56 SPÉCIAL RECHERCHE 2010/2011 ●Plein sud
/figure 4
Représentation des courbes de stabilité des adduits formés
entre l’artémisinine et l’hème sous sa forme Fe(II) et Fe(III).
hème.Eneffet, toute méthode de criblage ases per-
formances et ses limites,matérialisées notamment
par la pertinence biologique des molécules qu’elle
détecte comme actives,enanglais le “hit-to-lead
ratio”. Par ce rapport, on désigne le pourcentage
de molécules détectées comme actives par le cri-
blage qui sont effectivement actives dans un essai
in vitro ou in vivo de référence,dans notre cas sur
des cultures de parasites.Dans le cas des méthodes
de criblage àhaut débit basées sur la cristallisation
provoquée de l’hème,cerapport est au mieux de
8%,indiquant un fort taux de faux positifs dans
les résultats du criblage.Cefort taux d’attrition
s’explique non seulement par les phénomènes de
passage de membranes qui peuvent empêcher les
composés d’atteindre leur cible,mais aussi par la
faible corrélation entre le modèle utilisé pour le
test et la réalité biologique.Sur un échantillon de
160 composés aléatoires,notre méthode adétecté
18 composés se liant àl’hème,parmi lesquels 13 se
sont montrés antiplasmodiaux sur des cultures de
parasites sensibles àlachloroquine (souche F32)
soit un rapport hit-to-lead de 72 %. Sur une lignée
chloroquinorésistante (souche K1), 44 %des molé-
cules formant adduit étaient encore efficaces.Ces
résultats sont encourageants et indiquent une bonne
performance de notre méthode de criblage.
La possibilité d’unevie quelquepart
dansl’espacenecessedefasciner
leshumains,enparticulier lesréalisa-
teursdelongs-métrages àsuccès.Le
chimiste médicinal* aaussi sonespa-
ce sidéralàlui, lequel esttout aussi
déroutantdepossibilités. En effet, on
considèreque le nombre de molécules
possibles(de tailleclassique pour un
médicament,soitune massemolécu-
laired’aumaximum 500g/mole) en
combinant lesatomesusuels de la
chimie organique (C,H,O,N,S)est
de 1060.Àquoicelacorrespond-il,
au juste? On estime par exemplele
nombre de galaxies dansl’univers à
100milliards.Chacuned’entre elle
contiendraitune centainedemilliards
d’étoiles. Cela ne nous fait que…
1022 étoilesdansl’univers.Lenombre
de moléculesd’eau dansles océans
terrestres(on nous excusera l’impré-
cision liée àlamesure) estestimé
à4.1046.Ilyadonc bien plus de
moléculesorganiquespossiblesque
de moléculesd’eau sur terreetque
d’étoilesdansl’univers.Onappelle cet
universdepossibilitésl’espacechimi-
quedes petitesmolécules.Comment
le chimisteynavigue-t-il? Acôté
desvasteschimiothèques virtuelles*
actuellement disponibles, desoutils
informatiquesexistentqui décrivent
lesmolécules par desparamètresphy-
sico-chimiques tels quetaille, forme
(globularité, planéité...), polarisabilité,
lipophilie, polarité, flexibilité,capa-
cité àformerdes liaisons hydrogènes,
etc. L’espace deschimistes estdonc
littéralementàplusieursdimensions!
Cependant, toutes cescombinaisons
ne sont pasintéressantespourle
chimistemédicinal,qui s’intéresse
auxmolécules biologiquementactives.
Ainsi, de même quelavie telleque
nous la connaissonsn’est possible
dansl’Univers quesous certaines
conditions,qui diminuentdrastique-
ment la probabilité de trouverlavie
ailleursdansl’espace, ainsiles molé-
culessusceptiblesd’interagir avec le
vivantdoiventégalement satisfaire à
certaineslimitations.Lacaractérisa-
tion de cet espace chimique compa-
tibleaveclavie estencorel’objet de
calculsextensifsetderéflexions, mais
certains de sesaspects sont connus.
La règle de Lipinski*par exempleliste
lesparamètrespermettant de pré-
voir si unemoléculeserasusceptible
d’être active aprèsingestion orale par
l’homme. Au détourdeces calculs, il
estapparuque lessubstancesnatu-
relles,c’est-à-direissuesd’organismes
vivants (animaux, plantes, bactéries
et levures, l’humain étant de fait
hors course puisqu’arbitre)ont une
nette tendance àseregrouper dans
cette portion d’espace chimique dite
biocompatible.Ilest d’ailleursintuitif
de considérer que, lessubstances
naturelles étantissuesd’une matrice
vivante (ribosomesetenzymes),elles
sont prédestinées àêtre reconnues
par la matricevivante (récepteurs,
canaux, transporteurs, enzymes…).
En allant plus loin, on peut considérer
queleur diversité, leur spécificité et
leur efficacité sur le vivant(en tant
quepoisonpar exemple) estlerésul-
tatd’une sélectionnaturelle exer-
céepar l’évolution. Lessubstances
naturelles sont donc unesource de
squelettes chimiquesorientéspréfé-
rentiellementversl’activitébiologique.
L’inconvénient de cette ressource est
le labeur et l’expertise nécessaires
pour isoler et identifier lesmolécules
naturelles.Cepoint aincitél’indus-
trie pharmaceutique àleur préférer
lesmolécules issues de la chimie
combinatoire, quisontpourleur part
beaucoup plus facilesàobtenir mais
sont caractériséespar uneoccupation
de l’espace chimique plus restreinte et
uneactivitébiologique moinsfréquen-
te.Ces deux approchesont néanmoins
alimenté deschimiothèques et des
extractothèquescolossales,destinées
àêtre testéessur diverses ciblesbio-
logiques en fonctiondes progrèsde
la biologie.
2Les substances naturelles:unpeuple intelligent de
l’espace chimique