Introduction à la syntaxe - Notes de cours
Jacques Jayez, ENS–LSH – 30 décembre 2003
Avertissement
Ce cours est très élémentaire et ne vise pas à donner un panorama exhaus-
tif ou représentatif des approches et des problèmes en syntaxe.
1 Qu’est-ce que la syntaxe ?
La syntaxe est l’ensemble des notions et techniques mis en œuvre pour
étudier les combinaisons de mots qui sont porteuses de sens dans les langues
naturelles. συν +τ´αξις >συνταξις : disposition, arrangement, configura-
tion, organisation.
Quelques disciplines connexes à l’intérieur de la linguistique.
– phonologie : combinaisons de « sons » pour produire des unités signi-
fiantes. En phonologie, analyse abstraite des sons, réduits à leurs proprié-
tés pertinentes ou distinctives.
Exemple : opposition \b\\v\(buvu) où l’on ne retient que les traits ar-
ticulatoires ou acoustiques pertinents pour la distinction. Dans ce cas, on
dira qu’on a un trait de labialisation (position et usage des lèves) avec deux
valeur différentes :
– bilabial pour \b\(on se sert de la lèvre supérieure et inférieure),
– labiodental pour \v\(le son requiert un frottement de l’air entre les
lèvres et les dents).
Phonologie de l’intonation : propriétés pertinentes des contours mélodiques.
– Morphologie : combinaisons d’unités pour produire des mots. Morpho-
logie inflectionnelle : désinences, cas, etc. La catégorie ne change pas lors
de l’inflexion (la 3ème personne du sg d’un verbe reste un verbe, le plu-
riel d’un nom reste un nom, etc.). Morphologie dérivationnelle : diminutifs,
(gentilgentillet), racine + suffixe de catégorie (exagér- + ation), etc.
– Sémantique : étude de la signification linguistique, notamment de la com-
position d’unités de sens à partir d’unités de sens plus petites.
Les frontières entre ces disciplines ne sont pas étanches. Exemple : pho-
nologie, syntaxe et sémantique sont associées pour décrire un contraste
comme (1).
1
(1) a. Jean a échoué à l’examen
b. JEAN a échoué à l’examen
Phonologie : accent tonique sur Jean dans (1b). Syntaxe : différence thème–
rhème. Thème (anglais topic) = ce dont on parle, rhème (anglais focus) = ce
qu’on en dit. Dans (1a), thème = Jean, rhème = le fait qu’il a échoué à l’exa-
men. Dans (1b), thème = le fait que quelqu’un a échoué à l’examen, rhème
= ce quelqu’un est Jean. Sémantique : analyse en termes de contraste «
C’est Jean (et pas quelqu’un d’autre) qui a échoué à l’examen ».
2 Les grandes distinctions
Notions à distinguer :
– constituants et catégories,
– dépendance,
– fonctions,
– rôles sémantiques.
Constituants et catégories
Un constituant est toute unité appartenant à une certaine catégorie syn-
taxique qui peut entrer en combinaison avec d’autres d’unités apparte-
nant à des catégories syntaxiques pour produire une unité appartenant à
une catégorie syntaxique.
Les constituants ne sont pas simplement des mots ou des unités mor-
phologiques. Ils doivent appartenir à un catégorie syntaxique telle que Ar-
ticle, Nom, Adverbe, Verbe.
La catégorie syntaxique de la combinaison n’est pas forcément la même
que celle d’un de ses constituants. Exemple : Article + Nom = Groupe No-
minal (GN, anglais Noun Phrase ou NP).
Le processus de combinaison est récursif (il s’applique à son propre ré-
sultat).
Exemple : Article + Nom = GN, Préposition + Nom = Groupe Préposition-
nel (GP, anglais Prepositional Phrase ou PP), GN + GP = GN.
Le (Article) + chien (Nom) = Le chien (GN), de (Préposition) + Marie (Nom)
=de Marie (GP), Le chien (GN) + de Marie (GP) = Le chien de Marie GN.
Le mode de combinaison peut être complexe ; lorsqu’il s’agit d’une
simple juxtaposition, on a des structures arborescente, omniprésentes en
2
linguistique.
(2) Structure arborescente pour le chien de Marie
GN
GN
Art
le
N
chien
GP
Prép
de
N
Marie
Dépendance
Notion moins intuitive que celle de constituant. Dissymétrie entre tête (an-
glais head) et dépendants (anglais dependents). La tête est ce qui détermine
la valeur de certains traits. Elle impose de l’information à ses dépendants.
Le cas le plus connu est celui du verbe qui impose des restrictions (dites
restrictions de sélection, anglais selectional restrictions) à son sujet et à ses
compléments. Ces restrictions peuvent être sémantiques, syntaxiques ou
morphologiques. Exemples :
voir demande un sujet animé1:Marie a vu Pierre,L’ours a vu le chasseur,??Le
mur a vu Marie.
Demander requiert que ce qui est demandé soit un GN ou un GP infinitif
(demander un livre,demander à sortir et que l’entité à laquelle s’adresse la
demande soit un GP dont la préposition soit à,auprès de, etc.
Restrictions casuelles : dans les langues à flexion casuelle, les verbes peuvent
exiger que leurs arguments aient tel ou tel cas.
La notion de dépendance n’est pas toujours aussi évidente. En français,
préposition = (habituellement) tête du GP. La dépendance est catégorielle :
préposition + X = GP (pour X de catégorie GN ou Vinf en particulier). Un
GP n’a pas le comportement d’un N, même s’il en contient un (avec Marie
ne se comporte pas comme Marie). Il n’hérite pas ses propriétés des élé-
ments différents de la préposition. Sémantiquement, la nature de la pré-
1En réalité, la restriction de sélection est plus complexe. Voir préfère un sujet animé
lorsque le complément d’objet désigne un individu. Lorsqu’il désigne un événement ou
une série d’événements, ce n’est plus le cas : Ce mur a vu bien des exécutions sommaires. Les
restrictions de sélection sémantique sont en général assez subtiles car elles dépendent des
variations de sens de la tête.
3
position est déterminante pour interpréter le GP. Sémantiquement et syn-
taxiquement, le verbe est sensible à la préposition qui est la tête de ses
compléments de catégorie GP. Il est donc cohérent de donner à la préposi-
tion le statut de tête dans un GP.
Fonctions
Les trois fonctions reconnues comme les plus importantes sont celles de
sujet d’object direct et d’object indirect.
Fonction = ensemble de caractéristiques morpho-syntaxiques 6=rôles sé-
mantiques.
Rôles sémantiques
Caractéristiques sémantiques des arguments des prédicats.
Prédicat = relation qui associe plusieurs arguments ; forme générale P r1:
x1...rn:xn.
Exemple : prédicat lire (associé à mais distinct du verbe lire) a deux ar-
guments dont les rôles sont Agent (qui s’applique à l’entité qui lit) et le
Siège (anglais Undergoer) (qui s’applique à ce qu’on lit). La forme est donc
lire(Agent :x1,Siège :x2).
3 Constituants et catégories
Catégories = noms de classes de mots ou constructions ayant les mêmes
propriétés ;question centrale : comme regrouper des mots ou des construc-
tions en classes ?
Saussure (1915, ch. 5) : distinction rapports syntagmatiques /rapports asso-
ciatifs.2
rapports syntagmatiques : valent entre plusieurs termes co-présents dans
une série (rapport in praesentia), par exemple les mots qui composent une
expression ou une phrase.
Rapports associatifs : tout ce qui concerne la substitution possible à un
terme d’une série d’autres termes qui lui sont associés selon une certaine
dimension rapports in absentia. Exemple :
2Dans d’autres terminologies, axe syntagmatique /axe paradigmatique.
4
le animal aboie
chien
un caniche aboient
défini/indéfini
abstrait/concret
sing./pluriel
Propriétés
1. Permutabilitité dans un même environnement. Deux objects de même
catégorie peuvent se remplacer mutuellement dans un même environne-
ment : J’ai vu (le chienun oiseau ou dans un environnement de même caté-
gorie : si Xpeut figurer dans un environnement de catégorie Cet si Yest
de même catégorie que X, alors Ypeut remplacer Xdans tout environne-
ment de catégorie C(et inversement). Exemple : dans un GV de forme V
+ GN, n’importe quel GN peut être utilisé.
2. Déplaçabilité : J’ai vu le chien,Le chien, je l’ai vu.
3. Propriétés morphologiques. Exemple : en français, les verbes (et seule-
ment les verbes) se conjuguent.
4. Anaphores. Anaphores pronominales pour les GN : J’ai vu le chieni. Ili
aboyait . Anaphores en le faire, en do so, etc. pour certains GV : Jean a (relu son
mémoire)idans le train et Marie (l’a fait)idans l’avion,John (reread his Master)i
on the train and Mary (did so)ion the plane.
5. Coordination. Tendance générale des langues à ne coordonner que des
unités de même catégorie.
(3) a. J’ai vu le maire et son adjoint (GN et GN)
b. J’ai vu le maire et (beau + hier + avec Jean + arrive)
Attention toutefois à l’ellipse : J’ai vu le maire, et avec son adjoint = « J’ai vu
le maire, et je l’ai vu avec son adjoint ».
6. Corrélations systématiques entre constructions ; par ex. V de sentiment
associé à des paraphrases de forme V support (anglais light verb) + GN
de sentiment : craindre + GN associé à éprouver de la crainte (pour +en-
vers) GN. Méthode employée dans les grammaires distributionnelles (Har-
ris 1951, 1982, Gross 1975).
5
Classification
Sont rangées dans la même classe les unités qui ont les mêmes propriétés.
Relation d’équivalence R= relation réflexive, symétrique et transitive.
. réflexivité : R(x, x)pour tout x,
. symétrie : R(x, y)implique R(y, x)et inversement, pour tout xet tout y,
. transitivité : si R(x, y)et R(y, z)alors R(x, z).
Exemple : ‘avoir le même âge que’.
Classe d’équivalence = tout ensemble maximal d’objets reliés par une rela-
tion d’équivalence.
La relation ‘avoir les mêmes propriétés que’ est une relation d’équivalence.
Les classes d’équivalence qu’elle définit « sont » (= ont pour nom) les caté-
gories syntaxiques. Ex. : GN = ensemble des unités qui partagent certaines
propriétés, GV = ensembles des unités qui partagent d’autres propriétés.
Peut-il y a voir des propriétés communes entre deux classes d’équiva-
lence ? Oui, en théorie, toutes les combinaisons sont possibles. Par exemple,
les N, GN, A(djectifs), GA (Groupes Adjectivaux), V, GV, Art(icles) par-
tagent la propriété d’avoir une distinction (souvent réalisée morphologi-
quement) entre sg et pl. Les GA et les GP peuvent modifier un GN.
A-t-on une liste finie et établie d’avance de propriétés ? Non, les listes
de propriétés s’enrichissent au fur et à mesure qu’on connaît mieux les
langues (zoologie et botanique) ;valeur informationnelle (6=objective)
des catégories syntaxiques.
Lien entre constituance et dépendance.
(4) a. Mary saw the student of linguistics and John the one of history
(van Valin 2001, ex. 4.30, p. 128)
b. Marie a vu l’étudiant de linguistique et Jean celui d’histoire
c. Marie a vu l’étudiant en linguistique et Jean celui en histoire
Possibilité de décomposer l’étudiant de N en l’étudiant +de N, alors que
l’étudiant en N forme un bloc. Voir :
(5) a. Je connais l’amateur de timbres et Marie celui ??de cartes pos-
tales
b. Jean est spécialiste de l’allergie aux pollens et Marie de celle au
chocolat
Celui doit être modifié par un GP ou une relative. On a l’impression que
6
celui peut se substituer à n’importe quel GN modifié.
(6) a. l’étudiant qui a trouvé le livre celui qui a trouvé le livre
b. Le livre de Marie celui de Marie
c. Le gâteau au chocolat celui au chocolat
En fait, celui impose au GP qui le modifie d’être d’un certain type. Il y a
une dépendance dans ce cas alors qu’il n’y en a pas entre un GN de type
(Art + N) et le GP qui le modifie.
4 Dépendance
Distinction et terminologie traditionnelles
tête/arguments : la tête détermine en partie la nature et le nombre de ses
arguments. Les arguments ne sont pas arguments en eux-mêmes, mais ar-
guments d’une tête (« être argument » est une propriété relationnelle).
Argument/ajout (ou circonstant) : les ajouts ne sont pas déterminés par la
tête mais s’ajoutent plus ou moins librement à une structure tête + argu-
ment(s).
J’ai vu Marie dans le jardin = GN-sujet = J’ + (GV = (GV = (tête = ai vu) +
(complément = Marie)) + (ajout = dans le jardin)).
Idée intuitive : les ajouts sont facultatifs les arguments obligatoires.
Fonctions sémantiques corrélées à ces distinctions
Tête = prédicat, arguments = termes, ajouts = modifieurs.
Arguments/ajouts
1. Pas de corrélation entre catégorie syntaxique et statut p/r à la dépen-
dance. Exemples (van Valin 2001) :
– lakhota (sioux) ; normalement les N n’ont pas de marque de nombre ;
–pi étant le suffixe du pluriel on a (7), où ‘homme’ est un argument (de
fonction sujet).
(7) (homme le ces)
ces hommes
chanter–pi
chantent
Mais les N peuvent fonctionner comme prédicats et, dans ce cas, ils prennent
–pi. Inversement, les verbes peuvent fonctionner comme arguments.
7
(8) a. (homme le ces)
ces hommes
sont
sioux–pi
des sioux
b. (pleurer le ces)
ceux qui pleurent
sont
homme–pi
des hommes
– en nootka (île de Vancouver, Colombie britannique), les prépositions
peuvent fonctionner comme arguments.
(9) à–3sg/prés
en relation avec
(il est)
homme–le
l’homme
« Il est en relation avec l’homme »
2. Analyse de (Bonami 1999) pour la distinction complément/ajout.
a. Il existe des positions dans lesquelles seuls les ajouts sont possibles. Par
exemple entre GN sujet et V fini3.
(10) a. Jean, avec adresse, contourné l’obstacle
b. Jean l’obstacle a contourné
c. Jean à la folie a aimé ce morceau de musique
Mais ces positions ne caractérisent pas les ajouts : certains ajouts ne sont
pas possible avant le V fini (10c).
b. Même remarque pour la portée variable. Seuls les ajouts ont portée va-
riable mais ce n’est pas le cas pour tous les ajouts.
(11) a. Jean pose souvent une question dans les conférences
b. Souvent, Jean formule sèchement son désaccord
c. Jean formule souvent sèchement son désaccord
Portée variable dans (11a) : « il y a une question que Jean pose souvent
dans les conférences » (une question a une portée plus large que souvent);
« il existe une même question que Jean pose souvent dans les conférences
», ou « souvent Jean pose une question dans les conférences » (souvent a
une portée plus large que une question).
Pour (11b,c), souvent a la portée la plus large. Sèchement ne peut pas faire
varier sa portée.
3Un verbe est fini ou à un temps fini lorsqu’il a des propriétés d’accord. En français, fini
= non infinitif.
8
Remarque : même cette généralisation très solide n’est pas sans problème.
Dans (12a,b), une remise en cause + GP est un complément (on ne peut pas
le supprimer sans changer le sens du verbe4), mais il a une portée variable.
(12) a. Est–ce que vous craignez une remise en cause en particulier ?
b. Est-ce que vous craignez une remise en cause de votre théorie ?
(12a) = « est–ce qu’il y a une remise en cause particulière que vous crai-
gnez ? » (portée large), (12b) = « est-ce que vous craignez qu’il y ait une
remise en cause de votre théorie » (portée étroite).
c. Le test en le faire. Observation de base : le faire est compatible avec un
ajout mais pas avec un complément de ce à quoi il réfère.
(13) a. Jean a résolu le problème en deux heures alors que Marie l’a
fait en une demi–heure
b. Jean compte sur sa mémoire et Marie le fait sur son esprit de
déduction
Le faire ne reprend pas forcément un constituant. La relation est fondée sur
le sens.
(14) Jean a battu les blancs en neige puis les a fait durcir dans de l’eau
bouillante, Marie l’a fait aussi, mais ça n’a pas marché (ex. de Bo-
nami)
La théorie X-barre
Proposée par Jackendoff (1977), elle consiste à distinguer la tête (qui donne
son étiquette principale au constituant) et des niveaux de projection5, indi-
qués par des « barres » : X (le tête lexicale = le mot), X un niveau au dessus,
X encore un niveau au dessus. En général, on utilise X, X’ et X” avec les
conventions suivantes :
X = tête lexicale, X’ = tout ce qui est entre la tête et la projection dite « maxi-
male », c’est–à–dire celle à laquelle on ne peut rien ajouter sans changer la
catégorie, X” = la projection maximale.
4Il s’agit alors du verbe craindre employé absolument comme dans Jean craint,ça craint,
etc.
5Une projection d’un constituant de catégorie X est tout syntagme dont ce constituant
constitue la tête. Exemple : un GN est la projection (maximale) d’un N.
9
(15) Un exemple non–problématique de structure X–barre
N”
Art
le
N’
Adj
gros
N
chien
Problème des ajouts. Les ajouts interviennent dans la zone inter-
médiaire X’ et se combinent avec la tête ou avec un constituant de
niveau X’. D’où l’idée de les déclarer comme possibles dans cette
zone, mais ils entrent alors « en compétition » avec les complé-
ments. Un schéma couramment utilisé est :
(16) Ajouts et compléments en structure X–barre
X’
(Mod)
...
X’
(Compléments)
...
X
...
Références
Bonami, Olivier (1999). Les constructions du verbe : le cas des GP argumentaux. Thèse
de doctorat, Paris 7.
Gross, Maurice (1975). Méthodes en syntaxe. Paris, Hermann.
Harris, Zellig S. (1951). Structural Linguistics. Chicago, The University of Chicago
Press.
Harris, Zellig S. (1982). A Grammar of English on Mathematical Principles. New York,
John Wiley & Sons.
Jackendoff, Ray (1977). X–Bar Syntax. Cambridge, MIT Press.
van Valin, Robert D. (2001). An Introduction to Syntax. Cambridge, Cambridge
University Press.
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