pourrait ressembler à un slogan. Mais il me semble que cette idée de justice qui
hyperboliquement réitère l’aporétisation de tout horizon de signification ou d’intentionnalité,
arrive à toute réponse. C’est là peut-être la seule et unique, singulière et insubstituable chance
que vienne à l’idée quelque chose comme l’éthique. Une éthique cependant qui n’aurait plus
rien à voir avec l’autonomie de la loi morale ou bien avec la reconnaissance dialogique dans
l’élément universel d’une communauté de sens, mais qui chaque fois tiendrait à éveiller
l’unicité d’une responsabilité immémoriale adressée à l’altérité irréductible à la visée ou à
l’intentionnalité, à l’interprétation ou à la catégorisation. D’où la possibilité de faire parler la
philosophie autrement et donc, peut-être aussi, littérairement.
3. Pour finir il me faut vous demander si ce livre, Alternances de la métaphysique –
Essais sur Emmanuel Levinas, est à inscrire dans la suite de vos deux livres précédents :
Le spectre juif de Hegel et Le sacrifice de Hegel ? Si oui, comment lire cette inscription ?
Levinas y occupe-t-il une place particulière voire stratégique ? A quoi alors sera
consacré votre prochain ouvrage ? Comment ne pas finir sur l’à-venir dont vous
rappelez que Blanchot en dit qu’il est pour l’écriture ce qui reste « à dire » ? Que vous
reste-t-il à dire alors ?
Merci pour cette question. Car elle fait jouer une particularité très difficile à définir. Elle fait
jouer une certaine trace qui, loin de se constituer en question fondamentale, ne cesse de
travailler la lecture toujours active, l’interprétation radicalement plastique et le
questionnement sans relâche, infatigable, quasi-obsessionnel que j’essaie – à partir de Hegel
et de Levinas, mais aussi de Nietzsche, de Heidegger et de Derrida – d’inscrire dans l’histoire
de la métaphysique. Ce qui me travaille c’est, en vérité, le mouvement essentiel de cette
histoire là où ce même mouvement révèle, non pas contre lui-même, mais en et par lui-même
un supplément impensé, voire un reste ou un excédant impensable et insoupçonné. Comme si
l’histoire de la métaphysique se constituait précisément dans et par cette a-logique de la
supplémentarité. C’est là ce que Derrida nommait la spectralité et que je tente, à ma manière,
d’éveiller, de réveiller, d’animer dans et par les textes de la tradition philosophique. Comme
si l’histoire de la philosophie disposait encore de ressources, de potentialités, de puissances
ou de forces toujours au-delà de ce que cette tradition s’emploie à signifier et qui ne
cesseraient de s’infiltrer, de s’écrire, de se transcrire dans ladite tradition. Et ce geste de
« tourner autour », que j’employais dans les deux études consacrées à Hegel, ne cesse en effet
d’encercler le corpus de cette tradition en y faisant voir le déploiement essentiel de son
orientation et en le forçant, ce même corpus, à toujours produire plus que ce qu’elle présente
ou représente.
Or ce qui se produit à la fois au-delà de la tradition philosophique tout en travaillant
entièrement dans et comme l’essence de cette tradition, c’est une puissante et inattendue
figure du sacrifice. Pourquoi ? Car le sacrifice témoigne doublement, ambigument,
obliquement à la fois du sens de cette histoire qui se constitue par une relève réappropriatrice
où ce qui est nié est aussi gardé, sauvegardé, préservé dans l’idée totalisante d’une essence
spéculative tout en marquant la césure, la coupure, la rupture de cette logique sacrificielle en
ouvrant à une possibilité où se profile et se démultiplie la modalité innommable,
irreprésentable, insaisissable d’un événement de pensée délié, détaché, libéré – un événement
de pensée qui aurait sacrifié, sans relever dans son sacrifice, le sacrifice. Cet événement de
pensée, je le cherche et le recherche, à vrai dire je le traque dans toute pensée, écriture,
témoignage. Et c’est précisément, aussi rigoureusement que possible, cela même qui