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En excluant cependant, le Père Dehon le répète vigoureusement, le
sentimentalisme, la dévotion exagérée, mièvre et morbide, et « les grimaces
d’une sensiblerie sans consistance » (OSP 2, 146). Avec la même netteté il
dénonce la froideur rigide du jansénisme, la prétention volontariste du
pélagianisme, la sécheresse désolante du rationalisme. C’est une union qui
part de ce que nous sommes : elle nous saisit, nous transforme et nous
transfigure au plus profond de notre être, toute la personnalité, elle s’enrichit
de nos « sens spirituels » (cf. sainte Gertrude), elle renouvelle le regard que
nous portons sur Dieu, sur nous-mêmes, sur le prochain, sur le monde et sur
l’histoire. « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi ; pour
moi, vivre c’est Christ ». C’est bien autre chose qu’une union banale, il
s’agit d’une greffe, une transfusion d’être, à laquelle nous devons tout
rapporter, avec une largeur de vue d’autant plus ouverte et audacieuse
qu’elle a précisément un point d’attache, un cœur : « Tout est à vous, vous
êtes au Christ ! ». « Toute ma force, toute ma joie, toute ma vie est dans
l’amour de mon Sauveur et l’union à son divin Cœur » (OSP 3, 218).
4. « Il nous a tellement aimés ! »
Cette exclamation traduit spontanément l’abondance du cœur. Elle
revient maintes fois sous la plume du Père Dehon, souvent en référence
explicite à Ga 2,20 ; par exemple en OSP 5, 300, dans La vie intérieure :
« Jésus nous a tant aimés ! », ceci accompagné de 5 citations dont Ga 2,20 ;
mais déjà dans les conférences données aux tout premiers novices, selon les
notes des cahiers Falleur (Studia dehoniana, volume 10, III, 17). « On se
lasse de répéter qu’il [le Sauveur] nous a aimés sans mesure. Il a été bon et
s’est sacrifié pour nous, sans compter ; son Cœur sacré nous a aimés sans
mesure » (OSP 3, 340).
« Pour nous et pour notre salut » : voilà ce qui rend compte de la venue
du Verbe de vie dans notre chair mortelle, « l’incarnation rédemptrice ». Une
« vie-pour », une existence finalisée par le service des frères, le salut du
monde, notre propre salut. Cette affirmation est comme le cœur dans la
confession de la foi ecclésiale, elle est la lumière qui éclaire l’ensemble, elle
est l’intention sotériologique qui a inspiré toute la réflexion théologique et
les décisions conciliaires aux siècles des Pères de l’Église : propter nos et
propter nostram salutem. Précisément parce qu’elle renferme le cœur de la
Bonne Nouvelle – de cet amour de Jésus pour nous, note le Père Dehon, les