocci à Gram positif et les cocci à Gram négatif. [14,20] 2.5. Acide fusidique L’acide fusidique inhibe la synthèse protéique en stoppant l’incorporation de nouveaux acides aminés dans la chaîne peptidique en cours de formation. C’est un antibiotique antistaphylococcique majeur. Il est actif sur les staphylocoques Méti S et Méti R. 3. Antibiotiques inhibant la synthèse ou le fonctionnement de l’ADN: 3.1. Les Quinolones [15, 20, 24] Quinolones de la première génération (quinolones non fluorées) : Acide nalidixique Acide pipémidique fluméquine Quinolones de deuxième génération (fluoroquinolones): Norfloxacine 15 La toxicité des antibiotiques Ofloxacine Ciprofloxacine Elles agissent en bloquant la synthèse de l’ADN. Elles sont bactéricides (toutefois, à des doses plus élevées, on observe paradoxalement un effet bactériostatique). Les quinolones de 1ère génération ont à peu près le même spectre d'activité dirigé essentiellement contre les bactéries à Gram négatif excepté Pseudomonas spp. Les fluoroquinolones ont un spectre élargi, on retrouve les bactéries à Gram négatif, les cocci à Gram positif dont l’activité est 100 à 1000 fois plus élevée que celles des quinolones de 1ère génération. L’ofloxacine et la Ciprofloxacine ont une activité sur Mycobacterium tuberculosis. 3.2. Les Rifamycines : rifamycine SV, rifampicine [15,20] Les rifamycines agissent en bloquant la transcription par inhibition de l'ARN polymérase. La rifamycine SV est active sur les bactéries à Gram positifs et les coques à Gram négatif. La rifampicine a un spectre plus large, puisqu’elle englobe aussi quelques bactéries à Gram négatif (Brucella, Legionella, bactéroïde). De plus, elle agit fortement sur le bacille de la tuberculose (Mycobacterium tuberculosis). 16 La toxicité des antibiotiques 3.3. Les nitro-imidazolés [15,16] Métronidazole, Secnidazole, Ornidazole, Tinidazole Les nitro-imidazolés ont leur groupement nitro (NO2) réduit par les systèmes transporteurs intracytoplasmiques des bactéries sensibles. Les dérivés réduits diffusent vers l’ADN bactérien, l’oxydent et provoquent des coupures des brins d’ADN provoquant ainsi la mort de la bactérie. Le spectre est donc étroit, limité aux bactéries anaérobies à Gram négatif non sporulées. Les bactéries anaérobies à Gram positif sont peu sensibles en dehors des Clostridium. 3.4. Les Nitrofuranes [15,20] Nitrofuranes à visée intestinale : Nifuroxazine Nitrofurane à visée urinaire : Nitrofurantoïne Les nitrofuranes agissent en perturbant la réplication de l'ADN. Ils ont un spectre large mais restent inactifs sur Pseudomonas aeruginosa, les proteus, les serratia et les acinetobacter. 3.5. Les sulfamides et associations Les sulfamides : sulfadiazine Sulfaméthoxydiazine 17 [15, 20,25] La toxicité des antibiotiques Sulfaméthoxazole Sulfaguanidine Ils inhibent la synthèse des folates (acide folique) au niveau des bactéries. Les bactéries ne peuvent capter l’acide folique exogène, elles doivent donc le fabriquer. Grâce aux sulfamides, rendant impossible cette synthèse, les bactéries ne peuvent plus synthétiser les acides nucléiques et ne peuvent pas se reproduire. Les sulfamides ont un effet bactériostatique. Ils ont un spectre large, malgré la résistance naturelle de certaines bactéries (Lactobacilles, Pseudomonas aeroginosa). Leur spectre inclut des bactéries à Gram positif et à Gram négatifs et certains parasites. Les sulfamides associés : Il s’agit de l’association d’un sulfamide avec le triméthoprime (ou avec pyriméthamine). Cette association permet une meilleure synergie et surtout un effet bactéricide. Ils ont un spectre large (sauf Pseudomonas et anaérobies). 4. Antibiotiques entraînant la destruction de la membrane cytoplasmique 4.1. Les polymyxines [20] Ils Agissent au niveau de la membrane cytoplasmique bactérienne entraînant l'éclatement de la bactérie. Antibiotiques bactéricides à spectre étroit. Ils agissent sur les entérobactéries et le vibrion Cholerae sauf Proteus, Serratia, Providencia. 18 La toxicité des antibiotiques 5. Les antituberculeux [15] 5.1. L’isoniazide C’est un antituberculeux majeur, bactéricide et agissant sur les BK (Bacille de Koch) intra et extracellulaires. 5.2. La rifampicine C’est un antituberculeux majeur, actif sur les BK intra et extracellulaires. 5.3. La streptomycine C’est un antituberculeux bactéricide qui n’agit que sur les BK extracellulaires. 5.4. Le pyrazinamide C’est un antituberculeux bactéricide qui n’agit que sur les BK intracellulaires. 5.5. L’éthambutol C’est un antituberculeux bactériostatique qui agit sur les BK intra et extracellulaires. V. Indication de l’antibiothérapie 1. Indications à titre curatif La prescription d’antibiotiques doit être un acte mûrement réfléchi et non pas décidé systématiquement devant tout état fébrile. En effet tous les états 19 La toxicité des antibiotiques fébriles ne sont pas de nature infectieuse et toutes infections ne sont pas bactériennes. [26] D'une façon générale, l'antibiothérapie est indiquée lorsque des microorganismes naturellement pathogènes sont identifiés et persistent dans l'organisme. L'indication peut être dictée par des symptômes cliniques et le plus souvent les propositions de traitement antibiotique sont bien réglées. [27] 2. Indications à titre préventif : antibioprophylaxie [28] Le principe de l'antibioprophylaxie est de prévenir la survenue d'une maladie infectieuse, soit en éradiquant une population bactérienne potentiellement pathogène déjà présente dans l'organisme, soit en empêchant l'implantation d'une population bactérienne exogène. L'antibioprophylaxie s'applique à de nombreuses situations médicales et chirurgicales. Pour que l'indication soit reconnue et validée, elle doit avoir un bon rapport efficacité/risque à l'échelon individuel, et coût/efficacité à l'échelon collectif. Antibioprophylaxie chirurgicale Le risque infectieux postopératoire qui est une des complications majeures des gestes chirurgicaux a conduit, dans les années 1980, à mieux définir la place de l’antibioprophylaxie en chirurgie. [29] Ce type d’antibioprophylaxie, s'adresse essentiellement à la chirurgie propre et propre contaminée. Elle a pour objectif de s'opposer à la pénétration bactérienne exogène et/ou à la colonisation endogène au site opératoire au 20 La toxicité des antibiotiques moment de l'intervention. Elle vise principalement à réduire la taille de l'inoculum pour le rendre ou le maintenir accessible aux défenses naturelles. [27] Antibioprophylaxie médicale : [27] A l'opposé de l'antibioprophylaxie chirurgicale, dans l'antibioprophylaxie médicale, la cible microbiologique est parfaitement identifiée. L'antibioprophylaxie peut être primaire ou secondaire. La prophylaxie primaire s'adresse à des sujets non infectés, mais à très haut risque. Il peut s'agir de sujets « contact », comme les proches d'un individu traité pour méningite à méningocoques ou de sujets que leur déficience immunitaire rend particulièrement vulnérables à telle ou telle infection. La prophylaxie secondaire vise essentiellement à prévenir les récurrences. Effets indésirables de l’antibioprophylaxie : [30] Les inconvénients potentiels de ce type de traitement sont de deux ordres : ceux de tout traitement médical prolongé: coût, difficultés de compliance, effets indésirables classiques ; ceux spécifiques de l’antibiothérapie : l’impact écologique. Dans l’impact écologique de l’antibiothérapie, deux types de phénomènes doivent être distingués : les modifications des flores physiologiques (digestive, respiratoire, génitale…) et la sélection de bactéries résistantes. Dans ce contexte, il est important de limiter la prescription d'une antibioprophylaxie aux strictes indications où celle-ci a fait la preuve de son efficacité. 21 La toxicité des antibiotiques VI. Stratégie des indications 1. La monothérapie La monothérapie à spectre étroit ou large compte de nombreuses indications, en pratique de ville comme à l’hôpital. Elle sera d’autant plus légitime que l’on se trouve en situation d’infection communautaire à germe connu ou probable, de sensibilité accessible a l’antibiotique retenu et pour lequel l’expérience clinique cautionne cette monothérapie. [31] 2. L’association d’antibiotiques Le choix d'une association d'antibiotiques doit rester l'exception et réservé aux patients hospitalisés. [10] Elle est nécessaire dans trois circonstances: [11] pour assurer certainement une bactéricidie lorsque l’infection est jugée sévère ; pour diminuer le risque d’émergence de mutants résistants ; pour élargir le spectre d’activité lorsque, compte tenu des germes suspectés, il n’est pas possible de trouver un seul antibiotique actif répondant aux critères souhaités. Cependant, l’association d’antibiotiques ne se résume pas à une simple addition, voire une amplification, des effets antibactériens de chacun des composants. En effet, associer des antibiotiques c’est parfois : [31] aboutir à un échec par antagonisme d’action ; 22 La toxicité des antibiotiques augmenter les risques d’effets indésirables (tolérance, toxicité, interférence médicamenteuse, modification de l’écologie bactérienne) ; augmenter le coût de l’antibiothérapie. VII. Suivi et durée du traitement 1. Mise en route de l’antibiothérapie [32] Dés la mise en route de l’antibiothérapie, il faut définir les critères qui vont permettre d’apprécier son efficacité. Ces critères sont essentiellement cliniques, pour les infections courantes (disparition des signes fonctionnels et généraux notamment de la fièvre en moins de 48 heures le plus souvent), mais aussi biologiques pour les infections sévères : les hémocultures doivent être négatives en moins de 48 heures, la culture du LCR en moins de 36 heures, une uroculture en moins de 24 heures. 2. Durée du traitement [26] Elle varie beaucoup en fonction de l’infection traitée. Elle peut être brève dans les infections urinaires basses. Elle sera au contraire prolongée dans les pyélonéphrites, les endocardites et plus encore dans les infections osseuses. VIII. Les échecs de l’antibiothérapie De nombreux travaux rapportent que les prescriptions antibiotiques sont inappropriées dans 20 à 50% des cas, en ville comme à l’hôpital. [33] La liste des causes d’échec est longue mais mérite d’être systématiquement envisagée. 23 La toxicité des antibiotiques Echec d’origine bactériologique : [31] Présomption bactériologique incorrecte. Erreur d’identification bactérienne. Résistance initiale de la bactérie (tolérance bactérienne). Substitution de la flore en cours de traitement. Surinfection. persistance du même germe resté sensible (en cas de présence de corps étranger, foyer d’accès difficile…). Rôle de la pathogénie indirecte. Mauvaise interprétation de l’antibiogramme. Echec d’origine pharmacologique : [31] Mauvaise compliance du patient (traitement non pris). Troubles digestifs au cours d’un traitement oral (vomissements..). Mauvaise absorption ou résorption de l’antibiotique. Sous-dosage thérapeutique (dose trop faible, trop espacées). Modifications pharmacocinétiques dues à la pathologie ou aux thérapeutiques associées. Accès veineux insuffisant. Absence de pénétration de l’antibiotique in situ (conditions locales défavorables, ph, anaérobiose). Mauvaise coopération des globules blancs et des autres défenses immunitaires. Mauvaise pénétration dans les macrophages. Inactivation de l’antibiotique interférences médicamenteuses 24 avant son administration, La toxicité des antibiotiques Remarque : Faux échecs [34] Les faux échecs peuvent être définis comme la persistance d’un syndrome infectieux non imputable à un échec du traitement antibiotique. Ces causes, incluant l’intolérance médicamenteuse ou une infection nosocomiale, doivent être évoquées systématiquement. IX. La résistance bactérienne [35, 36, 37, 38] Après l’introduction des sulfamides et de la pénicilline il y a plus de 70 ans, le développement des antibiotiques a connu un essor spectaculaire pendant plus de 50ans, permettant aux cliniciens de disposer de molécules toujours plus efficaces. Ces progrès successifs avaient fait espérer l’éradication du risque infectieux bactérien. Cet optimisme va rapidement être tempéré par l’apparition de résistance des bactéries à ce nouvel environnement antibactérien avec des mécanismes d’adaptation toujours plus subtiles. Une souche est dite résistante à un antibiotique si sa CMI est supérieure à la concentration sanguine maximale d’antibiotique obtenue lors du traitement On distingue : Résistance naturelle : C'est une insensibilité aux antibiotiques, existant naturellement chez tous les membres d'un genre ou d'une espèce bactérienne. Elle fait, donc, partie du patrimoine génétique normal du germe. Résistance acquise : C'est l'acquisition de nouveaux gènes capables de rendre la bactérie insensible à un antibiotique ou à un groupe d’antibiotiques. 25 La toxicité des antibiotiques 1. Déterminisme génétique de la résistance acquise aux antibiotiques La résistance aux agents antimicrobiens est due soit à la modification de l’information génétique « endogène » par mutation chromosomique, soit à l’acquisition de matériel génétique « exogène » tels que les plasmides et/ou les transposons. 1.1. Les mutations chromosomiques Des mutations chromosomiques peuvent modifier les cibles des antibiotiques comme les transpeptidases, l'ADN gyrase, les protéines ribosomales, l'ARN polymérase, ou encore les porines. Ces mutations peuvent entraîner une modification de certaines structures cellulaires, par exemple de la paroi, ou de certaines fonctions, comme la perméabilité de la membrane externe. 1.2. L'acquisition de gènes de résistance L'information génétique est portée par des plasmides, transférables à d'autres bactéries par conjugaison, transduction ou transformation ; ou par des transposons qui sont des fragments d’ADN "sauteurs" qui peuvent s'intégrer soit dans le chromosome soit dans des plasmides, en allant de l'un à l'autre. Cette résistance entraîne la synthèse par les bactéries réceptrices de ce matériel génétique de protéines nouvelles qui vont soit : modifier le système de transport de l’antibiotique (efflux), inactiver l’antibiotique (enzymes), modifier 26 La toxicité des antibiotiques la cible de l’antibiotique, ou encore substituer une cible insensible à une cible sensible. 2. Mécanismes biochimiques de la résistance acquise aux antibiotiques Les conditions de l’activité d’un antibiotique peuvent être décrites de la manière suivante : l’antibiotique doit pénétrer dans la cellule bactérienne, trouver la cible moléculaire de son action, y parvenir sous forme active et se maintenir en contact de la cible à une concentration suffisante pour inhiber l’agent pathogène. Les mécanismes principaux qu’utilisent les bactéries pour résister à l’action d’un antibiotique sont de quatre types : - Absence de pénétration de l’antibiotique par diminution ou suppression de la perméabilité membranaire ou pariétale, interférence avec le transport de l’antibiotique. - Altération de la cible moléculaire par modification du site de fixation ou dégradation enzymatique de la cible. - Une sortie excessive de l’antibiotique hors de la bactérie ou efflux, ce qui entraîne une concentration insuffisante pour exercer une action sur la cible. - Modifications et inactivations enzymatiques de l’antibiotique par des enzymes bactériennes. Plusieurs de ces mécanismes peuvent coexister chez la même bactérie, entraînant des multirésistances complexe et parfois difficiles à analyser. 27 La toxicité des antibiotiques 3. Prophylaxie de la résistance [35] Plusieurs solutions ont été suggérées pour limiter la résistance de bactéries émergentes: réserver la prescription des antibiotiques aux seules infections bactériennes et donc réduire la consommation d’antibiotiques de façon sensible. à efficacité égale sur une bactérie présumée, choisir l’antibiotique qui a le spectre le plus étroit afin de respecter l’écologie bactérienne et diminuer la pression de sélection. En effet, l’antibiotique n’est pas responsable de l’apparition de la résistance, mais il sélectionne les bactéries résistantes en éliminant les espèces sensibles. Plus le spectre de l’antibiotique est large, plus la place laissée libre aux bactéries résistantes à cet antibiotique est importante et facilite leur développement. utilisation de molécules rapidement bactéricides, notamment sur le pneumocoque dans les infections respiratoires. enfin, l’utilisation de schémas thérapeutiques courts va dans le même sens tout en améliorant l’observance. 28 La toxicité des antibiotiques Introduction [1, 39, 40, 41] Comme pour tout médicament actif, les antibiotiques sont susceptibles de provoquer des accidents plus ou moins importants. [1] Avant de les aborder il faut signaler que ces accidents sont classés, selon leur mécanisme et/ou leur prédictibilité, en accidents prévisibles ou imprévisibles. Les premiers découlent d'un effet pharmacodynamique autre que l'effet thérapeutique ou principal du médicament. Les seconds ne sont pas la conséquence d'un effet pharmacodynamique répertorié de la molécule. On peut les classer en effets allergiques, idiosyncrasie, manifestations d'expression différée et interférence avec les mécanismes de défense naturels. [39,40] Effets allergiques : Une sensibilisation immunologique antérieure déclenche une réaction d'expression variable (anaphylaxie, cytotoxicité) lors d'une nouvelle administration du médicament. Idiosyncrasie : Il s'agit d'une susceptibilité particulière d'un sujet donné vis-à-vis d'un médicament. Elle découle d'une particularité acquise (induction ou inhibition enzymatique hépatique) ou constitutionnelle (déficit enzymatique érythrocytaire, anomalies de certaines hydroxylases). Manifestations d'expression différée : 29 La toxicité des antibiotiques Il peut s'agir d'une toxicité cumulative ou d'une accumulation insidieuse, ou bien de réactions survenant ou s'exprimant parfois longtemps après l'exposition aux médicaments. Interférence avec les mécanismes de défense naturels : L'action des médicaments sur les mécanismes de défense non spécifiques peut entraîner des effets indésirables. C'est ainsi que les antibiotiques peuvent causer un développement excessif de la flore intestinale, avec des bactéries et champignons non physiologiques. La nature immuno-allergique des accidents des anti-infectieux est retrouvée ou suggérée dans un tiers des cas. Les autres mécanismes sont liés à un facteur intrinsèque préexistant tel qu’une insuffisance rénale à une interaction médicamenteuse, ou encore à un facteur individuel prédisposant tel qu’un déficit en glucose-6- phosphate déshydrogénase. [41] Parmi les nombreuses manifestations d’organe ou de système observées, les atteintes du tractus gastro-intestinal (nausée vomissement diarrhées) et celle de la peau (exanthèmes et urticaires) sont les plus fréquentes. Ces réactions sont souvent d’intensité et d’aspect mineur, mais il faudra néanmoins savoir prévenir la transformation d’un simple érythème cutané survenu au début du traitement en choc anaphylactique ou en syndrome de Lyell. De même, une banale diarrhée devra toujours être suspecte d’annoncer une entérocolite pseudomembraneuse. Les autres accidents rencontrés siègent, par ordre de fréquence décroissante, au niveau des éléments figurés du sang, du rein, du foie et enfin de système nerveux central. [41] 30 La toxicité des antibiotiques A. Accidents allergiques Tous âges confondus, 10 à 20 % des sujets traités par des antibiotiques rapportent des réactions susceptibles d'évoquer une hypersensibilité à ces médicaments, les anti-infectieux les plus fréquemment accusés étant les bêtalactamines et les sulfamides. [1, 42, 43] Si les urticaires et éruptions maculo-papuleuses sont parmi les manifestations les plus nombreuses, les formes cliniques sont variées et des formes sévères anaphylactiques, toxidermiques graves et/ou systémiques existent et engagent le pronostic vital. [44] Les accidents cutanés de nature immuno-allergique seront uniquement cités dans cette partie, leurs détails seront développés dans le chapitre : « toxidermies » I. Manifestations antibiotiques cliniques et mécanisme d’allergie aux [44, 45, 46, 47] Les manifestations allergiques aux antibiotiques sont multiples, allant d’une simple urticaire au grand choc anaphylactique ou au décollement cutané, parfois mortels. Les mécanismes en cause sont variés et loin d’être parfaitement élucidés. Lorsqu’elles sont authentiquement liées à une allergie, les réactions de chronologie immédiate ou très accélérée, (réaction de type I, selon Gell et Coombs) sont le plus souvent dépendantes des immunoglobulines IgE. Quant aux réactions retardées (de type IV selon Gell et Coombs), elles impliquent une activation de lymphocytes T spécifiques et répondent à plusieurs mécanismes immunologiques (Tableau I). 31 La toxicité des antibiotiques Tableau I : Classification des réactions immunologiques provoquées par les antibiotiques [44] 1 2 sauf pour les réactions de type I FcR : récepteur membranaire cellulaire pour les immunoglobulines 3 DRESS: Drug Reaction with Eosinophilia and Systemic Symptoms 32 La toxicité des antibiotiques II. Démarche diagnostic [42, 44, 45, 47, 48, 49, 50] La première étape du diagnostic d’une allergie est l’interrogatoire. Il doit être minutieux, et s’attacher à la description précise de la symptomatologie, de la chronologie des symptômes, des autres médicaments pris au moment de la réaction, des médicaments de même classe pris depuis, et des antécédents du patient. Après l’interrogatoire, le diagnostic repose essentiellement sur les tests cutanés, et éventuellement sur des tests de réintroduction, les tests in vitro (dosage des IgE sériques spécifiques, tests d’activation des basophiles sanguins et de libération des médiateurs) n’ayant pas fait la preuve de leur valeur diagnostique ni prédictive. Trois types de tests cutanés peuvent être réalisés : [51] *Le patch test, encore appelé test épicutané : il s'agit de déposer une goutte de produit à tester dans une cupule en aluminium qui est appliquée sur la peau du dos ou au niveau des sites cutanés antérieurement atteints par la toxidermie. * Le prick test : une goutte de produit à tester est déposée directement sur la peau. Une petite perforation est réalisée à l'endroit du dépôt de la goutte. * L'intradermoréaction (IDR) : le médicament dilué (10-3 et 10-2 de la solution utilisée pour les pricks tests) est injecté dans le derme. Les prick tests et les IDR sont particulièrement importants pour les haptènes réactifs, afin de mettre en évidence le mécanisme dépendant des IgE. Ils sont classiquement réalisés 4 à 6 semaines après la réaction et en milieu 33 La toxicité des antibiotiques spécialisé car ils peuvent induire à eux seuls une réaction anaphylactique (observée pour les bétalactamines) [52] . Leur sensibilité et valeur prédictive varient selon les médicaments : d’excellentes ou bonnes (pénicillines, céfalosporines, pristinamycine) à mauvaises ou inconnues (quinolones, macrolides). Lors des réactions retardées, des patchs tests avec le médicament suspecté peuvent être réalisés. Parfois, et parce que le médicament n’est pas disponible sous la forme réactive adéquate (ce sont souvent des dérivés métaboliques du médicament qui sont immunogènes), seuls les tests réalistes de provocation permettent de porter le diagnostic. Ils sont réalisés à distance de l’épisode (au moins un mois), utilisent le médicament et la voie d’administration initiale en cause. Ils ne peuvent être réalisés que sous haute surveillance et donc uniquement dans certains centres spécialisés associés à un secteur de soins intensifs ou de réanimation. Généralement, Les diverses étapes amenant à un diagnostic de certitude peuvent être ainsi schématisées : présence d’une histoire clinique compatible avec une allergie médicamenteuse; tests cutanés positifs et validés (un test de provocation ne sera pas réalisé ; c’est le cas des pénicillines par exemple); tests de provocation positifs (réalisés uniquement pour les médicaments dont les tests cutanés sont négatifs et validés ou non validés ou impossibles et en l’absence de contre indications). 34 La toxicité des antibiotiques III. Allergies aux bêtalactamines Les réactions allergiques aux bêtalactamines (BL) représentent la cause la plus fréquente d’allergies médicamenteuses, compliquant près de 0,7 à 10 % des traitements par pénicillines. La pénicilline G a été longtemps considérée comme la BL la plus pourvoyeuse de réactions allergiques. Toutefois, des données récentes suggèrent que l’amoxicilline est de plus en plus impliquée en raison de l’inversion de la tendance de prescription en sa faveur. [44, 53] 1. Manifestations cliniques de l’hypersensibilité aux bêtalactamines Les bêtalactamines sont capables d’induire tous les types de réactions immunologiques de Gell et Coombs (Tableau I). [44, 53] La majorité des réactions présumées allergiques aux BL sont des réactions cutanées, les plus fréquemment rapportées étant les rashs maculo-papuleux (RMP), dans 2 à 9,5 % des traitements, notamment par l’ampicilline ou l’amoxicilline. Avec les éruptions plus ou moins bien identifiées, les RMP représentent ainsi près de 75 % des réactions présumées allergiques aux bêtalactamines. Viennent ensuite les réactions évoquant une hypersensibilité immédiate, avec, principalement, des urticaires et oedèmes de Quincke. Les réactions anaphylactiques généralisées sévères sont beaucoup plus rares, et les chocs anaphylactiques mortels exceptionnels [42] . On estime toutefois que le nombre des décès dus à des chocs anaphylactiques aux bêtalactamines est voisin de 500 par an aux États-Unis, et représente les trois quarts des chocs mortels d’origine médicamenteuse. [2, 42, 47] 35 La toxicité des antibiotiques Les autres types de réactions (cytopénies sanguines, pseudo-maladies sériques, eczémas de contact ou par ingestion, pustuloses exanthématiques aiguës généralisées et autres toxidermies potentiellement sévères) sont plus rarement rapportés. [42] 2. Déterminants antigéniques des bêtalactamines Les réactions immédiates et semi-retardées (accélérées) sont la conséquence clinique d'un mécanisme d'hypersensibilité nécessitant un premier contact avec l'allergène responsable d'une production d'anticorps spécifiques et d'une mémoire immunitaire. Une seconde rencontre avec l'allergène est à l'origine des manifestations cliniques [45,53]. La plupart des BL sont de faible poids moléculaire. A ce poids, la molécule n’est pas immunogène. Pour qu’une sensibilisation vis-à-vis de la molécule se produise, il faut qu’elle se lie à une protéine porteuse. Les BL ont la possibilité, après l’ouverture du cycle bêtalactame, de se conjuguer aux protéines, donnant ainsi naissance aux déterminants « majeurs » (benzyl-pénicilloyl ou céphalosporoyl), qui représentent plus de 90 % des métabolites des BL. L’ouverture du noyau thiazolidique (pénicillines) ou des noyaux équivalents (céphalosporines et carbapénèmes) permet la formation des déterminants « mineurs » (pénicillamine ; acides pénaldique, pénicillénique, pénicillanique, etc.).[42, 45, 53, 54] Les déterminants antigéniques mineurs sont à l’origine de réactions médiées par les IgE et seraient les principaux responsables d’accidents allergiques sévères et immédiats. Les déterminants majeurs, quant à eux, sont responsables des réactions accélérées. [53] 36 La toxicité des antibiotiques Par ailleurs, il a été suggéré par des études récentes que les chaînes latérales sont tenues pour responsables d’une grande fréquence de réactions d’hypersensibilité aux BL. [53] 3. Les réactions croisées [42, 47,53] Les réactions croisées ont été notoirement décrites entre les différentes bêtalactamines (tableau II). Elles seraient secondaires à certaines homologies structurales entre différentes molécules. En effet, à côté du noyau bêtalactame, la chaîne latérale est commune pour certaines molécules. L’hypersensibilité croisée entre les BL concerne, en général, les réactions immédiates médiées par les IgE. En effet, ce type d’évènement risque d’être plus grave avec éventuellement une mise en jeu du pronostic vital lors de l’exposition à une molécule ayant un pouvoir antigénique similaire à celui du médicament initialement impliqué. Pour les réactions retardées, le risque de réaction croisée semble être moins important. 37 La toxicité des antibiotiques Tableau II : Réactivités croisées entre bêtalactamines [42] Bêtalactamine suspecte (DCI) Bêtalactamines de même classe Bêtalactamines de classes différentes Amoxicilline (péni A) ampicilline, bacampicilline, pivampicilline, pénicilline G cefadroxyl, imipenem Ampicilline (péni A) amoxicilline, bacampicilline, pivampicilline, pénicilline G cefaclor, cefadroxil, cefalexine ceftazidime Aztréonam (monobactame) Bacampicilline amoxicilline, ampicilline, pivampicilline, pénicilline G Pénicilline G oracilline, amoxicilline, ampicilline, bacampicilline, pivampicilline cefamandole, cefalotine, cefaloridine Cefaclor (C1G) cefalexine, cefadroxil, cefradine ampicilline Cefadroxil (C1G) cefaclor, cefalexine, cefradine amoxicilline, ampicilline, imipenem Cefalexine (C1G) cefaclor, cefadroxil, cefradine ampicilline Cefalotine (C1G) cefaloridine Pénicilline G, cefamandole, cefoxitine, cefotaxime pénicilline G, cefaloridine, cefalotine, cefotetan Cefamandole (C2G) 38 La toxicité des antibiotiques Cefotaxime (C3G) cefpodoxime, ceftazidime, ceftriaxone cefamandole Cefotetan (C3G) Cefpodoxime (C3G) cefotaxime, ceftriaxone, ceftazidime Cefradine (C1G) cefaclor, cefadroxil, cefalexine Ceftazidine (C3G) cefotaxime, cefpodoxime, ceftriaxone Ceftriaxone (C3G) cefotaxime, cefpodoxime, ceftazidime aztréonam cefotaxime Cefuroxime (C2G) Cloxacilline (pénicilline M) cefalotine, cefoxitine, cefuroxime Oxacilline amoxicilline, cefadroxil Imipenem (Carbapénème) Oracilline (péni V) pénicilline G Oxacilline (péni M) cloxacilline Pipéracilline (uréidopénicilline) ticarcilline Pivampicilline (péni A) amoxicilline, ampicilline, bacampicilline, pénicilline G Ticarcilline (carboxypénicilline) pipéracilline 39 La toxicité des antibiotiques IV Allergies aux sulfamides Les sulfamides antibactériens ont un noyau de base sulfanilamide et sont responsables de fréquentes réactions allergiques (10 % des traitements), le plus souvent cutanées retardées (après 1 à 3 semaines de traitement). L’allergie au cotrimoxazole est beaucoup plus fréquente chez les patients VIH positifs (avec 50 à 80 % de réactions au cours du traitement des pneumocystoses et 10 à 30 % estimées au cours de leur prophylaxie) que chez les autres patients immunodéprimés (5 %), ou ceux dont le système immunitaire est normal (< 3 %) [44,55]. Les mécanismes de cette allergie ne sont que partiellement connus ; ils font intervenir des lymphocytes T CD8 activés et les métabolites réactifs de ces antibiotiques. La molécule non métabolisée est également capable d’activer directement les lymphocytes T, sans digestion ni préparation immunologique préalables par les cellules présentatrices de l’antigène. Les dérivés réactifs des sulfamides (principalement les métabolites hydroxylamines, pouvant non seulement se comporter comme des haptènes mais aussi moduler la réponse immune) seraient fabriqués en quantité plus importante chez les patients VIH positifs (du fait de la fréquence accrue du profil d’acétylation lent, dérivant le métabolisme des sulfamides de l’acétylation vers la voie des cytochromes P450 et de la myéloperoxydase) et moins efficacement détoxifiés (par déficit dans l’activité de la glutathion-S-transférase).[44,54] La plupart de ces réactions sont modérées et limitées (éruptions cutanées, fébricules) tandis que les réactions hématologiques et hépatiques, les fièvres retardées et certaines autres réactions sévères (syndromes de Lyell et de Stevens-Johnson) sont rares mais plus fréquentes chez ces patients 40 [44] . Aucune La toxicité des antibiotiques méthode de diagnostic in vivo ou in vitro n’a été validée. Une induction de tolérance est en général réalisable (en cas de nécessité absolue et en l’absence de lésions muqueuses et/ou bulleuses) et efficace chez la plupart (60 à 95 %) [47] . Les réactions croisées entre sulfamides (antibactériens, diurétiques et hypoglycémiants) ne semblent pas exister [44, 47]. V Allergies aux quinolones L’allergie aux quinolones est considérée comme rare (0,1 à 2 % des traitements) mais son incidence est sous-estimée [56] . Les réactions observées sont évocatrices de mécanismes dépendants des IgE (urticaire, œdème de Quincke, choc anaphylactique), et la présence d’IgE spécifiques a récemment été démontrée dans une série italienne chez 54 % des patients testés autres réactions sont plus rares, mais de tout type [56] [57] . Les et notamment des exanthèmes maculopapuleux avec présence de lymphocytes T spécifiques activés [47, 58] . Aucune méthode de diagnostic in vitro disponible commercialement n’a été validée. La pratique des tests cutanés et tests de provocation lorsque l’indication de cet antibiotique est formelle reste de mise [59] . Des réactions croisées entre quinolones étant décrites, l’éviction de l’ensemble des quinolones s’impose alors. Lorsque l’indication est formelle (pour certaines mucoviscidoses notamment), une induction de tolérance peut être tentée et est efficace [44]. VI Allergies aux macrolides On rapporte peu de cas d’allergie aux macrolides dans la littérature médicale, et l’incidence de ce type de réaction semble être faible (moins de 3 %) 41 La toxicité des antibiotiques [60] . Les réactions allergiques rapportées, dues à l’érythromycine, sont de type 1 ou de type 4. Le risque d’allergie croisée entre macrolides est faible et de l’ordre de moins de 10 % selon le petit nombre de cas évalués [61] . La télithromycine, seul représentant de la classe des kétolides, a une structure chimique semblable aux macrolides. La réaction allergique croisée entre les kétolides et les macrolides n’a pas été investiguée. L’administration de la télithromycine à un patient ayant une hypersensibilité à un macrolide demeure donc une contreindication [47]. VII Allergies aux autres antibiotiques Le risque de réactions immuno-allergiques anaphylactiques ou non avec d’autres antibiotiques est toujours possible mais plus rare. La démarche diagnostique est stéréotypée et superposable à celle précédemment décrite. Les outils biologiques font également défaut. Cependant, un diagnostic de certitude ne s’impose qu’en cas d’indication absolue de cet antibiotique, en l’absence d’alternative (éventualité rare). Dans certains de ces cas d’ailleurs (vancomycine et antituberculeux notamment), des inductions de tolérance ont pu être réalisées avec succès [44]. Le cas de la vancomycine est lui même intéressant. Perfusée trop rapidement, elle induit par histaminolibération non spécifique et de façon quasi constante un érythème intense prurigineux, principalement de la partie supérieure du corps connu sous le terme anglo-saxon de red man syndrome. Des anaphylaxies IgE-dépendantes, démontrées par tests cutanés, ont été décrites Les réactions croisées à la teicoplanine ne sont pas constantes [44]. 42 [62] . La toxicité des antibiotiques La rifamycine SV utilisée localement a également fait l’objet de publications d’anaphylaxies [63]. Les aminosides sont de fréquents pourvoyeurs d’allergies de type IV lorsqu’ils sont utilisés en topiques. Des cas anaphylactiques ont également été décrits [44,64]. 43 La toxicité des antibiotiques B. Toxidermies Les toxidermies sont les complications cutanéomuqueuses secondaires à l’administration par voie entérale, intraveineuse, sous-cutanée ou intramusculaire de médicaments. [65, 66] Elles figurent parmi les plus fréquents effets indésirables des antibiotiques. Les manifestations les plus habituelles sont les exanthèmes maculopapuleux et l'urticaire [44] . Elles ont pratiquement toujours une évolution favorable. Les accidents graves sont rares mais ils peuvent être extrêmement spectaculaires voire mortels ; c’est le cas de choc anaphylactique, syndromes de Lyell, syndrome de Stevens-Johnson et syndrome d'hypersensibilité. I. Différentes manifestations des toxidermies et antibiotiques responsables 1. Exanthème maculopapuleux [65, 66, 67, 68] Les exanthèmes maculopapuleux constituent la forme de toxidermie aux antibiotiques la plus fréquente (figure 2). Ils surviennent 24 heures à 10 jours après le début du traitement responsable. Cliniquement, ces exanthèmes sont très variés. Ils débutent le plus souvent aux coudes, aux genoux et au tronc et s'étendent progressivement à la majeure partie du corps en 3 à 5 jours. Ils sont constitués de lésions maculopapuleuses. Ces exanthèmes de coloration rose-rouge, parfois légèrement purpuriques, à limites imprécises, peuvent être nettement plus scarlatiniformes en larges plaques ou morbilliformes à petits éléments. Les deux aspects sont souvent associés chez un même malade. Fièvre et prurit les accompagnent fréquemment. 44 La toxicité des antibiotiques Une hyperéosinophilie peut être présente. L'évolution est le plus souvent favorable, en général en moins d’une semaine, avec fine desquamation secondaire. Au cours de ces éruptions, certains signes de gravité sont à rechercher systématiquement : sévérité des signes fonctionnels (prurit, brûlures cutanées), éruption touchant une surface cutanée étendue, survenue de lésions muqueuses, œdème du visage, décollement cutané avec signe de Nikolsky, altération de l'état général, fièvre, adénopathies. De telles manifestations cliniques font craindre l'évolution vers une toxidermie grave, syndrome de Lyell ou de Stevens-Johnson, érythrodermie et syndrome d'hypersensibilité qui mettent en jeu le pronostic vital. Beaucoup d’antibiotiques peuvent être en cause mais les plus incriminés sont : les aminopénicillines, les sulfamides antibactériens, les céphalosporines, et les antituberculeux. Figure 2 : Exanthème maculopapuleux dû à l’amoxicilline [65] 45 La toxicité des antibiotiques 2. Urticaire et angio-œdème [65, 66, 69, 70, 71] Ils sont parfois dus à une hypersensibilité immédiate médiée par des immunoglobulines IgE spécifiques anti-médicaments. En l'absence d'investigations complémentaires, la réintroduction des médicaments suspects est formellement contre-indiquée puisqu'ils peuvent induire une libération d'histamine plus importante et déclencher une urticaire plus sévère, voire un choc anaphylactique. Toutefois, certaines urticaires et angio-oedèmes ne sont pas liées à la présence d'IgE spécifiques mais à un mécanisme pharmacologique non allergique. L’urticaire se caractérise par des papules pouvant confluer en plaques à contour géographique. Ces papules érythémateuses, oedémateuses, sont disséminées sur le tégument et ont un aspect ortié (figure 3) . Ces lésions sont mobiles et fugaces, accompagnées d'un prurit. Figure 3: Urticaire médicamenteux [69] 46 La toxicité des antibiotiques L'angio-oedème peut survenir seul ou être associé à l'urticaire. Il s'agit d'un oedème de l'hypoderme et du derme donnant une sensation de tension. La peau est de couleur normale ou blanche, et non prurigineuse. L'angio-oedème atteint tous les territoires cutanés mais aussi les muqueuses. Le pronostic vital peut être engagé par asphyxie en cas de localisation oropharyngée. Des signes généraux, fièvre, arthralgies, troubles digestifs ou neurologiques peuvent accompagner l’urticaire et l’angio-oedème ; le choc anaphylactique avec collapsus cardiorespiratoire et bronchospasme en est une complication potentiellement mortelle en l'absence de traitement. Les antibiotiques le plus fréquemment en cause sont les bétalactamines. Les délais les plus caractéristiques entre l'introduction du médicament et l'apparition de l'urticaire et/ou de l'angio-oedème sont de quelques heures, voir quelques minutes. Parfois, le délai de « sensibilisation » est de l'ordre d’une semaine. 3. Photosensibilisation [67, 69, 72, 73] La photosensibilisation médicamenteuse correspond à une réaction anormalement exagérée de la peau à une exposition solaire en relation avec la prise d'un médicament. La photosensibilisation se traduit par deux types de réactions : 3.1. Réactions phototoxiques Les réactions phototoxiques sont fréquentes, survenant chez tous les individus sans prédisposition particulière à condition que le médicament photosensibilisant s’accumule dans la peau et que l’irradiation soit suffisante. 47 La toxicité des antibiotiques Quelques heures après l’exposition apparaissent un érythème, un œdème et des bulles, évoluant les jours suivants vers la desquamation et la pigmentation. La réaction perdure si l’irradiation et la prise médicamenteuse persistent. 3.2. Réactions photoallergiques Les réactions photoallergiques ne surviennent que chez les sujets préalablement sensibilisés. Elles débordent les zones exposées. L’éruption peut être érythémateuse, œdémateuse, eczématiforme. L’évolution est habituellement favorable, après éviction de la molécule photoallergisante. Rarement, après un épisode photoallergisant et après élimination du médicament inducteur, certains individus présentent une photosensibilité persistante ou rémanente. Le délai entre l’introduction du médicament et les symptômes est de 5 à 21 jours lors de la première prise. En cas de réadministration, le délai est de l’ordre de 24 heures. Des photopatch-tests permettent de confirmer le diagnostic si nécessaire. 3.3. Les Antibiotiques les plus fréquemment en cause Deux classes sont essentiellement en cause : les cyclines et les quinolones. Cyclines Leur pouvoir photosensibilisant est connu depuis très longtemps et relève essentiellement d’un mécanisme phototoxique, le spectre d’action semble se situer dans l’UVB. Les manifestations cliniques sont extrêmement variées, rash maculeux, éruption lupus-like, porphyrie-like ou lichénoïde, ainsi qu’une photo-onycholyse 48 La toxicité des antibiotiques distale (figure 4). Le potentiel photosensibilisant des différentes cyclines varie avec la structure de la molécule. La déméclocycline (qui n’est plus commercialisée en France) et la doxycycline sont les photosensibilisants les plus puissants tandis que la minocycline et la méthacycline montrent un potentiel inférieur. L’activité phototoxique de la doxycycline est liée à un de ses photoproduits la lumidoxycycline. Figure 4: Photo-onycholyse après prise de doxycycline [72] Quinolones Elles sont clairement connues comme pouvant induire des accidents de photosensibilisation extrêmement brutaux et particuliers par leur évolution clinique. Le spectre d’action se situe dans l’UVA. Le mécanisme de photosensibilisation paraît phototoxique comme le montre la négativité habituelle des photopatchtests. Cependant, il a pu être montré que ces molécules avaient la potentialité de se comporter comme des haptènes. 49 La toxicité des antibiotiques Sulfamides Leur pouvoir photosensibilisant est connu depuis de très nombreuses années avec un mécanisme essentiellement photoallergique et un spectre se situant dans l’UVB (figure 5). Figure 5 : Photoallergie après prise d’un dérivé sulfamidé. [72] 4. Érythème pigmenté fixe (EPF) [65, 66, 67, 68, 69, 70, 74] C’est la seule éruption qui soit toujours d’origine médicamenteuse. Il est composé de lésions papuleuses en plaques ovalaires bien limitées (figure 6), érythémateuses ou rouges violacées parfois bulleuses en leur centre. A l'arrêt du médicament inducteur, elles guérissent en laissant une pigmentation sur le site préalablement atteint. Lorsque le médicament est réintroduit, les lésions 50 La toxicité des antibiotiques ovalaires érythémateuses réapparaissent en 1 à 4 jours sur les sites pigmentés préalablement atteints. Parfois, de nouvelles localisations se surajoutent aux localisations initiales. Lorsque les lésions sont nombreuses et bulleuses, il ne faut pas confondre l’EPF avec un syndrome de Stevens-Johnson. Dans l’EPF, il n’y a pas de lésions maculo-papuleuses entre les médaillons ovalaires bien limités. Les tests épicutanés peuvent être intéressants pour explorer les EPF s’ils sont réalisés sur les sites pigmentés séquellaires. Les principaux antibiotiques inducteurs sont les sulfamides+++ (triméthoprim-sulfaméthoxazole), et les cyclines. Le délai d'apparition des lésions après introduction est de l'ordre de quelques heures. Figure 6 : Érythème pigmenté fixe dû à une cycline [66]. 5. Purpura vasculaire [65, 66, 68, 69] Il s’agit de lésions purpuriques prédominants aux membres inférieurs, souvent infiltrées. Certaines peuvent évoluer vers la nécrose (figure 7) ou la 51 La toxicité des antibiotiques bulle. Des signes systémiques, en particulier fièvre, arthralgies, douleurs abdominales ou une neuropathie périphérique peuvent les accompagner. Une atteinte rénale ou hépatique survient occasionnellement. Contrairement aux idées reçues, les médicaments sont une cause rare des purpuras par vascularite. Les antibiotiques le plus fréquemment impliqués sont les pénicillines et les sulfamides. La ré-administration du médicament responsable est formellement contre-indiquée. Figure 7: vascularite médicamenteuse [69] 6. Pustulose Exanthématique Aiguë Généralisée [65, 66, 67, 68, 69, 70, 75] La pustulose exanthématique aiguë généralisée (PEAG) est caractérisée par la survenue soudaine d'une fièvre élevée, d'une éruption disséminée œdémateuse, rapidement couverte de centaines de pustules non folliculaires superficielles de petite taille (0,3 à 0,5 mm de diamètre) (figure 8) prédominant 52 La toxicité des antibiotiques au tronc et aux grands plis ; un purpura et des cocardes atypiques peuvent être associés. Une hyperleucocytose franche est quasi constante, liée à une neutrophilie. La pustulose est rapidement spontanément résolutive ; fièvre et pustules durent de 7 à 10 jours et sont suivies d'une desquamation. L'évolution est donc généralement favorable en moins de 15 jours. L'examen histologique cutané montre des pustules intraépidermiques ou sous-cornées accompagnées d'un oedème dermique, d'une vascularite, d'un infiltrat éosinophile périvasculaire ou d'un foyer de nécrose kératinocytaire. Le principal diagnostic différentiel est le psoriasis pustuleux. Contrairement à beaucoup de toxidermies, le début de l’apparition est très court par rapport à la prise médicamenteuse surtout s’il s’agit d’un antibiotique. Pour les autres médicaments, ce délai est en général nettement plus long (3 à 15 jours). Figure 8: Pustulose Exanthématique aiguë généralisée à la pristinamycine [66] 53 La toxicité des antibiotiques Les principaux antibiotiques en cause sont rassemblés dans le tableau III, ils sont responsables de 80% des cas de PEAG d’origine médicamenteux [75]. Tableau III: PEAG : Antibiotiques incriminés [75] Ampicilline Isoniazide Amoxicilline Pristinamycine Céphalosporines Quinolone Co-trimoxazole Roxithromycine Doxycicline Spiramycine Erythromycine Ticarcilline Imipénem Vancomycine 7. Syndrome d'hypersensibilité médicamenteuse ou « drug rash with eosinophilia and systemic symptoms » (DRESS) [65, 66, 67, 69, 70] Il s’agit d’une toxidermie sévère d’origine immunologique, survenant brutalement 2 à 6 semaines après le début de traitement responsable. Cliniquement, il s'agit d'une éruption maculopapuleuse étendue, parfois d'une érythrodermie, souvent accompagnée d'un œdème du visage et du cou (figure 9). L’éruption est parfois initialement parsemée de pustules. L’atteinte muqueuse est fréquente. Une polyadénopathie douloureuse, parfois une hépatosplénomégalie l’accompagnent avec des signes généraux marqués, fièvre élevée, altération de l’état général. Une hyperlymphocytose, parfois avec atypie cellulaire, est fréquente associée à une hyperéosinophilie. L’évolution peut être fatale (par hépatite surtout, pneumopathie ou myocardite). La dénomination de 54 La toxicité des antibiotiques syndrome drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms (DRESS) a été proposée pour souligner la sévérité de ce « syndrome éosinophilique » médicamenteux. La guérison est lente, environ 1 mois, parfois entrecoupée de poussées. Figure 9 : Syndrome d’hypersensbilité médicamenteuse [69] L'histologie cutanée montre un infiltrat lymphocytaire, parfois dense, voire épidermotrope et avec des atypies cellulaires pouvant alors faire évoquer un diagnostic de lymphome. Les antibiotiques le plus souvent responsables sont les sulfamides et la minocycline. 8. Syndromes de Stevens-Johnson et de Lyell [65, 66, 67, 69, 76, 77, 78] Ce sont les formes les plus graves de toxidermies. Elles surviennent plus fréquemment chez les sujets immunodéprimés, particulièrement chez les patients infectés par le VIH. 55 La toxicité des antibiotiques Histologiquement et cliniquement, il existe un continuum entre Syndrome de Stevens-Johnson (SSJ) et syndrome de Lyell qui ne sont actuellement distingués que par la surface d’épiderme nécrosé, facteur majeur de gravité. Les mêmes médicaments sont responsables de tous les grades de sévérité et chez de nombreux patients l’éruption s’étend en quelques jours, se transformant de SSJ en Syndrome de Lyell. La réaction débute une dizaine de jours après le début du traitement inducteur, par des manifestations peu spécifiques (fièvre, pharyngite, éruption érythémateuse). En quelques heures à quelques jours, le tableau devient caractéristique par l’association d’érosions muqueuses multifocales et de bulles cutanées. Le signe de Nikolsky est positif et des lambeaux d’épiderme se détachent à la moindre pression. Au cours du SSJ, bulles et vésicules disséminées restent distinctes et de petite taille, les zones de décollement par confluence sont limitées (figure 10). Dans le Syndrome de Lyell de vastes lambeaux d’épiderme sont décollés mettant à nu le derme suintant rouge vif, ou « décollables » restant en place avec un aspect de linge fripé (figure 11). L’atteinte conjonctivale et muqueuse associée est très fréquente. Le patient présente une altération de l’état général, une fièvre, parfois des arthralgies et/ou très rapidement une défaillance polyviscérale. Les examens biologiques montrent une leucopénie, l’élévation de multiples enzymes, parfois des troubles hydroélectrolytiques résultant des déperditions cutanées. 56 La toxicité des antibiotiques La biopsie cutanée montre un épiderme nécrosé sur toute son épaisseur, se détachant d’un derme peu modifié (discret infiltrat lymphocytaire). L’immunofluorescence directe est négative. Figure 10: Syndrome de Stevens Johnson [67] Figure 11: Syndrome de Lyell. [69] La mortalité est de 20 à 25 % pendant l’hospitalisation. Elle varie de 5 à 10% en cas de SSJ à plus de 30 % en cas de syndrome de Lyell. Elle est surtout due aux complications infectieuses et pulmonaires. 57 La toxicité des antibiotiques En cas d’évolution favorable, la ré-épidermisation est rapide (10 à 30jours) avec des séquelles assez fréquentes : troubles de la pigmentation et cicatrices muqueuses en particulier oculaires. Les antibiotiques à risques identifiés sont les sulfamides antibactériens. Un risque beaucoup plus faible a été démontré pour de nombreux antibiotiques (Bêtalactamine, Quinolones et Tétracyclines). II. Conduite à tenir immédiate lors de la survenue d'une toxidermie médicamenteuse [65, 69] Il faut interrompre tous les médicaments qui peuvent être imputables dans le déclenchement de la toxidermie ; un retard d'interruption du médicament responsable s'accompagnant d'une gravité accrue de la toxidermie. Il est nécessaire de décrire la toxidermie et si possible d'en faire une photographie. Il faut immédiatement faire un examen clinique à la recherche des signes de gravité de cet accident d'iatrogénie. Devant une urticaire, un antihistaminique est administré. En cas d'oedème de Quincke, d'asthme ou d'une chute tensionnelle associés, une hospitalisation est indispensable avec si nécessaire mise en route du traitement de choc anaphylactique. Toute toxidermie sévère doit faire l'objet d'une déclaration auprès du Centre régional de pharmacovigilance. Il faut donner immédiatement des consignes écrites au patient vis-à-vis des classes médicamenteuses suspectes qui sont contre-indiquées jusqu'à la poursuite du bilan. 58 La toxicité des antibiotiques Il faut rappeler au patient de conserver le (s) médicament (s) responsable (s) car ils pourront être utiles si des investigations complémentaires sont réalisées ultérieurement. Il faut, si possible, programmer dans les 6 mois qui suivent un bilan dermato-allergologique afin d'aboutir à des conseils précis pour le patient visà-vis des molécules contre indiquées de façon définitive et celles qui peuvent être prises en remplacement. 59 La toxicité des antibiotiques C. Accidents digestifs Les troubles digestifs sont les effets secondaires le plus souvent rencontrés au cours des traitements par antibiotiques. Les mécanismes à l'origine de ces désordres digestifs sont de mieux en mieux compris et des modifications des fonctions sécrétoires, motrices ou des perturbations de la flore intestinale interviennent parfois de façon intriquée. L'incidence des effets secondaires digestifs des antibiotiques est très variable, en fonction de la classe des produits, du terrain sur lequel ils surviennent et de la définition des symptômes. [79] I. Diarrhées post-antibiotiques: diarrhée « simple » Par convention, la diarrhée post-antibiotique (DPA) est définie par toute diarrhée apparaissant au cours du traitement antibiotique ou dans les deux mois suivant son interruption. [80] Leur incidence varie dans la population générale de 5 à 25 % en fonction de l’antibiotique prescrit : 5 à 10% pour l’ampicilline, 10 à 25 % pour l’association amoxicilline–acide clavulanique, 15 à 20 % pour les céphalosporines de troisième génération, 2 à 5% pour les fluoroquinolones, les macrolides et les tétracyclines. [81, 82] 1. Physiopathologie et principales causes infectieuses la DPA peut être liée à un effet direct des antibiotiques sur l'intestin ou être secondaire aux perturbations de l'écologie microbienne induites par l’antibiothérapie. Dans ce dernier contexte, la DPA peut être due à l'altération 60 La toxicité des antibiotiques des fonctions physiologiques de la flore commensale, ou à l'émergence dans la flore intestinale de micro-organismes pathogènes. [80] 1.1. Effets directs des antibiotiques sur l’intestin a. Entéropathie de l’intestin grêle avec malabsorption [80, 81] Cette pathologie est très rare, car les antibiotiques en cause sont anciens et peu utilisés. La néomycine donnée par voie orale est susceptible d'induire des troubles digestifs et une malabsorption des aliments pour des doses quotidiennes > 2 g/jour. Elle précipite le contenu des micelles et induit des altérations histologiques de la muqueuse intestinale. b. Effet prokinétique de l’érythromycine [79, 80, 81] L’érythromycine se fixe en partie sur les récepteurs de la motiline et active ainsi ce puissant peptide prokinétique. Le résultat est une stimulation des contractions antrales avec raccourcissement du temps de vidange gastrique. Parallèlement, l’érythromycine semble peu modifier la motricité de l’intestin grêle et allonge même le temps de transit duodéno-caeca. c. Modifications de la motricité intestinale L’amoxicilline–acide clavulanique péristaltisme de l’intestin grêle. 61 est [79, 80, 81] susceptible de majorer le La toxicité des antibiotiques 1.2. Diarrhées métaboliques par modification de la flore commensale [80, 81] Les DPA sont le plus souvent la conséquence d’un déséquilibre de la flore digestive normale entraînant une réduction du métabolisme des hydrates de carbone et des sels biliaires par les bactéries anaérobies digestives. La réduction de la fermentation des hydrates de carbone non digérés par la flore colique conduit à une diminution de la synthèse des acides gras à chaînes courtes; comme ces acides gras favorisent l’absorption hydroélectrolytique par la muqueuse colique, la réduction de leur production entraîne la survenue de diarrhées hydrosodées. En outre, l’accumulation d’hydrates de carbone dans le côlon s’accompagne de diarrhées osmotiques. Les sels biliaires, qui ne sont plus déconjugués, ni déhydroxylés par les bactéries anaérobies de la flore digestive normale, peuvent stimuler la sécrétion colique et provoquer des diarrhées sécrétoires. Ces diarrhées métaboliques par modification de la flore digestive normale sont le plus souvent bénignes et régressent à l’arrêt de l’antibiothérapie. Ce sont les antibiotiques à large spectre, actifs sur les bactéries anaérobies, qui sont les principaux pourvoyeurs de ces diarrhées. 1.3. Diarrhées infectieuses [80, 81, 82, 83, 84] Les antibiotiques, en modifiant la flore intestinale, créent une niche permettant à divers agents infectieux de proliférer. Une infection à Clostridium difficile est en cause dans 10 % à 25 % des cas. Klebsiella oxytoca, Candida albicans ou Staphylococcus aureus sont plus rarement en cause. [82, 83, 84] 62 La toxicité des antibiotiques 2. Facteurs de risque des DPA [81] Les facteurs de risque des DPA, représentés dans le tableau IV, peuvent être regroupés en deux catégories: ceux liés à l’antibiothérapie et ceux liés à l’hôte. L’âge est un facteur de risque significatif de DPA, puisque leur fréquence varie selon une courbe en «U», avec un taux élevé chez les enfants de moins de six ans et chez les personnes âgées de plus de 65ans. Tableau IV : Facteurs de risque des diarrhées associées aux antibiotiques [81]. 3. Conduite à tenir devant une DPA [81] En pratique, l’antibiothérapie devra être arrêtée si son indication n’est pas formelle et la diarrhée a toutes les chances de céder rapidement. Si la poursuite de l’antibiothérapie est indiquée, mais proche de son terme, elle pourra être associée à des modulateurs de la flore et à des antidiarrhéiques antisécrétoires. 63 La toxicité des antibiotiques Si l’antibiothérapie est indispensable et doit être poursuivie pendant encore un certain temps, un changement de classe d’antibiotique exposant à un risque moindre de DPA peut être proposé. Une recherche de toxine de C. difficile devra être effectuée et, en cas de positivité, un traitement par métronidazole sera instauré pendant au moins dix jours et jusqu’au terme de l’antibiothérapie. Comme la majorité des DPA de cause infectieuse sont dues à C. diffıcile, l’arbre décisionnel proposé par Högenauer mérite d’être retenu et de servir de base à toute démarche diagnostique devant une DPA (Figure 12). Figure12 : Arbre décisionnel proposé par Högenauer devant une diarrhée associée aux antibiotiques. [81] 64 La toxicité des antibiotiques II. Colite pseudomembraneuse post antibiotiques à Clostridium difficile La colite pseudomembraneuse (CPM) est la forme la plus sévère des complications digestives de l’antibiothérapie, et est potentiellement grave car susceptible de mettre en jeu le pronostic vital du malade [80, 83, 85]. La plupart des antibiotiques peuvent la provoquer mais certains d’entre eux sont plus responsables que d’autres : c’est le cas pour les céphalosporines, la clindamycine, et les aminopénicillines. [15, 79, 80, 81, 86, 87] 1. physiopathologie et agent responsable [15, 80, 81, 83, 84, 85, 86] Le Clostrudium difficile est actuellement reconnu comme l’agent responsable de plus de 95 % des cas de CPM post antibiotiques [15, 81, 83, 85, 86] Par leur action sur la flore de barrière, les antibiotiques facilitent l’implantation de C. difficile dans le tube digestif et/ou son émergence. La virulence des souches de C. difficile est liée à la sécrétion de deux toxines protéiques : - La toxine A (entérotoxine) se fixe sur les récepteurs des cellules intestinales (entérocytes) entraînant des lésions cellulaires. - La toxine B (cytoxine) achève la destruction du cytosquelette des entérocytes. 65 La toxicité des antibiotiques 2. Manifestations cliniques [15, 79, 86] Les symptômes apparaissent le plus souvent 5 à 10 jours après le début du traitement; il s'agit le plus souvent d'une diarrhée profuse associée à un météorisme abdominal, une hyperthermie avec altération de l'état général. En endoscopie, on observe souvent une pancolite à fausses membranes. Ces dépôts blanchâtres sont constitués par des exsudats fibrinoleucocytaires sur une muqueuse abrasée en surface. La mortalité atteint 10-20 % en raison des complications locales (colectasies, perforations, hémorragies) ou générales (toxi-infections). Des signes alarmants sont fréquents, avec une perte pondérale de plus de 10 % du poids du corps liée à la déshydratation. L'hyperleucocytose supérieure à 15 000/mm3 existe dans 40 % des cas. 3. Diagnostic [15, 79, 86] En dehors de la visualisation des lésions pseudomembraneuses par la rectoscopie ou la coloscopie, la bactériologie permet d’isoler le germe. L'isolement de Clostridium difficile dans les selles est réalisé à l'aide de milieux sélectifs et demande quelques jours avant de porter un diagnostic de certitude. La recherche de toxine est plus rapide et les tests récents de type enzyme-linked immunosorbent assay (Elisa) sont plus intéressants avec une spécificité de 97 % et un délai d'interprétation de quelques heures. 4. Traitement et prévention [15, 84, 86, 87, 88] Le traitement repose sur l’arrêt de l’antibiothérapie en cause, la rééquilibration hydroélectrolytique et la prescription d’un traitement antibiotique visant à éradiquer le C.diffıcile. 66 La toxicité des antibiotiques Le métronidazole, à une dose de 500 mg administré 3 fois par jour par voie orale, représente le traitement initial de choix. La solution de rechange à cette thérapie est la vancomycine à une dose de 125 mg administrée 4 fois par jour par voie orale durant une période allant de 10 à 14 jours. [84, 87, 88] La prévention repose sur l’abstention de la prescription de l’antibiotique causal chez les sujets ayant déjà fait une CPM, et sur l’association d’un modulateur de la flore intestinale comme Saccharomyces boulardii. C’est la capacité de S.boulardii à secréter une protéase anti-A et B qui a justifié sa prescription. [15, 86] III. Colites hémorragiques post-antibiotiques à Klebsiella oxytoca A côté des colites post-antibiotiques à Clostridium difficile, des colites hémorragique, associées à Klebsiella oxytoca ont été décrites. 1. hypothèse pathogéniques L’hypothèse que Klebsiella oxytoca soit l’agent infectieux responsable des colites hémorragiques sous pénicillines, céphalosporines et pristinamycines (antibiotiques dont elle est naturellement résistante) prévaut dans la littérature française et japonaise, mais n’est pas admise dans la littérature anglo-saxonne. Pourtant, une équipe japonaise a isolé une toxine produite par les souches de klebseilla oxytoca des patients ayant une colite hémorragique sous antibiotiques. Il s’agit d’une toxine de faible poids moléculaire, cytotoxique pour plusieurs lignées cellulaires en culture et entrainant une sécrétion 67 La toxicité des antibiotiques hydroélectrolytique et des lésions muqueuses hémorragiques dans des anses iléales de lapin isolées. [80, 81, 89, 90] Malgré ces arguments, le niveau de preuve de la responsabilité de Klebsiella oxytoca dans les colites hémorragiques n’atteint pas encore celui de la responsabilité de Clostridium difficile dans les colites pseudo-membraneuses. 2. Manifestations cliniques [81, 84, 88, 89, 90] Les symptômes, à type de crampes abdominales et de diarrhées hémorragiques, apparaissent quelques jours après le début du traitement antibiotique. L’endoscopie digestive ne retrouve pas de fausse membrane, mais visualise des hémorragies muqueuses, parfois des érosions et des ulcérations coliques droites. 3. Traitement [84, 88] Les colites hémorragiques à Klebsiella oxytoca régressent en général rapidement à l’arrêt de l’antibiothérapie responsable. Si ce n’est pas le cas, un traitement par quinolones est indiqué. IV. Nausées et vomissements [1, 2, 91] Les nausées et les vomissements font partie des effets secondaires classiques de nombreux antibiotiques. Ces effets sont souvent d’intensité et d’aspect mineurs mais il ne faut pas sous-estimer leur rôle dans la mauvaise compliance et la moindre efficacité thérapeutique. 68 La toxicité des antibiotiques Les antibiotiques le plus souvent en cause sont les macrolides, la majorité des bêtalactamines (surtout les carbapénèmes) et les tétracyclines. V. Stomatites Ce sont les antibiotiques à large spectre (tétracyclines, ampicilline…) administrés par voie orale, qui détruisent les bactéries produisant la vitamine B nécessaire à la trophicité des muqueuses. Ils déséquilibrent aussi globalement la flore digestive favorisant de cette manière la prolifération anormale des candidas albicans. Ceci entraîne une grande sécheresse buccale avec sensation de brûlure, une rougeur, une perlèche, un muguet; quelques fois même une glossite dépapillante médiane ou villeuse noirâtre. Le diagnostic est confirmé par la richesse des cultures en candida albicans après prélèvement local. Ces complications peuvent même quelquefois s’observer après un traitement prolongé administré par voie parentérale. Elles sont prévenues par les antifongiques. [92, 93] 69 La toxicité des antibiotiques D. Accidents rénaux La toxicité rénale d’un médicament est un événement grave car elle est associée à une importante morbimortalité. La mortalité est liée principalement au terrain sur lequel la défaillance rénale survient, mais également à l’altération de la filtration glomérulaire en elle-même, qui met la vie du patient en danger en l’exposant à de multiples complications. Les néphropathies aiguës médicamenteuses représentent 20 % des insuffisances rénales aiguës (IRA) avec, comme principales substances en cause, les antibiotiques (surtout les aminosides) [94]. I. Rappel physiologique [94, 95, 96, 97] Le rein est un organe particulièrement sensible à la toxicité des médicaments circulant dans l’organisme, car il reçoit chaque minute 25 % du débit cardiaque dans un réseau capillaire qui représente une très importante surface endothéliale. La surface filtrante est égale à 1m2/100 g de tissu, soit 4 m2 chez un adulte. Le débit de filtration glomérulaire (DFG) (ou clairance de la créatinine) est égal à 100 à 120 ml/min soit 140 à 180 l/ 24 heures, d’où un contact massif entre le rein et les médicaments et/ou leurs métabolites. De plus, l’existence d’un gradient osmotique corticomédullaire favorise l’accumulation interstitielle de toxiques au niveau de la papille et de la médullaire. Enfin, le rôle fondamental du tubule rénal dans la réabsorption/ sécrétion des solutés l’expose à une concentration particulièrement élevée de médicament dans la lumière tubulaire, mais aussi dans la cellule tubulaire. 70 La toxicité des antibiotiques L’élimination des molécules par le rein est la somme de trois mécanismes : la filtration glomérulaire, la sécrétion et la réabsorption tubulaires. Filtration glomérulaire La filtration glomérulaire dépend de la fixation protéique des médicaments. En effet, seule la fraction libre du médicament est filtrée si son poids moléculaire est inférieur à 68 000 kD. Les médicaments filtrés sont présents dans la lumière tubulaire où ils se concentrent du fait de la réabsorption de l’eau. Les médicaments non filtrés se concentrent dans les artères efférentes et péritubulaires. Sécrétion tubulaire La sécrétion tubulaire se fait de l’artériole péritubulaire vers la lumière urinaire. Elle n’est pas limitée par la fixation protéique, et peut être compétitive entre deux substances. Elle s’effectue contre un gradient de concentration; c’est un phénomène actif nécessitant des transporteurs et de l’énergie. Réabsorption tubulaire La réabsorption tubulaire se fait de la lumière tubulaire vers l’artériole péritubulaire. Elle peut être active (nécessitant transporteurs et énergie) ou passive (elle concerne le plus souvent les substances liposolubles). Ainsi, tous les facteurs susceptibles d’élever la concentration intrarénale de substances toxiques (variations de débit sanguin, déshydratation, néphropathie, etc.) favorisent la survenue d’une insuffisance rénale médicamenteuse. 71 La toxicité des antibiotiques II. Principaux types d’atteinte rénale secondaires à la prise d’antibiotiques [94, 95, 96] Les néphropathies aux antibiotiques sont généralement des atteintes rénales aigues qui ne persistent que le temps du traitement. On distingue : 1. Néphropathies tubulaires Elles sont dues, en général, à une atteinte toxique directe se manifestant le plus souvent par des troubles hydroélectrolytique et une insuffisance rénale aigue secondaire à une nécrose tubulaire aigue. La toxicité tubulaire peut ne s’exprimer que sous la forme d’une tubulopathie proximale (syndrome de Fanconi). Le tableau de nécrose tubulaire aigue est classiquement pauvre, représenté par la phase d’insuffisance rénale aigue dont la durée est plus ou moins prolongée en fonction de la sévérité de l’atteinte. Il n’existe ni protéinurie ni hématurie. En revanche, l’apparition de cylindres tubulaires granuleux dans le sédiment urinaire conforte le diagnostic de la nécrose tubulaire aigue. La seconde phase de la nécrose tubulaire aigue correspond à la phase de régénération des cellules tubulaires entraînant la restauration de la capacité d’épuration et une diminution de la créatininémie. 2. Néphropathies tubulo-interstitielles Elles sont généralement secondaires à un mécanisme immunoallergique, avec des manifestations extrarénales (fièvre, éruption cutanée, arthralgies, ictère, thrombopénie, hémolyse auto-immune, hyperéosinophilie, hyperéosinophilurie) 72 La toxicité des antibiotiques associées à une insuffisance rénale aigue. Dans le sédiment urinaire, l’existence d’une éosinophilie est très évocatrice mais n’est présente que dans un tiers des cas seulement. L’hématurie macroscopique, signe classique de la maladie, est également loin d’être systématique. Habituellement, on observe une leucocyturie sans pyurie et une hématurie microscopique. Une protéinurie de débit modéré (<1g/l) avec un tracé tubulaire complète le tableau. 3. Néphropathies glomérulaires Elles ne sont pas les plus courantes et sont très souvent secondaires à des processus immunologiques. A la différence des néphropathies interstitielles aigues, il s’agit de néphropathies chroniques, sans signes extra rénaux de la lignée allergique, se traduisant par une protéinurie isolée ou un syndrome néphrotique chez l’adulte, et/ou des œdèmes. 4. Cristallurie et lithiases Lorsqu’il s’agit d’une lithiase, c’est souvent une colique néphrétique ou une hématurie macroscopique qui va révéler le calcul; en cas de cristallurie, il existe souvent une IRA associée. Dans tous les cas, l’échographie est essentielle, montrant soit le calcul et la dilatation des voies urinaires, soit un aspect de néphrocalcinose en cas de cristallisation médicamenteuse intraparenchymateuse. III. Facteurs favorisants [94, 98, 99] La connaissance des facteurs favorisant la néphrotoxicité des antibiotiques permet d’être plus vigilant et de prendre des mesures permettant de diminuer la fréquence des atteintes rénales. 73 La toxicité des antibiotiques Les facteurs peuvent être dus, d’une part à l’antibiotique lui-même : administration inadaptée : trop prolongée ou à des doses trop fortes ; association à des traitements pouvant altérer la fonction rénale : diurétiques, produits de contrastes iodés, amphotéricine B, ciclosporine, cisplatine, vancomycine D’autre part, il convient de tenir compte des caractéristiques du malade : insuffisance rénale préexistante même mineure ; néphropathie chronique même sans insuffisance rénale ; âge avancé ou prématurité ; cirrhose hépatique ; déshydratation ; diabète mal équilibré ; hypovolémie, hypotension IV. Physiopathologie et profil clinique des effets rénaux des antibiotiques Le diagnostic de toxicité rénale d'un antibiotique est le plus souvent posé devant une altération aiguë de la filtration glomérulaire, une des présentations cliniques les plus fréquentes, les autres (atteinte tubulaire isolée, syndrome néphrotique) étant probablement largement sous-estimées car moins bien diagnostiquées par les cliniciens. La gravité du problème est soulignée par la possibilité d'évolution vers l'insuffisance chronique terminale. [94] 74 La toxicité des antibiotiques Les mécanismes responsables des anomalies rénales aux antibiotiques sont variés. Ils sont illustrés dans le Tableau V : Tableau V: Antibiotiques impliqués dans la toxicité rénale des médicaments [94]. Mécanisme physiopathologique impliqué Médicament Aminosides Toxicité tubulaire directe Pentamidine Sulfonamides Nitrofurantoïne Tétracyclines Pénicillines Céphalosporines Néphropathie immunoallergique Sulfonamides Rifampicine Ciprofloxacine Tétracyclines Obstruction intratubulaire par précipitation Du médicament ou de ses métabolites Sulfonamides Glomérulopathie Rifampicine Cefixime 75 La toxicité des antibiotiques 1. Aminosides Ils sont responsables d’environ 25 % des insuffisances rénales aiguës. 100] [94, Le mécanisme de la toxicité est lié à un effet cytotoxique direct, dose- dépendant, dû à l’accumulation excessive de ces médicaments dans le cortex rénal. Cette accumulation est par ailleurs corrélée aux concentrations sériques de l’aminoside. Plusieurs types d’atteinte rénale ont été décrits suite à l’administration des aminosides: nécrose tubulaire aigue, néphropathie interstitielle aigue, syndrome de Fanconi, diabète insipide néphrogénique ou encore hypokaliémie associée à une hypomagnésémie. [95] La néphrotoxicité est le plus souvent cliniquement silencieuse. La polyurie, due à un défaut de concentration des urines, peut être l’un des signes précoces. C’est l’élévation de l’urée et de la créatinine sanguines qui fait découvrir l’atteinte rénale, laquelle apparaît habituellement entre le cinquième et le huitième jour de traitement. [94, 95, 99] Les atteintes tubulaires sont prédominantes et sont secondaires à une fixation de l’aminoside sur les récepteurs de la bordure en brosse des cellules tubulaires rénales et à son accumulation dans les lysosomes. Cette accumulation entraîne une libération d’enzymes qui détruisent les cellules tubulaires. Les examens histologiques mettent en évidence d’importantes lésions tubulaires siégeant principalement dans la partie proximale du néphron. Les tubules perdent leur bordure en brosse, l’épithélium tubulaire est en partie nécrosé, les lumières sont élargies et encombrées de débris cellulaires. [95] L’évolution après arrêt du traitement est généralement favorable, aboutissant à une guérison spontanée sans séquelles. La biopsie rénale n’est 76 La toxicité des antibiotiques donc pas indispensable. Quand elle est faite, elle montre une récupération complète de l’architecture du cortex. Parfois, on peut observer des cicatrices fibreuses résiduelles autour des tubules atrophiques. [99] Le respect des doses, la réduction de la durée de traitement (quatre à cinq jours au maximum), une hydratation adéquate, une surveillance étroite des taux résiduels du médicament et l’administration d’une dose unique journalière (DUJ) sont des moyens de prévention de la néphrotoxicité des aminosides. En effet, une seule administration du médicament aboutit à un pic de concentration plasmatique et urinaire très élevé qui dépasse la capacité de réabsorption du tubule proximal de telle sorte que la plus grande partie du médicament est excrétée et n’est pas réabsorbée par les cellules tubulaires. A l’inverse, si la dose du médicament est fractionnée, la réabsorption tubulaire n’est pas limitée et la récupération du médicament par les cellules tubulaires proximales est plus importante sur une période de 24heures [95, 100, 101]. Récemment, la néphrotoxicité de la DUJ versus dose fractionnée de la tobramycine a fait l’objet d’une étude prospective randomisée portant sur 54 patients en soins intensifs. Cette étude a confirmé la moindre néphrotoxicité de la dose unique. [102] Le traitement comporte l’arrêt des aminosides et des mesures symptomatiques. En cas de surdosage, la dialyse peut permettre de diminuer de 30 % le taux circulant en 4 heures mais, dans la majorité des cas, le maintien d’une diurèse supérieure ou égale à 3 l/24 h est suffisant. [94] 77 La toxicité des antibiotiques 2. Les antituberculeux Depuis le premier cas d’IRA publié en 1971, de nombreux effets rénaux dus à la rifampicine ont été publiés dans la littérature internationale [103] . Ces effets relèvent le plus souvent d’un mécanisme immunoallergique, en particulier lors d’un traitement discontinu, intermittent et/ou interrompu. Les principales caractéristiques cliniques de ces insuffisances rénales sont un syndrome grippal, une oligoanurie quasi-constante, des troubles gastro-intestinaux, douleur lombaire, rash, œdèmes. L’atteinte rénale se manifeste le plus souvent par une néphrite interstitielle aiguë et/ou une nécrose tubulaire aiguë. Une atteinte glomérulaire de type glomérulonéphrite rapidement progressive peut aussi être observée [104]. L’atteinte rénale peut être sévère nécessitant parfois un traitement temporaire par dialyse. L'évolution est généralement favorable et impose souvent l'arrêt définitif du traitement. Dans la plupart des cas, la fonction rénale récupère complètement en 1 à 3 mois après l'épisode d'IRA [95]. L’isoniazide peut être responsable de glomérulonéphrite extracapillaire. Dans un cas, les manifestations rénales sont apparues un mois après le début du traitement chez une jeune fille de 13 ans. L’arrêt de l’isoniazide et le traitement par corticoïdes et cyclophosphamide ont permis une récupération complète de la fonction rénale. Par ailleurs, il existe deux cas d’IRA associée à une hyperéosinophilie chez des patients recevant de l’isoniazide et de l’éthambutol [95] . La néphrotoxicité due à l’éthambutol est également rare (quatre cas dans la littérature) et de type immunoallergique. Les manifestations rénales étaient les suivantes : augmentation de la créatininémie, oligurie, protéinurie, hématurie, 78 La toxicité des antibiotiques glycosurie. La biopsie rénale effectuée chez trois patients a mis en évidence des lésions tubulaires et un infiltrat lymphocytaire interstitiel. Dans un cas, le recours à l’hémodialyse a été nécessaire. L’évolution a été favorable, mais la récupération complète de la fonction rénale peut être retardée et durer quelques mois [95, 105]. Il existe deux observations rapportant une IRA au pyrazinamide. Dans ces deux cas, l’insuffisance rénale se caractérisait par une atteinte tubulointerstitielle et l’évolution a été favorable à l’arrêt du médicament. Dans un des cas, l’insuffisance rénale s’accompagnait d’une rhabdomyolyse [95]. 3. Vancomycine La vancomycine peut être à l’origine d’une néphrite interstitielle aiguë immunoallergique, ainsi que d’une néphrotoxicité directe par nécrose tubulaire aigue.[106] Cependant, la fréquence de cette dernière est faible lorsque le médicament est administré seul et ne devient réellement significative qu’en présence de facteurs de risque dont le plus important est la coadministration d’autres agents néphrotoxiques, en particulier les aminosides [94, 95, 98, 107]. 4. Pénicillines La toxicité rénale des pénicillines s'exprime principalement par une néphropathie tubulo-interstitielle aiguë [94, 95] . La néphrotoxicité des pénicillines est rare et généralement non prévisible. Quand elle survient, cette néphrotoxicité résulte d'un accident immunoallergique touchant l'interstitium rénal (néphrite interstitielle aiguë). Les signes rénaux associent de façon variable hématurie micro- ou macroscopique, protéinurie et augmentation de la créatinine. Des 79 La toxicité des antibiotiques signes généraux sont possibles: fièvre, arthralgies, éruption cutanée. Biologiquement, outre la dysfonction rénale, on peut constater une hyperéosinophilie, une cytolyse hépatique, une éosinophilie. Sauf exception, ce type d'accident doit faire renoncer à l'utilisation ultérieure de l'ensemble des bétalactamines car des réactions croisées sont possibles [94, 96]. 5. Céphalosporines Quand elles étaient administrées à fortes doses, la céfaloridine et la céfalotine (C1G) ont été rendues responsables d’accidents rénaux à type de nécrose tubulaire. Pour les autres céphalosporines, la toxicité rénale, de type immunoallergique, est très rare [94]. 6. Sulfamides Les sulfamides peuvent induire de façon rare des accidents rénaux immunoallergiques. La sulfadiazine peut entraîner la formation de cristaux médicamenteux dans les tubules rénaux. La précipitation de ces cristaux peut induire une obstruction tubulaire ou la formation d'une véritable lithiase médicamenteuse. Une hydratation abondante et alcaline favorise la solubilité de ces cristaux dans les urines [94]. 7. Quinolones La néphrotoxicité des quinolones se manifeste principalement par une néphrite interstitielle aiguë [95, 108] . Cependant, d’autres types d’atteinte rénale ont été décrits suite à l’administration de la ciprofloxacine: un syndrome 80 La toxicité des antibiotiques hémolytique et urémique, une hématurie isolée, une cristallurie, un syndrome de sécrétion inappropriée de l’ADH et une vascularite nécrosante [109]. 8. Macrolides Comme les autres antibiotiques, les macrolides peuvent êtres responsables d’une néphrite interstitielle se manifestant par une IRA peu de temps après l’introduction du médicament. Ce type d’atteinte rénale a été rapporté pour l’azithromycine [94,110] et l’érythromycine [95] . L’évolution est généralement favorable si le diagnostic est précoce et suivi de l’arrêt du médicament. 81 La toxicité des antibiotiques E. Accidents hépatiques Les hépatites médicamenteuses présentent un défi pour le clinicien en raison de la difficulté de leur diagnostic et des conséquences de la poursuite d'un traitement susceptible d'aggraver des lésions aiguës ou d'aboutir au développement des lésions chroniques. Les antibiotiques seraient responsables d'environ 15 % des cas [111]. I. Mécanisme de l’hépatotoxicité [112, 113, 114, 115, 116] Généralement, l’hépatoxicité est dose-dépendante et donc prévisible, apparaissant après un court délai (1-12 semaines) après exposition au toxique. Plus rarement, elle est idiosyncrasique, dose-indépendante et apparaît avec une période de latence plus longue (jusqu’à 12 mois) [112, 113] . Deux mécanismes peuvent y conduire : Le premier fait intervenir une hépatotoxicité directe, c’est le cas de substances qui entraînent directement ou le plus souvent par l’intermédiaire d’un métabolite actif une altération de structure et/ou de fonctionnement d’une organelle ou d’un type cellulaire hépatique. Le second fait appel à une réaction immunoallergique dirigée contre un Néoantigène résultant de la fixation covalente d’un métabolite médicamenteux à une protéine cellulaire. II. Facteurs de risque L’hépatotoxicité des médicaments peut être favorisée par différents facteurs : 82 La toxicité des antibiotiques 1. Le jeune, la dénutrition et la polymédication [114] Ils peuvent diminuer la quantité de glutathion hépatique nécessaire pour la détoxication des métabolites réactifs. 2. La consommation chronique d’une quantité excessive d’alcool [113] Le mécanisme de cette potentialisation correspond probablement à une induction du cytochrome P450 par l’alcool et à une réduction de la réserve hépatique de glutathion. 3. L’âge avancé [113] Chez les sujets âgés, les réactions d’oxydation sont les plus touchées en raison de la réduction de la masse hépatique et de la diminution de l’activité des enzymes microsomales, en particulier du cytochrome P450. 4. L’induction enzymatique [114] Elle peut augmenter la transformation d’un autre médicament en métabolite réactif, ainsi la rifampicine augmente la toxicité de l’isoniazide en augmentant la transformation de ce médicament en métabolites réactifs. 5. Facteurs génétiques [114,117] L’hépatotoxicité des médicaments est, dans certains cas, influencée par des facteurs génétiques intervenant dans le métabolisme médicamenteux ou dans les capacités de détoxication des métabolites produits. 83 La toxicité des antibiotiques III. Principaux type d’atteintes hépatiques liées à la prise d’antibiotiques [112, 113, 114, 115] 1. Hépatites cytolytiques Elles sont définies par une augmentation de l’ALAT supérieure à deux fois la limite supérieure de la normale sans augmentation des PAL ou par un rapport R= ALAT/PAL supérieur à 5. L’atteinte hépatique peut être asymptomatique ou bien révélée par des symptômes non spécifiques tels qu’une asthénie, une anorexie, des vomissements et des douleurs abdominales modérées associées ou non à un ictère. Le principal caractère anatomopathologique est la nécrose hépatocytaire généralement associée à un infiltrat inflammatoire lobulaire. Dans la plupart des cas, l’interruption de l’administration du médicament responsable est suivie d’une amélioration rapide de la symptomatologie clinique et d’une guérison complète clinique et biologique en quelques semaines. Cependant, il existe parfois une insuffisance hépatique caractérisée par des troubles de la coagulation et une encéphalopathie hépatique. Dans ce cas, l’hépatite est décrite comme fulminante. 2. Hépatite cholestatique Elles sont caractérisées par une augmentation de PAL isolée à plus de deux fois la limite supérieure de la normale sans anomalies de l’ALAT ou par un rapport R inférieur à 2. La symptomatologie clinique associe un ictère, un prurit, une décoloration des selles et des urines foncées. En plus, des manifestations d’hypersensibilité sont fréquemment associées. 84 La toxicité des antibiotiques Dans la majorité des cas, l’interruption du traitement responsable est suivie d’une guérison complète en quelques semaines. Rarement, une cholestase chronique peut survenir avec la destruction progressive des petits canaux biliaires. 3. Hépatite mixte Cette atteinte se caractérise par un rapport R compris entre 2 et 5. Les manifestations cliniques, biologiques et histopathologiques associent celles observées au cours des hépatites cytolytiques et cholestatiques. L’ictère est souvent présent. 4. les autres formes d’atteinte hépatique [112, 114] La plupart des autres formes se caractérisent par un cours évolutif prolongé. On distingue : cholangites, stéatose, cirrhoses, hépatites chroniques actives. IV. Différentes familles d’antibiotiques et les atteintes qu’elles peuvent produire 1. Les antituberculeux L’isoniazide L’atteinte hépatique induite par l’isoniazide est généralement imprévisible et de type cytolytique [118] . Il s’agit le plus fréquemment d’une augmentation modérée des taux des transaminases sériques [119]. Elle s’observe chez 10 à 20% des malades prenant de l’isoniazide seul. Cette fréquence est plus élevée en cas d’association à la rifampicine. Cependant, la fréquence de survenue d’une 85 La toxicité des antibiotiques hépatite symptomatique est nettement inférieure, elle varie de 0,5 à 2 % des malades sous isoniazide seul et de 2,5 à 6 % en cas d’association à la rifampicine [120]. L’hépatite de type mixte est beaucoup plus rare et survient généralement dans les trois premiers mois du traitement. Elle peut être associée à des signes d’hypersensibilité. L’atteinte hépatique secondaire à l’isoniazide est régressive à l’arrêt du traitement, l’évolution mortelle est exceptionnelle. La prise d’alcool, l’âge avancé et le phénotype acétyleur lent constituent les principaux facteurs favorisants de la toxicité hépatique induite par l’isoniazide [119]. La rifampicine Elle est susceptible d’entraîner une cholestase hépatique par compétition avec la bilirubine. Il peut s’agir également d’une augmentation modérée et précoce des transaminases [119, 120]. Le Pyrazinamide L’hépatite cytolytique est l’atteinte la plus fréquente. Elle est imprévisible mais dose dépendante ce qui suggère son mécanisme plutôt toxique. Elle est très fréquente pour des posologies supérieures à 3 g/j, autrefois prescrites. Actuellement, la fréquence des atteintes hépatiques est nettement réduite avec des posologies de 20 à 30 mg /kg par jour [121]. Elle est estimée, pour une durée de traitement de deux mois, entre 0,5 et 10% d’hépatites symptomatiques selon les études et les associations médicamenteuses. Les hépatites secondaires au pyrazinamide sont, dans la grande majorité des cas, réversibles à l’arrêt du traitement 86 [120] . Toutefois, elles La toxicité des antibiotiques peuvent être graves voire fulminantes. Récemment, plus de quatre cas d’hépatites mortels secondaires au pyrazinamide ont été rapportés dans la littérature lors de l’utilisation de l’association rifampicine–pyrazinamide en traitement préventif de l’infection tuberculeuse latente [122]. Par ailleurs, il peut s’agir d’une simple élévation des taux sériques des transaminases pouvant être régressive même à la poursuite du traitement. Enfin, un cas d’hépatite granulomateuse suite à l’administration du pyrazinamide a été rapporté [119]. L’Éthambutol [119] Il s’agit souvent d’une simple hyperbilirubinémie modérée sans ictère, découverte au bilan hépatique de contrôle et ne nécessitant pas l’arrêt du traitement. Exceptionnellement, il a été décrit de véritables atteintes hépatiques cholestatiques mais qui restent réversibles à l’arrêt du traitement. 2. les bétalactamines amoxicilline-acide clavulanique : [111, 123] L’association amoxicilline-acide clavulanique est impliquée dans la survenue d'hépatites et de cholangites. Les hépatites aiguës sont le plus souvent cholestatiques, mais des atteintes cytolytiques ou mixtes sont possibles. Elles peuvent se révéler plusieurs jours, voire plusieurs semaines, après l'arrêt du médicament, rendant le diagnostic d'autant plus difficile. Les principaux signes cliniques sont l'ictère et le prurit. Les atteintes des petits canaux biliaires (cholongite) sont plus rares. Comme pour les hépatites aiguës, elles se traduisent par un ictère simulant 87 La toxicité des antibiotiques parfois une angiocholite lorsqu'elles s'associent à des douleurs abdominales. La distinction entre hépatite et cholangite repose essentiellement sur l'aspect anatomopathologique, mais les deux types de lésions peuvent coexister. L'évolution est habituellement favorable et la guérison complète s'observe en quelques semaines. Le mécanisme physiopathologique est inconnu mais plusieurs arguments sont en faveur d'une origine immuno-allergique. La réadministration d'amoxicilline n'est pas contre-indiquée. Des cas moins fréquents de cholangite ont été observés avec l’ampicilline et la flucloxacilline. [123] 3. Les Tétracyclines [124, 125] Les tétracyclines et leurs dérivés sont susceptibles d’entraîner une stéatose microvésiculaire surtout à fortes doses et lors d’injection par voie veineuse. Ces lésions sont dues à un double effet stéatogène de ces antibiotiques qui inhibent à la fois la bêta oxydation mitochondriale des acides gras et la sécrétion hépatique des lipoprotéines de très faible densité. L’atteinte hépatique peut être très grave, voire mortelle. Cependant, aux doses usuelles recommandées maintenant, il est rare que les tétracyclines entraînent une stéatose et celle-ci n’a en général pas de gravité. 4. Les macrolides Il peut s’agir d’une simple élévation des transaminases, voire d’un ictère ou d’une hépatite cholestatique réversible survenant les dix premiers jours. Ces troubles imposent l’arrêt immédiat du traitement [22]. 88 La toxicité des antibiotiques 5. Les sulfamides Les sulfamides peuvent être responsables de quelque cas d’hépatite granulomateuse et plus rarement d’hépatite mixte [114, 126]. La toxicité des sulfamides est génétiquement modulée. Elle est favorisée par une faible capacité d’acétylation et par une diminution des capacités à détoxiquer les métabolites réactifs des sulfamides [117, 126]. La toxicité de l’association sulfaméthoxazole-triméthoprime est fortement augmentée chez les patients atteints du syndrome de l’immunodéficience acquise (sida). L’hépatotoxicité est attribuée beaucoup plus au sulfamide qu’au triméthoprime [126]. 6. Autres antibiotiques Des cas rares d’hépatite ont été attribués aux quinolones (ofloxacine et norfloxacine) [126], à l’acide fusidique [113] et au chloromephénicol [114]. 89 La toxicité des antibiotiques F. Accident hématologiques Les accidents hématologiques des antibiotiques peuvent être d’origine centrale ou périphérique et peuvent intéresser une ou plusieurs lignées, rouge granuleuse ou plaquettaire. La liste des accidents comporte : Des accidents rares, mais graves : les agranulocytoses, les neutropénies, les thrombocytopénies, et pire les anémies aplasiques ; Des accidents évitables, dont les conséquences peuvent être minimisées quand on en connaît l’existence; c’est le cas des anémies hémolytiques liées à un déficit en glucose-6- phosphate déshydrogénase [17]. I. Mécanismes d’hématotoxicité [127, 128] Deux mécanismes principaux sont en cause : Le premier est la toxicité directe, elle est dose dépendante, avec des variations individuelles importantes, et intéresse le plus souvent plusieurs lignées sanguines. Chaque antibiotique a son propre mécanisme de toxicité. Le deuxième est le mécanisme immunologique, il repose sur une réponse humorale et cellulaire induite par l’antibiotique, pouvant être responsable d’une inhibition de la granulopoïèse ou d’une destruction des polynucléaires. 90 La toxicité des antibiotiques II. Principaux types d’atteintes hématologiques et antibiotiques responsables 1. Neutropénie, Agranulocytose et thrombopénie Neutropénie [127, 129, 130] La neutropénie se définit par une diminution du nombre absolu des polynucléaires neutrophiles (PNN) dans le sang circulant. On parle de neutropénie en dessous de 1 500 polynucléaires/mm3. Plusieurs antibiotiques peuvent être en cause mais les plus incriminés sont les bétalactamines, les sulfamides et les phénicolés. Classiquement, le tableau diffère selon le mécanisme. En cas d'atteinte immunologique induite par les bétalactamines et les sulfamides, le début est brutal. Le myélogramme peut montrer soit une hypoplasie globale de toute la lignée granuleuse, soit un blocage plus tardif au stade du promyélocyte. En cas d'atteinte toxique comme c’est le cas des phénicolés, la neutropénie peut s'installer plus progressivement. Le myélogramme montre alors une hypoplasie médullaire globale, avec une disparition des précurseurs granuleux. A l'arrêt de l’antibiotique, la récupération se fait en 2 semaines environ, parfois plus, en particulier avec le chloramphénicol. Agranulocytose [131, 132, 133,134] L'agranulocytose correspond théoriquement à l'absence de PNN circulants. Elle est définie, en pratique, par un effondrement brutal du chiffre des PNN inférieur à 500 polynucléaires/mm3. Elle est généralement diagnostiquée devant la survenue brutale d'un tableau infectieux sévère, avec fièvre élevée, frissons, 91 La toxicité des antibiotiques plus ou moins accompagné de lésions buccopharyngées ulcéro-nécrotiques ou de points d'appel infectieux (ORL, cutané, pulmonaire, digestif). L’agranulocytose aux antibiotiques est un effet secondaire peu fréquent mais potentiellement grave, qui présente certaines particularités rendant son diagnostic positif et son traitement plus délicat que dans le cas des agranulocytoses secondaires aux autres médicaments. Toutes les classes d’antibiotiques peuvent en pratique être à l’origine d’une agranulocytose. Cependant, les bêtalactamines et le cotrimoxazole restent de loin les plus pourvoyeurs de cette complication. Dans une étude rétrospective, réalisée aux hôpitaux universitaires de Strasbourg, portant sur l’ensemble des observations de patients ayant développé, entre 1985 et 2005, une agranulocytose médicamenteuse secondaire à la prise d’un traitement antibiotique, vingt-et-un cas ont été identifiés. Les antibiotiques incriminés étaient les bêtalactamines dans 10 cas (47,6 %), l’association trimetoprime-sulfamethoxazole (cotrimoxazole) dans 9 cas (42,8 %), la vancomycine dans 1 cas (4,8 %) et le tinidazole dans 1 cas (4,8 %). L’évolution a été favorable chez 20 patients et fatale dans un cas [132]. Au plan thérapeutique, les auteurs s’accordent pour recommander une prise précoce et codifiée des agranulocytoses médicamenteuses. Cette dernière se doit en effet de comprendre une prévention efficace des infections, la réalisation rapide de prélèvements bactériologiques multiples et systématiques, l’administration des facteurs de croissance hématopoïétiques et la mise en route, à la moindre suspicion clinique d’infection, d’une antibiothérapie empirique par une bêtalactamine type C3G, imipénème ou piperacilline-tazobactam. Ce dernier 92 La toxicité des antibiotiques volet thérapeutique, dans le contexte d’une agranulocytose aux antibiotiques, pose la problématique du risque éventuel d’aggravation de la neutropénie par le biais d’une iatrogénécité croisée avec l’antibiotique ayant causé initialement l’agranulocytose. Thrombopénie [135, 136] La Thrombopénie se définit par une diminution du nombre de plaquettes dans le sang circulant. On parle de thrombopénie quand le nombre des plaquettes se situe au-dessous de 150 000 par mm3. Plusieurs antibiotiques ont été cités comme pouvant donner une thrombopénie. Certains semblent donner en plus de syndromes hémorragiques sévères. La rifampicine, le cotrimoxazole, la pénicilline sont les antibiotiques qui ont fait l’objet du plus grand nombre de publications. Dans le Tableau VI, les principaux antibiotiques sont classés en fonction de la fréquence de survenue et la sévérité clinique de la thrombopénie [135]. 93 La toxicité des antibiotiques Tableau VI : principaux antibiotiques responsables de thrombopénie [adaptée d’après 135] Antibiotiques (par ordre de Hémorragies graves fréquence de thrombopénie) Rapportées Rifampicine, Cotrimoxazole, Cotrimoxazole, Rifampicine, Vancomycine, Vancomycine, Acide nalidixique, Novobiocine, Ethambutol, Ethambutol, Isoniazide, Ampicilline Céphalotine, Pipéracilline, Méthicilline, Tétracycline, , Ampicilline 2. Anémies hémolytiques Les anémies hémolytiques provoquées par un antibiotique peuvent être de types et de mécanismes différents : Anémie hémolytique par déficit en G6PD Le glucose-6-phosphate déshydrogénase (G6PD) est une enzyme qui protège l’hémoglobine de l’oxydation. Dans le déficit en G6PD, la demi-vie de l’enzyme est très raccourcie. Dans les hématies les plus âgées, l’hémoglobine précipite sous forme de corps de Heinz, qui se collent à la membrane et la fragilisent. Des médicaments oxydant peuvent donc déclencher une hémolyse chez les déficitaires en G6PD. [137] 94 La toxicité des antibiotiques Les antibiotiques usuels pouvant déclencher l’hémolyse chez les sujets prédisposés sont : Les sulfamides et les nitrofuranes. [25, 128] Anémie hémolytique due à un mécanisme immunitaire : [119, 128, 138] L’hémolyse est due à la formation de complexe immun qui se fixe à la surface des globules rouges, entrainant leur agglutination et l’hémolyse. Parmi les antibiotiques impliqués on retient: les pénicillines surtout après l’administration de forte dose pendant des durées prolongées, les céphalosporines et la rifampicine. 3. Anémie aplasique [17, 139, 140] L’anémie aplasique désigne une atteinte des cellules souches des trois lignées sanguines aboutissant à une pancytopénie sans possibilité de régénération ; l’évolution est donc irréversible sauf succès d’une greffe de moelle. Elle est spécifique du chloramphénicol. Cet accident grave potentiellement mortel est peu fréquent (1/20 000 à 60 000 traitements). Il s'agit d'une aplasie médullaire profonde et prolongée survenant de façon imprévisible, parfois des semaines ou des mois après l'arrêt du traitement, et indépendante de la dose reçue. Son mécanisme est mal connu. Il semble que les traitements par voie générale soient plus fréquemment mis en cause, mais des pancytopénies consécutives à des administrations locales, notamment sous forme de collyre, ont été rapportées. 95 La toxicité des antibiotiques Le tableau clinique de début peut être insidieux ou brutal, c’est celui d’une anémie aplasique avec complications infectieuses ou hémorragiques : - La NFS révèle un effondrement des trois lignées sanguines ; - Le myélogramme révèle l’existence de « zones désertes » et de « zones hypercellulaires » avec anomalies morphologiques ; - l’évolution est mortelle dans 8 à 9 cas sur 10 au bout d’un temps plus ou moins long ; - des associations à une hépatite, et des cas d’évolution vers une leucémie myéloblastique ont été décrites. Il n’y a pas de traitement certainement efficace quand la leucopénie est déclarée ; il n’ya pas de surveillance valables. La seule prévention possible consiste à n’utiliser le chloramphénicol, sous quelque forme que ce soit, que lorsqu’il est absolument nécessaire pour sauver la vie du malade : cette règle ne doit pas souffrir d’exception. 4. Insuffisance médullaire précoce et réversible [17, 139] Elle concerne le chloramphénicol et le thiamphénicol. Cette manifestation toxique survient en début du traitement, elle est caractérisée par une altération de l’hémopoïèse, par définition réversible et curable avec l’arrêt du traitement Cet événement est fréquent et dose-dépendant, il survient lorsque la posologie est excessive (posologie journalière supérieure à 4 g), ou tout au moins dépasse les possibilités de détoxification et d’élimination du malade, cas d’insuffisance hépatique par exemple. L'atteinte des différentes lignées peut être 96 La toxicité des antibiotiques dissociée. Sa fréquence impose la réalisation d'une numération formule sanguine hebdomadaire lors de traitements prolongés. III. Conduite pratique et prévention [17] Ces accidents hématologiques étant rares, graves et imprévisibles, une attitude de prévention éclairée est seule efficace; il faut : Connaître le risque, lorsqu’on fait le choix du médicament, et ne pas le faire courir au malade sans nécessité clairement établie (exemple : prescription de chloramphénicol) ; Eviter absolument de prescrire simultanément plusieurs médicaments à risque hématologique ; S’enquérir des antécédents du malade et éviter de prescrire un médicament « à risque hématologique » en cas de maladie hématologique en évolution, d’antécédents d’agranulocytoses, d’antécédents d’allergie médicamenteuse sévère, en cas d’insuffisance rénale ou hépatique ; Eviter, dans la mesure du possible, la prescription au long cours de médicaments à risque hématologique. Sinon, surveiller la NFS à intervalle régulier ; Devant des symptômes anormaux (fièvre, angine, stomatite) faire pratiquer une NFS; Arrêter immédiatement le médicament à risque en cas de fléchissement du nombre des polynucléaires ou des plaquettes. 97 La toxicité des antibiotiques G. Accidents neuro-sensoriels Les accidents neurosensoriels induits par les antibiotiques sont dans leur grande majorité de nature toxique. Les manifestations neurologiques sont d’origine centrale, périphérique ou mixte. Elles sont de type de troubles mentaux, de convulsions et de neuropathies périphériques. Les manifestations sensorielles traduisent une atteinte de l’appareil cochléo-vestibulaire comme dans le cas des aminosides. Elles peuvent aussi résulter d’une atteinte du nerf optique comme les névrites optiques occasionnées par l’éthambutol. Enfin, les manifestations neuromusculaires sont représentées par les myasthénies provoquées par les aminosides. I. Différentes familles d’antibiotiques et les accidents neurosensoriels qu’elles peuvent produire 1. Les antituberculeux L’isoniazide L’isoniazide peut être responsable de neuropathies périphériques dose dépendante. Il s’agit de l’effet indésirable neurologique le plus fréquent (2% des patients) [141] . Cliniquement, elles se manifestent par des paresthésies et un engourdissement des membres inférieurs. Ces manifestations seraient rattachées à un déficit partiel en pyridoxine (vitamine B6). L’isoniazide réduit, d’une part, la sécrétion de la pyridoxine en se fixant sur l’enzyme clé de synthèse et favorise, d’autre part, l’excrétion urinaire du pyridoxal, précurseur de la pyridoxine [142]. 98 La toxicité des antibiotiques Bien que rarement, l’isoniazide pourrait être à l’origine de névrite optique rétrobulbaire [141] . Ainsi des convulsions peuvent apparaître surtout chez les sujets épileptiques ou ayant des antécédents de traumatisme crânien [119]. Il peut s’agir par ailleurs, de troubles psychiques à type d’excitation, d’insomnie voire une psychose réversible [143] . Le mécanisme physiopathologique de l’atteinte neuropsychique bien que mal élucidé, pourrait s’expliquer par l’analogie de structure chimique de l’isoniazide et celle de l’iproniazide qui est un puissant inhibiteur de la monoamine-oxydase [119, 144] . Par cette voie, on peut assister à la survenue d’un syndrome sérotoninergique qui se traduit par divers symptômes comme l’état confusionnel ou l’état maniaque. Les sujets à risque seraient les acétyleurs lents, les malnutris, les diabétiques, les insuffisants hépatocellulaires, les éthyliques, mais aussi ceux ayant des antécédents familiaux ou personnels de troubles neuropsychiques [119]. L’Ethambutol L’atteinte la plus fréquemment observée est la névrite optique rétrobulbaire. Son incidence passe de 3 % pour une posologie 25 mg/kg à 10% pour 45 mg/kg par jour [119] (posologies hors AMM). Elle a été même rapportée pour des posologies inférieures à 15 mg/kg. Elle apparaît souvent dans un délai variant de 40 à 360 jours après le début du traitement ou 20 à 30 jours après l’arrêt de ce dernier [145] . Cette atteinte est souvent bilatérale et implique l’ensemble maculopapillaire. Elle se manifeste par une baisse de l’acuité visuelle, des scotomes centraux et une perte de la vision de couleurs intéressant l’axe jaune-bleu [146]. Cette atteinte peut être réversible en 3 à 12 mois si la prise de l’éthambutol a été interrompue au stade fonctionnel. Ainsi, la poursuite de 99 La toxicité des antibiotiques l’utilisation du médicament est susceptible d’engendrer des lésions optiques irréversibles [119]. Dans une étude prospective contrôlée et randomisée incluant 60 patients tuberculeux traités par éthambutol, la prévalence de la toxicité oculaire était de 10%. Les lésions étaient régressives six à huit mois après l’arrêt de l’éthambutol [147] . Outre son effet sur le nerf optique, l’éthambutol est susceptible d’induire une toxicité vis-à-vis des structures rétiniennes périphériques avec comme conséquences la baisse de la vision en périphérie (surtout en bitemporal) ainsi que la vision des couleurs [148]. 2. Les aminosides Atteinte cochléovistibulaire [21, 149, 150] L’usage de n’importe quel aminoglycoside comporte un risque potentiel d’ototoxicité. Cette dernière serait irréversible dans près de 50 % des cas. L’incidence de cet effet indésirable varierait entre 1 et 30 % pour l’ototoxicité auditive, 1 et 75 % pour la toxicité vestibulaire, et serait d’environ 10 % pour une atteinte mixte, cochléovestibulaire. On considère la néomycine comme le médicament le plus toxique pour la cochlée, alors que la streptomycine léserait plus volontiers le vestibule. Les symptômes cliniques surviennent généralement dès les premiers jours, les acouphènes précédant volontiers la perte auditive. Celle-ci s’avère généralement bilatérale et symétrique et prédomine initialement sur les hautes fréquences, ce qui la rend alors peu perceptible par le sujet. La toxicité vestibulaire, source d’instabilité et 100 La toxicité des antibiotiques d’ataxie, survient, quant à elle, indépendamment ou en association avec la lésion auditive. Le mécanisme de l’ototoxicité des aminosides résulterait de l’accumulation du médicament dans les liquides de l’oreille interne, responsable d’une destruction toxique des cellules ciliées de la cochlée et du vestibule. Ce mécanisme reste cependant discuté. Les facteurs de risque en sont les fortes posologies quotidiennes, la dose totale cumulée, la durée du traitement, l’existence d’une insuffisance rénale associée, l’âge, l’administration concomitante d’autres médicaments potentiellement ototoxiques. [21, 149] Blocage neuromusculaire Au niveau de la plaque motrice, les aminosides peuvent réduire à la fois la libération d’acétylcholine et la sensibilité des récepteurs nicotiniques. Des apnées ont été déclenchées par l’administration d’aminosides à des malades venant de subir une intervention chirurgicale comportant l’utilisation de curarisants. Ils peuvent déclencher un syndrome myasthénique ou aggraver sérieusement une myasthénie qui est une contre indication. Toxicité intra vitréennes [151] Après injection des aminosides en sous-conjonctival, on note une toxicité locale, se caractérisant par une hyperhémie importante du tissu dans lequel on pourra retrouver des macrophages abondants contenant une grande quantité de lysosomes, chargés d’inclusions de nature lipidique. De plus, ces mêmes inclusions lipidiques se retrouvent au niveau du rein et sont le témoin de la toxicité tubulaire de ces drogues. 101 La toxicité des antibiotiques Effets neurologiques [149,152] Les aminosides peuvent être rarement à l’origine des troubles de la vision. Ainsi, quelques cas de syndromes confusionnels et des tableaux psychotiques ont été rapportés. 3. Les quinolones Acide nalidixique [152] Cette molécule possède une activité psychoanaleptique expliquant les troubles du sommeil fréquents. Sa structure voisine de celle des amphétamines a pu provoquer des états confusodélirants avec agitation ainsi que des hallucinations. Fluoroquinolones Les effets sur le système nerveux central (vertiges, céphalées, somnolence) surviennent avec une fréquence de 1 à 2 %. Plus rares sont les manifestations à type d’agitation, délire, confusion, psychose et troubles de la vision. [2] De rares convulsions peuvent se voir en cas d’affections sous-jacentes du système nerveux central (épilepsie, traumatisme cérébral, anorexie) et lors d’association avec un anti inflammatoire non stéroïdien (classiquement le Fenbufen®, non commercialisé en France) ou avec la théophylline. Le mécanisme proposé reste l’interaction au niveau des récepteurs centraux de l’acide gamma aminobutyrique (GABA). Toutes les fluoroquinolones présentent ces risques, mais il semblerait que pour des raisons structurales en position 7 de leur formule, les lévoflo, moxiflo et gémifloxacine soient moins concernées 102 [153] . La toxicité des antibiotiques Plusieurs cas de neuropathies périphériques plus ou moins sévères ont été rapportés avec la lévo, l’oflo et la ciprofloxacine. Les symptômes surviennent dès les premiers jours de traitement et peuvent persister pendant plus d’un an [154] . Dans une étude qui analyse les cas des effets indésirables psychiatriques dus aux fluoroquinolones notifiés, entre janvier 1985 et juin 2002, à la pharmacovigilance française, les principaux EI psychiatriques étaient : confusion (51 %), hallucinations (27 %), agitation (13 %), délire (12 %), insomnie (8 %), somnolence (4 %) (Total supérieur à 100 %, car plusieurs EI pouvaient être rapportés pour chaque patient). Les autres EI moins fréquemment notifiés étaient amnésie (16 cas), anxiété (11 cas), manie (neuf cas), troubles de la pensée (sept cas), dépression (six cas), troubles de la personnalité (six cas) ; d’autres EI étaient présents dans moins de 1 % des cas [155]. Ainsi, une étude italienne comptabilisant les déclarations spontanées, rapporte une incidence supérieure : 12,2 % comparée aux 3,6 % relevés avec d’autres antibiotiques [156]. 4. Les bétalactamines [149, 152, 157, 158] Les bêtalactamines sont connues pour leur propriété épileptogène. Chez l’animal, l’administration périphérique ou cérébrale de pénicilline détermine une activité comitiale à la fois clinique et révélée sur L’électroencéphalogramme (EEG) ce qui a permis la création de modèles expérimentaux d’épilepsie. Chez l’homme, on estime la fréquence de cet effet indésirable à moins de 1 %. L’âge, les posologies élevées, les antécédents d’épilepsie et l’insuffisance rénale 103 La toxicité des antibiotiques constituent des facteurs de risque classiques. Le potentiel épileptogène de ces antibiotiques pourrait être attribué à leur action antagoniste GABA. D’autres troubles neuropsychiatriques graves peuvent survenir, mais ils sont rares : troubles de la vigilance, confusion mentale, états confusodélirants, hallucinations isolées. Ils sont plus fréquents en cas de doses élevées administrées par voie veineuse. Par voie orale, certaines céphalosporines ont pu, très rarement, donner lieu à des tableaux confusodélirants réversibles dès l'arrêt du traitement. Occasionnellement, l'administration de procaïne pénicilline par voie intraveineuse entraine des réactions psychotiques aiguës (syndrome de Hoigné) avec peur de la mort, confusion, hallucinations visuelles et auditives, anxiété, comportement agressif (apparition rapide en quelques minutes à 1 h et disparition, rarement au-delà de 24 h). 5. Macrolides Exceptionnellement, des troubles transitoires de l’audition peuvent survenir dès les 48 premières heures de traitement avec l’érythromycine. Ils régressent dès l’arrêt du traitement [22, 149]. Ainsi, des cas de psychose aigus, apparus rapidement (quelques jours après le début du traitement), réversibles à l'arrêt et réapparus à la réintroduction, ont été observés avec la Clarithromycine. [159] 104 La toxicité des antibiotiques 6. Nitrofurantoïne [149, 160, 161] Il peut causer une neuropathie axonale sensitivomotrice symétrique à début distal et d'extension progressive nécessitant l'arrêt immédiat du traitement dès l'apparition des premiers signes. Bien que la neuropathie ait été rapportée au cours des traitements au long cours, elle peut débuter quelques jours après le début du traitement et sa sévérité n'apparaît pas en rapport avec la dose totale. Les patients avec une insuffisance rénale et les gens âgés sont particulièrement à risque. Des séquelles sont possibles. 7. Tétracyclines [149, 152] Chez l'enfant et plus rarement chez l'adulte, les tétracyclines peuvent provoquer une hypertension intracrânienne bénigne, réversible traitement. 105 à l'arrêt du La toxicité des antibiotiques H. Autres accidents I. Accidents rhumatologiques aux Fluoroquinolones Les tendinites et arthropathies sont des réactions indésirables bien étranges. Elles sont à l’évidence plus fréquentes avec les Fluoroquinolones qu’avec les autres antibiotiques [2]. 1. Tendinopathies Ces tendinopathies s'installent dès les premières semaines, voire le premier jour de traitement. Le tendon d'Achille est le plus fréquemment touché mais d'autres localisations sont possibles tant aux membres inférieurs qu'aux membres supérieurs. Leur survenue impose l'arrêt immédiat de l'antibiotique et la mise au repos du segment concerné, ce qui permet habituellement la guérison en un à trois mois. Ces précautions n'évitent pas toujours la rupture tendineuse, qui existe dans un tiers des cas et qui peut d'ailleurs être inaugurale. [162, 163] Leur fréquence a été évaluée à 0,32 %. Mais d’autres études donnent des fréquences beaucoup plus basses [2]. Contrairement aux phénomènes chondrotoxiques touchant surtout les adolescents et les adultes jeunes, les tendinopathies dues aux Fluoroquinolones affectent préférentiellement une population plus âgée (6 ème décennie et au-delà), ce qui permet d'envisager l'intervention du vieillissement tissulaire comme deuxième élément prédisposant. D'autres facteurs favorisants, comme l'insuffisance rénale chronique au stade d'hémodialyse ou la corticothérapie prolongée, interviennent très vraisemblablement supplémentaires de fragilisation. [164] 106 comme éléments La toxicité des antibiotiques Toutes les Fluoroquinolones sont potentiellement en cause, mais la Fluoroquinolones la plus fréquemment responsable est de très loin la pefloxacine. La levofloxacine arrive ensuite en deuxième position suivie par l'ensemble des autres Fluoroquinolones. [2, 163] 2. Arthropathies [2] Les arthropathies (douleurs, raideurs, œdèmes) sont moins fréquentes. Elles siègent au niveau des articulations porteuses et surviennent pendant les premiers jours pour disparaître rapidement à l’arrêt du traitement. Le mécanisme proposé repose sur la chélation du magnésium résultant en un fonctionnement anormal des récepteurs de surface de l’intégrine des chondrocytes. II. Accident cardiaque Deux classes des antibiotiques sont essentiellement en cause: les macrolides et les fluoroquinolones. Les macrolides L’allongement de l’espace QT et le risque associé de torsade de pointe ont fait l’objet d’une abondante littérature [165] . Un QTc de plus de 500 ms ou une augmentation de 60 ms par rapport à la ligne de base ont été associés à un risque de torsades de pointe. Le mécanisme repose sur le blocage de la composante rapide du courant Ikr. les récentes données d'électrophysiologie moléculaire cardiaque et de génétique permettent de mieux peser un risque qui dépend de multiples facteurs individuels susceptibles de déclencher une torsade de pointe [2,165] . (Figure 13) 107 La toxicité des antibiotiques Figure 13: Association des risques cumulés susceptibles d’être à l’origine d’une torsade de pointe. Ce risque cardiaque reste rare, parfois dû à certaines interactions médicamenteuses. Les macrolides représentent néanmoins la majorité des médicaments impliqués dans la survenue de torsades de pointes : plus de 40 cas ont été publiés [165] . Certains ont été rapportés avec la clarithromycine et avec l'azitromycine, macrolide à 15 chaînons. Cet effet était déjà bien connu après administration veineuse de lactobionate d'érythromycine, apparentant cet antibiotique aux molécules anti-arythmiques du groupe XI de la classification de Vaughan-Williams. Cette activité pro-arythmogène est facilitée par des troubles hydroélectrolytiques, un surdosage ou une administration intraveineuse trop rapide, les âges extrêmes de la vie et une atteinte des organes émonctoires ou 108 La toxicité des antibiotiques encore par la coprescription avec un autre médicament prolongeant le QT [166]. A titre d'exemple, l'association d'un macrolide à un puissant inhibiteur du cytochrome P450 (CYP) 3A tels que les nitro-imidazolés, le diltiazem ou le vérapamil, augmente le risque de mort subite d'origine cardiaque [167]. Les fluoroquinolones [2, 163] Les fluoroquinolones sont à priori moins à risque d’entraîner des torsades de pointes que les macrolides car, contrairement à eux, elles n’inhibent pas le CYP 3A4. En revanche, elles interagissent à divers degrés avec le courant Ikr [2] . Ces troubles surviennent surtout chez des patients prédisposés, présentant une insuffisance rénale, des troubles métaboliques, des cardiopathies sous-jacentes et surtout recevant des antiarythmiques de classe IA et III de la classification de Vaugham et Williams. Il faut donc éviter d'associer ces antiarythmiques avec la levofloxacine et la moxifloxacine. Notons en revanche qu'il ne semble pas exister de risque avec la ciprofloxacine [163]. III. Trouble de la coloration des dents par la Tétracycline [23, 168] La tétracycline produit une coloration intense (grisâtre, jaunâtre, verdâtre ou brunâtre) des dents. L'incorporation des pigments fluorescents dans les tissus calcifiés se fait par leur affinité pour les cations polyvalents et par la formation de complexes insolubles avec les cristaux de la dentine. Au fur et à mesure de l'exposition des dents à la lumière du jour, la couleur jaune se change en gris ou brun et la fluorescence diminue graduellement. La tétracycline passant la barrière placentaire, les deux dentures peuvent être atteintes puisque la coloration marque la dentine en formation lors de la prise du traitement antibiotique. 109 La toxicité des antibiotiques Introduction [17, 38, 169] La toxicité des antibiotiques est plus fréquente chez les patients qui présentent un risque physiologique ou physiopathologique. Chez le sujet âgé, les effets indésirables ne sont pas de nature différente par comparaison au sujet jeune mais la fréquence avec laquelle ils apparaissent semble plus élevée et les conséquences peuvent être plus sérieuses. Concernant l’enfant, la tolérance des antibiotiques est comme chez l’adulte mais certains antibiotiques sont contre indiqués du fait de leur risque pour l’enfant et le nourrisson. Pour la femme enceinte, certains antibiotiques sont très mal tolérés, notamment ceux qui sont potentiellement hépatotoxique (risque accru en raison de l’imprégnation hormonale). Durant la lactation, le passage des médicaments dans le lait maternel peut contre-indiquer soit l’allaitement, soit l’administration des médicaments toxiques pour l’enfant. Le choix du médicament doit être basé sur ses concentrations lactées et sur sa toxicité potentielle chez le nourrisson allaité. Enfin, les modifications pharmacocinétique en cas d’insuffisance rénale ou hépatique entrainent une sensibilisation accrue à certains effets secondaires. Pour toutes les raisons citées auparavant, nous allons, dans ce chapitre, envisager la particularité de la prescription des antibiotiques chez le sujet âgé, l’enfant, la femme enceinte, la femme allaitante, les insuffisants rénaux et les insuffisants hépatiques. 110 La toxicité des antibiotiques A. Antibiothérapie et personnes âgées Les infections sont fréquentes et graves en gériatrie et représentent la troisième cause de mortalité. Elles sont 3 à 5 fois plus fréquentes que chez l’adulte jeune, en raison notamment d’un déficit relatif du système immunitaire au cours du vieillissement, d’une dénutrition très fréquente et des maladies chroniques sous-jacentes. [170, 171, 172] L’antibiothérapie est donc une urgence chez les sujets âgés, mais la prescription, si elle suit les règles habituelles du choix d’un traitement, doit tenir compte de certains facteurs dépendant de l’âge du malade : la pharmacologie des antibiotiques est modifiée chez les sujets âgés. Les risques toxiques sont plus importants. Les interactions médicamenteuses sont fréquentes et liées à la polymédication habituelle. La prescription, les posologies dépendent de la gravité de l’infection, de la compliance des patients, de l’état nutritionnel et des pathologies associées. [38, 173] I. Influence de médicaments l'âge sur la pharmacocinétique des [38, 171, 174] 1. Modifications de la biodisponibilité La résorption digestive peut être ralentie par hypochlorhydrie gastrique, ralentissement de la vidange gastrique, modification de la motilité intestinale et diminution du flux sanguin splanchnique. La résorption parentérale est aussi diminuée pour les voies intramusculaires et sous-cutanées par diminution de la perfusion régionale, mais demeure inchangée pour la voie intraveineuse. 111 La toxicité des antibiotiques 2. Modifications du transport et de la distribution A poids constant, le vieillissement entraîne une diminution de la masse maigre et une augmentation de 30 à 50 % de la masse grasse. Il en résulte une augmentation du volume de distribution et de la demi-vie des médicaments liposolubles, augmentant les risques d'accumulation et de relargage prolongé. Le vieillissement s'accompagne également d'une diminution de la quantité totale d'eau de l'organisme : le volume de distribution alors diminué des médicaments hydrosolubles majore le risque de surdosage. Par ailleurs, la fréquente dénutrition des patients âgés peut s'accompagner d'une hypoalbuminémie, qui diminue la fixation des médicaments fortement liés à l'albumine augmentant ainsi leur fraction libre active et donc potentiellement, leur toxicité au pic sérique. 3. Modifications du métabolisme La masse hépatique diminue de 35 % chez l'homme âgé. La diminution du flux sanguin hépatique est proportionnellement plus élevée que celle de la masse hépatique. Ces deux facteurs expliquent à eux seuls la diminution de la clairance hépatique d'un grand nombre de médicaments chez les sujets âgés. L'activité des voies enzymatiques de la phase I (oxydation, réduction, hydrolyse) peut être diminuée chez le sujet âgé, la phase II (glycuroconjugaison, acétylation et sulfatation) n'est généralement pas modifiée. Il reste aussi indispensable dans ce cadre de bien connaître les médicaments inducteurs ou inhibiteurs enzymatiques. 112 La toxicité des antibiotiques 4. Modifications de l'excrétion rénale La diminution du flux sanguin rénal et de la filtration glomérulaire chez le sujet âgé rend compte des principales modifications des paramètres cinétiques et de la nécessité d'utiliser des posologies adaptées à la fonction rénale II. Tolérance des antibiotiques chez les sujets âgés Les effets indésirables des antibiotiques sont plus fréquents chez les sujets âgés. Ils sont surtout plus graves du fait des perturbations qu’ils ajoutent chez un patient fragilisé. [38] Le tableau ci-dessous résume les différents accidents aux antibiotiques chez le sujet âgé et leur fréquence par rapport à l’adulte jeune. 113 La toxicité des antibiotiques Tableau VII : Principaux accidents aux antibiotiques chez le sujet âgé [adaptée d’après 38, 173,175, 176] Accidents Antibiotiques les plus fréquemment en cause Bêtalactamines Fréquence par rapport à l’adulte jeune Idem adulte jeune mais plus de réactions croisées (20%) Crise convulsive Fluoroquinolone, pénèmes, pénicilline Fréquence plus élevée chez le sujet âgé mais pas d’étude spécifique Digestifs Bêtalactamines, lincosamides, macrolides Colite à clostridium difficile et troubles gastro-intestinaux plus fréquents chez le sujet âgé Tendinopathie Fluoroquinolone Plus fréquent chez le sujet âgé Néphrotoxicité Aminosides / Glycopeptides Plus fréquent et plus sévère chez le sujet âgé* Ototoxicité Aminosides/ Glycopeptides érytthromycines 5à10% plus fréquent chez le Sujet âgé * Anémie leucopénie Co-trimoxazole, Fluoroquinolones Plus fréquent chez le sujet âgé* Cutanés Co-trimoxazole, Bêtalactamines, Fluoroquinolones 20% plus fréquent chez le sujet âgé Hépatiques Fluoroquinolone Macrolides Idem sujet jeune Allergie carboxypénicillines troubles du rythme chez le sujet fosfomycine âgé * : Rôle connu des associations médicamenteuses et de l’insuffisance rénale Ionique 114 La toxicité des antibiotiques III. Interactions médicamenteuses des antibiotiques Les interactions médicamenteuses ne sont pas propres au sujet âgé mais elles revêtent chez lui une gravité particulière à cause de la polymédication, fruit à la fois de la prescription médicale et de l'automédication. Les interactions peuvent être dans le sens de l’inactivation d’un médicament, ou de la révélation ou de l’aggravation d’un effet toxique [38,174]. Il faut être particulièrement vigilant avec les anticoagulants oraux qui ont de nombreuses indications en gériatrie. En cas d’infection, il existe déjà un risque de surdosage en AVK, mais en plus, la grande majorité des antibiotiques peuvent également entrainer une augmentation de l’INR, soit par leur métabolisme, soit par action sur la flore [170]. IV. Ajustement posologique des antibiotiques courante chez les sujets âgés [38, 173, 174] d’utilisation Si tous les antibiotiques peuvent être utilisés chez les sujets âgés, en pratique, la question de l’ajustement de la posologie se pose rapidement. Il concerne principalement les antibiotiques ayant une potentialité toxique. Pour les médicaments essentiellement éliminés par voie rénale, il est relativement facile d’extrapoler les modifications sur les résultats de la clairance de créatinine ; l’adaptation est plus difficile pour les antibiotiques métabolisés et éliminés par voie hépatique. Quand il n’y a pas de modifications de la liaison protéique ou de modifications pharmacodynamiques chez le sujet âgé, les modifications posologiques, pour les médicaments avec un index thérapeutique large, peuvent être faites en diminuant la dose sans modifier les intervalles d’administration, 115 La toxicité des antibiotiques ce qui a pour effet de diminuer la différence entre les concentrations maximales et minimales. On peut également augmenter l’intervalle entre les doses sans modifier la quantité du produit administré : ceci augmente la différence entre les valeurs de pics et de vallées des concentrations. Pour les médicaments ayant un index thérapeutique étroit, avec un risque toxique augmenté, il est nécessaire de doser les concentrations sériques en particulier pour les aminosides, la vancomycine et la teicoplanine. Généralement, Les trois antibiotiques de première intension chez les sujets âgés sont l’amoxicilline-acide clavulanique, les céphalosporines de troisième génération et les quinolones. [170] 116 La toxicité des antibiotiques B. Antibiothérapie chez le nourrisson et l'enfant L'antibiothérapie est, après les antipyrétiques, la prescription médicamenteuse la plus fréquente en pédiatrie. Cela est souvent justifié par la fréquence des infections bactériennes chez l'enfant, en particulier au cours des deux premières années de la vie, et par la difficulté à cet âge d'une approche diagnostique étiologique, le plus souvent probabiliste, entre infections virales et infections bactériennes dans un contexte où de plus les infections mixtes sont, par ailleurs, très souvent redoutées [177]. I. Contraintes de l’antibiothérapie en pédiatrie [38, 178] Certaines particularités pédiatriques imposent une adaptation et une surveillance rigoureuse du traitement antibiotique des infections bactériennes de l'enfant. En effet, de nombreux facteurs rendent compte des différences qui existent avec le traitement des infections chez le patient adulte : les fragilités importantes du grand prématuré et du nouveau-né aux défenses de l'organisme physiologiquement immatures ; les risques spécifiques de complications et de localisations secondaires (osseuses en particulier) nécessitant une action rapide et bien adaptée ; l'épidémiologie bactérienne sensiblement différente selon l'âge et les localisations ; la pharmacologie particulière liée au développement compliquant la variabilité interindividuelle ; la toxicité et la tolérance différentes selon les antibiotiques ; 117 La toxicité des antibiotiques un mode d'administration des antibiotiques et une durée de traitement parfois différente ; le rôle de l'écosystème bactérien intestinal dans la survenue de septicémies, d'origine endogène par translocation. Tous ces facteurs expliquent la rigueur indispensable dans la conduite thérapeutique des infections de l'enfant, nécessitant une antibiothérapie adaptée d'emblée au germe responsable de l'infection et une bactéricidie rapide dans le sang et au niveau du site infectieux. II. Posologie des antibiotiques en pédiatrie Le traitement antibiotique chez l’enfant nécessite une adaptation des posologies du fait des différences de maturation des systèmes enzymatiques en fonction de l’âge. [31] La posologie des antibiotiques chez l’enfant est déterminée par rapport à son poids, comme la plupart des autres médicaments administrés par voie générale. Il serait plus logique d’exprimer la posologie par m2 de surface corporelle et c’est pour une raison de commodité qu’on ne le fait pas. Il faut toujours s’assurer que la dose prescrite ne dépasse pas la dose usuelle par 24 heures chez l’adulte, en particulier chez l’enfant pesant plus de 30 kg [179]. Au cours du premier mois de vie, l’immaturité hépatique et rénale impose un maniement particulier des antibiotiques [38]. 118 La toxicité des antibiotiques En cas d’infection chez les enfants fragiles, les dosages sériques de certains antibiotiques à index thérapeutique étroit doivent être pratiqués ; c’est le cas des aminoglycosides et des glycopeptides. [31] III. Antibiotiques à particularités pédiatriques 1. Les Tétracyclines [23, 169] L’accumulation des cyclines dans les os et dans les dents peut entraîner un risque de coloration jaune irréversible des dents et d’hypoplasie de l’émail dentaire ; ils sont donc contre-indiqués chez l’enfant de moins de 8 ans. 2. Les Fluoroquinolones [24, 169] En raison de leur capacité à se lier aux cartilages, les fluoroquinolones sont contre-indiquées chez les enfants moins de 15 ans (jusqu’à la fin de la croissance). Leur usage peut toutefois se justifier dans le traitement d’infections pulmonaires chez les enfants atteints de mucoviscidose et souffrant d’infections récidivantes à germes Gram -, en raison du bénéfice thérapeutique qu’ils peuvent en retirer. 3. Le chloramphénicol [179] La toxicité néonatale du chloramphénicol est très grave. Elle est représentée par le « syndrome gris » du nouveau-né dont les signes sont une pâleur, une cyanose, des troubles respiratoires, une diarrhée. La mort survient dans environ 50% des cas. Ce syndrome est dû à l’absence de glucuroconjugaison par le foie immature et à une mauvaise élimination urinaire du chloramphénicol actif non conjugué. 119 La toxicité des antibiotiques Il faut donc éviter d’utiliser le chloramphénicol dans l’infection néonatale ; si cela est nécessaire, il faut pouvoir disposer de dosages quotidiens du chloramphénicol pour réajuster la posologie tous les jours. 4. Les sulfamides [1, 15, 179] Chez le nouveau-né, le métabolisme des sulfamides se fait en compétition avec celui de la bilirubine et c’est en raison de l’immaturité hépatique. Des ictères peuvent donc survenir ; ce qui contre-indique l’utilisation des sulfamides pendant la période néonatale. 5. Autres antibiotiques La tolérance des autres antibiotiques est généralement bonne. Toutefois et comme chez l’adulte, des effets secondaires peuvent se rencontrer. En conclusion, pour limiter la survenue d'effets indésirables et l'émergence croissante de résistances bactériennes, la prescription des antibiotiques chez l'enfant, plus encore que chez l'adulte, doit être réservée aux seules situations cliniques où leur efficacité est démontrée. [177] L'utilisation de molécules de référence reste la règle. Toutefois, de nouveaux médicaments ont apporté des progrès incontestables dans les infections primitives, et surtout dans les infections hospitalières. Certains d'entre eux ne disposent pas d'autorisation de mise sur le marché (AMM) pédiatrique, soit globalement chez l'enfant, soit dans certaines tranches d'âge (imipenème, quinolones). [38] 120 La toxicité des antibiotiques C. Antibiothérapie chez la femme enceinte et allaitante L’antibiothérapie chez la femme enceinte ou allaitante interagit avec la mère et son enfant. Les craintes des praticiens dans la prescription des antibiotiques sont liées à une méconnaissance des modifications de la pharmacocinétique induites par la grossesse ainsi que par la médiatisation de quelques cas rares de tératogénicité d’origine médicamenteuse. Pourtant, de nombreuses classes d’antibiotiques ont montré une innocuité totale de leur utilisation [180]. I. Modifications physiologiques de la grossesse [38, 180, 181] Toutes les étapes de la pharmacocinétique des antibiotiques sont susceptibles d’être influencées par les modifications physiologiques entrainées par la grossesse. L’augmentation du volume plasmatique, de 40 à 50 %, provoque un accroissement du volume de distribution et une diminution de la concentration des protéines plasmatiques. L’augmentation du débit cardiaque, du flux plasmatique rénal ainsi que du taux de filtration glomérulaire entraîne une augmentation de la clairance des antibiotiques excrétés par voie rénale. Il en résulterait donc des concentrations sériques plus faibles pour de nombreux antibiotiques. L’imprégnation en progestérone induit une augmentation du métabolisme hépatique, une diminution de la motilité intestinale, un retard à la vidange gastrique et l’absorption des antibiotiques donnés par voie orale se fait souvent de manière imprévisible. 121 La toxicité des antibiotiques Enfin, Le passage transplacentaire des antibiotiques, qui varie selon le terme de la grossesse, détourne un pourcentage important de l’antibiotique du compartiment maternel vers le compartiment fœtal. Ces notions sont cependant très théoriques car il n’existe que peu de données qui évaluent les concentrations sériques et tissulaires des différents antibiotiques au cours de la grossesse. Quoi qu’il en soit, il semble que les taux sériques des antibiotiques soient inférieurs à ceux qui sont obtenus en dehors de la grossesse ; et le corollaire est que les doses devraient être augmentées, ce qui est rarement le cas, par inquiétude vis-à-vis de la mère et de son fœtus. Il est néanmoins important de noter que les taux sériques obtenus sont la plupart du temps supérieurs aux concentrations minimales inhibitrices et peu de publications relatent des échecs dus à des doses insuffisantes d’antibiotiques. II. Différentes classes d’antibiotiques et conséquences fœtales pendant la grossesse [38, 180, 181] L’expérience de l’utilisation des antibiotiques a permis de mettre en évidence le caractère rarissime de la tératogénicité des antibiotiques. Néanmoins, la connaissance des quelques contre-indications à l’utilisation des antibiotiques pendant la grossesse permet un usage adéquat de l’antibiothérapie. 1. Bêtalactamines Parmi les antibiotiques qui ont fait la preuve de leur innocuité, les bêtalactamines sont au premier plan. Les pénicillines sont les antibiotiques les plus fréquemment prescrits. Elles traversent le placenta et donnent des taux élevés dans le cordon ombilical et le liquide amniotique. Les céphalosporines 122 La toxicité des antibiotiques (première, deuxième et troisième générations) sont également considérées comme sans danger. 2. Macrolides Ils ne présentent pas de toxicité majeure, mais certains produits apparentés peuvent se trouver à des concentrations élevées au niveau hépatique. 3. Aminosides Ces médicaments traversent rapidement le placenta, vers le liquide amniotique et la circulation fœtale. La grossesse n’est pas une contre-indication absolue pour les aminosides, mais les risques potentiels d’ototoxicité et de néphrotoxicité ne doivent pas les faire prescrire en première intention. 4. Antituberculeux Tous les médicaments utilisés dans le traitement de la tuberculose traversent le placenta. La rifampicine est tératogène à haute dose chez l’animal, mais cela n’a jamais été retrouvé dans l’espèce humaine malgré un recul important. L’isoniazide, la rifampicine et l’éthambutol, dont l’expérience clinique est grande maintenant, constituent les antituberculeux de choix chez la femme enceinte [1,2] . A noter que sur de grandes séries, le déroulement de la grossesse n’est pas affecté par l’existence d’une tuberculose pleuropulmonaire traitée. 123 La toxicité des antibiotiques 5. Fluoroquinolones Les études sur l’animal ont montré que les quinolones se déposent au niveau des cartilages et entraînent des lésions dégénératives provoquant des arthropathies irréversibles. Même si aucun effet tératogène n’a été rapporté à ce jour, les fluoroquinolones demeurent contre-indiquées chez la femme enceinte. 6. Tétracyclines Les tétracyclines traversent le placenta et se déposent au niveau des dents et des épiphyses des os longs du fœtus. Il peut en résulter une hypoplasie ainsi qu’une coloration jaune ou brune des dents de lait, voire un retard de croissance. Les tétracyclines ne doivent donc pas être prescrites au cours de la grossesse. 7. Métronidazole Il traverse le placenta. L’antibiotique est retrouvé dans le sang du cordon et le liquide amniotique à des taux élevés. De plus, les imidazolés interfèrent avec la synthèse de l’ADN et se sont révélés carcinogènes chez les rongeurs. Ce médicament doit donc être évité au cours du premier trimestre même s’il n’y a pas eu de malformations décrites au cours de la grossesse. 8. Phénicolés Ils peuvent provoquer chez le fœtus une aplasie médullaire par accumulation de la drogue et par effet inhibiteur des synthèses protéiques dans les cellules immatures. En fin de grossesse, l’accumulation de chloramphénicol 124 La toxicité des antibiotiques peut entraîner chez le prématuré un « syndrome gris ». Ils sont donc formellement contre-indiqués. 9. Nitrofuranes Ils sont largement prescrits pendant la grossesse. Aucune augmentation du risque d’anomalies congénitales n’a été rapportée. Le médicament est contre indiqué en cas de déficit maternel en G6PD. 10. Sulfamides Les sulfamides traversent le placenta quel que soit le stade de la grossesse. Leur effet tératogène, constant en expérimentation animale, n’a pas été prouvé chez l’homme. Ils sont contre indiqués au premier trimestre de la grossesse, près du terme et en cas de déficit en G6PD chez la mère du fait d’une fréquence accrue d’ictère et d’anémie hémolytique. 11. Triméthoprime-sulfaméthoxazole Aucune atteinte tératogène n’a été relevée lors de l’emploi de l’association triméthoprime-sulfaméthoxazole. Néanmoins il s’agit d’un antibiotique peu utilisé pendant la grossesse car il s’agit d’un antagoniste des folates. 125 La toxicité des antibiotiques III. Antibiotiques et allaitement [180, 182, 183, 184] La prise d’antibiotique lors de l’allaitement pour traiter une infection chez la mère est parfois nécessaire. Cependant, elle pose le problème du passage du médicament dans le lait ce qui peut causer des effets néfastes possibles pour le nourrisson. Il est donc indispensable avant de prescrire un antibiotique à une patiente qui allaite, d’évaluer les conséquences fœtales pendant l’allaitement différentes classes d’antibiotiques afin de choisir le plus adapté. Tableau VIII 126 de La toxicité des antibiotiques Tableau VIII : Différentes classes d’antibiotiques et conséquences fœtales pendant l’allaitement [adapté d’après 180, 182, 183, 184] classes d’Antibiotiques Bêtalactamines Conséquences Fœtales pendant l’allaitement Le passage dans le lait maternel est faible et sans risques en dehors de la possibilité de sensibilisation et de développement ultérieur d’une allergie Macrolides Le passage des macrolides dans le lait maternel est variable et dépend de la molécule utilisée. La lincomycine et la clindamycine sont contre-indiquées en raison du risque de colite pseudomembraneuse. Les autres macrolides sont sans danger pour le nourrisson. Aminosides Leur passage dans le lait est faible. L’absorption digestive par l’enfant est nulle, mais l’effet sur l’établissement de la flore digestive n’a pas été étudié. Antituberculeux L’allaitement est classiquement contre-indiqué chez les patientes porteuses d’une tuberculose bacillifère Fluoroquinolones Compte tenu de la toxicité ostéoarticulaire potentielle, les quinolones doivent être évitées en période d’allaitement Métronidazole Son utilisation fait recommander l’arrêt de la lactation pendant 24 heures Nitrofuranes Ils ont une excrétion très faible. Les quantités présentes dans le lait sont généralement très faibles. Ils sont considérés comme compatibles avec l’allaitement Sulfamides Ils sont déconseillés lorsque l’enfant nourri est un prématuré ou un nouveau-né en situation de détresse, ou lorsqu’il présente un déficit en G6PD ou un ictère Tétracyclines Le passage dans le lait est modéré. Aucune atteinte de l’émail dentaire n’a été mise en évidence lors de la lactation 127 La toxicité des antibiotiques Pour conclure, aucun antibiotique n’a une tératogénicité reconnue et prouvée. Contrairement aux idées reçues, les posologies chez les femmes enceintes doivent être au moins égales à celles administrées chez les femmes non enceintes, voire supérieures du fait des modifications physiologiques de la grossesse. Certaines classes d’antibiotiques ont montré, avec un recul clinique suffisant, une innocuité de leur administration pendant la grossesse et l’allaitement. Le praticien peut donc les utiliser sans crainte : ce sont les céphalosporines, nitrofuranes, macrolides et pénicillines. 128 La toxicité des antibiotiques D. Antibiothérapie et insuffisance rénale Un sujet présentant une affection néphrologique peut être atteint de n’importe quel type d’infection. Pour ces infections, la conduite thérapeutique est fondée en premier lieu sur les résultats de l’antibiogramme. Par ailleurs une adaptation de la posologie des antibiotiques en fonction du degré d’insuffisance rénale devient nécessaire lorsque la filtration glomérulaire est inférieure à 40-50 ml/min pour 1,73 m2 et si l’antibiotique choisi est éliminé pour au moins 70% par voie rénale. [38] I. Modifications pharmacologiques liées à l’insuffisance rénale chronique [94, 158, 185, 186] L’insuffisance rénale chronique (IRC) se définit par une atteinte rénale ou une baisse du taux de filtration glomérulaire (GFR) d'une durée d'au moins trois mois. Il entraîne diverses modifications pharmacologiques des médicaments : baisse de l’excrétion urinaire du médicament (et de ses métabolites), proportionnelle ou non à la baisse de la filtration glomérulaire avec, comme conséquence, une augmentation du pic plasmatique et un allongement de la demi-vie d’élimination ; modifications de la fixation protéique des médicaments qui concerne surtout l'albumine : hypoalbuminémie, modifications structurales qui diminuent l'affinité de l'albumine pour les médicaments et présence d'inhibiteurs endogènes qui se fixent en compétition sur l'albumine. La conséquence est une augmentation de la fraction libre des médicaments. 129 La toxicité des antibiotiques Ces modifications ont comme conséquence une augmentation anormale de la concentration du médicament et se traduisent par des manifestations d’intolérance. II. Règles d’utilisation des antibiotiques en cas d’insuffisance rénale Devant une insuffisance rénale, un certain nombre de règles doivent être effectuées : mesurer ou évaluer le DFG [94, 96, 185] Le débit de filtration glomérulaire peut être calculé à partir de la valeur de la créatinine sérique en utilisant des équations qui tiennent compte de l'âge, du sexe, de la race et du poids du patient. Pour que cette estimation soit valide, la fonction rénale doit être stable et la créatinine sérique constante. Formule de Cockroft et Gault: Clcr (ml/min) = (140-âge) × poids (kg) [× 1,2 pour l'homme] / créatininémie (µmol/l) Apprécier le niveau de l’insuffisance rénale [94, 185, 186] Les récentes recommandations américaines et européennes définissent cinq stades d’insuffisance rénale en fonction du DFG (clairance de la créatinine). 130 La toxicité des antibiotiques Tableau IX : Classification insuffisance rénale chronique [94, 185, 186]. Stades Description DFG (ml/min/1,73 m2) I Maladie rénale avec GFR normal II Maladie rénale avec faible baisse GFR 60<DFG≤89 III Baisse modérée GFR 30<DFG≤59 IV Baisse sévère GFR 15<DFG≤29 V Insuffisance rénale terminale Ajuster la posologie DFG≥90 DFG<15 [94, 96, 185] L’adaptation de la posologie des antibiotiques à élimination rénale est une nécessité en cas d’insuffisance rénale modérée à sévère, elle permet d'éviter non seulement les accidents de néphrotoxicité, mais aussi les effets secondaires extrarénaux. Schématiquement, l'adaptation posologique peut être obtenue en réduisant la dose unitaire et en gardant le même intervalle entre les administrations ou en espaçant les intervalles d'administration et en gardant les mêmes doses unitaires. Pour un antibiotique devant maintenir pendant un temps suffisant une concentration sanguine supérieure à la concentration minimale inhibitrice du germe, il est souvent préférable de conserver les intervalles habituels et de réduire la dose unitaire (bêtalactamines en général). Pour d'autres antibiotiques (aminosides, fluoroquinolones), il semble plus intéressant d'espacer les administrations (parfois de façon importante) en gardant la dose unitaire. Dans tous les cas il est essentiel d'être en accord avec les recommandations figurant dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP) et rapportées dans le Vidal. 131 La toxicité des antibiotiques Cependant, les recommandations d’adaptation posologique à la fonction rénale ne sont pas toujours suffisantes. De nombreux cas de troubles neurologiques induits par les bêtalactamines ont été notifiés, au centre régional de pharmacovigilance d’Amiens entre 1997 et 2007, chez des patients insuffisants rénaux. Dans la plupart de ces cas les recommandations d’adaptation posologique à la clairance de la créatinine aient été respectées. [158] Surveillance du traitement [94, 97] Dans les situations les plus complexes, le recours au suivi thérapeutique pharmacologique s’avère nécessaire, il consiste en un ajustement individuel des posologies en fonction des concentrations sériques des médicaments. Faire attention à une éventuelle interférence dans le dosage de la créatininémie [94] Il existe des antibiotiques susceptibles d’augmenter le taux plasmatique de créatinine sans modification associée de la fonction rénale. C’est le cas de Triméthoprime par interférence avec la sécrétion tubulaire de créatinine et les céphalosporines par interférence avec le dosage de la créatinine. 132 La toxicité des antibiotiques E. Antibiothérapie et insuffisance hépatocellulaire Le foie exerce un rôle central dans le métabolisme et l’élimination des médicaments. De ce fait, l’insuffisance hépatocellulaire s’accompagne de conséquences pharmacologiques, dont l’intensité varie avec la nature et la gravité de l’hépatopathie sous-jacente. L’antibiothérapie d’un patient atteint de cirrhose et/ou d’une insuffisance hépatique aiguë nécessite la prise en considération des altérations physiologiques spécifiquement induites par la défaillance hépatique [187,188]. I. Conséquences pharmacologiques de l’insuffisance hépatocellulaire [187, 188] En cas de cirrhose et/ou d’insuffisance hépatique, plusieurs facteurs coexistent et concourent à une réduction de la clairance hépatique des médicaments (tableau X) Tableau X : Conséquences pharmacologiques de l’insuffisance hépatocellulaire. - Rétention hydrosodée: augmentation du volume de distribution - Diminution de la synthèse protéique: diminution de la fraction liée aux protéines -Diminution du débit sanguin hépatique fonctionnel: diminution de la clairance -Diminution de l’activité enzymatique hépatique: diminution de la clairance - Cholestase: augmentation de la demi-vie d’élimination -Insuffisance rénale associée: augmentation de la demi-vie d’élimination 133 La toxicité des antibiotiques Ces modifications entraînent une sensibilité accrue à certains effets secondaires et des désordres physiologiques associés (en particulier rénaux) qui augmentent le risque d’effets secondaires. [188] II. Règles d’utilisation des antibiotiques en cas d’insuffisance hépatocellulaire Contrairement à l’insuffisance rénale où il existe des règles d’adaptation posologique en fonction du degré de l’insuffisance rénale, il n’existe aucune règle d’adaptation posologique en cas d’insuffisance hépatocellulaire. Cela tient au fait qu’il n’existe pas des paramètres biologiques ou cliniques évaluant le degré d’insuffisance hépatocellulaire qui soit corrélé à la clairance hépatique des médicaments [188, 189]. De ce fait, toute atteinte hépatique antérieure connue doit inciter à la plus grande prudence dans le choix des antibiotiques prescrits, dans les doses prescrites et dans la surveillance du traitement [17]. (Tableau XI) A l’intérieur d’une même famille, il faut préférer les produits les moins ou non métabolisés ; par exemple, préférer l’acide pipémidique, non métabolisé à l’acide nalidaxique et à la fluméquine, fortement métabolisés. Parmi les fluoroquinolones de deuxième génération, préférer l’ofloxacine (très peu métabolisé) à la péfloxacine, fortement métabolisée [31]. Les antibiotiques potentiellement hépatotoxiques doivent être évités, sous peine d’aggravation des lésions hépatiques. C’est le cas par exemple de l’odoléodomycine, la tétracycline, la rifampicine et l’isoniaside [17]. 134 La toxicité des antibiotiques La posologie des antibiotiques fortement métabolisés et ayant une élimination biliaire importante doit être diminuée: c’est le cas par exemple de péfloxacine et clindamycine [31]. Tableau XI : Antibiotiques et insuffisance hépatique [31] Antibiotiques utilisés sans restriction des doses Aminoglycosides Azétréonam Céphalosporine non métabolisées Fosfomycine La plupart des pénicillines Quinolones non ou peu métabolisées Thiamphénicol Vancomycine Antibiotiques contre indiqués Erythromycine Isoniaside*, Pyrazinamide Tétracycline IV (grossesse) Antibiotiques utilisés en réduisant la posologie Ceftriaxone, Céfopérazone Céphalosporines métabolisées Isoniaside Péfloxacine Pyrasinamide Rifabutine Ureïdopénicillines Antibiotiques utilisés en surveillant la fonction hépatique Acide fusidique Clindamycine Doxycicline Triméthoprime Nitrofurantoïne (tratement prolongé) Sulfamides, sulfones Pénicillines antistaphylococciques *contre indication relative tenant compte de la nécessité du traitement et du degré de l’insuffisance hépatique. 135 La toxicité des antibiotiques Finalement, il est important de surveiller attentivement l’apparition des effets secondaires possibles et de doser les taux plasmatiques des médicaments lorsque cela est possible. Aussi, certaines classes de médicaments tels que les aminosides doivent être systématiquement proscrites en raison d’un taux particulièrement élevé d’effets secondaires et de l’existence d’alternatives thérapeutiques [188]. 136 La toxicité des antibiotiques L’utilisation des antibiotiques en clinique depuis les années 1940, constitue une étape importante dans l’histoire de la médecine. Grâce à eux, de nombreuses vies sont sauvées chaque jour. Mais leur efficacité est fragile et régulièrement remise en cause. En fait, ces médicaments devraient agir uniquement sur les agents infectieux et pas du tout sur l’organisme humain qui les héberge momentanément. Autrement dit, ils devraient être dépourvus de tout effet pharmacodynamique et de toute toxicité pour l’homme. Nous avons vu que cet idéal est rarement atteint. En effet, ils peuvent être responsables des accidents très divers. Certains, sont mineurs et transitoires. Pour d’autres, ils sont graves et peuvent engager le pronostic vital. Ces accidents doivent être bien connus afin d'être pris en compte par les prescripteurs dans le choix de la prescription et par les pharmaciens dans le contrôle des prescriptions et le suivi des patients. Ils doivent être également rapportés et identifiés par l'industrie pharmaceutique et par les autorités responsables dont le rôle est d’ordonner le retrait de substances qui s'avéreraient être à l'origine d'accidents graves et répétés. 137