Du murmure à la parole Page 2
circuler et faire son œuvre. La preuve, nous l’entendons encore aujourd’hui malgré la
distance des siècles.
Jésus revient à la source de l’humain lorsque par la parole il s’aperçoit qu’il n’est pas que
d’humus, mais de souffle aussi.
« Chaque humain d’ici le sait bien, qu’il n’est pas fait que de terre. Et s’il le sait, c’est parce
qu’il parle. Nous le savons tous très bien, tout au fond, que l’intérieur est le lieu non du mien,
non du moi, mais d’un passage, d’une brèche par où nous saisit un souffle étranger. »
Là où pharisiens et autres consorts qui prétendent être seuls les purs veulent claquemurer le
souffle de la parole, restreindre son champ d’aller et de venir et éteindre la liberté de son
expression, Jésus ouvre large, très large, tant il sait que « tout langage est à l’invectif. Il y a
appel, un coup porté par le moindre mot »
.
Peut commencer l’appel lancé à ceux qui ne sont pas venus pour entendre… en grec du
Nouveau Testament, si vous permettez l’expression et d’après l’étymologie : ceux qui ne
sont pas venus pour acoustiquer
: « Quel homme d’entre vous ? » Plus qu’un appel, c’est
une interpellation – mais pas une arrestation, bien au contraire ; s’en est l’inverse : une
ouverture, l’engagement dans une relation et non dans une exclusion. Jésus enfonce un coin
dans le mur des propos en sourdine de ceux qui deviennent alors des inter-locuteurs, des
ceux en qui la parole vient sourdre. Il entaille un dialogue, le mur mur est fendu, il y a
comme une fêlure, et comme le dit le proverbe : bienheureux les fêlés, ils laissent passer la
lumière !
« Le messie c’est la parole »
. On ne saurait mieux dire.
Quel homme d’entre vous ayant une centaine de mots dans son vocabulaire, bien parqués
dans son dictionnaire personnel, et en perd l’un d’entre eux, ne va pas laisser les 99 autres
en déshérence pour aller à la recherche du mot manquant, du vocable égaré, du mot perdu
qui est là sur le bout de la langue et qui ne demande pas grand-chose pour revenir et être
articulé enfin, être dans le souffle ? Quel homme d’entre vous, lorsqu’il a enfin retrouvé ce
mot qui lui permet d’énoncer clairement ce qu’il concevait pourtant aisément, ne va pas le
partager dans la joie avec ses amis et ses voisins, tous ceux avec qui il a langue
ordinairement ?
Je le dis à vous, oui, à vous : ainsi de la joie dans le ciel sera pour un seul qui entend et qui
parle que pour quatre-vingt-dix-neuf qui demeurent sourds et murmurent. Ceux-là n’ont pas
compris l’immensité de la parole, l’immensité que la parole ouvre au fond et au-devant de
chacune et de chacun.
« Au plus profond de la personne, personne. Dans le fond de nous et plus intime que notre
nom : le langage. Au fond du langage, le verbe ouvert au fond du langage… Au fond de la
pensée : un verbe ouvert au fond de la pensée : Je suis. Non pas l’être qui est, mais le verbe
qui délivre. Ce verbe est un passage. Il ne nous prouve pas, il nous fend, il t’ouvre. Je suis écrit
en toi le mouvement de la parole. Dieu est la quatrième personne du singulier. »
Alors, quand je vois des hommes les armes à la main, encore fumantes de la terreur et de la
mort semées, quand je perçois leurs cris, leurs vociférations, tellement haut et tellement
fort, je me dis que décidément il y a des murs murs qui se veulent toucher le ciel ; et là-haut,
je sais qu’il n’y a pas de place pour de la joie, et que le prophète – celui qui parle devant – ne
peut accepter qu’il n’y ait rien d’autre derrière lui que la désolation et les larmes.
Lorsque je vois celles et ceux qui profèrent des paroles définitives qui rejettent, qui excluent,
qui isolent, tous ces termes en fobos/phobie, je me dis encore que l’on n’a pas fini de