textes désormais célèbres de David Rousset, Primo
Levi,
Robert Antelme, Jean
Améry pour ne citer qu'eux, mais aussi, bien qu'elle reste encore tres peu connue
et divulguée, a l'ceuvre littéraire des écrivains arméniens contemporains du
genocide comme Hagop Oshagan et Zabel Essayan.198
Beaucoup de choses ont été dites sur Ie rapport intime entre Ie témoignage et la
re-connaissance puisque Ie telos du témoignage serait avant tout (avant même du
faire connaïtre) de susciter la reconnaissance, c'est-a-dire de transmettre
l'existence réellement vécue de la blessure propre a l'expérience génocidaire.199 Et
si l'absence de reconnaissance est a la source de la consolidation du trauma des
Arméniens, s'impose la possibilité d'écouter et de rencontrer l'Autre.
Une des questions centrales qui anime ce chapitre est la suivante: faut-il un
receveur, un interlocuteur pour que Ie témoignage existe en tant que témoignage?
Ou,
pour Ie dire autrement, si la responsabilité incitant un projet testimonial
implique que quelqu'un doit répondre, la responsabilité disparaït-elle au cas oü la
réponse (au sens de rétorquer) n'advient pas?
Afin d'envisager cette question, j'aimerais appuyer mon propos sur deux critiques
majeures: celle de la structure dialogique communément recue comme constituant
Ie témoignage et
l'idée
également fort répandue selon laquelle faire acte de
mémoire est un acte de responsabilité: on se co/re-mémore car c'est notre
responsabilité d'être-au-monde. En réalité, ces deux critiques nous donneront
«l'occasion» de répondre a la dénégation de la Catastrophe arménienne - la
tragédie sans réponse, sans vis-a-vis. Deux autres aspects du témoignage se
dégageront alors: la revelation de
l'Autre
hors de la sphere cognitive ainsi que Ie
témoignage comme hospitalité.
C'est
par Ie biais de la philosophie d'Emmanuel
Ce sont essentiellement Mare Nichanian et Krikor Beledian qui ont analyse en détails, dans leurs
travaux respectifs, l'importance du témoignage proposée par ces deux écrivains témoins de la
Catastrophe. Remarquons aussi que l'inaccessibilité des textes relatant Ie genocide sont, en partie, lies
au fait qu'ils sont tres peu traduits. Par ailleurs, Beledian écht: «A cette volubilité, a cette abandonee de
récits oraux transmis de generation en generation s'oppose Ie relatif mutisme de textes littéraires.
L'écriture de la catastrophe semble se dérober ou se chercher. Écrivains, témoins ou rescapés nous
font part de leur difficulté a articuler un discours. Embarassé, accablé, procédurier, Ie discours des
écrivains arméniens demeure proche du silence. Le plus familial des événements demeure Ie plus
secret. Comme le disait déja le romancier et critique Hagop Ochagan (1884-1948) dans les années
quarante, la catastrophe demeure encore un sujet quasi inaccessible pour la littérature.» Voir «La
Catastrophe et l'expérience des limites du langage dans la littérature de langue arménienne» in Coquio,
C. Parier des camps, penser les genocides, p. 361.
99 Cependant, comme le fait remarquer Jean-Francois Lyotard en abordant la perspective révisionniste,
il n'y aurait de «vrai» témoignage que de la part de celui qui aurait vécu ce qui constitue
l'objet
du
témoignage. Celui capable de témoignage ferait de ce qu'il témoignage quelque chose de
l'ordre
d'un
simple dommage. II s'agit la, bien sür, d'une impossible logique puisqu'on ne peut pas témoigner de sa
propre mort. Voir Le Differend, p. 18-19.
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