Bref, la construction transitive (sortir la voiture) implique le trait de manipulation
directe : c’est le référent du sujet lui-même qui fait l’action. En revanche, la construction
factitive (faire sortir la voiture) est non marquée pour ce trait : elle peut l’impliquer ou ne pas
l’impliquer (manipulation ± directe). Le fait de savoir par qui le procès a été réalisé - par
l’agent lui-même ou par un deuxième agent (causataire) – est sans grande importance : à la
limite on ne s’y intéresse pas. Le contexte peut fournir ou ne pas fournir d’indices à cet égard.
Il s’ensuit que les notions de manipulation (ou causation) directe / indirecte, que l’on trouve
chez de nombreux auteurs15, s’avèrent nécessaires pour expliquer ces cas de concurrence et
les nuances de sens qu’ils véhiculent.
A cette explication s’ajoutent d’autres facteurs qui influencent l’instabilité de la
valence verbale, à savoir : le degré d’agentivité du sujet (S) et de l’objet (O), le sémantisme de
l’item verbal.
3.2.2. Le degré d’agentivité du S et de l’O
Comme nous l’avons indiqué supra, l’interprétation des cas « exceptionnels » ou
« non conventionnels » nécessite un contexte précis. Lors de la transitivation de verbes au
départ intransitifs, il s’agit de prendre en compte le degré d’agentivité du sujet et de l’objet et,
aussi, la sélection sémantique de l’item verbal. Ruwet (1972, p. 148) formule quelques règles
d’interprétation sémantique des rapports syntaxiques, établis par la construction causative
synthétique:
a) le sujet est toujours interprété comme l’agent de l’action exprimé par le verbe, l’objet, lui,
ne pouvant jamais être interprété comme un « agent » du procès.
b) le verbe est un verbe de mouvement ou de changement d’état et non pas un statif.
Si ces conditions sont remplies, on a, selon l’auteur, une manipulation (action) directe du
référent du sujet sur le référent de l’objet. Ces restrictions de sélection nous semblent toutes
valables, mais elles méritent d’être nuancées16, car la réalité linguistique est toujours plus
complexe que les règles qu’on essaie de formuler à son sujet.
Il est clair que lorsque le tenancier sort l’ivrogne du bar, lorsqu’on descend un homme
menotté d’une voiture ou l’on couche son enfant, le sujet du verbe intransitif, dégradé en
fonction d’objet, a une faible capacité agentive par rapport au nouvel actant, sujet de la
construction synthétique transitive. De même lorsqu’on part les bêtes ou on rentre le cheval,
sans parler de la voiture qui, en tant qu’objet non animé, n’a aucune capacité agentive. En
général, le référent de l’objet ne peut s’opposer, pour une raison ou une autre, à ce que le sujet
agentif lui impose. Ruwet (op. cité, p. 155) indique à juste titre que « la construction transitive
à objet humain est possible, mais il s’y introduit l’idée de coercition , exercée par le sujet sur
l’objet qui n’est pas nécessairement présente dans la factitive complexe correspondante ». Le
degré d’agentivité du sujet est supérieur dans la construction synthétique, ce qui est logique,
vu l’interprétation univoque par la manipulation directe17. Le tableau se complique cependant
car il y a des « sujet inanimés qui se comportent comme des agents » : Le vent a renversé la
15 Cf. Shibatani, Rogiest, Ruwet, Dixon, Creissels.
16 Ruwet lui-même est conscient de la difficulté que posent certains exemples : « Sans doute, il nous manque
encore une théorie appropriée de l’interprétation des phrases déviantes de ce genre, mais on entrevoit la
possibilité de l’harmoniser à la théorie classique » (op. cité, p. 156).
17 Comme l’indique à juste titre M. Larjavaara (2000, p. 173) « il est normal qu’une cause directe soit plus
puissante qu’une cause « potentiellement » indirecte. »