texte : Évangile selon Jean, 1 / 35-51 (trad. :Bible à la

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texte : Évangile selon Jean, 1 / 35-51 (trad. :Bible à la Colombe)
premières lectures : Psaume 40 ; Michée, 4 / 1-5
chants : 22-07 et 36-08 (Alléluia)
C’est la première semaine de l’Évangile, après le Prologue. Dans l’organisation si particulière du quatrième évangile, il
y a donc une semaine inaugurale : trois jours au cours desquels Jésus est désigné par les autres : d’abord par Jean, le Baptiste,
puis ses disciples ; ensuite une journée centrale où c’est lui qui désigne ses disciples à lui ; enfin, « trois jours après », il y aura
des noces à Cana de Galilée… La liste habituelle de lectures des dimanches ne nous proposait que le 3 ème jour de la semaine, je
vous ai aussi lu le quatrième. Car la séquence centrale est un peu à cheval, comme vous l’avez entendu. Elle se passe en fin de
journée. Jésus y dit des choses très étranges au frère d’André. Et c’est aussi à cause de cet homme que ce texte est lu aujourd’hui
dans l’Église catholique : celle-ci fête la vocation de Pierre, et c’est l’ouverture de la « Semaine de prière pour l’unité des chrétiens », qui se terminera dimanche prochain, fête de la conversion de Paul. Ainsi, entre Pierre et Paul, nous sommes invités à
prier pour notre unité, nous les enfants du même Père.
Croyez-vous que l’unité de l’Église s’est défaite petit-à-petit, voire par un sombre jour d’automne 1517 ? Pas du tout.
D’une part je ne pense pas que ce jour-là fut sombre, loin de là. Et puis, ne serait-ce qu’à travers les réactions très diverses des
différents personnages du texte de ce matin, nous voyons bien que l’unité, au minimum, ne s’est jamais vécue que dans la
diversité, justement. D’autres textes bibliques montrent même qu’elle s’est souvent vécue dans les affrontements, et ce dès
l’origine… Mais aujourd’hui, en tout cas chez nous, ça n’est heureusement plus le cas, et les chrétiens du XXI ème siècle sont
parfois bien plus sages que leurs Pères de la primitive Église ! Mais la question qui est beaucoup plus importante dans ces textes
demeure actuelle pour nous : plutôt que de parler d’unité entre nous, à quoi donc sommes-nous appelés à l’égard de Jésus notre
Seigneur, et à l’égard du monde ?
D’abord, si nous sommes appelés, c’est que nous sommes précédés. Il y a toujours une désignation par un Jean le 3ème
jour qui se solde par un appel direct de Jésus, ou un Philippe le 4 ème jour pour dire : « viens et vois »… Nous sommes donc appelés,
d’abord, à nous déplacer. Cet appel n’est jamais totalement accompli, c’est-à-dire que nous ne sommes jamais allés jusqu’au
bout du chemin, un chemin que nous ne connaissons guère. Il nous faut donc sans cesse nous déplacer : pas une fois au début,
pas 2 ou 3 fois dans notre vie, mais sans cesse. Nous ne sommes jamais au bout, non pas parce que nous sommes handicapés,
mais parce que Jésus bouge sans arrêt, et que lorsque nous nous croyons arrivés, lui est parti plus loin et nous appelle de là-bas.
Lorsque nous lui demandons « où demeures-tu ? » – sous-entendu : maintenant que tu n’es plus là où nous t’avions vu la dernière
fois – il nous répond toujours : « venez et vous verrez »… Heureusement, il y a des haltes, des moments de repos, de shabbat en
quelque sorte. Mais ces moments ne sont pas creux. Regardez André : il ne peut pas s’empêcher de parler de Jésus – dont il sait
provisoirement où il demeure ! – à son frère Simon. Il ne peut pas s’en empêcher. Heureux homme, cet André !
Évidemment, toute cette manière de fonctionner, qui nous est montrée, nous renvoie à notre propre cheminement à
proximité de Jésus, que nous soyons en sa compagnie, que nous soyons à sa recherche, que nous attendions dans notre coin
que lui ou l’un des siens vienne nous chercher, ou encore que nous végétions dans une autre posture à son égard. Tout le monde
bouge, dans notre texte ! Personne ne reste dans la définition qui était la sienne auparavant, que ce soit une définition géographique ou topographique, ou une définition de sa relation à Dieu, à Jésus. Comme si, dans cette histoire, il ne semblait pas
possible d’être chrétien tranquillement, tout seul chez soi, ou rien qu’avec les gens qui fonctionnent de la même façon que nous
au même endroit que nous. C’est obligé ! Parce que Jésus n’est pas une simple épiphanie du Dieu du ciel, mais il est engagé luimême, en personne, en chair et en os, dans un rôle qui est celui de « l’agneau de Dieu », comme Jean le répète au début du 3ème
jour, le rôle du « Fils de l’homme » qui sera élevé, comme Jésus l’annonce à la fin du 4ème. Ces deux images, ces deux titres,
renvoient l’un et l’autre à la passion, à la croix de Jésus. Si c’est là qu’il demeure, c’est là aussi qu’il nous appelle, soit directement,
soit par la voix et l’amitié de ceux qui l’ont déjà rejoint… La foi chrétienne n’est pas une religion de temple, mais de croix ; elle
n’est pas une religion qui s’installe, mais qui se déplace. Elle ne peut pas se vivre seul, mais elle suppose d’appeler ou d’être
appelé, donc elle suppose les autres, elle suppose, elle implique, la fraternité.
Mais elle suppose et implique aussi d’autres choses. C’est le frère d’André qui va nous le montrer, cet homme aux
multiples noms en de multiples langues. Il s’appelle Simon, « celui qui entend ». C’est la suite directe de ce que nous venons de
voir, et même de l’événement raconté ici : Simon est d’abord celui qui entend ce que son frère André lui raconte sur Jésus. Peutêtre est-il plus largement celui qui entend le texte biblique lui parler, lui raconter des choses. Peut-être a-t-il compris que le
psaume 40 parlait de lui, lorsqu’il disait : « voici, je viens avec le rouleau du livre écrit pour moi »… Simon, c’est celui qui vient
avec sa bible, celui qui a reçu l’enseignement, la Torah, celui qui a reçu le témoignage de son frère… et qui maintenant va pouvoir
entendre et comprendre l’appel de Jésus qui lui est adressé personnellement, tellement personnellement qu’il va y perdre et y
trouver son propre nom.
Il est fils de Jean, ou de Jonas, selon les manuscrits qui, ici, ne disent pas tous la même chose ! Fils de Jean, cela se
comprend bien : la journée a commencé avec la désignation de Jésus par Jean, elle s’achève par la désignation de Simon par
Jésus. Jean a initié le mouvement dont Simon est le bénéficiaire, ou au moins le destinataire. En ce sens, oui, Simon est fils de
Jean le Baptiste, et dans les autres évangiles il est bel et bien celui qui, comme Jean, désigne en Jésus le Christ (même si, ici, c’est
André). Mais Jean, c’est aussi « l’Éternel fait grâce », et toute sa vie cet homme sera au bénéfice de cette grâce, jusque dans sa
trahison et dans son relèvement. Simon est fils de Jean aussi dans ce sens : sa rencontre avec Jésus n’est pas le fruit de son
mérite religieux, mais le fruit de la grâce que Dieu lui fait. Rien d’autre n’y prédisposait Simon, car il y a beaucoup d’autres Simon.
En fait, le judaïsme, c’est la religion des Simon. Mais celui-ci est fils de la grâce de Dieu. Là où les autres écoutent et tentent
d’obéir, lui il écoute et profite de la grâce ; il vient sans rien mériter, là où d’autres passent leur vie à tenter de mériter cette
rencontre qui, du coup, ne se produit pas. Simon fils de Jean.
Mais le prénom Jean a aussi des diminutifs ! En anglais on dit Jack, en français Jeannot, et en hébreu Jonas… Mais le
petit nom du papa de Simon veut aussi dire « colombe » ! Simon serait-il le produit de la parole créatrice de Dieu, qui planait
au-dessus des eaux du chaos ? Certes ma vie est souvent chaos, et si Dieu n’y mettait sa parole, alors pauvre vie, pauvre mort…
Mais c’est aussi la colombe de Noé, envoyée trouver le monde nouveau, symbole de la victoire sur le Déluge, le chaos, là encore.
Un Jonas y est mort, dans cette eau chaotique, pour avoir refusé d’aller où Dieu l’envoyait, et il y est ressuscité, afin d’y aller
quand même ! Annonce d’un reniement inévitable, et d’une grâce trois fois renouvelée ?… Simon est donc aussi fils de tout ceci,
fils d’une victoire sur le chaos intérieur et extérieur, victoire remportée non pas par lui, mais bien pour lui. C’est une extraordinaire promesse qui est contenue dans ce nom, pour tous les Simon fils de Jean ou de Jonas que nous sommes, nous qui avons
entendu la parole et qui, parfois, nous posons des problèmes d’identité, nous demandant à quoi nous pouvons bien servir dans
le plan de Dieu.
Simon, fils de Jean ou de Jonas, est donc précédé par ce ou ceux qui lui ont parlé, et par la grâce prévenante du Dieu
créateur, créateur du monde certes, mais aussi créateur de Simon, créateur de sa vie et de sa liberté, créateur et recréateur de
celui qui ne peut que tomber, mais que Dieu sans cesse appelle à se relever et à marcher vers sa mission particulière, sa vocation
à faire ce que personne d’autre ne fera à sa place. Certes « la foi vient de ce qu’on entend », comme l’écrira Paul (Rom. 10 / 17).
Mais elle ne se cantonne pas là : elle s’appuie là-dessus pour avancer vers un ailleurs qui n’est pas écrit, mais qui se vit, parfois
douloureusement, dans la relation avec Dieu. Et cette relation – c’est la suite de ce que Jésus dit à Simon – n’est pas qu’un
déplacement des pieds ou de la tête, mais de l’être-même, la personne toute entière. Car Simon va être renommé par Jésus,
d’un nouveau nom, araméen cette fois-ci : Céphas, dont la traduction grecque va donner Pierre, le rocher. De ce nom on pourrait
aussi dire beaucoup de choses, sur la solidité aussi bien que sur la difficulté à le faire bouger, tout comme sur la difficulté de
l’arrêter quand il dévale une pente… Étrangement, dans les évangiles, Jésus l’appellera toujours Simon. C’est Paul, dans ses
épîtres, qui le nomme Céphas…
Mais si je vous ai lu aussi le 4ème jour de la semaine inaugurale, c’est pour terminer avec Nathanaël et son figuier, et
avec une échelle… C’est Israël qui vit tranquillement sous son figuier, quand il n’y a plus de guerre. Il n’y a pas que la prophétie
de Michée qui utilise cette image. Même les adversaires d’Israël l’utiliseront pour tenter Jérusalem de rendre les armes. Mais
c’est bel et bien la paix qui est prophétisée ici par la vision qu’a eue Jésus de Nathanaël sous son figuier. Nathanaël, « Dieu a
donné », car Dieu a donné la paix, et dans ce monde qui ne la connaît pas, même de loin, c’est une bonne et heureuse nouvelle.
Même si elle est dite avec un brin d’ironie à l’égard de ce petit monsieur si sûr de sa théologie… ! Mais si Nathanaël est Israël,
alors oui, c’est bien Israël, c’est-à-dire Jacob, qui termine ce 4ème jour, Jacob qui lui aussi fut renommé par Dieu d’un autre nom
que le sien, comme Simon tout à l’heure. C’est lui, Jacob, qui avait vu « les anges de Dieu monter et descendre » sur l’échelle de
son rêve (Gen. 28 / 12). Alors, si Nathanaël est Israël, c’est Jésus qui est l’échelle, c’est Jésus crucifié par qui les humains monteront
vers Dieu et descendront vers leurs frères et sœurs humains. C’est Jésus qui est donné, si Dieu a donné. C’est Jésus qui m’est
donné, si je suis Nathanaël ; c’est Jésus qui nous est donné, si nous sommes Israël.
Mais c’est pour que nous descendions de l’échelle ! Appelés certes, mais envoyés. Disciples, oui, mais apôtres. Car ce
sont les autres à qui sont destinées toutes ces promesses. Nous en sommes les hérauts, les porte-parole, les témoins qui avons
éprouvé ces promesses dans notre chair, à l’image du Christ. Mais le but de l’élection d’Israël, c’est la bénédiction de tous les
peuples. Frères et sœurs, nous sommes Israël, mais pas pour nous. Tout dans ce petit texte biblique nous secoue et nous promène jusqu’à ce que nous puissions repartir non pas chez nous, mais vers les gens pour qui Christ est venu, pour qui Christ est
mort. Il y a du travail, il y a de la joie et de la peine, il y a de la vie éternelle qui déjà travaille nos vies et nos relations. Car c’est
ça l’Église, l’unique Église du Christ : une marche tumultueuse vers la joie et la paix déjà offertes, à la rencontre des gens les plus
improbables, les plus inattendus. Nous avons été appelés : « venez et vous verrez »… Amen.
Tours - David Mitrani - 18 janvier 2015
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