vers un contre-pouvoir économique ?

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Trimestriel
Hiver 2009
n° 127
Ed. Resp.: Raphaël Ernst, Autre Terre asbl, 4e avenue 45, 4040 Herstal – Bureau de dépôt: NSC Liège X - P 501015
Entreprendre autrement au Nord et au Sud
Économie et
mobilisation sociales :
vers un contre-pouvoir
économique ?
Banco Palmas
L’économie solidaire
Une banque brésilienne
créée par les habitants
d’un quartier défavorisé
Entre économie
sociale et mouvements
sociaux (P. 24)
(P. 5)
Coordination :
David Gabriel
Secrétariat de rédaction :
Geneviève Godard, Nathalie Talmasse
Comité de rédaction :
Raphaël Ernst, David Gabriel,
Geneviève Godard, Quentin Mortier,
Xavier Roberti et Salvatore Vetro
Ont collaboré à ce numéro :
Nathalie Delaleeuwe, Louis Dessart,
François Foguenne, Alice Friser,
Corinne Gendron, Loïc Géronnez,
Vincent de Grelle, Jean-Louis Laville,
Christian Legrève, Charles Martinov et
Benoît Naveau.
Correction :
Cédric De Lievre
Sommaire
3
Édito
Pour un changement social…
et économique !
5
Banco Palmas
Une banque créée par les
pauvres relance l’économie
d’une favela brésilienne
Rédaction :
4e avenue, 45 - 4040 Herstal
T : +32 (0)4 240 68 48
F : +32 (0)4 240 68 42
E : [email protected]
W : www.autreterre.org
N° de compte :
096-2241896-53
10
Une société économique
qui se repense
Par Corinne Gendron
13
Éthiquable
ou le poids du commerce
équitable
18
L’insertion par le travail :
pour qui et pour quoi ?
Cette publication est soutenue par :
2
terre
n°127 • hiver 2009
24
L’économie solidaire
Entre économie sociale et
mouvements sociaux
28
Nord
Terre vient de fêter ses 60 ans !
Entretien avec Louis Dessart
Création graphique :
Agence À3/Herstal
Toute reproduction, même partielle, des
textes et illustrations parus dans le journal
Terre est encouragée mais soumise à
l’autorisation préalable de l’éditeur et/ou
des ayants droit au copyright
Les maisons médicales
Utopie et pragmatisme
Terre libre
Photos de couverture :
• C1 : PDG
Manifestation des communautés
rurales du sud de l’île de Négros
Occidental (Philippines).
• C4 : Q. Mortier (Mali)
Impression :
Imprimerie Fortemps
Imprimé à 7.000 exemplaires sur
papier 45% labellisé FSC et
55% recyclé
22
Sud
Un visa de tourisme pour aller
dire bonjour.
Retour sur un ancien projet
de Terre en Algérie.
40 ans plus tard…
édito
Pour un changement social…
etracer l’histoire de notre société sans y inclure
les mouvements sociaux n’aurait pas de sens.
Ceux-ci l’ont façonnée et ont joué un rôle déterminant en termes de changement social et d’avancées non seulement sociales, mais aussi politiques,
culturelles et économiques.
Ces mouvements, des plus anciens (comme le mouvement ouvrier) aux plus récents (les mouvements
féministe, écologiste ou les mouvements d’exclus tels
les « sans-papiers », les « sans-terre »...), sont des
forces indispensables d’interpellation et de contrepouvoir. Ils sont acteurs au niveau des différentes
sociétés et ont pour effet d’agir en profondeur sur certaines politiques tout en offrant un espace d’expression aux personnes moins visibles ou laissées-pourcompte. Bref, ils ont pleinement influencé la
construction des différentes sociétés et continuent à
y avoir une place centrale.
Un mouvement social 1, c’est aussi une possibilité de
mettre en discussion des enjeux sociaux, de chercher
à dire le juste et l’injuste.
R
Mouvements sociaux et modes
de fonctionnement économiques
Notre hypothèse est de dire que bon nombre de mouvements sociaux ont suivi — en s’y opposant — les
évolutions des modes de fonctionnement économiques
et principalement celui du capitalisme. La grande majorité des mobilisations actuelles sont liées, de manière
plus ou moins directe, aux effets du capitalisme, tel
qu’il se vit dans le monde entier.
Dans cette optique, il est important de prendre en
compte les transformations des modes de fonctionnement économiques opérés ainsi que l’évolution des
idéologies (croyances et représentations) qui les justifient. C’est ce que Corinne Gendron a initié à travers
un article (p.10) qui met en avant la puissance de
transformation sociale contenue dans les concepts
de «commerce équitable», de «responsabilité sociale
de l’entreprise» et d’ «économie sociale».
En outre, les mouvements sociaux sont probablement
B. Schoonbroodt
et économique !
> La grande majorité des mobilisations actuelles sont
liées aux effets du capitalisme.
3
1. E. Neveu, Sociologie des mouvements sociaux,
Ed. La Découverte, Paris, 1996.
terre
n°127 • hiver 2009
édito
à la base de l’émergence de bon nombre d’initiatives
d’économie sociale et les principes portés par celles-ci
sont privilégiés par la majorité des mouvements sociaux.
Pour illustrer ce propos, nous pouvons considérer
l’exemple de Banco Palmas au Brésil (p.5). Cette
banque, créée par des personnes économiquement
pauvres via une mobilisation sociale de grande envergure, a permis, grâce à différents mécanismes, de
rendre un souffle nouveau à une banlieue défavorisée. L’idée était de créer une nouvelle monnaie qui ne
peut être utilisée que localement — évitant ainsi toute
spéculation — pour permettre le développement économique d’une zone déterminée qui en a vraiment
besoin.
De nouveaux mouvements sociaux
économiques
S’arrêter sur l’évolution de l’économie sociale en faisant un parallèle avec celle des mouvements sociaux
n’est pas non plus fortuit lorsque l’on regarde de plus
près la dynamique à l’œuvre dans le cadre du commerce équitable.
Dans ce sens, les pratiques de consommation peuvent
devenir la cible ou le moyen de l’action collective de
mouvements sociaux 2. L’article sur l’organisation
«Éthiquable» (p.13) nous montre en partie comment
elle a su créer un cadre qui rend possible l’expression d’opinions politiques à travers des actes d’achat.
En tout cas, il faut souligner qu’[…] un des résultats de
ces mobilisations dans le marché […] est la constitution
en offre de biens «éthiques» - verts, bio, socialement
responsables - qui se met en place par des initiatives militantes (comme la plupart des organisations du commerce équitable), mais aussi avec le concours de régulations étatiques et l’adaptation de l’offre marchande2.
4
Vers un contre-pouvoir économique ?
Le pouvoir se serait-il en partie déplacé du politique
vers l'économique (le capital financier et l’économie
de production) ? C’est ce qu’on pourrait croire lorsqu’on
observe le poids grandissant des entreprises privées
capitalistes et de leurs actionnaires. En réponse à
cette constatation, de plus en plus de groupes sociaux
terre
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semblent considérer qu’il est temps de se réapproprier l'économie pour avoir leur mot à dire dans ce
domaine et créer, de cette manière, une forme de
contre-pouvoir économique (voir article de Jean-Louis
Laville, p. 24).
Mais est-ce le cas de l’ensemble des organisations
d’économie sociale ? Pas si sûr. On voit que dans certains secteurs – qui ne sont de surcroît pas toujours très
valorisants – l’insertion des gens par le travail via l’économie sociale permet surtout de reprendre pied dans
le système économique traditionnel (P.18). Sans condamner ce dernier, il est néanmoins important que le secteur de l’économie sociale se positionne par rapport à
lui afin de rester en accord avec ses propres finalités.
La remise en cause de nos modèles rigides doit pouvoir se faire de manière structurée et sur le long terme
si on veut qu’elle puisse s’inscrire dans la durée.
C’est ce que les maisons médicales ont compris
(p. 22) en proposant, dans le domaine de la santé,
une réflexion en profondeur suivie de la mise en place
d’organisations aux modes de fonctionnement et aux
principes éthiques allant clairement dans le sens de
l’économie sociale.
Pour une plus grande coordination
des agendas
Les mouvements sociaux d’aujourd’hui renouvellent
leurs propositions vers le monde politique, social,
environnemental mais aussi économique. Pour sa
par t, l’économie sociale a redéfini ses principes
éthiques et de plus en plus d’organisations s’en
revendiquent, désirant donner un sens nouveau à
leurs activités de production de biens et de services.
Il y a donc une appropriation du monde de l’économie par les mouvements sociaux et une volonté de
changement prônée par certaines organisations d’économie sociale. Espérons que ces nouvelles dynamiques pourront prendre leur envol et concourir à la
mise en œuvre de réels projets de société pour le
Nord et le Sud. I David Gabriel
2. Dictionnaire des mouvements sociaux, Dir. O. Fillieule,
L. Mathieu, C. Pechu, Presses de la Fondation Nationale des
Sciences Politiques, Paris, 2009 (P. 140).
Banco Palmas
Une banque créée
par les pauvres
relance l’économie
d’une favela brésilienne
Une banque qui accorde aux plus pauvres des crédits à la
consommation sans intérêt et qui soutient grâce à des prêts à
des taux minimaux la production locale, vous y croyez ? Et si
l’on vous dit que la même banque émet une monnaie locale qui
relance l’économie d’un quartier tout en répondant aux besoins
de ses habitants, là vous vous dites : c’est de l’utopie ? Eh bien
pas tout à fait. Ce sont quelques-uns des outils financiers mis
en place par les habitants d’une favela au Brésil.
> Au Banco Palmas, les prêts
sont accordés avec l'accord
de la communauté
a gravité de la crise financière
et économique qui nous frappe
rappelle que la question des
richesses reste au centre de la question sociale. Les partager plus équitablement, les créer là où elles manquent,
les faire reconnaître là où seule la valeur
monétaire est prise en compte, voici
un enjeu brûlant d’actualité.
Dans le Nordeste du Brésil, les habitants du Conjunto Palmeiras, un bidonville de Fortaleza, ont refusé la misère
et nous ont démontré comment se
doter des outils nécessaires en vue de
l’autonomie économique.
C’est grâce à leur audace et à une expérience en cours en France — le Sol —
qu’une soixantaine de personnes du
réseau Capacitation Citoyenne1 se sont
réunies le 26 octobre à Namur à l’initiative de Periferia2 et d’«Arpenteurs»3.
S’inspirer et réfléchir collectivement
aux manières de s’approprier cet esprit
de lutte contre la pauvreté est un des
enjeux de ce réseau pour qui la richesse
est aussi le fruit de nos intelligences
collectives.
L
De la relégation à la lutte
Quand en 1984 Joaquim Melo, jeune
séminariste déjà rebelle et aux tendances politiques clairement à gauche,
arrive dans le Conjunto Palmeiras, il
découvre un bidonville où la mortalité
est très élevée. «Au Brésil, on obser-
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5
> A la base de la démarche de la banque
communautaire : l'éducation
> Ancien bidonville, le Conjunto
Palmeiras dispose aujourd'hui de
l'eau et de l'électricité grâce à la
lutte de ses habitant
6
vait à l’époque un processus de banalisation de la misère», note-t-il. «Le
régime militaire parvient à faire croire
aux plus démunis que leur pauvreté et
leurs conditions de vie indignes sont
dans la norme des choses. L’absence
d’eau saine qui entraîne les épidémies n’apparaît jamais comme un
scandale. Juste comme une fatalité.»
Au sud de Fortaleza, une ville située
dans le Nord du Brésil, l’endroit est
situé près d’une décharge dont les
gens tirent quelques moyens de subsistance en récupérant des matériaux.
Mais Joaquim découvre également un
quar tier bien organisé, notamment
autour des communautés ecclésiastiques de base, mobilisées grâce à la
théologie de la libération, et d’une première organisation locale, l’ASMOCONP. Appliquant le principe selon
lequel «aide-toi et le ciel t’aidera», les
habitants avaient déjà mis en place
une crèche et un programme d’alphabétisation pour enfants, bientôt suivis d’une école.
terre
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La victoire de l’eau
Mais le bidonville est isolé. Les transports en commun sont rares et dangereux. Le premier chantier consistera à
obtenir des pouvoirs publics un réseau
de transports en commun digne de ce
nom. Autre combat : assainir les lieux.
Vivre dans le voisinage des immondices entraîne un taux de mortalité
très élevé. Une des premières initiatives solidaires des habitants, la mise
en place d’une caisse commune, aura
pour objectif d’enterrer décemment
les victimes de la pauvreté en créant
un service de pompes funèbres local.
Dans les années 80, les habitants du
Conjunto Palmeiras doivent livrer une
autre lutte d’importance vitale : raccorder les habitations à l’eau courante.
En dépit d’une médiatisation importante et de démarches multiples
auprès des responsables municipaux,
rien ne se passe. Les habitants décident alors en assemblée de lancer un
ultimatum à la mairie : effectuer le
raccordement en un mois, faute de
quoi ils feront sauter les canalisations
qui approvisionnent la ville. Ce coup
de bluff portera heureusement ses
fruits. Le gouverneur annoncera la
bonne nouvelle en fanfare devant les
médias au grand soulagement des
habitants qui découvrent alors l’exacte
localisation de ces tuyaux en voyant
la police y prendre position… Joaquim
Melo bravera les forces de l’ordre en
montant sur le toit de sa maison pour
y hurler: «Cette victoire est la nôtre.
Nous avons remporté la victoire de
l’eau !». Les habitants du Palmeiras
refusent toute récupération de la part
d’un État qui les a longtemps délaissés. Ils savent aussi combien il est
fondamental de raconter leurs combats au travers de moyens populaires
comme le théâtre, des expositions de
quartier, un journal local.
Habiter l’inhabitable
Malgré ces premières victoires, les
conditions de vie des habitants restent précaires. Les leaders de la com-
munauté organisent sur décision colannées 80, la pauvreté ne se résorbe
lective un séminaire intitulé «habiter
pas. Les leaders communautaires
l’inhabitable». Se dessine un consendécident donc, en 1997, d’organiser
sus : construire un canal de drainage
un second séminaire, «habiter l’inhades eaux. Un partenaire se profile,
bitable II», dont il ressort que l’urgence
un organisme de la coopération alleest désormais de lutter contre la paumande - la GTZ - accepte d’investir 2
vreté et l’exclusion sociale. Des chermillions de reais (environ 780.000
cheurs populaires établissent avec
euros) dans ces travaux. À une condiles habitants une cartographie des
tion : que les habitants gèrent euxrevenus et des besoins de la populamêmes le chantier. Une occasion fortion. Constat étonnant : celle-ci n’est
midable de se former, mais aussi
pas si pauvre puisque 1,5 millions de
d’apprendre les déboires de la partireais (586.000 ⇔) circulent dans le
cipation quand, contre l’avis des techquar tier. Mais pour satisfaire leurs
niciens allemands, la population
besoins élémentaires (nourriture,
décide de poursuivre les
hygiène personnelle et de
travaux en période de
la maison), les habitants
pluies et que la pelleteuse
font leurs achats en dehors
Créer une source
s’embourbe. «Une leçon
du quar tier et ce faisant
de production
d’humilité», se souviendra
s’appauvrissent. Ils en arridans le quartier
Joaquim Melo. Les leaders
vent à la conclusion qu’il
tout en augmentant le pouvoir
communautaires se forfaut créer une source de
d’achat des habiment à la comptabilité, à la
production dans le quartants.
gestion du personnel, s’initier tout en augmentant
tient aux subtilités de la
leur pouvoir d’achat. C’est
négociation avec les pouainsi que naît le concept
voirs publics. Les habitants construide la monnaie locale, le Palmas, et
sent le canal. Une belle réussite.
de sa banque, le Banco Palmas.
Toutes les décisions sont prises collectivement lors de grandes assem> L'Institut Palmas organise les
blées hebdomadaires.
journées de la démocratie
Mais cette nouvelle victoire a un goût
économique pour revendiquer
amer : malgré les nets progrès matél'accès aux services bancaires pour
riels engrangés depuis le début des
les plus pauvres
Le Banco
Palmas
en quelques
chiffres
- 6,2 millions de réais par mois
sont dépensés par les
habitants en 2009 contre 1,5
million en 1997.
- 93% des achats en 2009 sont
effectués dans le quartier
contre 75% à l’extérieur en
1997.
- 1.800 emplois ont été créés et
36.000 palmas sont en
circulation dans le Palmeiras.
- 1,8 millions de réais de
portefeuille de crédit sont
disponibles pour l’ensemble
du réseau des 47 banques
communautaires.
- 206.800 équivalents réais
sont en circulation sur
l’ensemble du réseau des
banques communautaires.
- Dans un sondage réalisé par
l’Université Fédérale du
Ceara, 98% des personnes
interrogées affirment que la
Banque Palmas a contribué au
développement du quartier.
90% affirment que la Banque
Palmas a contribué à
l’amélioration des conditions
de vie du quartier en
augmentant leurs revenus
(25,25% d’entre eux) ou en
leur permettant de trouver un
emploi (20,20% d’entre eux).
terre
n°127 • hiver 2009
7
> En couplant la production locale à la consommation dans le quartier,
le Banco Palmas a permis la création de 1800 emplois.
8
Une banque par le peuple
pour le peuple
Le concept est à la fois simple et particulièrement ingénieux. Il est aussi
le fruit de plus de 80 réunions des
habitants du Conjunto Palmeiras. Joaquim Melo calcule qu’il faut 100.000
reais (40.000 euros) de fonds de
départ pour lancer la banque. L’engouement populaire, la médiatisation de
l’idée et la force de conviction de Joaquim Melo permettent d’attirer l’attention sur cette nouvelle structure. Oxfam
soutient le projet en offrant 14.000
reais, auxquels il faut ajouter 2.000
reais d’un donateur privé. Puis une autre
ONG se lance. Le Banco Palmas est né.
Pourtant, créer une monnaie alternative, même réservée à un quartier, est
illégal et l’État brésilien entame des
poursuites judiciaires. Les habitants
arrivent cependant à convaincre la justice qu’il ne s’agit pas d’une fausse
monnaie. Le système est sauvé.
Le salut viendra étonnamment d’une
autre banque, le Banco do Brasil, une
banque à vocation commerciale gérée
terre
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par l’État. Se désespérant de ne pas
parvenir à atteindre ces clients pauvres, la banque traditionnelle se tourne
vers le Conjunto Palmeiras, réputé pour
son encadrement communautaire.
L’accord est le suivant : le Banco do
Brasil fournit les locaux, les équipements de gestion de comptes et les guichets. En échange, le Banco Palmas
apporte les approches financières innovantes et sa capacité à atteindre un
public qui restait inaccessible.
Un système qui lie production
et consommation
Le Banco Palmas opère de la manière
suivante : il accorde des prêts à la production locale afin de créer ou de développer une activité économique. Les
taux d’intérêt oscillent entre 1,5 et 3%
selon les montants. Ces prêts sont
accordés uniquement à des projets
locaux qui répondent aux besoins des
habitants du Conjunto Palmeiras. Ces
besoins sont identifiés grâce à des
enquêtes au sein de la population locale.
Le Banco Palmas accorde aussi des
prêts à la consommation à un taux
d’intérêt de 0%. De façon très originale, ces prêts sont émis en palmas,
la monnaie du quartier. Les habitants
reçoivent une carte de crédit à concurrence d’un montant précis. Au fur et
à mesure des achats, les commerçants retirent les montants dépensés
de la valeur de la carte. À la fin du
mois, le Banco Palmas paie le commerçant. Pour recevoir cette carte, l’habitant doit recevoir l’approbation de ses
voisins. Pour les prêts à la consommation, un agent de crédit discute avec
l'emprunteur et fait le point sur ses ressources et son sérieux. Il n’est pas
tenu compte du passé de la personne
et avoir été déclaré mauvais payeur
dans le système de prêts traditionnel
n’est pas un obstacle à l’obtention
d’un crédit à la consommation.
Le taux de recouvrement est exceptionnel :
97,2 %. En cas de non-remboursement,
le mauvais payeur est identifié lors des rendez-vous du Forum Économique Local réunissant des habitants et représentants
d'associations. Ceux-ci font pression sur
lui pour qu’il se mette en règle. Par contre,
avec l’argent ainsi prêté, l’habitant ne
pourra faire ses achats que dans le quartier. Pour l’y inciter, les commerçants
octroient 5% de ristourne sur leurs produits. À l’heure actuelle, 93% des achats
sont pratiqués à l’intérieur du quartier.
Ce système a permis la création de plusieurs entreprises solidaires locales
comme PalmaLimpe qui fabrique des
produits d’entretien ou encore PalmaFashion, une coopérative de couturières
qui partagent ainsi une marque de vêtements. Depuis quatre ans, près de
2.500 jeunes ont pu suivre des formations professionnelles, des préparations au concours d'entrée à l'université et 2.200 emplois ont été créés
dans le Conjunto Palmeiras, dont 1.800
de manière directe.
Un palmas = un réal
Aujourd’hui, ce sont quelque 36.000
palmas qui circulent dans le quartier.
> L'Institut
Banco
Palmas
forme des
chercheurs
communautaires
qui
réalisent
des études
sur la
consommation
des
habitants
du
quartier
Le Sol, une
monnaie
électronique qui
soutient
l’économie sociale
et solidaire.
«Avant, quand un habitant
avait 10 reais, il les dépensait en dehors du quartier.
Aujourd’hui, même s’il n’a
qu’un palmas, il le dépensera ici». La particularité du système :
un palmas vaut un real. Cer taines
entreprises paient désormais environ
20% des salaires en palmas. Certaines administrations leur ont également emboîté le pas.
En 2003, l’Institut Palmas est créé. Il
est chargé d’exporter la méthode à
d’autres quartiers pauvres du Brésil.
Un système pérenne ?
Aujourd’hui, le système du Banco Palmas a fait des émules. Quarante-sept
banques communautaires existent au
Brésil. Mais il se heurte à une difficulté majeure :sa non reconnaissance
légale. Il vit grâce à la confiance que
la communauté lui accorde. Une proposition de loi déposée par une députée du PSB (Parti socialiste brésilien)
est actuellement en cours de discussion dans différentes commissions
parlementaires. «La banque centrale a
créé une unité qui travaille et réfléchit
aux monnaies sociales», explique Carlos de Freitas, co-auteur du livre Viva
Favela4. «Le partenariat avec le Secrétariat national à l'économie solidaire
qui dépend du ministère du
Travail et de l'Emploi est
également une forme de
reconnaissance. Certaines
collectivités locales ont
créé des «décrets» spécifiques permettant la mise en place des banques
communautaires sur leur territoire.
Mais tout reste fragile. Le projet est
toléré tant qu’il ne remet pas en question le système bancaire traditionnel.»
Au Venezuela, le président Chavez a
fait voter une loi qui institutionnalise
le système des banques communautaires et lui donne les fonds nécessaires à sa mise en œuvre. Résultat :
le pays compte aujourd’hui 3.600
banques communautaires.
Et en Europe ?
L’idée de la monnaie sociale et solidaire n’est pas neuve, on la retrouve
au XIXe siècle. En France, cinq régions
utilisent le Sol5, une monnaie électronique qui soutient l’économie sociale
et solidaire. Les Sols se présentent
sous la forme d’une carte à puce qui
a le même fonctionnement que la carte
de fidélité qu’on trouve dans beaucoup de grandes surfaces. En réalisant ses achats dans un magasin du
réseau, le consommateur reçoit des
Sols supplémentaires qu’il réutilise
dans les boutiques qui adhèrent au
système. S’ils ne sont pas consommés, les Sols perdent progressivement de leur valeur. Pas de risque de
spéculation ni de thésaurisation.
De l’impuissance aux
premières pistes d’action
De la rencontre du réseau de capacitation citoyenne à Namur est ressorti un
fort questionnement du système financier tel qu’il existe. Mais face au système économique actuel dont la compréhension dépasse bon nombre de
citoyens, il est difficile pour des personnes vivant dans la précarité de se
projeter dans une démarche telle que
celle du Banco Palmas. Cependant,
même si les moyens d’agir restent difficiles à identifier, une idée est ressortie : faire reconnaître comme valeur
véritable le temps et l’énergie mises
dans des actions citoyennes porteuses
de sens collectif. Ainsi, on pourrait imaginer qu’une personne précarisée qui
s’investit dans son quartier, par exemple en allant visiter des malades à l’hôpital, reçoive en retour un service qui
améliore sa qualité de vie. Une piste à
creuser, sans aucun doute. I
Nathalie Delaleeuwe
Collaboratrice à Periferia
Photos: Banco Palmas
i
www.periferia.be
www.banquepalmas.fr
1. Capacitation Citoyenne est un programme
d’échange et de renforcement de capacités
citoyennes, partagé par près de 100
collectifs citoyens de France et de Belgique
(www.capacitation-citoyenne.org) et animé
par Periferia et « Arpenteurs ».
2. L’AISBL Periferia s’inspire des pratiques
innovantes du Sud pour lancer au Nord des
expériences sociales de capacitation
citoyenne. Elle a été créée par des acteurs
qui avaient participé aux luttes du Conjunto
Palmeiras. Pour en savoir plus sur
Periferia, www.periferia.be.
3. L’association française « Arpenteurs »
anime des débats sur les processus de
fabrication de la ville. Pour en savoir plus,
www.arpenteurs.fr
4. Viva Favela ! Quand les démunis prennent
leur destin en main, par Joaquim Melo,
avec Elodie Bécu & Carlos de Freitas,
Editions Michel Lafon, 2009.
5. www.sol-reseau.org
terre
n°127 • hiver 2009
9
Une société économique
qui se repense
omme l’explique Vergès : «Le
langage économique, en tant
que langage ayant une valeur
opérationnelle ou symbolique, prend
place dans l’ensemble des langages
dont la société dispose. Là il devient,
au même titre que d’autres, un moyen
d’expliquer la réalité et de prévoir son
évolution. On constate alors que, d’une
part, la propagation du langage économique se fait au détriment des langages qui constituaient précédemment les chaînons principaux de la
pensée dominante (politique, religieux…) et que, de l’autre, il est l’objet d’un processus de diffusion.» (Vergès, 1989, p. 409)1.
Et ces autres langages, peut-on même
avancer, sont souvent devenus ceux
de la dissidence contestataire. Est-ce
à dire que nous voilà durablement
enfermés dans une réalité sociale qui
n’est faite que de transactions et de
calculs, et qu’en l’absence d’un langage susceptible de l’exprimer, le lien
social tout comme un projet de société
au-delà du commerce deviennent
impensables ? Heureusement non,
car les représentations sociales de
l’économie resteront toujours distinctes de la science économique.
Ces représentations économiques,
comme les appelle Vergès, ne répondent pas au même processus de
construction sociale que le savoir éco-
C
10
terre
n°127 • hiver 2009
nomique qui vient découper, au sein
même de l’expérience sociale, des
faits et des données qu’il peut interpréter (Vergès, 1989, p. 408). La formation des représentations économiques résulte au contraire d’un
processus d’articulation entre les éléments économiques et sociaux tels
qu’ils sont vécus par les acteurs
sociaux. Comme l’explique Vergès :
«Les représentations rendent compte
de l’expérience pratique des acteurs
sociaux et sont donc dépendantes de
leur place sociale et de leur rapport au
réel. Celui-ci est à la fois réel et imaginaire car la réalité n’est pas totale
transparence, car la pratique sociale
n’est pas scientifique. Les représentations sont donc, en première approximation, une production idéologique
associée à la pratique (…)» (Vergès,
1989, p. 412).
Or, à l’heure où se généralise le discours économique et où se diffuse un
mode de gouvernance axé sur une
perspective commerciale classique,
émergent simultanément des innovations tant pratiques2 que discursives3
qui viennent enrichir tout à la fois l’expérience économique et le vocabulaire susceptible d’en rendre compte
ou de les expliquer. Bien que toujours
distinctes de la science économique,
les représentations sociales de l’économie sont restées, jusqu’à récem-
Q. Mortier / Autre Terre
Nous vivons dans des sociétés économiques. Le langage, les
justifications, la rationalisation de nos institutions sociales sont
façonnés par un imaginaire économique. L’économie n’est plus
un domaine d’activité humaine, c’est le prisme à travers lequel
nous comprenons, interprétons et gérons nos sociétés, et même
bon nombre de nos rapports avec autrui.
La responsabilité sociale
de l’entreprise
La responsabilité sociale de l’entreprise opère une transformation tout
aussi fondamentale de l’imaginaire
économique. Il y a deux décennies à
peine, la responsabilité de l’entreprise
était encore envisagée dans une perspective strictement économique que
supportaient deux solides paradigmes :
d’une part, l’autonomie de la sphère
économique conjuguée à un fonctionnalisme parsonien ; et d’autre part, l’allégorie smithienne de la main invisible
du marché. Le premier de ces paradigmes suggère tout d’abord que la
logique économique se déploie en
dehors des dynamiques sociales selon
des lois qui lui sont propres ; par ailleurs, pour remplir adéquatement son
rôle, la sphère autonome de l’éconoLe commerce équitable
mie doit être préser vée d’autres
En précisant son caractère équitable,
logiques, par exemple politique. Il faut
qu’il revendique comme spécificité,
donc respecter les logiques de chaque
le commerce équitable jette le doute
sphère afin qu’elles remplissent une
sur le caractère équitable du comfonction bien définie au sein d’un sysmerce traditionnel. Placé à côté d’un
tème intégré où elles viendront s’empaquet de café équitable, le paquet
boîter. La légitimité d’une sphère écode café ordinaire n’apparaît-il pas, par
nomique autonome et préservée des
défaut, inéquitable ? Bref, par son
velléités étatiques repose sur le
appellation même, le commerce équisecond paradigme : la thèse d’Adam
table questionne les fondeSmith affirmant que la pourments de l’économie classuite du bien individuel de
Par
son
appellasique et les présupposés
chacun aboutit à la réalisation même,
sociaux et politiques de la
tion de l’intérêt général.
le commerce
transaction économique :
C’est-à-dire que grâce au
équitable ques«l’échange commercial
marché, l’intérêt général
tionne les fonden’aboutit pas automatiquepeut résulter de la pourments de l’économent à un enrichissement
suite égoïste par chaque
mie classique.
mutuel», déclare cette
individu de son propre intéappellation. Plus encore, le
rêt, plutôt que d’une biencommerce équitable évoque l’idée
veillance illusoire de chacun à l’égard
que : «l’échange, lorsqu’il est mal
d’autrui. L’irruption de la responsabiencadré, peut être facteur d’appaulité sociale dans les discours marque
vrissement». Bref, pour que la transla fin de ces paradigmes comme fonaction aboutisse à l’effet bénéfique
dements des représentations éconorecherché pour les deux parties, les
miques : la responsabilité sociale de
conditions commerciales doivent
l’entreprise hybride en effet le monde
répondre à certains paramètres que
économique et le monde social comme
le commerce équitable prétend justel’illustraient les travaux précurseurs
ment instaurer.
de Preston et Post (1975) qui situaient
ment, imprégnées par certains présupposés issus des thèses économiques classiques. Or, ces présupposés, déjà mis en cause dans la sphère
académique4, semblent se marginaliser dans les représentations sociales
actuelles de l’économie. Les représentations économiques se déclinent
sur de nouveaux registres5. Ce qui
signifie que non seulement l’économie d’aujourd’hui dif fère de celle
d’hier, mais aussi que les explications
prenant appui sur des référentiels
issus des sciences économiques vont
évoluer en fonction des nouvelles
représentations sociales de l’économie. Trois exemples permettront d’illustrer notre propos : le commerce
équitable, la responsabilité sociale de
l’entreprise et l’économie sociale.
commerce
équitable
terre
n°127 • hiver 2009
11
commerce
équitable
12
L’économie sociale
Si l’économie sociale est moins
récente, elle a proposé, à l’instar du
commerce équitable et de la responsabilité sociale, une perspective
concurrente de l’économie que le jeu
de formation des représentations
sociales, marquées par les rapports
de pouvoir, a marginalisée jusqu’à
aujourd’hui ; même si les thèses économiques classiques ont été abondamment questionnées par d’autres
courants comme nous l’évoquions
plus tôt, elles s’étaient imposées
comme principales références idéologique dans les représentations
sociales. Toutefois, les pratiques et
les organisations d’économie sociale
et solidaire se sont multipliées au
cours des dernières années, participant d’autant plus résolument à refaçonner les représentations dominantes de l’économie. Or, il n’est pas
anodin de remarquer que les prémisses qui sous-tendent l’économie
sociale vont dans le même sens que
celles à l’origine du commerce équitable ou de la responsabilité sociale
à savoir : 1) que l’économie n’est pas
indépendante du social et que les deux
sont en fait intrinsèquement imbriqués ; 2) qu’une organisation et sa
finalité s’insèrent nécessairement
dans un ordre de valeurs où l’on ne
peut faire l’économie du rappor t à
autrui. En d’autres termes, l’existence
même du commerce équitable, de la
responsabilité sociale et de l’économie sociale, comme pratiques tout
autant que dans leur dimension discursive, par ticipe au façonnement de
représentations économiques en rup-
terre
n°127 • hiver 2009
ture avec les représentations précédentes plus proches des thèses économiques classiques.
Ces représentations en émergence
reconnaissent notamment que la dynamique économique traduit une structure sociale, des logiques de domination et même un certain rapport à la
nature et donc que cette dynamique
s’insère dans un système social qui
l’encadre, lui donne forme et élan.
Bref, elles suggèrent que toute économie est sociale et que la prétendue
autonomie de la sphère économique
n’est en fait qu’un voile posé sur une
série de présupposés des rapports
entre économie et société. Les nouvelles pratiques économiques interrogent ces présupposés et minent les
velléités explicatives des thèses économiques classiques.
Il ne faut pas négliger ces transformations paradigmatiques car elles sont
susceptibles de porter de nouveaux
modes d’inter vention politique tout
autant que sociale qui auraient été
impensables parce que facilement discrédités par des rationalisations
s’abreuvant aux thèses de l’économie
classique. Nous avançons que cellesci ont moins de prises aujourd’hui,
alors qu’on assiste potentiellement à
une transformation radicale des représentations économiques. À titre
d’exemple, l’existence d’un circuit équitable viable sur le plan économique
invalide avec force l’argument fataliste
d’une loi du marché interdisant d’offrir
de meilleures rémunérations aux producteurs. Il rend par surcroît explicite
l’impact social d’organisations et de
règles que l’on prétendait confinées à
la sphère du commerce et justifie l’examen de ces dernières dans un registre social, politique et environnemental. Aujourd’hui, même une
organisation comme l’OMC7 a troqué
la thèse de l’autonomie économique
pour celle d’un lien positif entre la libéralisation du commerce et l’environnement. Cela est moins anecdotique
qu’il n’y paraît car en esquissant un
tel lien, l’OMC ouvre la possibilité d’un
dialogue sur la réalité et les conditions
de ce lien et par conséquent sur l’édification de mesures et de mécanismes
susceptibles de le renforcer. Il n’est
aujourd’hui plus possible d’ignorer les
revendications sociales, politiques et
environnementales au motif qu’elles
viendraient perturber un ordre économique par fait ; au cœur de débats
qu’elle accueille désormais en son
sein, l’économie est devenue sociale,
politique et écologique.
Corinne Gendron
Professeure titulaire, département Stratégie,
Responsabilité sociale et environnementale,
Chaire de responsabilité sociale et de développement durable, École des sciences de la gestion, Université du Québec à Montréal
Nancy Lessard
la responsabilité sociale à l’intersection de ces deux mondes6. Mais elle
inscrit aussi au cœur même de l’entreprise individuelle une mission incontournable d’intérêt général souvent
formalisée en termes de contribution
au développement durable, irréductible à sa profitabilité.
1. Vergès, Pierre. 1989. «Représentations
sociales de l'économie: une forme de
connaissance». In Les représentations
sociales, sous la dir. de D. Jodelet, p. 387405. Paris: Presses Universitaires de
France.
2. De nouveaux types d’entreprises ou
d’organisations économiques mettant en
avant l’importance d’apporter une plusvalue sociale… (ndlr).
3. Une nouvelle manière de parler de
l’économie considérant également ses
dimensions environnementales, sociales…
(ndlr).
4. Par l’école institutionnaliste et plus
généralement les courants hétérodoxes.
5. Comme pour reprendre à une nouvelle
échelle les dialogues scientifiques entre
écoles théoriques.
6. Preston, Lee E. et Post, James E., "Models
of Management and Society", in SETHI,
Prakash S. et FALBE Cecilia M. (eds),
Business and Society. Dimensions of
Conflict and Cooperation, Lexington
Books, Toronto, 1987, 654 p., p. 62-75.
7. L’OMC : L’Organisation mondiale du
commerce est la seule organisation
internationale qui s'occupe des règles
régissant le commerce entre les pays.
Éthiquable
ou le poids du commerce
équitable
C’est en 2003 que la coopérative Éthiquable a
vu le jour en France. Son objectif :
développer pour le commerce équitable un
marché à grande échelle. Elle détient
aujourd’hui 16 % de ce marché en France et
plus de 7 millions de produits y ont été
vendus en 2008 dans plus de 3.500 points de
vente. Éthiquable est devenu la marque
préférée des consommateurs de produits
alimentaires issus de ce commerce solidaire
avec les producteurs du Sud.
n Belgique, la même aventure
démarre en 2009 à l’initiative
de deux personnes aux profils
biens différents : Stephan Vincent et
Vincent de Grelle.
Le premier, ingénieur commercial, a un
parcours professionnel dans la grande
distribution et le deuxième a géré pendant sept ans le réseau wallon des
sins du Monde, fonction qui l’amène
entreprises d’économie sociale actives
dans l’Altiplano au Pérou auprès des
dans le recyclage (Ressources).
éleveurs d’alpaga : «J’ai véritablement
Pour Stephan, «le commerce est un
pris conscience du bienmagnifique outil de dévefondé du commerce équiloppement pour autant que
En donnant au
table et surtout combien il
la répartition des revenus
paysan
du
Sud,
était important, pour nous
se fasse de manière équivous le maintenez
au Nord, de répondre à
librée». Son expérience
dans une situation
leurs besoins pour que
comme gérant d’une
de dépendance
l’impact en termes de
grande surface et ensuite
par rapport au
développement soit réel et
directeur de PME a nourri
Nord. En achetant
son sens de l’entreprise
sa production à un mesurable. Il s’agit de les
soutenir de manière proet du développement comprix juste, vous lui
fessionnelle pour qu’ils
mercial. En 2008 il prend
rendez la liberté
puissent être à même de
la direction d’Oxfam-Magaet la dignité.
créer de manière auto-
E
nome la valeur ajoutée chez eux.»
Quant à Vincent, ingénieur agronome
de formation, il commence sa carrière
en 1996 à la coopération belge où il
met sur pied un projet en Équateur
visant à valoriser le café d’une zone
reculée du pays, à la frontière du
Pérou. «C’est là que j’ai compris que
le don, excepté dans les situations
d’urgence et d’extrême nécessité, pouvait avoir des effets dévastateurs sur
l’auto-estime des paysans et même
sur l’économie régionale. En donnant
au paysan du Sud, vous le maintenez
dans une situation de dépendance par
terre
n°127 • hiver 2009
13
Les engagements
d'ÉTHIQUABLE en termes
de commerce équitable
La totalité de la gamme ÉTHIQUABLE est issue du
commerce équitable. Elle est certifiée Max Havelaar
et contrôlée par l’organisme de certification Flo-cert.
Un prix juste du producteur au consommateur
ÉTHIQUABLE assure une rémunération juste et stable aux producteurs,
en leur proposant un prix minimum garanti - même lorsque les cours
mondiaux s’effondrent - permettant ainsi la viabilité de l’agriculture
paysanne et de meilleures conditions de vie des familles de producteurs.
Elle s'attache également au maximum à limiter le nombre
d’intermédiaires et à travailler dans la durée avec les coopératives.
La prime de développement
Elle est versée en plus du prix par ÉTHIQUABLE pour financer des
projets collectifs économiques et sociaux. Ce sont les producteurs euxmêmes qui décident de son utilisation. En voici quelques exemples :
investissement dans de nouveaux équipements de transformation de la
matière première (ex : dépulpage, fermentation du café…); la mise en
place d'un fonds de solidarité ; la création de caisse de micro-crédit; la
formation à des méthodes agricoles respectueuses de l’environnement…
Une juste répartition des profits
Afin d’offrir un prix accessible aux consommateurs, et de garantir une
répartition équitable de la valeur ajoutée entre les acteurs de la filière,
ÉTHIQUABLE s’engage en toute transparence à pratiquer une marge
raisonnable. Elle demande à tous ses partenaires distributeurs
d’appliquer le même principe sur la vente de ses produits.
14
Une relation directe et durable
ÉTHIQUABLE travaille directement et dans la durée avec l’ensemble
des coopératives partenaires au Sud. On ne peut parler d’un véritable
impact du commerce équitable que si ces 2 aspects sont présents. Etre
en relation directe avec les organisations de producteurs permet de
mieux les accompagner sur le terrain (un salarié d’ETHIQUABLE est
présent en permanence en Amérique Latine) et surtout leur permet de
développer de nouvelles activités (maîtrise de l’exportation, etc…). Par
ailleurs, c’est parce qu’ÉTHIQUABLE travaille à long terme avec les
organisations de producteurs en leur achetant régulièrement leur
récoltes que celles-ci ont une garantie de stabilité et peuvent ainsi
envisager l’avenir durablement.
terre
n°127 • hiver 2009
rapport au Nord. En achetant sa production à un prix juste, vous lui rendez
la liberté et la dignité. Vous suscitez
son goût d’entreprendre et vous freinez l’exode rural». Il ajoute «quand
Éthiquable est devenu client des producteurs équatoriens, ceux-ci ont augmenté leurs revenus de 30%». Enfin,
son passage à la fédération Ressources l’a convaincu que l’entreprise
doit rester au service de l’humain et
de son environnement. «L’argent doit
rester un moyen et non une finalité de
toute entreprise».
Le succès de la marque en Belgique
est immédiat : l’expérience de Stéphan dans l’analyse du marché et le
langage de Vincent, proche de celui
des producteurs, touchent les commerçants. Dès que l’occasion se présente, ils parlent au client de l’impact
concret du commerce équitable sur
le développement local. Ils l’invitent à
être acteur de leur projet qui se positionne dans la durée, à l’instar des
contrats à long terme qu’ils établissent avec les producteurs.
Éthiquable Benelux vise à offrir des
débouchés importants, qui passent
donc par la grande distribution. La coopérative désire associer environnement, développement économique et
soutien à l’agriculture paysanne. Une
récente étude faite à la demande de
la Coopération technique belge met
clairement en évidence la tendance
des consommateurs à s’approvisionner en produits équitables dans les
grandes surfaces et dans les points
de vente qu’ils ont l’habitude de fréquenter pour leurs achats quotidiens.
Au lieu de développer son propre
réseau de magasins, Éthiquable Benelux décide plutôt de s’adresser directement aux revendeurs en misant en
priorité sur la grande et la moyenne distribution, d’abord en Belgique et
ensuite au Luxembourg et aux PaysBas. En rendant des produits équitables accessibles au plus grand nombre, la coopérative espère contribuer
à encourager ainsi un changement de
Quelques
chiffres :
comportement dans la consommation
de produits alimentaires en faveur
d’un développement durable au Sud
et au Nord.
«Nous demandons aux commerçants
de diminuer volontairement leur marge
sur nos produits afin que les revenus
de ce commerce soient équitablement
répartis entre les différents acteurs,
depuis le producteur jusqu’au revendeur», explique Vincent. «Ils acceptent
et jouent le jeu de la solidarité. Tous
nos produits, (il y en a plus de 130)
sont évidemment labellisés Max Havelaar ou Fairtrade et notre connaissance
du terrain nous permet de vérifier aussi
par nous-mêmes toute l’éthique qui
accompagne un produit.»
Le commerce équitable est parfois critiqué. Le combustible, par exemple,
nécessaire pour amener ces produits
de très loin est une source de pollution
non négligeable. Ou bien, qu’advientil des paysans locaux qui n’auront pas
accès au commerce équitable ?
« Éthiquable ne travaille qu’avec l’agri-
culture paysanne », répond Vincent.
La coopérative refuse les plantations
à grande échelle. Or, l’agriculture paysanne, par son mode de production
intensif en main d’œuvre, peu mécanisée et respectueuse des écosystèmes et des réserves en eau, est un
acteur clé du développement durable
des zones rurales des pays du Sud.
Ces modes de production compensent largement le coût écologique du
transport par rapport à l’agriculture
mécanisée et intensive européenne.
En effet, même si le label Max Havelaar ne fait pas de distinction entre
les produits issus de plantation à
grande échelle (où les paysans ne possèdent pas la terre) et l’agriculture
paysanne, Éthiquable fait cette distinction et réinvestit d’ailleurs 10% de
ses bénéfices directement auprès des
coopératives de producteurs.
Le commerce équitable
en Belgique :
• 84% des Belges connaissent la
notion de commerce
équitable ;
• 1 foyer sur 4 a acheté au moins
un produit labellisé FairtradeMax Havelaar ;
• Il a réalisé en moyenne 5
achats de produits équitables
sur l’année et y a consacré
22 € ;
• 2/3 des ventes de produits
équitables se font en grande
surface ;
• La part des produits
équitables labellisés Fairtrade
et Max Havelaar atteint
45 millions d’euros ;
• La consommation moyenne
annuelle des produits
équitables s’élève à 4,3 €
par an et par habitant ;
• La vente de café labellisé
Fairtrade-Max Havelaar a
augmenté de 10% en 2008 ;
• La part de marché du café
équitable s’élève à 2,8%.
15
Article et documentation : Salvatore Vetro
Photos : Ethiquable
i
www.ethiquable.com
terre
n°127 • hiver 2009
16
L’île de Negros aux Philippines a vu naître
plusieurs projets. Mais un développement n’y
est possible que si le système féodal
(économique et social) maintenu par les
propriétaires terriens cesse. Les agriculteurs
n’ont ni accès à la terre ni le contrôle de la
production. Le système judiciaire philippin est
corrompu et les propriétaires terriens se
placent au-dessus des lois. Les plus pauvres,
quand ils réclament plus de justice, sont
accusés d’être des criminels ou des terroristes.
Le non-accès à la terre ou les menaces
d’expropriation sont souvent la source des
conflits sociaux.
Depuis l’arrivée au pouvoir du clan
Macapagal-Arroyo en 2001, les Philippins sont
victimes de meurtres extrajudiciaires, de
disparitions et d’autres graves violations des
droits de l’homme. La réforme agraire [CARP :
Comprehensive Agrarian Reform Program] est
un échec complet. D’immenses hectares de
terre restent dans les mains de quelques riches
familles. De nombreux bénéficiaires de la
réforme agraire n’ont jamais gagné - ou ont
même perdu à jamais - le contrôle sur les
terres qui leur étaient destinées, à cause du
système de la dépendance et de l’exploitation
féodales. Les populations des zones côtières
ont été harassées et expropriées à cause de
projets de constructions touristiques.
La situation est dramatique. Dès qu’une
communauté affectée parvient à développer
une structure forte, prête à faire valoir ses
droits, les groupes armés entrent en scène. En
2009, pas moins de 10 meurtres politiques ont
été enregistrés dans la région. Les fermiers et
les leaders des organisations civiques sont
jetés en prison et sont parfois torturés.
Les menaces de mort sont courantes –
j’en suis une victime, également.
Nous nous élevons pour défendre la
liberté civique et joindre nos voix
contre ce régime de terreur. Fin
octobre, à l’appel de plusieurs
organisations, une marche de protestation
s’est tenue pour demander :
• l’arrêt de l’exploitation minière à large
échelle ;
• le développement des services sociaux de
base au bénéfice des populations ;
• l’arrêt du harcèlement militaire.
Ben Ramos
Administrateur délégué de PDG
terre
n°127 • hiver 2009
Laurent Duvivier
Aux Philippines…
17
terre
n°127 • hiver 2009
L’insertion par le travail :
pour qui et
pour quoi ?
X. Roberti / Terre
Entretien avec François Foguenne,
coordinateur pédagogique du Centre de formation professionnelle Aurélie *
18
Est-ce que l’économie sociale doit
se contenter en quelque sorte d’atténuer les effets négatifs de l’économie traditionnelle en formant les
personnes pour un retour à l’économie ordinaire ?
Il ne faut pas se leurrer, au départ,
c’était exactement ça. Le monde
« idéal » est un monde où l’économie
sociale n’existe pas. Tout le monde
devrait être sur le même pied d’égalité dans une situation de plein emploi.
Il n’y aurait alors pas de souci pour
trouver du travail. Ce n’est malheureusement pas le cas et c’est la raison pour laquelle est apparue l’économie sociale. Elle a connu un essor
considérable les dernières années, à
mesure que s’agrandit le fossé entre
les personnes qui ont l’accès à des
études puis à un emploi et celles qui
sont peu qualifiées et qui ne trouvent
plus d’emploi.
Il faut évidemment faire le lien avec
l’historique de notre pays : lors de la
fermeture des grandes entreprises,
notamment celles de sidérurgie, beau-
terre
n°127 • hiver 2009
coup de personnes se sont retrouvées
sans emploi. À cause de cette situation économique difficile, la politique
sociale en Belgique a en quelque sorte
essayé d’ « étouffer » ce problème
d’emploi… Volontairement ou involontairement, peu importe. Moi qui travaille dans l’économie sociale depuis
une vingtaine d’années, je me rends
compte qu’on en est à la deuxième,
voire troisième génération de personnes en réinsertion. Et le profil de
ces personnes a changé.
Peux-tu expliquer l’évolution du profil des personnes en insertion ?
La toute première génération exclue du
marché traditionnel de l’emploi,
c’étaient des personnes qui avaient
intrinsèquement la valeur du travail
inscrite dans leurs veines et qui développaient naturellement une certaine
forme de culpabilité lorsqu’elles
n’avaient pas d’emploi. Évidemment,
on sortait d’une époque où, pour caricaturer, il « suffisait » de traverser la
rue quand on partait d’une usine pour
retrouver un emploi dans une autre.
Les enfants des travailleurs de cette
première génération ont toujours vu
leurs parents travailler. Lorsqu’euxmêmes ont perdu leur emploi, ils se
sont aussi sentis vraiment mal dans
cette société et ont visiblement commencé à culpabiliser, même si on a
cherché à compenser ce manque
d’emploi avec des allocations de chômage et une sécurité sociale très
confortable mais qui coûtait cher un
peu à tout le monde.
La seconde génération, ce sont les
enfants de ces derniers. Même s’ils
ont dû vivre un peu cette culpabilité,
dans un milieu moins confor table
aussi, ils étaient déjà plus loin de la
« valeur travail ». Ces familles vivaient
alors d’allocations de remplacement
de revenus, elles pouvaient donc toutà-fait vivre sans travailler. Les parents
n’ont pas eu besoin d’inculquer à
leur(s) enfant(s) cette « valeur travail ».
On arrive donc à une troisième génération de personnes en insertion qui
n’ont jamais vu leurs parents culpabiliser parce qu’ils ne travaillaient pas.
Je caricature mais c’est à peu près
ça. Évidemment, on s’est rendu
compte que le système d’assistance
coûtait fort cher et qu’on avait juste
réussi à cantonner les gens chez eux,
devant RTL, leurs idoles télévisées ou
leur console de jeux. Le message qui
passait alors, c’était : « ne bougez
pas, restez chez vous, tout se passe
bien »… Jusqu’au moment où on s’est
rendu compte que ce système d’assistance ne tiendrait pas la route financièrement et on a voulu remuer un peu
tous ces chômeurs ». Dans mon quotidien, je me retrouve avec des per-
> Centre de fo
ormation professionnelle Aurélie
sonnes de 35 ans qui n’ont jamais
travaillé une seule journée et à qui on
dit : « il serait temps que tu trouves du
travail ». Ils ne savent même pas ce
que c’est, le travail ! Certains viennent parfois avec des excuses pour ne
pas travailler, en disant par exemple :
« Le pain est en réclame chez Lidl
demain, il faut que je sois le premier
à l’ouverture des portes comme ça je
pourrai en acheter 4 et les congeler.
Je ne saurai pas venir travailler demain
matin. » Ou encore des gens qui viennent se présenter en disant : « Je vais
commencer une formation mais je ne
pourrai pas venir le mardi car c’est le
marché à Seraing et je dois y aller pour
ma grand-mère. » On est plus du tout
dans un esprit de travail et c’est ça
qu’il faut reconstruire. Dans les formations professionnelles qu’on propose chez Aurélie, avant d’apprendre
la technique, il y a tout un travail pour
structurer socialement les personnes
en insertion et les amener à faire le
choix de quitter les allocations de remplacement de revenus et d’opter pour
D. Gabriel / Autre Terre
un travail. Nous essayons aussi de les
accompagner pour assumer ce choix.
Comment les pouvoirs publics, qui
soutiennent justement l’insertion, la
conçoivent-ils ?
En ce qui concerne l’économie sociale
d’insertion en Wallonie, à laquelle je
participe aussi en tant que membre
dans certaines commissions, je crois
que c’est un des rares modèles qui
permettent à une personne volontaire
d’obtenir un emploi et de le garder. Il
y a quelques années, nous étions le
seul pays francophone où les entreprises d’insertion étaient liées à des
commissions paritaires sectorielles,
c’est-à-dire reconnue par rapport au
secteur d’activité dans lequel elles
opèrent, et qui autorisait sans critique
la pérennisation des emplois, c’est-àdire que des personnes pouvaient s’intégrer au sein de l’entreprise et y préparer leur avenir.
Malheureusement, certains n’envisagent le décret wallon « entreprises
d’insertion » qu’en termes d’emploitremplin. C’est l’idée, en quelque
sorte, de pousser les gens dehors,
en espérant que ce soit vers l’emploi
plutôt que vers le chômage. Quand il
s’agit d’entreprises de formation par
le travail ou de centres de formation
professionnelle tels que le nôtre, je
peux le comprendre, c’est notre rôle
mais toute l’économie sociale ne doit
pas forcément être perçue ni conçue
de telle façon pour tous. La meilleure
insertion professionnelle reste l’insertion dans le circuit ordinaire de travail mais celui-ci n’est pas accessible
à tous. Et imaginer se séparer d’un
travailleur après 4 ans, alors qu’il a
enfin pu trouver son rôle et sa place
dans la société, sans lui assurer d’autre avenir, c’est avoir fait pire que bien.
Cela est-il lié à la forme dégressive
des subsides, qui ont pourtant pour
objectif officiel de former les travailleurs en insertion et de les amener
après 4 ans au même « niveau »
qu’un travailleur « classique » ?
C’était bien l’objectif mais nous savons
que ce n’est pas le cas pour tous les
travailleurs, surtout avec le public-cible
qu’on recrute et qui est de plus en plus
difficile. Il y a donc aujourd’hui un travail de fond à faire avec les travailleurs
en insertion sur leur perception du travail. On ne peut plus se contenter de
les mettre face à une machine, leur
expliquer comment elle fonctionne et
leur donner leur autonomie. Auparavant, c’était possible. À l’heure actuelle,
il y a un encadrement et tout un travail
collatéral qui doit être fait pour pouvoir assurer le bien-être de la personne
au travail pour qu’elle y reste.
Pour assurer cet encadrement, il y a
des accompagnateurs sociaux.
Mais il existe aussi une nouvelle
forme d’accompagnement qu’on
appelle le « jobcoaching ». De quoi
s’agit-il ?
Selon moi, il a pour objectif d’accompagner une personne dans le cadre
d’un travail, que ce soit pour trouver
ce travail ou pour améliorer son bienêtre dans ce travail. Or la définition
du jobcoaching dans les entreprises
d’insertion ( EI ) se cantonne à aider
les personnes à intégrer l’économie
classique. C’est une façon de voir que
je ne partage pas toujours. Le boulot
d’un coach, et ce dans n’importe quel
milieu, c’est d’accompagner une personne pour qu’elle devienne plus performante. L’idée ici, c’est que
lorsqu’une personne arrive à une certaine performance qui représenterait
une plus-value pour l’entreprise, elle
doit sortir et aller ailleurs qu’elle soit
ou non volontaire. Puis on doit recommencer tout le travail avec une personne qui est beaucoup moins compétente. Comme je l’ai déjà dit, les
entreprises de formation par le travail
ou les centres de formation professionnelle jouent ce rôle de sas mais
ce ne doit pas forcément être toujours
terre
n°127 • hiver 2009
19
A.U.R.E.L
le cas dans les EI. La meilleure insertion reste pour moi celle qui est faite
dans le circuit classique mais ce n’est
pas toujours possible. Et si ce n’est
pas possible, le rôle du jobcoach
devrait permettre au travailleur d’améliorer son bien–être au travail au sein
même de l’entreprise. En ce qui nous
concerne, nous travaillons évidemment avec un public en insertion mais
aussi avec des personnes porteuses
d’un handicap. Parmi celles-ci, il y en
a pour lesquelles on se voit très mal,
après quatre ans d’insertion, leur dire
« C’est fini maintenant, retourne d’où
tu viens… » Ces personnes ont réussi
à atteindre un certain degré de productivité mais elles ne pourront que
très rarement atteindre le niveau d’exigence du circuit ordinaire.
20
Quand tu dis que la plus belle réussite pour un travailleur, c’est de
réintégrer le circuit ordinaire, est-ce
parce que l’économie sociale est
incapable de fournir de l’emploi
pérenne et de qualité aux personnes
qui y travaillent ?
En partie oui. C’est très rare que l’économie sociale propose un travail
pérenne et de qualité, tout simplement
parce que l’on lui a trop souvent assigné tous les boulots ingrats. On voit
que les titres-services représentent
aujourd’hui 100.000 emplois mais on
ne peut pas dire que ce soient toujours
des boulots très épanouissants. Malgré tout, je défends personnellement ce
système car créer autant d’emplois
pour un public peu qualifié dans la
conjoncture économique actuelle, c’est
loin d’être évident. Et ces boulots ont
toujours existé, même s’il s’agissait
auparavant de travail au noir. Les titres-
terre
n°127 • hiver 2009
services représentent environ 80% des
emplois de l’ensemble des entreprises
d’insertion. Et la plupart des 20% restant sont liés au secteur du recyclage.
Là non plus, les conditions ne sont pas
toujours des plus faciles : pour celles
et ceux qui s’occupent du dépeçage
des voitures, par exemple, le travail se
fait sur des terrains puants et bruyants
et par tous les temps. Le boulot en luimême n’est jamais très valorisant. La
valorisation vient du fait de récupérer
un statut, d’avoir un lien social par le
biais de son travail et évidemment
d’avoir un petit peu d’argent en fin de
mois, ce qui ne fait jamais du tort…
L’important pour le travailleur, c’est de
redevenir un maillon de la société.
En ce qui concerne les secteurs d’activité, il faudra encore convaincre de
la qualité et de l’efficacité des entreprises d’économie sociale. En effet, il
n’est par rare en commission d’agrément des entreprises d’insertion, que
des représentants des syndicats ou du
patronat voient d’un mauvais œil qu’une
entreprise d’insertion veuille entrer
dans des circuits très traditionnels
comme le bâtiment ou la mécanique.
Pour eux, le créneau des entreprises
d’insertion, c’est prioritairement le nettoyage et le recyclage. Ils ont peur quand
on s’attaque à d’autres secteurs. Dans
leur tête, c’est de le concurrence
déloyale parce qu’on a des emplois
subsidiés. Soit dit entre nous, ce sont
des subsides auxquels ils peuvent aussi
avoir accès, s’ils voulaient engager des
personnes avec un profil peu qualifié…
L’économie sociale est donc destinée à rester cantonnée dans des
petits marchés ?
Pour la plupart des entreprises d’inser-
tion, probablement que oui. On est
toujours soumis au marché traditionnel et aux appels d’offres puis c’est
quand même souvent les gros qui prennent la part du marché. Ce qui peut
donner une chance réelle à l’économie
sociale, c’est l’existence de certaines
clauses sociales dans les appels d’offres ou des conditions de partenariat.
Dans le cas des appels « récupel » par
exemple, il était très bien vu que les
acteurs industriels qui ont pignon sur
rue s’associent à une entreprise de
l’économie sociale. C’est comme ça
qu’on a démarré un projet sur Charleroi. Tout ce qui devient un peu « juteux »
financièrement est naturellement très
étroitement surveillé par les acteurs
de l’économie traditionnelle et reste
difficile d’accès pour les entreprises
qui n’ont pas la taille suffisante.
On voit que les partenariats sont
essentiels pour gagner des parts de
marchés. Pourquoi les entreprises
d’économie sociale ne s’associentelles pas d’avantage pour peser plus ?
Je suis déçu par l’esprit de clocher
qui règne parfois dans le monde wallon de l’économie sociale. Ce n’est
plus une économie solidaire, ça redevient une économie de marché à tous
les niveaux entre les acteurs de l’économie sociale eux-mêmes. On retrouve
aussi certains problèmes rencontrés
dans l’économie traditionnelle comme
les trafics d’influences. Les portes
des entreprises sociales ne s’ouvrent
pas toutes grandes pour le public
qu’on forme par exemple. Cela s’explique notamment par la culture de
l’entrepreneur belge, qu’il soit dans
l’économie traditionnelle ou sociale,
dont l’objectif est bien d’avoir un maxi-
* A.U.R.E.Lie
Lie
est un Centre de Formation Professionnelle agréé par l'A.W.I.P.H.
(Agence Wallonne pour l'Intégration des Personnes Handicapées).
On y propose les formations suivantes:
mum d’aides si possible pour la personne la plus performante. Il y a toujours quelque chose à dire sur certains travailleurs, du type : « C’est bien
dommage mais il n’est pas subsidiable ou il n’est pas assez autonome. »
Il m’est arrivé de voir un gars motivé,
qui a suivi un stage dans l’économie
sociale et qui en voulait, rester sur le
carreau parce qu’on préférait un travailleur moins performant mais mieux
subsidié. C’est très frustrant.
L’économie sociale a donc encore
pas mal de défis à relever pour trouver la place qui lui revient dans
notre société ?
Je crois que les acteurs de l’économie sociale doivent être capables de
collaborer et de s’associer sur des
projets, même ponctuels, pour améliorer leur sort et leur poids sur le marché. Il est important de sortir des créneaux peu valorisants en continuant
d’investir dans des filières plus rentables et moins mal considérées.
En ce qui concerne l’insertion, je pense
qu’elle est indispensable dans notre
société car elle permet de redonner
une place à un travailleur et de l’intégrer à part entière. Il faut juste considérer l’évolution des profils des personnes en inser tion de manière à
donner aux entreprises d’insertion les
moyens adéquats (au niveau financier, administratif, structurel et humain)
pour y faire face… En sachant que
l’objectif à terme est d’arriver à un
monde où l’économie classique aura
tellement bien intégré la dimension
d’inclusion, d’accompagnement et de
plein-emploi que l’économie sociale
n’aura plus de raison d’être.
• émergence : cycle de 456 heures ayant pour objectif d’acquérir
une meilleure connaissance de ses compétences et du monde du
travail afin de choisir et de valider une orientation
professionnelle réaliste
• préformation : cycle de 48 semaines soit un an maximum,
ayant pour objectif d’acquérir les compétences de base
nécessaires à l’entrée dans un processus d’intégration
socioprofessionnelle
• mécanicien automobile : cycle d'environ deux ans divisé en
quatre modules de 24 semaines chacun
• carrosserie : cycle d'environ deux ans divisé en quatre modules
de 24 semaines chacun
• magasinier – chauffeur/ livreur : cycle d'environ deux ans
divisé en quatre modules de 24 semaines chacun
• ouvrier en recyclage de véhicules hors d’usage et de
matériel électrique ou électronique : cycle d’un an
• chauffeur poids lourds ou transport de personnes, en
collaboration avec le Centre de Formation « LE PLOPE » :
cycle d’environ deux ans répartis sur quatre modules dont une
immersion finale en entreprise
• manoeuvre polyvalent du bâtiment : cycle d’environ deux
ans et demi divisé en quatre modules plus un module de
perfectionnement
• cariste : cycle de 40 à 80 heures réparties sur 1 ou 2 semaines
Le Centre accueille une trentaine de stagiaires encadrés par des
techniciens professionnels et des travailleurs sociaux. La
formation s'adresse à toute personne âgée de 18 ans au moins,
enregistrée à l'A.W.I.P.H. et motivée par une réinsertion
professionnelle. Aucun pré-requis n'est exigé au départ. On
demande cependant les aptitudes et la motivation nécessaires à
entreprendre un cycle de formation.
i
Aurélie ASBL
Rue des Naiveux, 64
4040 Herstal
T. 04 264 07 01
21
Entretien : Xavier Roberti
terre
n°127 • hiver 2009
Les maisons médicales
Utopie et
pragmatisme
Les maisons médicales sont nées au début
des années 70. Les tendances apparemment
contradictoires qui se manifestent
aujourd’hui encore étaient présentes dès le
début : tensions entre initiative privée et
utilité publique, entre travail collectif et
épanouissement personnel, entre projet
politique et fonction de soin, entre utopie,
enfin, et pragmatisme.
e centre de santé intégré - appellation conceptuellement correcte d’une maison médicale - a
d’abord été conçu en tant que modèle par le
groupe d’études pour une réforme de la médecine
(GERM). Ce groupe rassemblait des intellectuels de
formations diverses, mais aussi des praticiens hospitaliers ou ambulatoires dont l’ambition était de
secouer les carcans qui enfermaient la conception de
la santé et la soumettaient aux intérêts particuliers.
L’élan donné par le GERM a produit des résultats qui
se sont inscrits dans le paysage de la santé dans
notre pays : les premiers États généraux de la santé,
le livre blanc pour une politique de santé, le soutien
à Willy Peers dans son combat pour l’avortement, le
soutien à la lutte contre le conservatisme corporatiste
de l’ordre des médecins, la liaison entre santé publique
et politique de santé.
Le GERM a avancé le premier la proposition que «si
la santé n’a pas de prix, elle a un coût». À la fin des
années 70, avec le basculement libéral des politiques
publiques soi-disant dicté par les chocs pétroliers et
avec, notamment, le contrôle sur les dépenses
publiques en santé, les travaux du GERM ont trouvé
un large écho dans le secteur.
Entre-temps, les propositions formulées par le GERM
avaient également inspiré des praticiens des soins de
santé idéalistes, regroupés au sein de petites structures très collectives, voire des communautés. Des
L
22
terre
n°127 • hiver 2009
gens très investis, travaillant au quotidien dans la perspective d’une révolution radicale annoncée de la société
et des mentalités. Ils vont se saisir des analyses et des
modèles du GERM comme référence à leurs projets.
Ces projets très locaux, résultant d’initiatives privées, disséminés dans différentes localités, ne sont
pas coordonnés entre eux. Ils vont petit à petit se
reconnaître et se rencontrer.
Il faut signaler, à la même époque, le lancement de
Médecine pour le peuple, des structures de soin
créées en lien et au service du projet politique du Parti
du travail de Belgique. Après avoir longtemps évolué
en parallèle avec la Fédération des maisons médicales, ces centres l’ont maintenant rejointe, y compris dans le mode de financement.
C’est alors qu’intervient la grande guerre… Celle que
racontent les anciens, la larme à l’œil, aux jeunots rassemblés à leurs pieds devant l’âtre. Enfin, à peu près.
Fin de l’année 80, l’ABSyM, à l’époque seul syndicat professionnel de médecins, corporatiste, réactionnaire,
lance la seconde grève des soins pour casser la volonté
publique d’instaurer un contrôle démocratique sur les
dépenses en soins de santé. Passons les détails émouvants, les quelques maisons médicales francophones
et flamandes, adossées aux alliés mutuellistes et syndicaux, parviennent à casser cette grève et, du même
coup, le monopole de l’ABSyM.
Cet évènement détermine la reconnaissance par les
pouvoirs publics des maisons médicales, pourtant très
minoritaires, comme interlocuteurs et la création de la
Fédération des maisons médicales autour du projet de
politique de santé à défendre dans ce cadre. C’est dans
ce mouvement que peut être négociée à l’INAMI la mise
en œuvre du financement au forfait*, encore une alternative formulée d’abord par le GERM, en réponse à un
des deux obstacles à une réforme du système de santé1.
Il faut noter que, dans la foulée, la Fédération des mai-
Herma
* Financement
forfaitaire
> Fresque réalisée par des jeunes patients inscrits à la
maison médicale l’Herma à Liège
sons médicales «récupère», avec son accord, la reconnaissance en éducation permanente du GERM.
La fédération a grandi, mais elle garde ses principes fondamentaux : utopie et pragmatisme. Elle défend des perspectives radicales, mais elle poursuit ses objectifs en
travaillant avec tous les interlocuteurs, y compris ses
adversaires. Elle s’implique, elle fait des propositions
et des alliances. Pour ça, elle assure la promotion de
ses idées dans tous les lieux où c’est utile et possible.
«À ce jour, ce sont 712 centres de santé qui sont fédérés en Communauté française. Ils occupent plus de
900 professionnels de la santé (accueil, médecins,
infirmières, kinésithérapeutes, psychologues, assistants sociaux, administratifs).
Essentiellement implantés en milieux urbains, ils couvrent les besoins de soins de santé de 5 à 8 % de la
population dans les grandes villes à Bruxelles et en
Wallonie, soit 220.000 personnes, ou encore un habitant sur 30 en Communauté française. Les maisons
médicales réalisent ainsi plus d’un million de prestations
médicales par an. Leur mode d’organisation, en équipe
et avec des conditions d’accessibilité financière optimale,
conduit à des économies importantes de consommation de médicaments, mais aussi de biologie clinique,
d’imagerie médicale et d’hospitalisations.»
Pour la «révolution radicale annoncée de la société et
des mentalités», on attend encore un peu, aux dernières nouvelles...
Christian Legrève
Animateur, Fédération des maisons médicales
1. Les deux obstacles identifiés étaient le financement et la
formation des professionnels. Lire Monique Van Dormael,
Le centre de santé intégré et les maisons médicales, in Le cahier
du Germ n° 152, 1981.
2. Revue Politique, hors série n°5, juin 2006, consécutif à notre
congrès de 2006. Les centres sont aujourd’hui plus de 80.
i
Un des obstacles à une réforme des soins de
santé pointés par le GERM était le mode de
financement à l’acte. C’est le système que tout le
monde connaît et dont nous pourrions croire
qu’il est le seul possible. Or, il n’en n’est rien.
À partir de 1984, l’INAMI a créé la possibilité
d’un mode de financement alternatif. Il
fonctionne sur la base d’une inscription
volontaire des prestataires et des bénéficiaires. Il
peut concerner les soins de médecine générale,
de kinésithérapie et les soins infirmiers (MKI).
Le patient, l’équipe de soin (préalablement
agréée) et l’INAMI (à travers la mutuelle du
patient) concluent un accord aux termes duquel :
- la mutuelle verse mensuellement à l’équipe,
pour chaque personne inscrite (ayant signé
l’accord), une somme forfaitaire,
indépendamment du nombre de prestations
(qu’il y en ait peu, ou beaucoup, ou pas du
tout dans la période) ;
- l’équipe s’engage à fournir au patient tous les
soins MKI utiles sans aucun frais
supplémentaire ;
- le patient choisit cette équipe et sait qu’il ne
sera pas remboursé s’il s’adresse à d’autres
prestataires pour les soins concernés.
Ce forfait est dit à la capitation, par tête. Il lie une
population et une équipe à qui elle fait confiance
pour la soutenir dans ses démarches de santé.
C’est une modification qualitative fondamentale
du lien, par rapport au système à l’acte, dans
lequel un patient paie un prestataire pour une
intervention sur sa maladie.
C’est aussi un système qui prolonge et inscrit dans
la proximité, la solidarité et l’équité de notre
système de protection sociale. La maison médicale
ne peut organiser la réponse adéquate aux besoins
des gens qui en ont beaucoup que parce qu’elle est
financée aussi pour ceux qui en ont peu.
www.maisonmedicale.org
terre
n°127 • hiver 2009
23
L’économie solidaire :
entre économie
sociale et
mouvements sociaux
vec l’émergence de la question sociale, pour
beaucoup de penseurs et d'ouvriers confrontés à la misère, l'ampleur intolérable des inégalités oblige à se tourner vers un mécanisme de
coordination aux antipodes de l'intérêt : l'association solidaire. Dans la première moitié du dix-neuvième siècle, Leroux en partant du latin juridique « in
solidum » (pour le tout) introduit dans le vocabulaire
philosophique la notion de solidarité, définie comme
le lien social volontaire entre citoyens libres et égaux ;
autrement dit le lien social qui succède à la charité
en démocratie.
A
24
L’invention de la solidarité moderne
Le dix-neuvième siècle témoigne de l'imbrication entre
débats politiques et pratiques économiques. Quelle
que soit la diversité des expériences initiées par les travailleurs, leur spécificité peut être mesurée par deux
traits :
• le groupement volontaire prend source dans la référence à un lien social pratique qui se maintient par
la mise en œuvre d'une activité économique. La
participation à cette activité ne peut être détachée
du lien social qui l'a motivée ;
• l'action commune parce qu'elle est basée sur l'égalité entre les membres donne capacité à ces membres pour se faire entendre et agir en vue d'un changement institutionnel.
De par cette double inscription à la fois dans la sphère
économique et dans la sphère politique, s'exprime
dans l'espace public la revendication d'un pouvoir-agir
dans l'économie, la demande d'une légitimation de
l'initiative indépendamment de la détention d'un capital. Néanmoins, cette volonté collective, se heurtant
à une répression massive, s'atténue progressive-
terre
n°127 • hiver 2009
ment alors que l'économie de marché connaît un
essor inédit grâce à la concentration de moyens rendue possible par la société de capitaux. En même
temps, face à la misère sécrétée par la révolution
industrielle se fait jour la nécessité de normes sociales
de justice, dont l'État social se porte garant. L'interdiction du travail des enfants, la limitation de la durée
du travail, sont promulguées par des gouvernements
soumis à la pression ouvrière. L'État, expression de
la volonté générale, devient dépositaire de l'intérêt
général qu'il peut mettre en œuvre grâce à l'action de
l'administration. La solidarité relève désormais d’une
redistribution publique considérée comme la solution
pour régler le problème de la dette sociale.
La seconde moitié du dix-neuvième siècle correspond
à l'instauration d'un État protecteur qui endosse les
responsabilités sociales que l'associationnisme avait
contribué à définir en tentant de les assumer. Le
régime institutionnel reposant sur l'économie de marché assortie d'une redistribution publique qui en tempère les inégalités se met en place. Il connaîtra son
apogée dans la seconde moitié du vingtième siècle.
L’identité incertaine
de l’économie sociale
La complémentarité entre marché et État social s'accompagne toutefois de l'obtention de différents statuts juridiques attestant d'une modification des
démarches pionnières. Les syndicats se singularisent dans leur rôle de représentation des travailleurs. Ils se séparent des organisations d’économie
sociale. Parmi celles-ci, les coopératives sont distinguées des mutuelles, les premières devenant une
forme particulière de société de capitaux, centrée sur
la fonction de production ou de consommation alors
L. Géronnez
> Face à la misère sécrétée par la révolution
industrielle se fait jour la nécessité de
normes sociales de justice, dont l'État
social se porte garant.
IHOES
> Reconstruction solidaire
d’une école en Bolivie
que les secondes se concentrent sur la fonction de
secours. Les activités créées pour défendre une
identité collective en s'ajustant aux règles du système
dont elles font partie vont en retour profondément
modifier les relations d'entraide qui étaient à leur
origine. Le statut d'association, quant à lui, moins
étroit dans son objet, se voit limité dès lors qu'il est
couplé à une activité économique.
Les trois statuts juridiques obtenus : coopératif,
mutualiste et associatif deviennent autant de sousensembles tributaires du modèle de développement
économique et social dans lequel ils s'insèrent, en
particulier de la segmentation qui s'instaure entre
l'économie de marché et l'État social. Aux deux
extrêmes, les coopératives se considèrent comme
des entreprises sur le marché, alors que les associations sont cantonnées dans la sphère sociale. Le
maintien d'une cohérence « sectorielle » s'avère
alors difficile. La hiérarchisation et la complémentarité entre économie de marché et social étatique
produit des effets de dissociation entre les différentes composantes de l’économie sociale.
terre
n°127 • hiver 2009
25
corporacion de cultura y turismo INKAL-KER, grupo ecopazeo.
26
Une nouvelle dynamique
Avec les années 1960, les bouleversements dans
les modes de vie, puis ce que l'on a appelé la « crise »
économique, génèrent de nouvelles actions allant
dans le sens d'une politique de la vie quotidienne, soucieuses de préserver l'environnement, de critiquer
l'absence de participation des usagers à la conception des services qui les concernent, de soumettre
à la réflexivité les rapports entre les sexes et les
âges. Ces formes d'expression inédites se doublent
d'une modification tendancielle des formes d'engagement dans l'espace public. Le militantisme généraliste, lié à un projet de société, impliquant une
action dans la durée et de fortes délégations de pouvoir dans le cadre de structures fédératives s'affaiblit comme le montre le recul de certaines appartenances syndicales et idéologiques. Par contre, cette
crise du bénévolat constatée dans des associations
parmi les plus institutionnalisées se double d'une
effer vescence associative à base d'engagements
concrets à durée limitée, centrés sur des problèmes
particuliers en oeuvrant pour la mise en place de
réponses rapides pour les sujets concernés. Parmi
les démarches témoignant de cette inflexion de l'engagement, nombreuses sont celles qui se revendiquent d’une perspective d’économie solidaire, affirmant leur dimension économique tout en la combinant
à une volonté de transformation sociale.
Les initiatives qui se sont développées dans le dernier quart du vingtième siècle renouent avec l'élan
terre
n°127 • hiver 2009
> L'économie solidaire se
caractérise par un
ensemble des activités
contribuant à la démocratisation de l'économie à partir d'engagements citoyens. Cette
perspective a pour particularité d'aborder ces
activités, non pas uniquement par leur statut
(associatif, coopératif,
mutualiste, …) mais par
leur double dimension,
économique et politique,
leur conférant leur originalité.
associatif de la première moitié du dix-neuvième siècle en mettant, au cœur de leur passage à l'action
économique, la référence à la solidarité démocratique. Cette dynamique est présente dans plusieurs
champs d’activité : les services de proximité, les
finances solidaires, le commerce équitable, l’autoproduction accompagnée, le tourisme solidaire, la
consommation responsable, les systèmes d’échange
local, ...
Au total, une nouvelle économie sociale apparaît
ainsi qui veut contrecarrer les tendances à la banalisation ayant particulièrement affecté l’économie
sociale pendant la période d’expansion dit des Trente
Glorieuses. Mais il ne s’agit pas seulement d’entreprises émergentes, elles naissent en lien étroit avec
des mouvements sociaux et revendiquent la recherche
d’un « autre monde » passant par la construction
d’une « autre économie ». En cela, l’économie solidaire au niveau théorique propose une re-conceptualisation de l’économie sociale et au niveau pratique prolonge et infléchit l’économie sociale.
Les enjeux pour demain
L'économie solidaire se caractérise par un ensemble
des activités contribuant à la démocratisation de l'économie à partir d'engagements citoyens. Cette perspective a pour particularité d'aborder ces activités, non
pas uniquement par leur statut (associatif, coopératif,
mutualiste, …) mais par leur double dimension, économique et politique, leur conférant leur originalité.
La dimension économique insiste d'abord sur la prédominance de l'impulsion réciprocitaire dans l'émergence des pratiques ; ce n'est pas l'accord contractuel basé sur l'intérêt qui les fonde mais une visée
d'expérience intersubjective. Ensuite leur consolidation
est recherchée à travers l'hybridation des ressources,
les ressources réciprocitaires étant relayées par des
ressources publiques émanant de la redistribution et
des ressources marchandes. Le défi consiste à ce
que la combinaison des ressources préserve la logique
du projet et ne l'instrumentalise pas.
La dimension politique s'ancre sur cette réciprocité
et la construction d'espaces publics autorisant un
débat entre les parties prenantes sur les finalités
poursuivies et les moyens mis en oeuvre. Le défi, sur
ce plan, réside dans le maintien d'une possibilité
d'espaces publics autonomes distincts des espaces
publics institués, régulés par le pouvoir.
Les deux dimensions sont imbriquées au sens où la
mobilisation des formes de réciprocité mises en œuvre
de manière volontaire par des citoyens libres et égaux
leur permet d'accéder à l'espace public en construisant les conditions de leur indépendance économique.
Mais la capacité à générer des changements sociaux
dépend de la liaison établie entre, d'une part l'exercice de cette liberté positive d'association et de coopération, d'autre part une action publique, seule susceptible de promulguer des droits subjectifs et de
définir les normes d'une redistribution réductrice
d'inégalités. La portée de l’économie solidaire est
donc liée à l’articulation entre deux registres de la solidarité démocratique que sont la réciprocité égalitaire
et la redistribution publique.
Les pratiques qui s’y inscrivent s'opposent à la naturalisation de l'économie fondée sur le seul registre
de l'intérêt matériel individuel. Elles sont aussi un
levier de changement social qui favorise la constitution d’une économie sociale et solidaire dont la reconnaissance est déterminante dans la période actuelle
de crise capitaliste.
Jean-Louis Laville
Sociologue et économiste, Jean-Louis
Laville est professeur au
Conservatoire National des Arts et
Métiers (Cnam). Après avoir été
chercheur puis avoir dirigé un
laboratoire CNRS, il poursuit ses
recherches en sociologie économique
au Laboratoire Interdisciplinaire pour
la Sociologie Economique (Lise, CNRSCnam, Paris) et est coordinateur
européen du Karl Polanyi Institute of
Political Economy.
Bibliographie
• Des coopérations internationales ont
été mises en place (par exemple
entre les réseaux européens EMES et
sud-américain RILESS) afin de
fournir des repères sur les
différentes composantes de
l’économie sociale et solidaire dans
divers continents, elles ont abouti à
des publications disponibles dans
plusieurs langues. Pour ce qui est du
français, ce sont :
• Laville J.L., (sous la direction de),
L'économie solidaire : une
perspective internationale. Paris,
Hachette-Littératures, 2008.
• Laville J.L., Cattani A.D.,
Dictionnaire de l’autre économie,
Paris, Gallimard, 2006.
• Laville J.L., Magnen J.P., De França
Filho G.C., Medeiros A., Action
publique et économie solidaire,
Toulouse, Erès, 2005.
Plus largement, 2 collections font une
large place aux recherches récentes et
analyses sur l’économie sociale et
solidaire :
• « Solidarité et société »
chez Desclée de Brouwer
[email protected]
• « Sociologie économique »
chez Erès
www.editions-eres.com
Bérénice
27
terre
n°127 • hiver 2009
Terre libre
Terre libre
Nord...
Terre vient de fêter ses 60 ans !
Entretien avec Louis Dessart
Toi qui fait partie des pionniers de
Terre, comment t’es-tu retrouvé
impliqué dans cette aventure ?
J’ai commencé fort jeune. William Wauters était mon chef au patro. Pour gagner
de l’argent pour le patro, on coupait du
bois, on essayait de trouver des
vidanges consignées et de récolter du
papier. Puis on a consacré cet argent aux
gens défavorisés. Le week-end, on allait
réparer les maisons des gens qui
n’avaient pas les moyens. Les gens
achetaient les marchandises et le weekend on allait faire les constructions pour
rien. Voilà comment a commencé Terre.
On avait 18 ans à l’époque.
De 1958 à 1975, c’étaient les belles
années en Belgique. Il ne manquait
rien à personne. C’est pour ça qu’on
s’est dirigé vers le Tiers-Monde. Je
travaillais à l’usine de 6 à 14h et,
durant la pause suivante, j’allais chercher des papiers en camionnette pour
Terre. Le samedi, cinq à six fois par an,
on faisait un grand ramassage. On y
ramassait des fers, des non-ferreux,
des vêtements et du papier. Le premier
ramassage a eu lieu à Liège en 1962.
En une journée, on a fait un million de
francs belges de bénéfice !
Puis on s’est rendu compte que des
chômeurs venaient travailler pour rien
en faveur des pays en développement.
On a décidé que ce n’était pas normal et c’est comme ça qu’est né le
«Projet Wallonie».
En 1983, j’ai été engagé chez Co-Terre,
une des sociétés du groupe Terre. Au
début j’étais tout seul. J’allais prendre
les mesures chez les clients, je remettais les offres de prix puis j’allais faire
le travail1.
Il y a maintenant treize ans que je suis
pensionné. Le lendemain de ma pen-
28
terre
n°127 • hiver 2009
sion, Minmin, le responsable du groupe
Terre, m’a demandé «Louis, tu ne veux
pas me dépanner? Venir tous les soirs
pour fermer les locaux.»… Ca fait maintenant 13 ans que je dépanne!
Comment vois-tu l’évolution
actuelle de Terre?
On doit lutter contre les réalités du marché économique. Pour acquérir des
contrats de collecte des papiers, des
PMC et du verre, il faut vraiment lutter.
Du coup, on est plus exigeant vis-à-vis du
travailleur. Quelqu’un m’a dit : «Aah ce
n’est plus la même chose, c’est comme
dans les autres usines, ça devient même
pire parce qu’on calcule le temps qu’il faut
pour faire ça, si tu restes plus longtemps
on te le dit.» Tu vois que ça ne leur plaît
pas. Et pourtant, tu dois arriver à ça sinon
l’activité va crouler.
Est-ce que Terre est toujours autant en
lien avec la population qu’auparavant ?
Non, moins ! C’est Autre Terre qui entretient ça maintenant. On y entretient
encore ce côté de solidarité gratuite.
Chez Terre, si je remplaçais un chauffeur, j’aurais l’impression de prendre
le boulot de quelqu’un d’autre.
Terre fête cette année ses 60 ans,
qu’est-ce qui t’a le plus marqué pendant toutes ces années ?
C’est difficile à dire. Pour moi, c’est
que le groupe a pu tenir, a toujours
été stable et s’est toujours adapté à
l’instant présent. Personnellement,
c’est d’avoir été présent quand on
avait besoin de moi.
Entretien : Benoît Naveau
1. Aujourd’hui ils sont 24 travailleurs dans
l’isolation acoustique, le parachèvement et
les fabrications métalliques.
Terre libre
Sud...
Retour sur un ancien projet de Terre en Algérie.
40 ans plus tard…
29
terre
n°127 • hiver 2009
Terre libre
Sud...
Terre libre
Un visa de tourisme
pour aller dire bonjour
ller pour voir, pour rencontrer,
pour connaître les hommes
que j’avais rencontrés il ya
maintenant 40 ans à Djémila en Algérie, c’était une idée qui me prenait la
tête.
J’avais hâte de revoir ce petit village
un peu perdu sur les hauts plateaux
de Kabylie. Mais sitôt arrivé, comme
avant, il faisait nuit. Les taxis sont là,
la pluie aussi et, à Sétif, une personne
m’attend : c’est Amar. Il faut aller vite,
il fait froid ce soir : je ferai escale à Sétif
jusqu’au lendemain.
Je prends la longue route qui serpente,
toujours aussi belle et par fois
méchante, car le trafic est dense. Si
A
30
terre
n°127 • hiver 2009
avant on devait s’arrêter pour laisser
gambader un troupeau de moutons et
de chèvres sur les accotements,
aujourd’hui moutons et chèvres paissent en zones protégées… Amar est
là pour me décrire la situation, il
connaît tout de la route vu qu’il a si
souvent été le conducteur du tracteur,
du camion et de tous les engins qui
roulaient à la carrière du grand pont,
la petite usine à plâtre (ancien projet
appuyé par Terre ).
Bientôt, on arrive sur le haut et puis
on la voit : c’est la fontaine, un point
d’eau qui abreuve hommes et bêtes.
Aujourd’hui, on ne s’arrêtera pas, car
le temps est gris et personne n’a
soif… Un peu plus loin, à gauche de
la route un parking de véhicules de
chantier, des gros camions jaunes,
des compresseurs de chantier qui ont
percé d’innombrables trous à la carrière. Juste en face, c’est la plâtrière :
inutile de la rechercher, elle se
remarque sans effort car elle laisse
sa poussière blanche imprégner la
route et les bâtiments annexes. Amar
veut tout me dire de son histoire d’ouvrier de carrière, des débuts remplis
d’espoir, de la période noire des
années 90 et de la sérénité retrouvée
d’aujourd’hui, véritable mémoire du
passé, du présent et prophète du
futur…
À mon arrivée dans le village ou la
ville, je ne sais pas, tout semble
changé… Mais le taxi prend la route
qui va droit aux ruines romaines. C’est
Cuicul, elle est là devant moi : pas
une pierre ne manque. Les vestiges
sont maintenant entourés par six kilomètres de murs car elle devenue patrimoine de l’humanité. À côté, le petit
hôtel, appelé maintenant l’hôtel Belle
Vue, un parking pour autocars et voitures : tout semble attendre les touristes qui viendront surtout au printemps mais aujourd’hui quelques-uns
se présentent déjà aux guides préposés. Un peu plus loin, une auberge :
c’est là que je serai logé. Un bâtiment
bien fini, eau chaude et froide, télévision satisferont celui qui veut rendre
visite à la Belle Djémila…
Remontons la route vers la mosquée,
cet édifice qui a marqué quelques instants de ma vie. C’est bien sur cette
route que je vais rencontrer (ce sera
aujourd’hui comme auparavant) les
travailleurs de la carrière. Mais ils ont
pris du temps… Je n’oublie pas : maintenant les choses ont bien changé à
côté de la maison où j’habitais… Tout
l’espace est occupé par des petits commerces, des cafés, des petits restos,
la poste, la mairie, des écoles en
construction, une piscine, une mosquée.
Mais j’avais oublié pourquoi je suis
venu… «venir dire bonjour» et cela
c’est personnel, c’est mon «pèlerinage»… Pour le réaliser complètement, samedi, je serai au marché.
C’est là que je vais rencontrer, que je
vais enfin pouvoir dire bonjour et prendre des nouvelles de celui-ci et de
celui-là. J’ai oublié les prénoms, pourtant j’avais consacré de mon temps
jadis à les inscrire dans un cahier de
registre, tout «employeur» fait cela…
Et quand ils viennent à moi, le télé-
phone marche bien (il y a aussi le GSM
ici), je retrouve leurs visages, je me
souviens et puis c’est toi, c’est lui,
c’est eux… Vous êtes à la retraite moi
aussi, moi j’ai perdu mon fils, moi j’ai
perdu ma femme, moi je marche avec
mes cannes, moi je suis avec mon
frère, tu as conduit ma mère à la
maternité, mon père Salad faisait sauter à la dynamite le gypse et moi je
suis facteur, et nous avec une petite
pension de retraite … et lui et toi,
comment ça va… Merci à Dieu. Les
rencontres sont multiples et c’est
comme cela que l’on m’invite à dîner
chez le maire, celui que j’avais connu,
celui qui était venu à l’ancien local
Emmaüs à Vivegnis. Il a fallu réexpliquer le devenir des anciens de chez
Terre, William, Gilles, Ben Cheik, les
anciens volontaires. Ici, on a vraiment
soif de connaître le tout, comment se
fait-il que l’on est arrivé à Djémila en
1965, alors comme cadeau je leur
appor te un DVD que la RTB avait
tourné en 1967, une émission dite
«à votre service» qui lançait l’opération 11.11.11. Des photos que j’avais
prises à Djémila, il y a 40 ans, sont
pour vous…
Mais, je n’oublie pas le travail fait il y
a 40 ans, avec les moyens que l’on
possédait, avec l’effort que l’on consacrait ici et là. Il y avait au départ Amar
et les autres… des tuyaux ramenés
d’ici pour installer fontaines à eau,
une sortie pour les hommes, une sortie pour les animaux. Aujourd’hui, on
en parle encore, mais beaucoup sont
descendus de la montagne et se
retrouvent au village, avec eau courante… Un premier camion remis à
neuf, qui s’est fatigué à rentrer le
sable, qui a conduit des milliers de
petits arbres, tous plantés dans le
Djebel. Oui, aujourd’hui la montagne
est verte… Un vieux tracteur qui a vite
rendu l’âme, travail trop dur pour lui…
Une ambulance en croissant… Mais
j’en finis, j’oublie ce matériel si nécessaire, je voulais simplement aller dire
bonjour aux copains d’alors.
Article et photos : Charles Martinov
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Fenêtre sur l’utopie
elle est dans l’horizon.
Je m’approche de deux pas, elle recule de deux pas.
Je marche dix pas et l’horizon s’échappe dix fois plus loin.
Même si je marche beaucoup, jamais je ne le rattraperai.
À quoi sert l’utopie ?
À cela… à cheminer.
Eduardo Galeano
Pour 2010,
le groupe Terre vous souhaite
d’ouvrir une belle fenêtre
afin de cheminer vers l’utopie !
est une publication destinée à promouvoir l’économie sociale et solidaire
à travers des initiatives ainsi que des réflexions du Nord et du Sud.
Abonnement (libre) et information
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