Toledot: un passé qui a de l`avenir

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Toledot: un passé qui a de l’avenir
Par Tamar Schwartz
Texte du cours visible sur
http://www.akadem.org/sommaire/paracha
/5769/-dans-les-mots-5769
Transcription: Eve Klein
"Esaü et Jacob", Galerie Stanton, Littleton, CO
Collection: Steven I. Levine.
Chapô arial italique 11 gras
ème
Nous abordons aujourd'hui la 6
paracha, parachat Toledot. Elle commence avec la 6ème
lettre, le ‫ ו‬vav  : «  Veélé toledot  ». Les commentaires ne manquent pas de nous faire
remarquer qu'il y a une grande différence entre élé toldot et veélé toldot  :
• élé toldot  : on commence quelque chose de tout à fait nouveau séparé du reste  ;
• veélé toldot  : c'est relié, donc le vav a une fonction de conjonction de coordination
Dans la paracha de Toledot, ce sont les toladot  : la descendance, le développement, les
engendrements, la créativité, soit d'un objet, soit d'un événement, soit d'une personne.
«  Veélé toledot Yits'haq ben-Avraham  ;  » = «  voici les générations (la descendance) de
Yitshaq fils de Abraham  », pour ceux qui auraient oublié depuis qu'il est né qu'il est le fils
d'Abraham. On précise encore dans le même verset «  Avraham holid et-Yits'haq.  », c'est
bien Avraham qui a fait naître Yitshaq.
Particularité grammaticale de l'hébreu biblique (Une autre lecture de la vente du droit
d'aînesse)
Le vav, la 6ème lettre, a dans la Tora une fonction extrêmement surprenante qui n'existe dans
aucune autre langue  : c'est de pouvoir, par sa simple présence devant le verbe conjugué,
transformer le passé en futur et inversement. Nous allons aujourd'hui, dans la paracha de
Toledot, commencer par nous intéresser à cette démarche.
Puis nous essaierons de voir ce que cela signifie, un verbe qui a de l'avenir, un verbe – donc
une phrase – qui va dire autre chose que ce qu'elle dit simplement  : ce verbe va dire
également une projection dans l'avenir.
Enfin nous aborderons, à travers la paracha de Toledot, l'importance de la structure de la
paracha, la manière dont les sujets se suivent, s'accordent, se désaccordent, se
surprennent, se bousculent.
Commençons par l'utilisation du vav comme capacité de renverser ou d'inverser un futur en
passé.
Prenons un passage de la paracha de cette semaine  : Gen.25:29-34 [= fin du chap.25 de la
Genèse]. On peut lui attribuer le titre  : «  Six versets qui nous coûtent cher  », parce qu'il
s'agit du passage qui décrit la vente du droit d'aînesse par Esav fatigué, épuisé, revenu de la
chasse, à Yaaqov, qu'on a très facilement pris l'habitude d'accuser d'avoir profité de la
fatigue et de la faiblesse de Esav. Et c'est la grammaire qui va nous montrer que ce n'est en
aucune façon le cas.
Si l'on regarde les verbes de ces versets de près, on voit  :
•
•
•
•
•
•
v.29 
v.30 
v.31 
v.32 
v.33 
v.34 
: vayazed, vayavo, vayomer  ;
: vayomer  ;
: vayomer  ;
: vayomer  ;
: vayomer, vayichava', vayimkor  ;
: vayokhal, vayecht, vayaqom, vayélekh, vayivez.
Nous avons des verbes que la traduction va exprimer au passé. Le plus célèbre
«  vayomer  », que nous trouvons encore et encore dans la Tora («  vayomer Hachem el
Moché  »), que les enfants des écoles pendant très longtemps ont chanté ''vayomer – il a
dit''. Mais pourquoi  ? Le verbe au passé est ‫ אמר‬amar, alors pourquoi ne pas dire ''Hachem
amar''  ?
Si nous regardons uniquement le v.34, nous voyons que 5 verbes sont exprimés de cette
façon-là, avec le vav précédant le verbe conjugué au futur, et un seul est exprimé au passé
''simple'' (au passé parfait, au vrai passé)  :
‫ויתן‬
‫לו א‬
‫ו‬
‫ו‬
‫ול‬
‫ו‬
‫תן‬
‫א ל‬
‫שתה‬
‫הלך‬
‫ה‬
Pour mieux le comprendre, nous allons regarder et analyser, étape par étape, la
transformation d'un verbe  :
Futur transformé en passé
‫ר‬
‫מ‬
‫א‬
‫י‬
‫ו‬
‫י‬
‫ו‬
‫ל‬
‫א‬
‫י‬
‫ו‬
‫ה‬
‫ת‬
‫ש‬
‫י‬
‫ו‬
Futur
‫ר‬
‫מ‬
‫א‬
‫ל‬
‫ה‬
‫א‬
‫ש‬
‫ת‬
‫י‬
‫י‬
‫י‬
‫י‬
Passé
‫ר‬
‫מ‬
‫א‬
‫ל‬
‫ה‬
‫א‬
‫ש‬
‫ת‬
Les verbes que nous avons choisis sont à la 3ème personne du masculin singulier, ce qui en
même temps nous indique la racine (la colonne ''Passé'' aurait aussi pu s'intituler ''Racine'') –
sauf pour
qam dont la racine est ‫ ו‬qoum  : amar, qam, akhal, chatah. Pour transformer
du passé au futur il suffit simplement, à la 3ème personne du masculin singulier, de faire
précéder la racine d'un ‫ י‬youd  : yomar, yaqoum, yokhal, yichtéh. La particularité de l'hébreu
– de l'hébreu biblique uniquement – c'est par le biais de ce ‫ ו‬vav vert de la 3ème colonne du
tableau, placé devant le verbe conjugué au futur, de transformer ce futur en passé.
Pourquoi  ? Pourquoi compliquer les choses  ? Pourquoi, par exemple, dire «  vayomer
Hachem el-Moché  »  ? Pourquoi ne pas dire «  Hachem amar  »  ? L'explication la plus
plausible est que, si le texte disait ''Hachem parla à Moïse'' [amar Hachem], on parle d'un
événement du passé qui ne nous concerne en aucune façon. Si Dieu dit à Moïse qu'il faut
célébrer le chabbat, s'Il lui dit qu'il faut manger cachèr, Il l'a dit il y a très longtemps et ça ne
me regarde en aucune façon, ça ne me parle pas. Alors que quand le verbe dit «  vayomer
Hachem  », je suis entrain de dire - j'oublie un instant le vav – ''il dira''  ; c'est à dire que
quand je dis [par exemple] ''vayomer Hachem el-Moché de célébrer le chabbat'', ce que je
dis c'est que effectivement ça s'est passé un jour, c'est un moment de l'histoire que je peux
dater, mais cette date au passé contient un avenir  : c'est un passé qui a de l'avenir, c'est un
passé qui continue, qui se prolonge. Sinon je n'ai aucune raison d'accomplir les mitsvot, de
prendre au sérieux, de prendre comme étant vivants et présents les récits de la Tora.
Et ce qui est vrai pour les commandements est vrai aussi pour l'histoire  : lorsqu'on me
raconte quelque chose, par exemple que Avraham aime Yitshaq, ou que Rivqa aime
Yaaqov, elle l'aime jusqu'aujourd'hui. C'est à dire que chaque fois que je suis un peu
Yaaqov, je sais que Rivqa m'aime, et je peux progresser et comprendre pourquoi elle m'aime
et pourquoi il m'importe de ressembler un peu à ce Yaaqov aimé par Rivqa.
Il est important de noter là que cette capacité de transformer le futur en passé n'est
absolument pas présente dans la Tora orale  : aucune ligne de Michna ou de Guemara
n'incorporera un passé transformé en futur ou un futur transformé en passé. Au moment de
la Haskala, lorsqu'on a voulu réinventer l'hébreu utilisé comme langue vivante, il y a eu des
essais  : lisez-les aujourd’hui, vous les trouverez totalement ridicules, ils n'ont aucun sens,
c'est une manière tordue de parler. Et lorsque dans les écoles on essaie de faire croire qu'on
fait de l'hébreu en hébreu et qu'on dit ''vayomer Eloqim = Hachem amar'', eh bien on a
transformé le sens.
Lorqu'on dit ''Hachem amar'', cela a un autre sens, que nous allons voir immédiatement. En
Gen.25:34, on dit  :
«  VeYa'aqov natan le'Ésav lé'hem ounezid 'adachim, vayokhal, vayecht, vayaqom
vayélakh  ; vayivèz 'Esav et-habekhora.  ».
On ne dit pas ''vayiten Ya'aqov leÉsav […]'', ce qui aurait voulu dire  : ''Yaaqov donna à Esav
du pain et un plat de lentilles, et il mangea, il but il s'en alla, et il déprécia le droit d'aînesse''.
Il y a 5 verbes dans ce passouq à cette forme de futur transformé en passé  : pourquoi ne
pouvait-on pas, pour l'harmonie du passouq dire ''vayiten Yaaqov le'Ésav lé'hem ounezid
'adachim''  ? C'est que Yaaqov ne donna pas dans le même sens que [les verbes suivants]
''il mangea, il but''. ‫ תן‬Natan, on l'a vu, est un passé antérieur, un passé fini. En d'autres
termes, ce qu'on va reprocher à Yaaqov, ce qu'on va reprocher d'avoir négocié, de lui avoir
dit ''donne-moi d'abord, vends-moi d'abord ton droit d'aînesse, vends-le moi clair comme le
soleil et jure moi – et il a juré'', tous ces versets-là avant de nourrir quelqu'un qui a faim, c'est
une forme de torture, une forme d'arrogance et d'égoïsme qu'en aucune façon la Tora ne
veut attribuer à Yaaqov. Et donc le dernier verset, le verset de conclusion, va dire
«  veYa'aqov natan le'Esav  » = «  Yaaqov donna à Esav  ». Mais Yaaqov avait donné, il lui
avait déjà donné  ! Au début de l'histoire, on nous raconte le retour de Esav de la chasse  :
Esav rentre de la chasse, il a faim, et il dit ''Je vais ouvrir la bouche et tu vas m'enfiler tout ça
directement dans le gosier, je ne veux même pas le mâcher'', en aucune façon Yaaqov
n'aurait eu la cruauté de faire patienter, de faire trembler Esav de faim et de fatigue. Le texte
le dit sans faire l'apologie de Yaaqov  : il le dit tout simplement par le moyen grammatical,
ici, au dernier verset «  veYa'aqov natan le'Esav  » = «  Yaaqov avait donné à Esav  » ce
qu'il fallait lui donner.
Et la turbulence des verbes de la fin (vayokhal, vayecht, vayaqom vayélakh, vayivèz) pour
dire [elle se met à parler très vite]  : il avait tellement faim, «  il-a-mangé-il-a-bu-il-s'est-levépuis-il-a-déprécié-le-droit-d'aînesse  », en vérité, je l'avais vu avant que Esav dépréciait le
droit d'aînesse. Donc il l'a déprécié avant et il le dépréciera après, et lorsque le texte me dit
«  vayivez 'Esav et-haberkhora  », ce n'est pas une fois, un fait fini/terminé dans le passé,
ce n'est pas un passé simple/fini, c'est un passé qui a de l'avenir, un passé qui dit  :
quelqu'un qui a été capable de dire (v.32) ''de toutes façons je suis mortel, à quoi bon, je n'ai
pas besoin de ce droit d'aînesse'' ne peut pas venir après coup et dire ''non, mais en fait,
c'était pas tout à fait comme ça que je l'avais pensé''. La Tora témoigne, lorsque le jour
viendra où Moché Rabbénou prendra sous la dictée de Dieu cette histoire-là, Dieu lui dicte
que «  Yaaqov avait donné  » tout de suite, dès qu'il a vu Esav en mauvais état, mais que
Esav, lui, tout son comportement, comportement constant, comportement daté dans le
passé, lorsque je suis capable de «  vayokhal, vayecht, vayaqom, vayélakh, vayivèz  » je
suis un petit peu Esav, je suis un peu sa manière de me conduire.
Le cri d'Esaü et son écho (Les répercussions de la frustration)
Vous me direz qu'on est entrain de diviser les monde en blanc et noir  : le gentil Yaaqov qui
a bien senti que Esav était fatigué, et qui lui avait donné tout de suite dès qu'il l'a vu, et
l'horrible Esav qui se conduit mal.
La Tora ne nous invite pas du tout à faire cette lecture, au contraire. La Tora – et ses
commentaires – va nous inviter à être beaucoup soigneux, car elle va dire, au moment où –
plus tard – Esav va entrer dans la chambre de son père pour obtenir la berakha pour laquelle
il lui avait préparé ce merveilleux gibier, et que son père Yitshaq va lui dire ''Mais attends, qui
es-tu  ? Celui qui devait recevoir la bénédiction l'a déjà reçue  ! Qu'es-tu venu faire  ?'' et là
Yitshaq va dire ''Ton frère est déjà venu bemirma (= avec ruse) pour prendre la berakha que
je te destinais''. A ce moment-là (Gen.27:34), le texte nous dit  :
«  Kichmo'a 'Esav et-divré aviv,
= Lorsque Esav entend les paroles (dures) de son père,
vayits'aq tse'aqa, guedola oumara 'ad-meod  ;
= il poussa un cri (de détresse et) énorme, d'amertume terriblement déchirante
vayomer leaviv
= et il dit à son père
barekhéni gam-ani avi.  »
= donne-moi aussi une berakha, mon père.
Le midrach va nous dire1  : «  Tout celui qui croit que Dieu est capable de laisser passer,
qu'Il est prompt à renoncer, (entendez  : à renoncer à rétribuer et à punir à chaque fois que
c'est nécessaire – le texte a une expression un peu dure  :) celui verra ses entrailles se
retourner.  »
Pourquoi  ? Parce que, lorsque quelqu'un (entendez Yaaqov) est capable de provoquer
chez son frère jumeau un cri de détresse aussi déchirant, tôt ou tard il va falloir régler ce
compte-là. Et ce compte-là va être réglé beaucoup plus tard, dans le chap.4 de la Meguila
d’Esther  : Mordekhay apprend l'annonce de l'anéantissement de tout le peuple juif dispersé
dans les 127 pays du roi Assuérus, «  vayiqra' Mordokhay et-begadav  », il déchire ses
vêtements, il s'habille de cilice, il couvre sa tête de cendres, «  vayiz'aq ze'aqa guedola
oumara  » = il a poussé un hurlement, un cri déchirant et, à un ‫צ‬/ tsadi/zayin2 près (c'est
pratiquement la même lettre) on a «  vayits'aq tse'aqa guedola oumara  », il a poussé un
hurlement d'amertume, de détresse  ; et il s'ensuit l'histoire de Esther qui va se mettre
auprès de Assuérus pour essayer de sauver le peuple.
Avant de fermer cette page-là, notez que le cri de Esav était un peu plus grand  :
«  vayits'aq tse'aqa, guedola oumara 'ad-meod  ». Consultez vos commentaires pour
essayer de comprendre pourquoi le premier cri, celui de Esav frustré de la bénédiction qu'il
allait recevoir de son père, est tellement plus grand que celui de Mardochée à qui on
annonce que l'ensemble du peuple juif sur 127 provinces va disparaître.
Nous retenons que le texte nous invite à ne pas rester accrochés à la page sur laquelle nous
sommes, mais à comparer un passage et un autre. Si beaucoup plus tard – des centaines
d'années plus tard – le texte dit «  vayiz'aq ze'aqa guedola oumara  » nos oreilles doivent
être sensibles à ce cri-là et aller chercher d'où il vient  : nous le voyons aujourd'hui, c'est
dans la parachat Toledot, c'est le cri de Esav frustré de la berakha.
Sans l'avoir dit, nous l'avons dit tout de même, c'est la berakha enlevée à Esav qui est la
partie importante de la paracha de Toledot.
La structure d'ensemble de la paracha (Histoire de mariages)
Nous avions dit tout à l'heure que nous irions voir la structure de l'ensemble de la paracha de
Toledot. De quoi parle la paracha de Toledot  ? On annonce [Gen.25:19] «  veélé toledot  »,
la descendance  ; et on annonce en même temps les engendrements, les développements,
la suite de l'histoire.
La semaine dernière, dans parachat 'Hayé-Sarah, nous avons laissé Yitshaq face à sa
dulcinée Rivqa, et découvrant qu'elle est tout à fait digne de donner suite au couple
Abraham-Sarah  : Rivqa et Yitshaq vont être le couple digne de remplacer le premier.
Nous n'avions pas fait attention à l'âge qu'avait Yitshaq. Au début de cette paracha [Toledot],
on nous le dit (Gen.25:20)  : «  Vayhi Yits'haq ben-arba'im chana, beqa'hto et-Rivqa […]  » il avait 40 ans. Et nous allons retrouver presque la même phrase au chapitre suivant, dans la
paracha de Toledot  ; simplement, le personnage a changé  : il s'appelle Esav
[Gen.26:34]  : «  Vayhi 'Esav ben-arba'im chana, vayiqa'h icha […]  ». Deux versets  ; vous
me direz  : coïncidence, le fils fait comme son père  ! Mais pourquoi la Tora me le raconte-telle  ? Est-ce vraiment important de savoir que Yitshaq avait 40 ans, et que Esav avait 40
ans  ? Quel est l'intérêt  ?
Une piste pourrait être celle de rappeler que Esav a un frère jumeau, et que celui-ci aura 86
ans à la fin de la paracha quand il rencontrera Ra'hel. Je croyais que c'était Yaaqov qui
faisait ce qu'il fallait, se marier, donner naissance à une grande famille  : or Yaaqov est là, et
que fait-il pendant que Esav a l'air de vouloir faire plaisir à son père  ? Les commentaires le
disent souvent  : s'il y a une chose qu'Esav sait faire, c'est honorer ses parents, leur faire
plaisir autant qu'il le peut.
Mais ces deux phrases qui racontent les deux premiers mariages, puisqu'il va prendre deux
femmes - était-ce en même temps ou pas, peu importe, le texte me dit qu'à 40 ans il a pris
deux femmes  : il a épousé Yehoudit bat Beéri et Bosmat bat Élon, toutes les deux filles de
'Hittites, filles de 'Het (‫' חת‬het). Comme nous l'avons vu la semaine dernière dans parachat
'Hayé-Sarah, lorsqu'Avraham a acheté le caveau de Makhpéla, il l'a fait auprès de la tribu/du
peuple des 'Hittites dont Efron était le chef.
Il y a un petit rajout à la fin du deuxième verset [Gen.26:35, dernier verset du chapitre]  :
«  Vaytihyéna morat rou'ah leYits'haq ouleRivqa  » = ''elles étaient source d'irritation (à la
fois) pour Yitshaq et pour Rivqa''. C'est rare que le texte donne des détails aussi précis. C'est
surtout frustrant pour nous car nous ne savons pas pourquoi. Alors nous allons dire qu'il a
épousé des habitantes du pays, des cananéennes  ; et cela, rappelez-vous la semaine
dernière dans parachat 'Hayé-Sarah, nous avons entendu Avraham dire aussi fort qu'il le
pouvait [Gen.24:3]  : ''Tu feras ce que tu voudras, Eliézer, mais surtout, il y a une chose que
je t'interdis de faire, c'est de donner à mon fils Yitshaq une femme cananéenne.'' Interdit,
hors sujet, impossible à faire.
Mais où se situent ces deux versets  ? Deux versets pour raconter deux mariages, c'est un
peu court. Deux versets pour raconter deux mariages, et dire que le père et la mère sont
mécontents  ; et notez qu'ils le sont tous les deux, alors qu'au début de la paracha on nous
raconte [Gen.25:28] que Yitshaq, le père, n'avait d'yeux que pour Esav  : on se serait
attendu à ce qu'il soit un peu plus indulgent. Mais tous les deux, et d'un commun accord,
sans dissension, sont d'accord sur le fait que ces deux femmes qu'Esav a choisi ne sont pas
les bonnes.
Où se situent ces deux versets  ? Si nous prenons l'ensemble de la paracha  : elle
commence par la stérilité de Yitshaq et Rivqa, la prière, l'arrivée des jumeaux, l'histoire de la
vente du droit d'aînesse. Et ensuite vient un long chapitre [Gen.26] qui raconte les démêlés
de Yitshaq – le père – avec les habitants de Grar  : ce qu'il y a fait, le fait qu'il a eu un
succès phénoménal dans l'agriculture, le fait qu'il a provoqué une jalousie non moins
phénoménale autour de lui, qu'il a été obligé de s'en aller, que chaque puits que ses
serviteurs creusaient était immédiatement bouché – et vous savez combien la source d'eau
est importante dans ce pays-là. Et à la fin de ce chapitre-là [chap.26], comme un cheveu sur
la soupe, deux versets  : Esav, âgé de 40 ans, a pris deux femmes en épouses, et ça n'a
pas plu du tout à Yisthaq et Rivqa.
Que pensez-vous que l'on puisse mettre à la suite de ces deux versets-là  ? Eh bien, c'est
LE chapitre essentiel de la paracha, celui de la berakha enlevée à Esav, donnée à Yaaqov.
Comme si ces deux versets qui nous disent le mauvais choix de Esav provoquaient chez
Yitshaq l'urgence de transmettre quelque chose à son fils Esav et donner à Rivqa – la mère
– la même urgence mais en sens inverse  : pas du tout ce que tu crois, Yitshaq, ce que tu
crois être le comportement merveilleux de Esav n'est pas merveilleux du tout, il te trompe en
permanence, il n'y a qu'une merveilleuse tromperie que nous allons organiser en déguisant
Yaaqov en Esav, qui va peut-être t'ouvrir les yeux, yeux dont on nous dit au début du
chapitre 27 qu'ils étaient lourds, dans l'incapacité de voir. Etait-il aveugle  ? Etait-il dans
l'incapacité de voir - dans le sens de comprendre – les manigances de Esav  ? Choisissez
vos commentateurs au gré de votre compréhension du texte.
La paracha ne s'arrête pas là, puisqu'à la fin de la substitution de la berakha, ou de la
substitution du personnage Esav par celui qui a fait pendant un court instant semblant d'être
lui (Yaaqov), cet événement-là va produire chez Esav une colère monumentale qui va lui
faire dire des choses que Rivqa, bien entendu, écoute. Il dit  : je vais attendre que mon père
soit mort, et je vais tuer mon frère Yaaqov. Donc Yaaqov doit fuir.
Et on a l'impression, si c'était nous qui avions écrit l'histoire, que nous aurions écrit  :
Yaaqov fuit, évidemment. Pas du tout  : Yaaqov, d'abord est convoqué chez son père
(Gen.28), qui va très officiellement lui transmettre la berakha, la vraie, la seule, celle
d'Avraham, il n'y a aucune équivoque (Gen.28:1)  : «  Vayiqra Yits'haq el-Ya'aqov,
vayvarekh oto  » [= Yits'haq appela Yaaqov, et il le bénit]. C'est bien Yitshaq qui le convoque
et lui donne la berakha  ; si ce que Yaaqov a fait au chapitre précédent était faux, je ne
pense pas que Yitshaq aurait pu imaginer de lui donner une deuxième berakha. Et mieux
que cela, il lui dit (v.2) «  Qoum, lekh Padéna Aram  » = «  lève toi et va à Padan
Aram  »  (il ne lui dit pas ''fuis'' - Rivqa sa mère lui avait dit de fuir), et prends femme dans la
famille de ta mère. Et il est dit clairement (v.4)  : «  veyiten-lekha et-birkat Avraham  » =
«  qu'Il te donne la bénédiction d'Avraham  », il n'y aucune équivoque, que Dieu te donne la
berakha, la seule, celle que Dieu a donnée à Avraham d'abord, à toi et à ta descendance. La
double berakha  : celle d'avoir une nombreuse descendance (occuper le temps), et celle
d'avoir une terre, la terre d’Israël (occuper l'espace). Et ce n'est pas fini  : tout comme
Avraham, il va lui dire – mais là il va falloir attendre la semaine prochaine – non seulement tu
as la double berakha de l'espace et du temps, mais tu as, comme Avraham, la capacité de
produire autour de toi la volonté de s'associer (Gen.12:3  : «  venivrekhou vekha kol
michpe'hot haadama  », = «  toutes les familles de la terre seront bénies par toi  »).
Essayons de conclure et de revoir rapidement la structure de l'ensemble de la paracha. On
parle beaucoup de mariage  : on commence par celui de Yitshaq et Rivqa à 40 ans, suivi de
la tentative de Esav de faire plaisir à son père qui va se marier à 40 ans  ; il semble qu'il ait
pris les femmes qu'il ne fallait pas, mais il a déclenché le besoin de bénir, de transmettre la
bénédiction, et la crainte de Rivqa que la bénédiction soit transmise au mauvais (ou  : au
moins bon, puisqu'à la fin de la paracha, on nous dit qu'ils restent toujours ses deux enfants)
des jumeaux. Et la paracha se conclut par Yaaqov partant chercher femme en Mésopotamie,
et Esav, une dernière fois, va faire plaisir à son père en se mariant, cette fois-ci non pas
avec un cananéenne, mais avec une fille de Yichmael qui, pour avoir une mère égyptienne,
a au moins un père nommé Avraham. Et vous ne serez pas étonné de savoir que la
troisième femme s'appelle Ma'halat, de la racine ‫ מחל‬ma'hal (= pardonner), celle qui va peutêtre aider Esav à trouver le pardon aux yeux de son père. Et nous sommes prêts, ayant
terminé l'histoire de Esav, à commencer l'histoire de Yaaqov la semaine prochaine.
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