Il est fils de Jean, ou de Jonas, selon les manuscrits qui, ici, ne disent pas tous la même chose ! Fils de Jean, cela se
comprend bien : la journée a commencé avec la désignation de Jésus par Jean, elle s’achève par la désignation de Simon par
Jésus. Jean a initié le mouvement dont Simon est le bénéficiaire, ou au moins le destinataire. En ce sens, oui, Simon est fils de
Jean le Baptiste, et dans les autres évangiles il est bel et bien celui qui, comme Jean, désigne en Jésus le Christ (même si, ici, c’est
André). Mais Jean, c’est aussi « l’Éternel fait grâce », et toute sa vie cet homme sera au bénéfice de cette grâce, jusque dans sa
trahison et dans son relèvement. Simon est fils de Jean aussi dans ce sens : sa rencontre avec Jésus n’est pas le fruit de son
mérite religieux, mais le fruit de la grâce que Dieu lui fait. Rien d’autre n’y prédisposait Simon, car il y a beaucoup d’autres Simon.
En fait, le judaïsme, c’est la religion des Simon. Mais celui-ci est fils de la grâce de Dieu. Là où les autres écoutent et tentent
d’obéir, lui il écoute et profite de la grâce ; il vient sans rien mériter, là où d’autres passent leur vie à tenter de mériter cette
rencontre qui, du coup, ne se produit pas. Simon fils de Jean.
Mais le prénom Jean a aussi des diminutifs ! En anglais on dit Jack, en français Jeannot, et en hébreu Jonas… Mais le
petit nom du papa de Simon veut aussi dire « colombe » ! Simon serait-il le produit de la parole créatrice de Dieu, qui planait
au-dessus des eaux du chaos ? Certes ma vie est souvent chaos, et si Dieu n’y mettait sa parole, alors pauvre vie, pauvre mort…
Mais c’est aussi la colombe de Noé, envoyée trouver le monde nouveau, symbole de la victoire sur le Déluge, le chaos, là encore.
Un Jonas y est mort, dans cette eau chaotique, pour avoir refusé d’aller où Dieu l’envoyait, et il y est ressuscité, afin d’y aller
quand même ! Annonce d’un reniement inévitable, et d’une grâce trois fois renouvelée ?… Simon est donc aussi fils de tout ceci,
fils d’une victoire sur le chaos intérieur et extérieur, victoire remportée non pas par lui, mais bien pour lui. C’est une extraordi-
naire promesse qui est contenue dans ce nom, pour tous les Simon fils de Jean ou de Jonas que nous sommes, nous qui avons
entendu la parole et qui, parfois, nous posons des problèmes d’identité, nous demandant à quoi nous pouvons bien servir dans
le plan de Dieu.
Simon, fils de Jean ou de Jonas, est donc précédé par ce ou ceux qui lui ont parlé, et par la grâce prévenante du Dieu
créateur, créateur du monde certes, mais aussi créateur de Simon, créateur de sa vie et de sa liberté, créateur et recréateur de
celui qui ne peut que tomber, mais que Dieu sans cesse appelle à se relever et à marcher vers sa mission particulière, sa vocation
à faire ce que personne d’autre ne fera à sa place. Certes « la foi vient de ce qu’on entend », comme l’écrira Paul (Rom. 10 / 17).
Mais elle ne se cantonne pas là : elle s’appuie là-dessus pour avancer vers un ailleurs qui n’est pas écrit, mais qui se vit, parfois
douloureusement, dans la relation avec Dieu. Et cette relation – c’est la suite de ce que Jésus dit à Simon – n’est pas qu’un
déplacement des pieds ou de la tête, mais de l’être-même, la personne toute entière. Car Simon va être renommé par Jésus,
d’un nouveau nom, araméen cette fois-ci : Céphas, dont la traduction grecque va donner Pierre, le rocher. De ce nom on pourrait
aussi dire beaucoup de choses, sur la solidité aussi bien que sur la difficulté à le faire bouger, tout comme sur la difficulté de
l’arrêter quand il dévale une pente… Étrangement, dans les évangiles, Jésus l’appellera toujours Simon. C’est Paul, dans ses
épîtres, qui le nomme Céphas…
Mais si je vous ai lu aussi le 4ème jour de la semaine inaugurale, c’est pour terminer avec Nathanaël et son figuier, et
avec une échelle… C’est Israël qui vit tranquillement sous son figuier, quand il n’y a plus de guerre. Il n’y a pas que la prophétie
de Michée qui utilise cette image. Même les adversaires d’Israël l’utiliseront pour tenter Jérusalem de rendre les armes. Mais
c’est bel et bien la paix qui est prophétisée ici par la vision qu’a eue Jésus de Nathanaël sous son figuier. Nathanaël, « Dieu a
donné », car Dieu a donné la paix, et dans ce monde qui ne la connaît pas, même de loin, c’est une bonne et heureuse nouvelle.
Même si elle est dite avec un brin d’ironie à l’égard de ce petit monsieur si sûr de sa théologie… ! Mais si Nathanaël est Israël,
alors oui, c’est bien Israël, c’est-à-dire Jacob, qui termine ce 4ème jour, Jacob qui lui aussi fut renommé par Dieu d’un autre nom
que le sien, comme Simon tout à l’heure. C’est lui, Jacob, qui avait vu « les anges de Dieu monter et descendre » sur l’échelle de
son rêve (Gen. 28 / 12). Alors, si Nathanaël est Israël, c’est Jésus qui est l’échelle, c’est Jésus crucifié par qui les humains monteront
vers Dieu et descendront vers leurs frères et sœurs humains. C’est Jésus qui est donné, si Dieu a donné. C’est Jésus qui m’est
donné, si je suis Nathanaël ; c’est Jésus qui nous est donné, si nous sommes Israël.
Mais c’est pour que nous descendions de l’échelle ! Appelés certes, mais envoyés. Disciples, oui, mais apôtres. Car ce
sont les autres à qui sont destinées toutes ces promesses. Nous en sommes les hérauts, les porte-parole, les témoins qui avons
éprouvé ces promesses dans notre chair, à l’image du Christ. Mais le but de l’élection d’Israël, c’est la bénédiction de tous les
peuples. Frères et sœurs, nous sommes Israël, mais pas pour nous. Tout dans ce petit texte biblique nous secoue et nous pro-
mène jusqu’à ce que nous puissions repartir non pas chez nous, mais vers les gens pour qui Christ est venu, pour qui Christ est
mort. Il y a du travail, il y a de la joie et de la peine, il y a de la vie éternelle qui déjà travaille nos vies et nos relations. Car c’est
ça l’Église, l’unique Église du Christ : une marche tumultueuse vers la joie et la paix déjà offertes, à la rencontre des gens les plus
improbables, les plus inattendus. Nous avons été appelés : « venez et vous verrez »… Amen.
Tours - David Mitrani - 18 janvier 2015