procédés des agents du NKVD et souligne le rôle qu’ils firent jouer au naïf président tchéco-
slovaque Benes, tout fier d’avertir Staline de la trahison de ses généraux. De leur côté, les
«services» allemands avaient, dit-on, entrepris d’intoxiquer Staline en lui faisant parvenir
des preuves écrites, fabriquées, de la trahison de Toukhatchevsky.
Staline, décidé à se débarrasser d’hommes qu’il considérait comme gênants – c’était leur
seul crime – n’avait nul besoin de preuves pour lui-même, mais il lui en fallait pour le
public. Des preuves fortes pour abattre un soldat aussi populaire que Toukhatchevsky. Une
fois les proies prises dans le filet, il ne restait qu’à les juger, les condamner et les exécuter.
Cependant il fallait bien remplacer tous ces officiers éliminés. On fit appel à des réser-
vistes, sans les remettre à niveau, et à des hommes «sûrs», c’est-à-dire soumis, sans tenir
compte de leur valeur militaire. La médiocrité de l’encadrement est ainsi une des causes[2],
toutes imputables à Staline, de la débâcle de 1941, qu’il voulut faire passer pour une retraite
stratégique[3].
Conséquence méconnue de la purge:
la doctrine militaire balayée
Dans son ouvrage, le général Grigorenko insistait sur un point oublié ou mal connu. Au
cours des années 1920, la Reichwehr, ancêtre de la Wehrmacht, entretenait des rapports
étroits avec l’Armée rouge, dans le cadre du traité de Rappalo. Les officiers allemands
rapportèrent des stages qu’ils accomplirent en URSS les bases de leur doctrine.
Comme eux, d’autres théoriciens, tels que les Britanniques Liddel-Hart et Fuller, le
Français Charles de Gaulle, plus apprécié en Allemagne que dans son propre pays, préconi-
saient le regroupement des blindés en grandes unités autonomes, et insistaient sur le rôle de
l’aviation tactique.
Les Soviétiques, eux, étaient allés beaucoup plus loin dans la réflexion sur la stratégie
militaire, mais la purge avait mis fin à leurs travaux. En même temps qu’il avait éloigné ou
fait assassiner des hommes, Staline avait enterré une doctrine d’avant-garde, élaborée par
les penseurs militaires soviétiques. «Le destin de cette théorie, écrit Grigorenko, n’est pas
moins tragique que le destin de ses pères. Et finalement elle servit, en fait, à l’ennemi, et non
point à nous».
STALINE ET L’ARMÉE ROUGE
2. Refus de croire aux nombreux avertissements qu’il avait reçus, réorganisations désordonnées de l’armée malgré
les mises en garde du général Alksnis, démantèlement de fortifications sous prétexte du glacis formé par le pacte
germano-soviétique.
3. Le film américain de la série Pourquoi nous combattons, consacré à la guerre en URSS, réalisé par Frank Capra et
Alexandre Litvak, a contribué à accréditer cette thèse mensongère. Ce film, disponible en DVD, qui pourrait faire
pâlir la pire propagande soviétique, mériterait une analyse détaillée.
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actualités
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