Kératites amibiennes : rôles du pharmacien d

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Synthèse
J Pharm Clin 2011 ; 30 (3) : 129-35
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Kératites amibiennes :
rôles du pharmacien d’officine
et du pharmacien hospitalier
dans la prévention et le traitement
Acanthamoeba keratitis: involvement in prevention and
treatment for pharmacist in primary care and hospital pharmacy
Marie-Laure Brandely-Piat 1 , Cécile Cadot 1 , Jean-Louis Bourges 2 , François Chast 1
1 Service de pharmacie-pharmacologie-toxicologie, APHP Hôtel-Dieu, Paris
<[email protected]>
2 Université Paris Descartes, Faculté de médecine, Service d’ophtalmologie, APHP Hôtel-Dieu, Paris
Résumé. La kératite amibienne stromale est une affection rare mais grave qui peut entraîner des séquelles visuelles
irréversibles. Son incidence a augmenté régulièrement depuis 1970 parallèlement au nombre croissant de porteurs
de lentilles de contact. L’infection est liée à un mauvais entretien ou une utilisation inappropriée des lentilles de
contact. De symptomatologie peu spécifique, le diagnostic est souvent posé tardivement retardant d’autant la mise
sous traitement. La prise en charge repose sur l’association d’au moins deux collyres amoebicides. Parmi ceux-ci,
peu sont commercialisés en France nécessitant le recours à la procédure d’obtention par ATU nominative ou la
réalisation de préparations magistrales ou hospitalières par les PUI. C’est dans ce cadre qu’interviennent les pharmaciens. Le pharmacien d’officine a un rôle de conseil vis-à-vis des porteurs de lentilles de contact et d’orientation des
patients se présentant pour un problème oculaire. Le pharmacien hospitalier doit vérifier l’adéquation de la prescription à la pathologie et fournir au patient les traitements qui ont un statut particulier. Officinaux et hospitaliers
ont enfin un rôle important à jouer dans l’observance du traitement.
Mots clés : kératite amibienne, prévention, traitement, observance
Abstract. Acanthamoeba stromal keratitis is a rare but severe disease which can lead to permanent visual impairment. Since the 70’s, its incidence has continuously increased, proportionally to the growing popularity of contact
lens wear. Infections are mainly generated by infringement to hygiene’s basic rules or inappropriate contact lens
use. The wide range of clinical presentation contributes delaying the diagnostic and the subsequent treatment.
Two synergic anti-amoebic eye-drops should be associated to treat such a condition. Few are commercially available in France. Others are either subjected to import procedure or should be prepared by the hospital pharmacy.
Pharmacists take part of the process at that time point. Primary care pharmacists have a unique opportunity to
deliver critical advice to contact lens wearers and to send patients having ocular symptoms to the appropriate care
unit. The hospital pharmacist should control adequacy between prescription and disease, making drugs available
under specific legal status. Eventually, both primary care and hospital pharmacists demonstrate a leading role in
patient’s observance to drug regimens.
Key words: Acanthamoeba keratitis, prevention, treatment, compliance
Tirés à part : M.-L. Brandely-Piat
Pour citer cet article : Brandely-Piat ML, Cadot C, Bourges JL, Chast F. Kératites amibiennes : rôles du pharmacien d’officine et du pharmacien hospitalier
dans la prévention et le traitement. J Pharm Clin 2011 ; 30(3) : 129-35 doi:10.1684/jpc.2011.0179
129
M.-L. Brandely-Piat, et al.
L
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a kératite amibienne est une affection oculaire grave
qui touche principalement des sujets jeunes, en
majorité porteurs de lentilles de contact. Le diagnostic est souvent posé tardivement et le traitement nécessite
plusieurs mois. Une bonne information des patients est
indispensable pour prévenir ce type d’infection mais également pour le suivi du traitement lorsque les patients sont
atteints. Elle repose sur une collaboration efficace et coordonnée des professionnels de santé. Dans ce domaine
particulier, les pharmaciens en officine comme à l’hôpital
ont un rôle essentiel à jouer.
Les amibes
La kératite amibienne est due à l’infestation de la cornée
par un protozoaire du genre Acanthamoeba. Plusieurs
espèces peuvent être à l’origine d’atteintes oculaires :
A. polyphage, A. hatchetti, A. culbertsoni, A. rhysodes,
A. lugdunensis, A. quina et A. griffini [1]. Ces amibes sont
présentes dans l’air, le sol, l’eau de mer, l’eau courante et
celle des piscines [2]. Les Acanthamoebas se divisent par
fission binaire et se déplacent à l’aide de pseudopodes.
Ils se présentent sous deux formes :
– le throphozoïte qui constitue la forme végétative responsable des lésions cornéennes, capables de se déplacer,
de se diviser et de se nourrir, l’amibe ne reste pas plus de
24 heures sous cette forme [3] ;
– le kyste (figure 1) forme de résistance du microorganisme capable de persister plusieurs mois à des
températures ou des pH extrêmes dans l’environnement
ou dans les tissus [4]. Cette forme quiescente ne se nourrit
pas, ne bouge pas et résiste au chlore et aux décontaminants habituels. Ces particularités illustrent la difficulté de
traiter cette infection et de réussir à éradiquer les kystes.
Contamination et symptômes
L’infestation oculaire fait suite à un microtraumatisme cornéen dû dans la plupart des cas au port de lentilles de
contact [5].
La contamination du porteur de lentille peut se faire :
– par une lentille directement contaminée ;
– par l’intermédiaire d’un étui infecté après un contact
avec l’eau qui contamine in fine la lentille lors du temps
de trempage ;
– par un contact entre la lentille (ou l’étui) et l’eau, lors
de baignades, de douches ou du nettoyage de la lentille
à l’eau du robinet.
De plus, les amibes se développent plus facilement
dans un étui sale en présence de bactéries ou de champignons dont elles se nourrissent [3].
La kératite amibienne peut aussi survenir suite à un
traumatisme oculaire avec contact d’un élément végétal
ou tellurique souillé.
La présentation clinique est très variable, mimant la
symptomatologie d’autres affections, ce qui explique le
diagnostic souvent tardif, parfois seulement au bout de
plusieurs mois. Les symptômes associent de façon typique
mais inconstante une baisse de l’acuité visuelle, une
douleur oculaire extrêmement forte, une photophobie,
un blépharospasme (contraction spasmodique des paupières), mais parfois uniquement une sensation de corps
étranger [6].
L’évolution d’une kératite épithéliale cornéenne
simple peut se faire vers une kératite stromale profonde
puis vers la perforation cornéenne, imposant alors une
kératoplastie à chaud. À ce stade, il faut redouter et
prévenir tant que possible une panophtalmie voire une
extension neuro-encéphalique catastrophique. Dans tous
les cas compte tenu de la longueur du traitement, de la
persistance de douleurs oculaires et de l’évolution engageant le pronostic visuel autant qu’esthétique, l’apparition
d’un syndrome dépressif est fréquente et doit être pris en
charge [7].
Enfin, plus le traitement est précoce, meilleures sont
les chances de récupération visuelle. En cas de séquelles
cicatricielles cornéennes gênant la vision (figure 2), une
greffe de cornée (kératoplastie transfixiante) peut être
pratiquée pour restaurer une transparence cornéenne
fonctionnelle.
Épidémiologie
Figure 1. Kystes amibiens en microscopie.
130
Cette pathologie est d’apparition relativement récente
puisque les premiers cas ont été décrits en 1974 aux ÉtatsUnis [8]. Depuis ce nombre est en progression constante
lié à l’augmentation régulière des porteurs de lentilles de
contact [1]. Elle reste heureusement une pathologie rare
avec 1 cas pour 30 000 porteurs de lentilles de contact.
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Kératites amibiennes
d’infection car jusqu’à 8 % des étuis des porteurs de lentilles peuvent être contaminés par des amibes libres sans
atteinte clinique cornéenne. Les résultats doivent donc
être interprétés en fonction de l’aspect clinique [1, 2].
De nouvelles techniques devant permettre un diagnostic in vivo (la microscopie confocale et la PCR) peuvent
en théorie être utilisées mais elles restent inconstamment
disponibles et coûteuses [1, 10].
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Traitement
Figure 2. Exemple de kératite amibienne.
En France, une enquête menée par l’Afssaps en 2006
[9] sur les kératites graves chez les porteurs de lentilles
de contact a montré que ces pathologies touchent des
sujets jeunes : la plupart des patients avaient 35 ans et
plus, avec 32 % de patients entre 15 et 24 ans dans le
cas des porteurs de lentilles de contact. Parmi les 1 485
cas recensés de kératites graves, 6 % avaient une origine
amibienne.
Diagnostic
Le diagnostic clinique est difficile, car peu spécifique. Il
peut être évoqué dans le cas d’une kératite évoluant sous
un traitement antibactérien et/ou antifongique.
Quelques signes sont néanmoins évocateurs d’une
kératite amibienne : une douleur plus marquée que ne
le suggérerait a priori l’examen biomicroscopique, une
visualisation anormalement évidente du réseau nerveux
cornéen à l’examen biomicroscopique : c’est la kératonévrite radiaire liée au tropisme nerveux du parasite [2, 7] et
la présence d’un anneau cornéen œdémateux qui correspond à une réaction immunitaire antiparasitaire de
la cornée [7]. Très souvent, il existe un aspect dendritique qui pourrait mimer une kératite herpétique dans les
formes débutantes [2]. Les formes évoluées, quant à elles,
présentent un aspect sémiologique proche des kératites
fongiques [1].
Un prélèvement cornéen confirme le diagnostic : il
s’effectue à l’aide d’un vaccinostyle stérile et doit être
effectué très soigneusement en grattant assez profondément en périphérie des lésions. En effet, les amibes sont
souvent localisées en profondeur dans le stroma c’est-àdire au niveau de la couche interne de la cornée, sous
l’épithélium. Ce prélèvement doit être associé à la mise
en culture des lentilles et/ou de leur étui sachant que
la présence d’amibes à ce niveau n’est pas synonyme
J Pharm Clin, vol. 30 n◦ 3, septembre 2011
Le traitement repose sur l’association d’au moins deux
molécules ayant des propriétés anti-amibiennes. L’objectif
est d’avoir une action à la fois sur les kystes et sur les trophozoïtes. Actuellement trois familles de molécules sont
utilisées dans la prise en charge des kératites amibiennes :
les biguanides, les dérivés diamidines aromatiques et
les antibiotiques/antifongiques possédant des propriétés
amœbicides.
Le tableau 1 détaille les molécules présentes dans chacune de ces classes.
La chlorhexidine et le PHMB sont les deux molécules
possédant la meilleure activité kysticide [11].
Le traitement comprend au moins une association
locale de collyres antiamibiens de deux molécules de
famille différente dans l’hypothèse d’obtenir un effet
amœbicide synergique et d’éviter l’apparition de résistance [12]. En effet, dans le cas du Brolène® on estime
qu’en Grande-Bretagne, 50 % des souches amibiennes
isolées sont résistantes ou de sensibilité diminuée [13].
Le rythme d’administration devra suivre le schéma suivant, par exemple dans le cas de l’association collyre de
PHMB 0,02 % et Brolène® [7] :
– 1 goutte par heure, y compris la nuit les 2 premiers
jours ;
– puis 1 goutte toutes les 2 heures de J4 à J8 (toutes les
4 heures pendant la nuit) ;
– puis 8 fois par jour de J8 à M3 ;
– puis 3 fois par jour de M3 à M6 ;
– puis arrêt progressif entre M6 et M12.
Tableau 1. Classification des molécules utilisées dans le traitement de la kératite
amibienne.
Biguanides
Diamidines
aromatiques
Antibiotiques
amoebicides
Chlorhexidine
PHMB
(polyhexaméthylène
biguanide)
Picloxydine (Vitabact® )
Propamidine (Brolène® )
Hexamidine
(Desomédine® )
Aminoglycosides
Colimycine
Polymyxine B
Rifamycine
Fluoroquinolones
Imidazolés
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Un traitement antibiotique type néomycine ou polymyxine est souvent associé pour limiter le risque d’une
co-infection bactérienne. Ces antibiotiques sont également choisis pour leur activité amœbicide sur les
trophozoïtes qui contribue à renforcer encore l’action du
traitement [12].
L’utilisation locale de corticoïdes est parfois envisagée en cas de phénomènes inflammatoires majeurs ou
de néovascularisations cornéennes actives ou séquellaires
[2].
Enfin, un traitement systémique est également associé
comprenant des antalgiques et éventuellement des antidépresseurs. L’ajout d’agents imidazolés par voie systémique est limité aux cas pour lesquels il existe un risque
de dissémination [2].
n◦ 2007-1428 du 3 octobre 2007) sous réserve d’une autorisation entre les différentes entités administratives.
Dans le cas de la formulation de préparations destinées à l’usage ophtalmique, il faudra s’assurer que le pH
et l’osmolarité sont compatibles avec une administration
oculaire soit respectivement un pH compris entre 4,5 et
11,5 et une osmolarité entre 236 et 446 mOsm/kg. Les
solvants principalement utilisés pour atteindre cet objectif
sont le chlorure de sodium à 0,09 % et le BSS® (Balanced
Salt Solution) (Alcon, France), solution d’électrolytes dont
la composition est proche de celle de l’humeur aqueuse.
Par ailleurs, les collyres doivent répondre aux exigences
de la monographie de la Pharmacopée européenne 7e
édition.
Collyre de PHMB 0,02 %
Principaux médicaments
spécifiquement utilisés
dans la prise en charge
de la kératite amibienne
Spécialités commercialisées
Le collyre de désomédine 0,10 % (Bausch et Lomb,
France) est indiqué dans le traitement des infections
bactériennes de l’œil et de ses annexes à germes sensibles. L’hexamidine di-iséthionate, principe actif de cette
spécialité est un antiseptique cationique présentant des
propriétés tensioactives. Outre son activité antiamibienne,
l’hexamidine est actif sur les bactéries à Gram +.
Le Brolène® 0,10 % collyre (Sanofi-Aventis, Angleterre) est une spécialité anglaise dont le principe actif est
l’iséthionate de propamidine. Elle est disponible dans le
cadre d’une ATU nominative. Indiquée dans le traitement
des infections peu sévères de l’œil et des paupières, en
France, elle est utilisée spécifiquement dans la prise en
charge des kératites amibiennes.
Spécialités non commercialisées,
disponibles sous forme
de préparation magistrale
ou hospitalière
La mise en œuvre de ces préparations stériles doit se
faire dans le respect des Bonnes pratiques de préparation, publiées en 2007 [14], ce qui implique de disposer
des moyens en locaux, équipements de production et
de contrôle et du personnel qualifié. Compte tenu de
ces contraintes, il est également possible d’obtenir ces
préparations dans le cadre d’une convention de soustraitance entre établissements depuis la parution des
textes réglementaires encadrant la possibilité de soustraiter les préparations hospitalières (Décret n◦ 2000-1316
26 décembre 2000) et les préparations magistrales (Décret
132
Le PHMB (polyhexaméthylène biguanide) est un désinfectant qui se caractérise notamment par son activité sur
les amibes. Pour cette raison, cette molécule est largement utilisée dans le traitement des eaux des piscines et
en aquariophilie. Il est également présent dans la composition de plusieurs produits d’entretien des lentilles de
contact. Il est aussi disponible sous forme de Cosmocil®
CQ (Arch Personal Care Products, France) un conservateur utilisé dans l’industrie cosmétique.
En médecine humaine, le PHMB est commercialisé
dans certains pays européens pour le traitement antiseptique des plaies et le rinçage des cavités infectées en
chirurgie. C’est le cas du Lavasept® (B Braun medical,
Suisse), médicament disponible à plusieurs concentrations et du Lavasorb® (Fresenius-Kabi, Allemagne) qui a
un statut de dispositif médical. Plus récemment, des pansements imprégnés de PHMB sont désormais proposés
dans la prise en charge des plaies infectées (Kerlix® , Covidien, France). Enfin, la matière première sous forme de
poudre est proposée par certains fournisseurs de matières
premières pharmaceutiques comme la société Inresa
(Bartenheim, France).
Le pharmacien se trouve face à plusieurs sources
potentielles d’approvisionnement. L’achat d’une matière
première pharmaceutique ou l’importation d’un médicament se présentant sous une forme stérile sont les
solutions les plus conformes à la réglementation. Dans ce
dernier cas, il est toutefois nécessaire de disposer d’une
autorisation d’importation délivrée par l’Afssaps.
La concentration de 0,02 % est celle couramment
décrite dans la littérature [1, 2, 15].
Collyre de chlorhexidine 0,02 %
ou 0,05 %
La chlorhexidine est un antiseptique largement utilisé en pharmacie en solution aqueuse ou alcoolique
pour l’antisepsie des tissus ou comme conservateur de
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nombreuses solutions notamment ophtalmiques. Disponibles sous de nombreuses formes et à différentes
concentrations, les formes aqueuses stériles sont plus particulièrement adaptées à la réalisation d’une préparation
de collyre.
Selon les pharmacies hospitalières, plusieurs concentrations sont préparées : 0,02 ou 0,05 %. Néanmoins, la
concentration de 0,05 % préparée en Suisse (service de
pharmacie, Hôpitaux universitaires de Genève) est plus
spécifiquement utilisée dans la prévention des accidents
d’exposition au sang en cas de projection de sang dans
les yeux et donc destinée au personnel soignant. Pour
le traitement des kératites amibiennes, les publications
[1, 2, 15] décrivent l’utilisation de collyre dosé à 0,02 %.
Ce choix est confirmé par la notion que si la peau supporte aisément des concentrations de 1 %, les muqueuses
ou séreuses sont souvent irritées dès que la concentration
dépasse les 0,02 % [16].
Enfin, il faut souligner que le PHMB et la chlorhexidine sont présentés comme contre-indiqués pour
la voie oculaire (RCP du Lavasept® , RCP chlorhexidine
aqueuse stérile Gilbert® 0,05 % pour application locale).
Néanmoins, dans ce cas précis d’atteinte oculaire où le
pronostic visuel est engagé, la balance bénéfice-risque est
en faveur de leur utilisation à des concentrations adaptées
pour limiter le risque d’irritation oculaire.
Rôles du pharmacien d’officine
et du pharmacien hospitalier
Prévention et conseil
Le pharmacien d’officine a un rôle important d’éducation
des porteurs aux conditions de manipulation des lentilles
ainsi que d’utilisation des produits de nettoyage des lentilles [17].
Les principes importants à rappeler aux utilisateurs
sont les suivants :
– respecter la durée de port et d’utilisation des lentilles ;
– bien se laver les mains et les sécher avant toute manipulation des lentilles ;
– utiliser un oxydant pour nettoyer les lentilles souples ;
– nettoyer régulièrement le boîtier des lentilles avec le
liquide de conservation, l’essuyer et le laisser sécher
ouvert ; le changer fréquemment et au moins chaque
mois ;
– ne pas mettre de lentilles sous une douche, dans les
piscines ou en eau douce (jacuzzi, lac. . .) ; si le port est
inévitable bien que fortement déconseillé, privilégier les
lentilles journalières et les jeter rapidement après être sorti
de l’eau ;
– ne jamais nettoyer les lentilles avec autre chose que le
liquide prévu à cet effet ;
J Pharm Clin, vol. 30 n◦ 3, septembre 2011
– en cas de gêne ou de douleur (même augmentant au
dépôt des lentilles), ôter les lentilles et consulter un ophtalmologiste en urgence en apportant ses lentilles, son
boîtier et son liquide de conservation ;
– toujours posséder une paire de lunettes correctrices
adaptées en complément des lentilles.
En cas de plaintes oculaires, le pharmacien a pour
premier objectif d’éliminer une urgence ophtalmique.
Les signes suivants doivent inciter à recommander une
consultation immédiate chez l’ophtalmologiste ou aux
urgences hospitalières : baisse de l’acuité visuelle, œil
dur et douloureux, photophobie, impression d’éclairs
lumineux et/ou de voile noir, ou plaie, corps étranger,
brûlure ou traumatisme oculaire. Si le patient est porteur de lentilles, il faut lui conseiller de les retirer. S’il
est déjà sous traitement ophtalmique notamment antibiotique, sans amélioration après 48 à 72 heures avec
une bonne observance, une kératite amibienne doit être
suspectée et donc le patient doit être incité à revoir immédiatement son ophtalmologiste.
Validation pharmaceutique
de la prescription,
médicaments à statut particulier
Le pharmacien hospitalier intervient au moment de la
validation pharmaceutique de la prescription médicale en
cas de suspicion de kératite amibienne ou de diagnostic
avéré. L’analyse de la prescription repose sur la vérification de l’association de deux principes actifs amoebicides
de deux familles différentes. Il va ensuite devoir s’assurer
de la disponibilité des médicaments non commercialisés
en France pour la voie ophtalmique : spécialité en ATU
(Brolène® ), préparations de collyre de PHMB 0,02 % ou
de chlorhexidine 0,02 %. Dans ce dernier cas, le pharmacien va soit réaliser la préparation s’il dispose des moyens
adéquats ou s’adresser à une pharmacie hospitalière spécialisée dans ce domaine dans le cadre d’une convention
de sous-traitance.
Dispensation
Les patients sont le plus souvent traités en ambulatoire, le
traitement prescrit associant des médicaments agréés aux
collectivités à des médicaments disponibles uniquement
en milieu hospitalier, la dispensation du traitement sera
effectuée pour partie par le pharmacien d’officine et par
le pharmacien hospitalier en deux temps distincts.
Dans le cadre de la dispensation en milieu hospitalier,
le pharmacien doit expliquer le traitement au patient car
celui-ci trouvera souvent peu d’informations sur les conditionnements. Le Brolène® , puisque commercialisé en
Angleterre comprend une notice et un conditionnement
rédigés en anglais. Pour les préparations, les informations portées sur le conditionnement vont être variables
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d’une PUI productrice à une autre. Cette hétérogénéité est
source d’inquiétudes pour le patient et potentiellement de
mauvaise observance. Dans le cas de la PUI de l’HôtelDieu (figure 3), le collyre est conditionné dans un boitage
pré-imprimé comportant une notice d’information qui va
permettre au patient de disposer des recommandations
de bon usage, du schéma d’administration et des coordonnées complètes de la PUI. Enfin, le pharmacien doit
préciser les modalités spécifiques de renouvellement des
traitements.
Le pharmacien officinal réexplique à cette occasion
l’importance de l’observance, le schéma d’administration
étant extrêmement contraignant pour le patient surtout les
premiers jours.
Dans tous les cas, les modalités de bon usage des
collyres doivent être rappelées au patient. En effet,
une bonne méthode d’instillation des collyres favorise
l’efficacité du traitement et limite le risque d’effets indésirables systémiques.
Les principes du bon usage des collyres sont les suivants :
– se laver soigneusement les mains ;
– instiller le collyre dans le cul-de-sac conjonctival de l’œil
en tirant doucement la paupière inférieure vers le bas ;
– éviter de toucher l’œil ou la paupière avec l’embout du
flacon ;
– fermer doucement les yeux pour répartir le collyre ;
– appuyer pendant environ 1 minute sur le coin interne
de l’œil pour limiter le passage systémique par le canal
lacrymal ;
– bien fermer le bouchon après utilisation ;
– respecter un délai d’environ 15 minutes avant l’instillation d’un autre collyre (en cas de co-administration d’un
collyre et d’une pommade ophtalmique, instiller d’abord
le collyre puis la pommade) ;
– respecter la période de conservation après ouverture
du flacon (noter sur l’emballage ou le flacon la date de la
première utilisation) ;
– respecter les conditions de conservation (t◦ ambiante
ou réfrigérateur) ;
– ne jamais prêter son collyre (risque de contamination).
Conclusion
La kératite amibienne est une pathologie rare difficile
à diagnostiquer. Or c’est une affection grave qui met
en jeu le pronostic visuel fonctionnel, esthétique et de
confort. Le traitement est long, de trois à six mois et particulièrement contraignant. La récupération visuelle est
directement liée à la précocité et à l’efficacité du traitement. La mobilisation de l’ensemble des professionnels
de santé et particulièrement des pharmaciens est essentielle pour un meilleur dépistage et une optimisation de
la prise en charge. Le pharmacien d’officine a un rôle
d’éducation des porteurs de lentilles de contact, de dépistage et de conseils aux patients se présentant avec des
symptômes oculaires. Le pharmacien hospitalier intervient
lors de la validation pharmaceutique de la prescription
et de l’obtention de spécialités non commercialisées :
importation de médicaments et préparation de formes
ophtalmiques adaptées. Tous les deux vont contribuer
par leurs conseils aux patients lors de la dispensation à
une bonne observance du traitement. Ainsi pharmacien
d’officine et pharmacien hospitalier sont synergiques pour
une prise en charge optimale du patient atteint de kératite
amibienne.
Conflits d’intérêts : aucun.
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