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Note d’intention
Une accélération du temps
Ce qui frappe immédiatement dans
Maman et moi et les hommes
, c’est la construction. Arne Lygre,
dramaturge norvégien d’une quarantaine d’années seulement, propose une manière totalement
inédite de raconter une histoire et nous donne d’emblée la règle du jeu dans son avertissement.
« L’action de la pièce commence en 1943 et se termine quelques années après le changement de
millénaire. De la première à la dernière réplique, près de soixante ans se sont ainsi écoulés [...]. Les
nombreux monologues [...] doivent créer un effet de rupture et nous permettre d’entendre les
pensées intimes des personnages qui semblent se regarder à une certaine distance, puisqu’ils
parlent d’eux-mêmes à la troisième personne. L’acte IV rompt avec la forme dominante de la pièce.
Au cours de cet acte, la mère et la fille vivent séparées. Les scènes qui les réunissent doivent ainsi
être considérées comme la matérialisation de leurs dialogues imaginaires ou comme la visualisation
des pensées qu’elles ne formuleront jamais ».
Comme tout dramaturge novateur, Arne Lygre nous oblige donc à inventer des solutions théâtrales
pour répondre aux défis qu’il lance et aux libertés formelles qu’il prend. Même s’il nous fait le cadeau
d’une piste – et de taille : les 6 personnages peuvent, suggère-t-il, être joués par 3 acteurs !
C'est dans les frottements, entre temps réel et temps rêvé, entre les dialogues et les monologues
intérieurs des personnages qui semblent parfois vouloir s’affranchir de l’auteur que naît une
impression d’étrangeté. Et c’est dans cet « entre deux» que la dimension poétique de l’écriture
d’Arne Lygre émerge. Pourtant tout semble se dérouler au départ simplement. Des scènes courtes,
haletantes, presque cinématographiques mais qui étrangement se répondent, se rejouent dans une
très savante construction faite d’échos, de répétitions, de ressassements. L’air de rien, Lygre nous
entraine dans un abime, un vertige. Celui de ses personnages condamnés à bégayer leur histoire.
Trois générations de femmes, aujourd’hui
Dans une accélération du temps, trois générations de femmes se succèdent. En 1943. A Knatten,
une petite ferme au fin fond d’un fjord étroit bordé de hautes montagnes. Gudrun 1 épouse Sigurd 1.
De leur union naît Liv. Quelques années plus tard, le père quitte le domicile conjugal pour les USA.
Juste après l’enterrement de sa mère, fin des années 60, Liv épouse Sigurd 2, le pasteur du village
d’à côté. De ce second mariage naît Gudrun 2. Mais Sigurd 2 meurt brutalement, dans un accident
de voiture et sa fille, adolescente, restera définitivement boiteuse. Dans les années 1980, Liv
abandonne sa fille pour les USA. Après 10 ans passés à New York, elle se décide enfin à revoir son
père. Gudrun 2 est restée seule dans la ferme familiale à Knatten. C’est seulement pour le réveillon
de l’an 2000 que Liv, revenue au pays, parviendra enfin à revoir sa fille avant de mourir quelques
semaines plus tard. Presque par accident Sigurd 3, jeune homme en fuite, pénètre dans la ferme de
Knatten. Il sera séquestré par Gudrun 2 qui mourra brutalement en laissant cet homme
désespérément seul et ligoté.