Yaaqov, elle l'aime jusqu'aujourd'hui. C'est à dire que chaque fois que je suis un peu
Yaaqov, je sais que Rivqa m'aime, et je peux progresser et comprendre pourquoi elle m'aime
et pourquoi il m'importe de ressembler un peu à ce Yaaqov aimé par Rivqa.
Il est important de noter là que cette capacité de transformer le futur en passé n'est
absolument pas présente dans la Tora orale : aucune ligne de Michna ou de Guemara
n'incorporera un passé transformé en futur ou un futur transformé en passé. Au moment de
la Haskala, lorsqu'on a voulu réinventer l'hébreu utilisé comme langue vivante, il y a eu des
essais : lisez-ous les trouverez totalement ridicules, ils n'ont aucun sens,
c'est une manière tordue de parler. Et lorsque dans les écoles on essaie de faire croire qu'on
fait de l'hébreu en hébreu et qu'on dit ''vayomer Eloqim = Hachem amar'', eh bien on a
transformé le sens.
Lorqu'on dit ''Hachem amar'', cela a un autre sens, que nous allons voir immédiatement. En
Gen.25:34, on dit :
« VeYa'aqov natan le'Ésav lé'hem ounezid 'adachim, vayokhal, vayecht, vayaqom
vayélakh ; vayivèz 'Esav et-habekhora. ».
On ne dit pas ''vayiten Ya'aqov leÉsav : ''Yaaqov donna à Esav
du pain et un plat de lentilles, et il mangea, il but il s'en alla, et il déprécia le droit d'aînesse''.
Il y a 5 verbes dans ce passouq à cette forme de futur transformé en passé : pourquoi ne
pouvait-on pas, pour l'harmonie du passouq dire ''vayiten Yaaqov le'Ésav lé'hem ounezid
'adachim'' ? C'est que Yaaqov ne donna pas dans le même sens que [les verbes suivants]
''il mangea, il but''. Natan, on l'a vu, est un passé antérieur, un passé fini. En d'autres
termes, ce qu'on va reprocher à Yaaqov, ce qu'on va reprocher d'avoir négocié, de lui avoir
dit ''donne-moi d'abord, vends-moi d'abord ton droit d'aînesse, vends-le moi clair comme le
soleil et jure moi et il a juré'', tous ces versets-là avant de nourrir quelqu'un qui a faim, c'est
une forme de torture, une forme d'arrogance et d'égoïsme qu'en aucune façon la Tora ne
veut attribuer à Yaaqov. Et donc le dernier verset, le verset de conclusion, va dire
« veYa'aqov natan le'Esav » = « Yaaqov donna à Esav ». Mais Yaaqov avait donné, il lui
avait déjà donné ! Au début de l'histoire, on nous raconte le retour de Esav de la chasse :
Esav rentre de la chasse, il a faim, et il dit ''Je vais ouvrir la bouche et tu vas m'enfiler tout ça
directement dans le gosier, je ne veux même pas le mâcher'', en aucune façon Yaaqov
n'aurait eu la cruauté de faire patienter, de faire trembler Esav de faim et de fatigue. Le texte
le dit sans faire l'apologie de Yaaqov : il le dit tout simplement par le moyen grammatical,
ici, au dernier verset « veYa'aqov natan le'Esav » = « Yaaqov avait donné à Esav » ce
qu'il fallait lui donner.
Et la turbulence des verbes de la fin (vayokhal, vayecht, vayaqom vayélakh, vayivèz) pour
dire [elle se met à parler très vite] : il avait tellement faim, « il-a-mangé-il-a-bu-il-s'est-levé-
puis-il-a-déprécié-le-droit-d'aînesse », en vérité, je l'avais vu avant que Esav dépréciait le
droit d'aînesse. Donc il l'a déprécié avant et il le dépréciera après, et lorsque le texte me dit
« vayivez 'Esav et-haberkhora », ce n'est pas une fois, un fait fini/terminé dans le passé,
ce n'est pas un passé simple/fini, c'est un passé qui a de l'avenir, un passé qui dit :
quelqu'un qui a été capable de dire (v.32) ''de toutes façons je suis mortel, à quoi bon, je n'ai
pas besoin de ce droit d'aînesse'' ne peut pas venir après coup et dire ''non, mais en fait,
c'était pas tout à fait comme ça que je l'avais pensé''. La Tora témoigne, lorsque le jour
viendra où Moché Rabbénou prendra sous la dictée de Dieu cette histoire-là, Dieu lui dicte
que « Yaaqov avait donné » tout de suite, dès qu'il a vu Esav en mauvais état, mais que
Esav, lui, tout son comportement, comportement constant, comportement daté dans le
passé, lorsque je suis capable de « vayokhal, vayecht, vayaqom, vayélakh, vayivèz » je
suis un petit peu Esav, je suis un peu sa manière de me conduire.
Le cri d'Esaü et son écho (Les répercussions de la frustration)
Vous me direz qu'on est entrain de diviser les monde en blanc et noir : le gentil Yaaqov qui
a bien senti que Esav était fatigué, et qui lui avait donné tout de suite dès qu'il l'a vu, et
l'horrible Esav qui se conduit mal.