des aphasies primaires progressives : variant sémantique

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MISE AU POINT
Les formes “sémantiques”
des aphasies primaires
progressives : variant
sémantique et démence
sémantique
The semantic types of primary progressive aphasia:
semantic variant and semantic dementia
O. Moreaud*
L’
* CMRR et neuropsychologie, pôle de
psychiatrie et de neurologie, CHU de
Grenoble, et laboratoire de psychologie et de neurocognition, CNRS
UMR 5105.
aphasie primaire progressive (APP) est
un syndrome clinique caractérisé par
la survenue insidieuse et l’aggravation
progressive de troubles du langage de nature
aphasique (1). Ce syndrome est sous-tendu par
des affections neurodégénératives : dans deux
tiers des cas, il s’agit de lésions de dégénérescence
lobaire frontotemporale (DLFT), et dans un tiers
Tableau I. Critères diagnostiques des APP (1).
• Début insidieux et aggravation progressive
– d’un manque du mot ou de troubles de la compréhension
– dans le discours spontané ou dans l’examen formel du langage
• Toutes les limitations des activités de la vie quotidienne doivent être expliquées par le trouble
du langage
– pendant au moins 2 ans
• Langage prémorbide normal
– dyslexie développementale possible
• Absence (les 2 premières années)
– d’apathie, de désinhibition
– d’oubli des événements récents, de troubles visuospatiaux, de déficit de la reconnaissance
visuelle
– de troubles sensorimoteurs
• Possible
– acalculie
– apraxie idéomotrice
• Après 2 ans
– l’aphasie reste au premier plan même si d’autres symptômes apparaissent
– l’aphasie évolue plus vite que les autres déficits
• L’imagerie exclut une cause spécifique
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des cas de lésions de type maladie d’Alzheimer
(MA) [2]. Depuis l’individualisation du syndrome
par M.M. Mesulam et al. en 1982 (3), différentes
formes cliniques ont été décrites. Mais ce n’est
qu’en 2011 que des critères diagnostiques consensuels ont été établis (4). Ces critères formalisent
le diagnostic de l’APP en tant que syndrome, en
reprenant les critères établis par M.M. Mesulam
et al. en 2001 (tableau I). Ils proposent ensuite
de distinguer 3 formes cliniques d’APP :
➤➤ la forme non fluente/agrammatique (APNFA ;
anciennement AP non fluente) ;
➤➤ la forme sémantique (AS) ;
➤➤ la forme logopénique (AL).
La distinction de ces 3 formes a d’abord un intérêt
pratique, puisque les troubles présentés par les
patients sont différents, perturbent des processus
linguistiques différents et donc relèvent d’une
prise en charge orthophonique spécifique. Elle a
ensuite un intérêt théorique, puisque les affections
sous-tendant chaque syndrome semblent différentes : la majorité des APNFA sont secondaires
à une taupathie, alors que les AS sont liées à une
TDP-43pathie et les AL à une MA.
Notre propos se focalisera sur la forme sémantique
d’APP, car son individualisation est récente, et ne
va pas sans poser problème, notamment dans ses
rapports avec le tableau de démence sémantique
(DS) [5, 6].
Points forts
»» Les critères de diagnostic des aphasies primaires progressives ont été actualisés en 2011.
»» Ces critères distinguent un variant sémantique dont la caractéristique principale est un trouble
de la compréhension du mot isolé.
»» Ce variant sémantique constitue un mode de début fréquent de la démence sémantique, avant que le déficit
d’identification visuelle et les troubles sémantiques globaux s’installent.
»» Ces 2 syndromes sont liés à une pathologie neurodégénérative de type TDP-43pathie, et affectent
principalement les lobes temporaux.
»» Une prise en charge orthophonique facilite le maintien des connaissances et de la compréhension
et favorise la communication avec les proches.
Épidémiologie
Sur un plan épidémiologique (7), il s’agit d’affections rares, débutant le plus souvent entre 50 et
70 ans, évoluant sur une douzaine d’années avant
qu’un tableau de démence plus global s’installe.
En France, on estime à une centaine de cas annuels
la prévalence de la DS (dans lesquels on peut inclure
les AS). Il s’agit le plus souvent d’une affection non
familiale. L’examen neurologique est normal, mais
il peut montrer parfois des signes parkinsoniens.
Curieusement, alors que les lésions sont similaires,
l’association à une sclérose latérale amyotrophique
(SLA) est exceptionnelle.
Forme sémantique d’APP
Comme toutes les APP, l’AS doit d’abord répondre
aux critères de l’APP, à savoir que les troubles du
langage sont au premier plan, notamment en début
d’évolution, et expliquent les difficultés rencontrées dans les activités de la vie quotidienne. Ils ne
doivent pas s’accompagner (au moins initialement)
de troubles de la mémoire épisodique, de troubles de
la mémoire visuelle, ni de troubles visuo­perceptifs.
Enfin, ils ne doivent pas être expliqués par une
affection non dégénérative ou un trouble psychiatrique.
Selon les critères de 2011, les symptômes principaux
de l’AS sont le manque du mot et les troubles de
compréhension du mot isolé (tableau II). Le manque
du mot de l’AS a des caractéristiques précises (8).
Il touche essentiellement les noms, les verbes
étant préservés. Lorsque le mot n’est pas évoqué,
les facilitations classiques, par le contexte ou
l’ébauche phonémique, ne permettent pas au patient
de récupérer la forme phonologique recherchée.
Cette forme n’est pas non plus retrouvée en choix
multiple, et, lorsque le mot est proposé au patient, il
n’est pas reconnu. On retrouve un effet de fréquence
significatif, les erreurs portant toujours en majorité
sur les items de basse fréquence. Un autre trait caractéristique est l’absence de variabilité : les déficits sont
constants dans le temps et portent sur les mêmes
items. Les troubles de la compréhension portent sur
les mêmes mots qui ne sont pas dénommés et sont
soumis au même effet de fréquence et à l’absence
de variabilité.
D'après les critères de 2011, ce trouble peut être
isolé, mais il constitue souvent la manifestation
la plus précoce et la plus visible d’un trouble
sémantique plus général, affectant globalement
la reconnaissance des objets et des personnes, ce
qui en fait un mode de début de la DS. Certains
auteurs considèrent même que tous les patients
présentant une AS ont un trouble global de la
mémoire sémantique (9), et, il y a 20 ans déjà,
la prépondérance des troubles du langage dans la
DS était signalée (10). Il a néanmoins été montré,
par une étude de cas détaillée et par le suivi sur
plusieurs années de plusieurs patients, que l’AS
pouvait rester isolée, sans s’accompagner d’un
déficit sémantique généralisé (11). Dans ce cas,
les connaissances présémantiques − évaluées par
une épreuve de décision lexicale ou des épreuves
évaluant les connaissances partielles préphonologiques − sont altérées, alors qu’elles restent
préservées chez les patients atteints de DS, ce qui
suggère que le déficit se situe au niveau du lexique
et non au niveau du système sémantique.
La dysgraphie et la dyslexie de surface, la préservation de la répétition, et l’absence d’agrammatisme
et de troubles moteurs du langage, sont considérées
comme des critères accessoires. La présence en
imagerie d’une atrophie ou d’un hypométabolisme temporal antérieur est un critère en faveur
du diagnostic.
Mots-clés
Aphasie primaire
progressive
Variant sémantique
Démence sémantique
TDP-43
Highlights
»» New criteria for the diagnosis of primary progressive
aphasia (PPA) have been
published in 2011.
»» These criteria propose that a
new form of PPA, the semantic
variant (SPA), is characterized
by an impaired comprehension
of isolated words.
»» The semantic variant is a
frequent mode of onset of
semantic dementia (SD), before
the appearance of visual identification deficit and global
semantic impairment.
»» SPA and SD are the results
of neurodegenerative disorders affecting TDP-43 protein.
Lesions are mainly located in
temporal lobes.
»» Speech therapy facilitates
maintenance of semantic
knowledge and word comprehension, and makes communication with relatives easier.
Keywords
Primary progressive aphasia
Semantic variant
Semantic dementia
TDP-43
Tableau II. Critères de diagnostic de la forme sémantique d’APP (4).
Diagnostic clinique
• Présence des 2 signes suivants
– manque du mot en dénomination sur confrontation visuelle
– troubles de la compréhension du mot isolé
• Associé à au moins 3 des 4 signes suivants
– perte des connaissances sur les objets, particulièrement pour les items de basse fréquence
ou peu familiers
– dyslexie ou dysgraphie de surface
– préservation de la répétition
– préservation de la grammaire et des aspects moteurs du langage
Diagnostic conforté par l’imagerie
Les 2 critères suivants doivent être présents
• Diagnostic clinique positif
• L’imagerie doit montrer au moins 1 des signes suivants
– atrophie prédominant au niveau temporal antérieur en IRM
– hypoperfusion ou hypométabolisme en SPECT ou en TEP prédominant au niveau temporal antérieur
La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - n° 2 - février 2013 | 47
MISE AU POINT
Les formes “sémantiques” des aphasies primaires progressives :
variant sémantique et démence sémantique
Démence sémantique
Le terme de DS a été employé pour la première fois
en 1989 par J.S. Snowden et al. (12) pour décrire des
patients souffrant d’une aphasie fluente associée à
un déficit de mémoire sémantique altérant l’identification des objets et des personnes. Les critères de
diagnostic les plus utilisés sont ceux de D. Neary et al.
(tableau III) [13], qui font de la DS une forme clinique
de DLFT. Ces critères considèrent la DS comme l’association d’une AS, définie par un discours fluent et
vide, la présence de paraphasies sémantiques et d’une
perte du sens des mots, et une agnosie associative,
définie comme un trouble de la reconnaissance de
l’identité des visages familiers ou de la reconnaissance
des objets (non explicable par un trouble perceptif).
Curieusement, ces critères considèrent que le trouble
Tableau III. Critères cliniques pour le diagnostic d’AS et d’agnosie associative (DS) : profil clinique
(13).
Le déficit sémantique (trouble de la compréhension du sens des mots et/ou de l’identité des objets)
est dominant dès le début et tout au long de l’évolution de la maladie. Les autres aspects de la
cognition, y compris la mémoire autobiographique, sont intacts ou relativement bien préservés.
Caractéristiques nécessaires au diagnostic
A. Début insidieux et évolution progressive
B. Trouble du langage caractérisé par
– discours spontané fluent, vide, progressif
– perte du sens des mots, se manifestant en dénomination et en compréhension
– paraphasies sémantiques et/ou
C. Trouble perceptif caractérisé par
– prosopagnosie : trouble de la reconnaissance de l’identité des visages familiers et/ou
– agnosie associative : trouble de la reconnaissance de l’identité des objets
D. Préservation de l’appariement perceptif et du dessin sur copie
E. Préservation de la répétition des mots isolés
F. Préservation de la capacité de lecture à haute voix et de l’écriture sous la dictée des mots réguliers
Caractéristiques en faveur du diagnostic
G. Discours et langage
– discours fluide et difficile à interrompre
– usage inapproprié (“idiosyncrasique”) de certains mots
– absence de paraphasies phonémiques
– dyslexie et dysgraphie de surface
– préservation du calcul
H. Comportement
– perte de sympathie et d’empathie
– préoccupations réduites
– parcimonie
I. Signes physiques
– réflexes primitifs absents ou libérés tardivement
– akinésie, hypertonie et tremblement
J. Explorations complémentaires
– neuropsychologie
• perte sémantique profonde, avec trouble de la compréhension et de la dénomination
des mots et/ou de la reconnaissance des visages et des objets
• préservation de la phonologie et de la syntaxe, des processus perceptifs élémentaires,
des compétences spatiales et de la mémoire au jour le jour
– EEG : normal
– imagerie cérébrale (structurale et/ou fonctionnelle) : prédominance des anomalies temporales
antérieures (symétriques ou asymétriques)
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verbal et le trouble visuel peuvent être dissociés et
survenir indépendamment l’un de l’autre, et font
du trouble de la mémoire sémantique un critère
accessoire, alors que ce devrait finalement être ce
qui définit la DS.
Pour tenter de clarifier ces points, nous avons publié
en 2008, sous l’égide du Groupe de réflexion sur
les évaluations cognitives (GRECO), des critères de
diagnostic en français (encadré) [14]. Ces critères
supposent que la DS est un trouble généralisé des
connaissances sémantiques, perturbant globalement
la reconnaissance des objets et des personnes, quelle
que soit la modalité d’accès (nom, image, bruit,
odeur, etc.), même s’il est fréquent que l’atteinte
verbale soit au premier plan en début d’évolution. Afin de distinguer la DS de l’AS sans trouble
généralisé de la mémoire sémantique, nous avons
distingué des formes typiques (DS) et des formes
atypiques (AS, mais aussi trouble isolé de l’identification visuelle sans atteinte à partir du nom). De
nombreux critères d’exclusion ont été proposés, et
l’imagerie est un des critères du diagnostic.
AS et DS en pratique
Il est assez aisé d’évoquer le diagnostic d’AS et de DS.
Spontanément, les patients se plaignent de difficultés
à trouver les mots et/ou les noms de personnes. Alors
que leur discours est fluent, on constate en les écoutant
que, effectivement, ils cherchent certains mots ou
noms, et ont tendance à commettre des paraphasies
sémantiques. Ils interrompent fréquemment l’interlocuteur parce qu’ils ne comprennent pas un mot (par
exemple, lorsqu’on leur fait passer le Mini-Mental State
Examination [MMSE], ils peuvent ne pas comprendre ce
que signifie le mot “saison”). On va donc leur proposer
une épreuve de dénomination par confrontation
visuelle, qui permet d’authentifier le manque du mot,
qui n’est habituellement pas facilité par le contexte
ou l’ébauche phonémique. De plus, la proposition du
mot en choix multiple peut ne pas aider le patient, qui
peut rester perplexe lorsqu’on lui donnera la bonne
réponse ; il a même parfois l’impression de ne jamais
avoir entendu le mot. Il est préférable d’utiliser des
mots de basse fréquence, comme des noms de fruits
ou d’animaux exotiques, car le manque du mot de
l’AS et de la DS est sensible à l’effet de fréquence (un
patient, par exemple, comprendra et dénommera le
mot “chat” ou “pomme”, mais pas le mot “girafe”
ou “ananas”). Lors de l’épreuve de dénomination,
on pourra aussi observer d’éventuelles difficultés à
identifier l’item proposé (par exemple, une “ancre” ne
MISE AU POINT
sera pas reconnue, le patient disant ne jamais avoir vu
cet objet, ou considérant qu’il s’agit d’une sorte de clé ;
le contexte souvent ne l’aide pas à identifier l’objet).
Lorsque ces difficultés d’identification sur entrée
visuelle sont retrouvées, en association avec le manque
du mot et les troubles de compréhension des mots,
on se situe d’emblée dans le cadre de la DS. Si l’identification visuelle est préservée, on pourra parler d’AS
(ou de DS atypique selon les critères GRECO 2008).
Néanmoins, la confirmation du trouble sémantique et
de l’éventuelle préservation de l’identification visuelle
nécessite l’utilisation de tests longs et standardisés
(comme la batterie BECS-GRECO par exemple) [15].
Pour simplifier, il est donc d’usage d’utiliser préférentiellement le terme de DS.
Il est nécessaire ensuite de s’assurer de l’absence de
troubles associés, car, dans la DS (et l’AS), le trouble
sémantique est isolé. On doit donc vérifier l’absence de
troubles de la mémoire au jour le jour (mais attention :
des troubles dans les tests de mémoire verbale sont
possibles, et peuvent faire, à tort, envisager un déficit
de la mémoire épisodique), l’absence de troubles du
comportement pouvant faire évoquer une démence
frontotemporale (DFT) comportementale, l’absence
de troubles visuoperceptifs et constructifs, et l’absence
de troubles phonologiques et de troubles moteurs du
langage (14). L’autonomie est préservée assez longtemps
dans le courant de l’évolution du syndrome, en dehors
des difficultés générées par les troubles sémantiques.
Si le comportement n’est pas suffisamment altéré
pour parler de DFT comportementale, il est cependant
fréquent d’observer des troubles du comportement
dans le courant de l’évolution d’une DS (encadré). Le
plus frappant de ces troubles est la tendance à l’égocentrisme, qui fait que les patients sont totalement
centrés sur eux-mêmes, incapables de tenir compte
des pensées et des croyances d’autrui. Il est même
parfois totalement impossible de les faire accéder à
la moindre demande venant de leur interlocuteur.
Ils ne semblent capables d’amorcer des comportements que s’ils l’ont décidé par eux-mêmes, sans être
le moins du monde influençables par autrui. Il peut
pour cette raison (en association avec les troubles de
compréhension) devenir difficile de leur proposer des
tests. Ces troubles du comportement peuvent devenir
prépondérants dans l’évolution de la DS et poser de
sérieux problèmes au quotidien.
L’imagerie cérébrale (IRM, SPECT, TEP) retrouve
dans la majorité des cas une atrophie et/ou un
hypo­métabolisme temporal marqués, internes et
externes, prédominant dans les régions antérieures,
et asymétriques. La prédominance gauche est nette
dans les cas d’AS (figure, p. 50).
Encadré. Critères GRECO de démence sémantique (14).
On peut retenir le diagnostic de DS typique chez un patient présentant les critères 1-1 à 1-3
1-1 Désorganisation des connaissances sémantiques
– attestée à la fois
• par un manque du mot pour les objets et/ou les personnes
• par un trouble de la compréhension des mots
• par un déficit de l’identification des objets et/ou des personnes
• comme portant autant que possible sur les mêmes objets et/ou des personnes
– s’installant insidieusement et s’aggravant progressivement
1-2 En l’absence
– de troubles perceptifs, attestée par la normalité
• de la copie de dessins
• des performances dans les tâches perceptives
– de déficit de mémoire au jour le jour (un déficit dans les tests de mémoire n’exclut pas
le diagnostic) et de désorientation temporelle
– de réduction de la fluidité du discours
– d’altération des composantes phonologiques (i.e. arthriques et phonémiques, attestée
par la normalité de la répétition des mots, de la lecture et de l’écriture des mots réguliers)
et syntaxiques du langage
– d’altération du raisonnement non verbal, orientation spatiale, imitation de gestes, capacités
visuospatiales, calcul ; un déficit dans les tâches exécutives n’exclut pas le diagnostic
– d’anomalies de l’examen neurologique
– de perte d’autonomie en dehors de celle générée par les troubles sémantiques
1-3 Avec anomalies temporales habituellement bilatérales et asymétriques à l’imagerie
morphologique (IRM si possible) et/ou fonctionnelle (SPECT)
La DS est atypique s’il existe
2-1 Un déficit unimodal progressif attesté par
– soit un manque du mot pour les objets et/ou les personnes et un trouble de la compréhension
des mêmes mots, sans déficit de l’identification des objets et/ou des personnes (forme
verbale)
– soit un manque du mot pour les objets et/ou les personnes avec déficit de l’identification des
mêmes objets et/ou personnes, sans troubles de la compréhension des mots (forme visuelle)
– si critères 1-2 et 1-3 sont respectés
2-2 La présence au cours de l’évolution d’1 des signes suivants (qui doit rester discret et au second
plan)
– troubles perceptifs
– anomalies de la mémoire au jour le jour
– anomalies de la lecture et de l’écriture des mots réguliers
– altération du raisonnement non verbal, orientation spatiale, imitation de gestes, capacités
visuospatiales, calcul
– anomalies de l’examen neurologique
– perte d’autonomie dépassant celle générée par les troubles sémantiques
– si critères 1-1 et 1-3 sont respectés
Ils sont en faveur du diagnostic de DS, mais non indispensables
• Modifications de la personnalité et du comportement, comme : égocentrisme, idées fixes,
rigidité mentale, diminution du répertoire comportemental, modifications des goûts et
habitudes (par exemple religiosité, changement de goût alimentaire), parcimonie,
perte de la notion de danger
• Présence dans le discours de paraphasies sémantiques
• Réduction de la fluence catégorielle plus marquée que l’atteinte de la fluence formelle
• Dyslexie et dysorthographie de surface
La majorité des DS et des AS sont en rapport avec une
TDP-43pathie. Néanmoins, certaines formes focales
de MA peuvent donner le même syndrome. Il n’est pas
recommandé, à l’heure actuelle, de proposer systématiquement l’utilisation de biomarqueurs (dosage
des dérivés amyloïdes et tau dans le liquide céphalo­
rachidien [LCR], marquage amyloïde en TEP), mais ces
examens deviennent essentiels dans tous les protocoles de recherche. Néanmoins, il peut être intéressant
chez certains patients de préciser le diagnostic lorsqu’il
y a des implications génétiques, par exemple, lorsque
l’imagerie cérébrale est peu contributive, ou lorsque
La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - n° 2 - février 2013 | 49
MISE AU POINT
Les formes “sémantiques” des aphasies primaires progressives :
variant sémantique et démence sémantique
Figure. IRM (T1 coronal) d’une patiente avec aphasie
sémantique. Atrophie temporale gauche antérieure
très sévère, droite discrète.
la clinique est douteuse (par exemple, association à
des troubles de la mémoire épisodique).
Quelques éléments
pour l’accompagnement
Il n’existe aucun traitement symptomatique, ni bien
entendu curatif, de l’AS et de la DS. Il est néanmoins
très important de diagnostiquer et de suivre ces
patients, d’abord parce qu’ils sont souvent demandeurs
d’une amélioration, ensuite parce que les symptômes
qu’ils présentent sont difficiles à comprendre et
à analyser par l’entourage, et qu’ils peuvent être
source de conflits. Un des premiers objectifs de
l’accompagnement est d’expliquer longuement à
l’entourage ce que sont les troubles sémantiques et
en quoi ils perturbent le comportement du patient.
Par exemple, un patient peut refuser de prendre une
douche simplement parce qu’il ne comprend plus ce
que c’est que l’eau qui coule de la douche et que c’est
angoissant pour lui, alors qu’il prendra sans difficulté
un bain. Il pourra accepter de manger des carottes
râpées parce qu’il a l’habitude de le faire et reconnaît
les carottes sous cette forme, mais refuser les carottes
cuites qu'il ne reconnaît pas ; il ne s’intéressera plus
qu’à la météo à la télévision parce que c’est le seul
programme qu’il peut suivre visuellement sans que les
commentaires aient d’importance pour comprendre.
On pourrait multiplier les exemples.
Il faut aussi proposer au patient des séances d’orthophonie. Aucun protocole n'a démontré son efficacité,
mais différentes études de cas ont montré l’intérêt
de la prise en charge (16). Il est essentiel de proposer
au patient d’actualiser le plus régulièrement possible
ses connaissances, par des associations de mots et
d’images, par le travail sur les définitions des mots, car
cette réactualisation favorise le maintien des connaissances. Les connaissances sur un mot travaillé régulièrement pourront être maintenues plusieurs mois, alors
qu’un item non travaillé sera perdu au bout de quelques
semaines. Il est par ailleurs frappant de voir que les
patients continuent à garder des connaissances précises
(et efficaces) sur les objets de leur vie quotidienne,
alors que les mêmes objets hors du contexte quotidien
pourront ne pas être reconnus. Un travail identique
pourra être proposé sur les personnes si le patient a
des difficultés à trouver et à comprendre les noms de
personnes ou à identifier les personnes. Des carnets
comprenant des définitions de mots avec l’image
associée, et des associations de visages et de noms
(pour les personnes le plus fréquemment rencontrées)
sont très utiles aux patients, qui s’en servent volontiers.
La durée de la prise en charge est difficile à définir a
priori. Tant que le patient est motivé, n’a pas de troubles
de la compréhension trop sévères, et pas de troubles
du comportement, elle peut être poursuivie.
■
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