Gravé dans la pierre En mars 1955, j’avais la chance d’intégrer la S.O.G.E.R.M.A. Par la petite porte, en attente, comme gardien. Dix ans venaient de s’écouler depuis la reddition sans condition de l’Allemagne nazie. De nombreuses cicatrices restaient apparentes. Des bâtiments touchés par les bombardements des Alliés dressaient encore leurs murs squelettiques. Ils resteront là de nombreuses années. Dans la période 1940 à 1944, le terrain d’aviation de Mérignac ainsi que l’usine S.N.C.A.S.O. furent l’objet de nombreuses attaques. Les premiers raids eurent lieu la nuit avec, au départ, des équipages britanniques. Dans la nuit du 22 au 23 novembre 1940, 32 bombardiers lâchaient 10 tonnes de bombes. Dans la nuit du 4 au 5 février 1941, 30 tonnes, dans celle du 10 au 11 avril 1941, plus de 10 tonnes. Des dégâts étaient enregistrés. Et puis vinrent les américains. Les attaques se déroulaient en pleine journée. Le 24 août 1943, entre 11 h 57 et 12 h 00, 85 B-17 Flying Fortress laissaient tomber 567 bombes pour un total de 141 tonnes. Le 5 janvier 1944, 117 bombardiers B-17 G Flying Fortress intervenaient en deux vagues ; l’une entre 10 h 17 à 11 h 16, l’autre de 13 h 23 à 14 h 00. A 10 h 50 plusieurs dizaines de bombes éclatent sur l’aérodrome de Mérignac ainsi que sur la S.N.C.A.S.O. On enregistre des tués et des blessés. Le lundi 27 mars suivant, à 11 h 30, 123 B-17 se présentaient, à 6.500 mètres d’altitude, et se délestaient de 300 tonnes de bombes. De sérieux dégâts étaient enregistrés sur le terrain mais aussi à Pichey, Capeyron, au Grand Louis ainsi qu’au camp de Beaudésert. Jusqu’au 19 juin où, entre 09 h 09 et 10 h 15, 84 bombardiers lâchaient 152 tonnes de bombes. Ces derniers bombardements ayant été effectués en plein jour, aux heures de travail, il était donc inévitable que soient enregistrées des victimes parmi le personnel S.N.C.A.S.O. Apparemment 11 personnes ont péri sous les bombes. Donc, arrivé en mars 1955, j’eus à connaître rapidement les lieux, les responsables, les patrons. Il y avait là des jeunes mais aussi des vieux ayant connu l’aéronautique d’avant la guerre puis celle de l’occupation, de la Collaboration. D’une façon générale, nul ne semblait guère disposé à parler du passé, de cette occupation allemande qui avait conduit l’ensemble de l’usine et de ses salariés à œuvrer pour la machine de guerre nazie. Certains avaient été appelés pour le S.T.O, quelques uns s’étaient déclarés « réfractaires ». Des Résistants, on connaissait ceux qui avaient eu la chance de survivre au camp de concentration. Il y en avait trois en particulier Albert Piquet, Roger Virepointoux, membres de l’Armée Volontaire et Emile Soulu, Résistant dans les Landes, tous les trois rescapés de Neuengamme. Et si l’on parlait du pilote d’essai, Maurice Bellecroix, c’était pour s’esclaffer de ses caprices et non pas pour rappeler son action de Résistant au sein du réseau « Hunter ». Petit à petit, je découvrais l’un, qui avait été interprète mais ne souhaitait pas en parler, des difficultés que d’autres semblaient avoir eu à la Libération, la présence d’un ex milicien dans l’atelier et même celle d’un neveu du commissaire Poinsot dans nos murs. On entendait parler de l’usine de Saint-Astier sans que soit rappelé le drame qui s’était joué en ces lieux et que je ne connus que plus tard. De plus, je débutais en pleine guerre d’Algérie, l’usine travaillait au maximum pour réviser et remettre en état des avions de chasse T-6, achetés aux Américains, pour équiper l’Armée de l’Air dans la chasse aux fellaghas ; la Résistance était tant soit peu oubliée, volontairement ou non. Elle fut pourtant présente au sein des quatre établissements de S.N.C.A.S.O. du département que ce soit à l’usine de Bacalan, celle de Bègles, celle de Mérignac ou, encore, celle de Saint-Astier. Au total, 42 ouvriers de la S.N.C.A.S.O., la plupart syndicalistes et communistes, furent arrêtés, en majorité en juillet 1942 par la brigade Poinsot pour leurs activités au sein des F.T.P. Ils furent fusillés, pour le plus grand nombre, au camp de Souge, à Martignas, à l’exception d’un fusillé à La Braconne et de deux autres dont on ne connait ni le lieu ni la date d’exécution. Cet état de fait nous est connu par le monument aux morts qui, d’abord implanté dans l’usine de Bacalan, devait trouver sa place, à Mérignac, devant la porte principale de l’usine, sous les fenêtres de la direction. Là, pendant 19 ans, à la veille du XI novembre, avec l’ensemble du personnel, j’assistais au dépôt d’une gerbe directoriale suivi d’une minute de silence, avant de filer au restaurant d’entreprise. C’était là, en fait, un point de rassemblement d’une dizaine de minutes n’appelant aucune prise de parole apologétique ou mémorielle. Ce monument aurait toutefois mérité plus d’attention. Construit pour laisser une marque dans le futur, il se devait d’être sans tâches pour pérenniser la mémoire de valeureux combattants de l’ombre ou de malheureuses victimes de l’occupant. Or, des erreurs peuvent aujourd’hui se relever. Par exemple, pour le personnel de Saint-Astier : certains otages de la S.N.C.A.S.O. ne figurent pas sur le monument remplacés par de simples agriculteurs de la commune qui n’ont rien à voir avec l’aéronautique. Vers qui s’inclinent les drapeaux ? Pour qui dépose-t-on ces gerbes ? Des cinq Personnes réputées mortes au combat, une seule est bien connue : Pierre Trébod, pilote de chasse abattu le 3 juin 1940. A ma connaissance, aucune information pour les quatre autres. De même, treize personnes, données comme déportées, n’apparaissent pas dans le Mémorial de la Déportation, livre faisant l’inventaire de l’ensemble des déportés par répression, pour fait de Résistance. Cela veut dire que l’on courre le risque de rendre les honneurs à un ou des individus indésirables dont la présence, d’autre part, tendrait à fragiliser la valeur d’un monument qu’il est quasiment impossible de rectifier aujourd’hui. Comme gravé dans du marbre ! Est-ce ainsi que s’écrit l’Histoire ? Bibliographie : Bordeaux – Les bombardements, Peter Krause, Editions C.M.D, 1999 « Les fusillés de Souge », Comité de Souge. Mémorial de la Déportation, F.M.D.,Paris , 4 volumes. Saint-Astier son histoire et sa préhistoire, Paul Serge Avrilleau et Anne-Josette Coste, en cours d’édition Courrier avec Aéroclub « Pierre Trébod », aéroclub fondé Saint l’Ecole (78), près de Versailles, par Sud Aviation