Le progrès en médecine

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Ethique, Foi et Santé Saint François
Année 2016-2017
Le Progrès est-il toujours un Bien ?
7 décembre 2016 – 2ème voletCatherine Radet
Le progrès en médecine
I.
Introduction
Chaque jour ou presque, la presse grand public annonce une découverte susceptible de
« révolutionner » tel ou tel domaine de la médecine ou du soin. Les titres qui l'accompagnent sont
évocateurs : « Un grand pas », « Une avancée déterminante », « Un nouvel espoir pour les
malades », etc. Les médias ne manquent pas de chercher à marquer les esprits. Il est vrai qu’audelà de l’effet d’annonce dont raffolent les journaux et le public, la médecine a réellement fait des
progrès spectaculaires depuis un siècle, exponentiels depuis ces 3 dernières décennies. Mais au
fond, qu’est-ce que le progrès ? Quel est l’état d’esprit, autrement dit dans quel but ces recherches
sont-elles menées ?
Le progrès nous renvoie à un changement d'état, un passage d'un avant à un après qui doit être
un mieux. Sinon c'est une régression. Le progrès est toujours relatif à quelque chose. Il donne l’idée
de croissance, d’avancée, d’augmentation etc. mais de qui de quoi ? Par exemple, est-ce que les
smartphones font progresser la relation ? L'ordinateur l'intelligence ? Le cinéma l'imagination ?
La technologie n’est pas forcément synonyme de progrès. Elle devrait être considéré plutôt comme
un moyen de progresser, or elle est parfois, (souvent ?), confondue avec le but. Elle s’interpose
dans nos relations, décisions et actions. Elle devient la source de l’espérance et est idolâtrée. La vie
de St François nous procure un souffle plus que jamais d’actualité dans cette piste de réflexion car
ce modèle de sainteté montre comment la progression du cheminement de l’âme s’est faite par un
dépouillement des choses modernes de son temps. Avec des matériaux identiques, en effet, on fait
des traitements ou des armes, de l'énergie ou des bombes etc. Ce n'est pas le progrès qui fait
l'homme mais l'homme, ou mieux le cœur de l'homme, qui fait le progrès !
En médecine, les progrès sont très nombreux, et résultent plus de la somme des connaissances
de multiples domaines et sciences combinées ensemble que d’une ou quelques découvertes
spectaculaires, comme autrefois la pénicilline par exemple. Il est bien difficile de faire le bilan des
découvertes les plus marquantes des 10 dernières années, certains s’y sont risqués de manière
objective comme Pierre Corvol et Nicolas Postel-Vinay1. Les soignants, en première ligne d’un
profond changement d’approche du patient, sont de plus en plus tiraillés : comment concilier
Pierre Corvol et Nicolas Postel-Vinay, Le progrès médical à l’aube du XXIe siècle : quel palmarès ? Les Tribunes de la santé
2009/4 (n° 25) https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante-2009-4-page-27.htm
1
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la course en avant du savoir technologique pour rester à la pointe du progrès et leur vocation à
préserver l’humanité de leur soin ?
Le but de cette soirée n’est pas de faire un nouvel état des lieux mais d’aiguiser notre
regard sur les finalités de la recherche, des progrès déjà constatés dans notre propre domaine
de compétence pour mieux en discerner leurs atouts, limites et dangers et surtout découvrir
ensemble quel est le Bien vers lequel l’homme est invité a progressé.
II.
Exercices pratiques :
Voici deux exemples de palmarès, issus de presse grand public :
 2015 - Revue Le progrès 2 :
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Ebola stoppé
Un vaccin contre la dengue
SIDA : des rémissions
Le rôle de l’intestin : C’est la révélation de l’année : On a notamment appris
cette année que les bactéries intestinales informaient le cerveau lorsqu’elles
étaient rassasiées, que des bactéries permettaient de contrecarrer le diabète de
type 1 ou que la flore intestinale venait en renfort de l’immunothérapie en
cancérologie.
L’espoir de l’immunothérapie, qui suscite de nombreux espoirs dans la lutte
contre le cancer. Le principe : traiter le cancer en utilisant notre propre système
de défense.
Édition du génome
La technique dite CRISPR/CAS 9 a été récompensée par la revue internationale
Science comme découverte de l’année. Elle ouvre la porte à l’« editing » du
génome, c’est-à-dire à sa manipulation par la réécriture du matériel génétique.
Pancréas artificiel
Espoir pour les diabétiques. Le CHU de Montpellier teste un pancréas artificiel
en autonomie complète.
Spermatozoïdes in vitro
Des chercheurs lyonnais ont créé in vitro des spermatozoïdes artificiels à partir
de cellules souches des testicules.
Vaccin sans aiguille ni adjuvant
 Revue Marie Claire « 10 avancées médicales qui vont changer notre vie »3 :
Un gène activé pour oublier son chagrin d'amour, une grossesse sans ventre de femme et de
l'eau de pluie potable ? C'est déjà demain grâce à la recherche qui galope. Liste non exhaustive
de ces progrès programmés pour nous changer la vie. Un premier pas vers l'immortalité ?
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http://www.leprogres.fr/sante/2015/12/27/de-grandes-avancees-medicales-en-2015
http://www.marieclaire.fr/,10-avancees-medicales-qui-vont-changer-notre-vie,726588.asp Je laisse les photos à dessein.
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 L’immortalité ?
Cela y ressemble sacrément. Pour preuve, la prouesse a été couronnée en 2012 du prix Nobel
de médecine. Un organe vieillit ? Il suffit de le régénérer pour lui (nous) rendre sa première
jeunesse. « Simplement » en lui injectant nos propres cellules flambant neuves. C'est là
qu'intervient le chercheur japonais Shinya Yamanaka : à partir d'un fragment de peau, il a
découvert comment faire remonter le temps à certaines cellules, en les « reprogrammant »
génétiquement afin qu'elles deviennent des cellules souches pluripotentes induites (CSPi),
semblables à nos cellules de base, fondatrices de l'embryon que nous étions, et capables de se
convertir en n'importe quelles autres cellules du corps : cellules de coeur, de rétine... On
dispose ainsi, à la demande, de cellules-médicaments neuves de tout le corps humain. Reste à
les stocker dans une banque cellulaire. Singapour et Dubaï en comptent déjà deux, qui les
conservent pour 47 000 , en attendant que la médecine régénérative sache vraiment les utiliser.
 Grossesse artificielle
Utérus et liquide amniotique artificiels, machine-placenta, cathéters le reliant au cordon
ombilical... Des souris, déjà, se sont ainsi presque développées jusqu'à terme, et des chevreaux
ont passé le cap de « l'accouchement ». Pour les chercheurs, c'est la survie de grands
prématurés du futur qui se joue là, ainsi qu'une alternative aux grossesses à haut risque.
D'autres y voient la véritable égalité entre les hommes et les femmes, avec la fin de la
sacralisation du ventre et de l'enfantement. La recherche avance mais difficilement, pourtant
il est probable qu'après-après-demain on transplantera des embryons humains conçus par
fécondation in vitro dans des utérus artificiels.
 Contraception ON/OFF
Un implant a été pensé pour durer seize ans et s'active d'un simple clic sur « On », via sa
télécommande. Long de 2 cm, un réservoir miniaturisé distille chaque jour la juste dose
d'hormone progestative, comme certaines pilules. On veut être enceinte ? On zappe juste sur «
Off », et on le désactive illico.
La Fondation Bill & Melinda Gates finance la mise au point de cette contraception, la paternité
du concept revenant au fondateur de Microsoft. Il devrait apparaître sur le marché américain
en 2018.
 Psys virtuels
Les accros du divan peuvent frissonner de gourmandise. Des avatars-psys à qui confier sa
psyché dix fois par jour, à 3 heures du matin comme le week-end, seront bientôt parmi nous.
Capables d'identifier en temps réel nos émotions comme Scarlett Johansson dans « Her » de
Spike Jonze en passant au crible des algorithmes qui constituent l'intégralité du « body
language » et des mimiques de leurs patients assis derrière l'écran, webcam allumée. La plus
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célèbre psy-prototype s'appelle SimSensei et a été conçue à l'Institute for creative technologies
en Californie.

Un monde sans hommes
Deux femmes pourront, un jour, procréer sans homme et sans don de sperme. Comment ? L'une
fournira son ovocyte, tandis que l'autre fabriquera le spermatozoïde... grâce à ses cellules
souches pluripotentes induites (CSPi), lesquelles se transformeront ici en gamètes. Une
conception 100 % féminine qui ne donnera naissance qu'à des filles. En effet, le spermatozoïde
féminin ainsi créé ne peut être porteur que du chromosome X, les hommes étant les seuls à
posséder aussi un Y. C'est donc une société exclusivement féminine qui pourrait se profiler à
l'avenir. Et là, on a juste envie de dire : « No way ! »

L'or anticancer
Des missiles nanotechnologiques pour tuer la maladie ? Ce sont des liposomes-kamikazes qui
mesurent un millionième de millimètre et qui s'infiltrent à l'intérieur des cellules cancéreuses,
armés de particules d'or. Sur place, leur enveloppe lipidique fond et l'or se répand dans les
cellules tumorales. Un laser infrarouge chauffe alors le métal et, en réaction, la cellule
cancéreuse surchauffe, jusqu'à l'explosion. Mission bientôt accomplie.

Lentille antidiabète
Cette révolution annonce la fin du supplice pour 347 millions de diabétiques dans le monde :
devoir se piquer le doigt pour doser le taux de sucre contenu dans la goutte de sang. Les
lentilles puisent l'information dans le liquide lacrymal et l'expédient à une tablette. Google et
le laboratoire Novartis planchent de concert pour qu'on puisse les porter d'ici cinq ans.
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 Mémoire à la carte
Gommer un chagrin d'amour ou un traumatisme d'enfance comme on actionne une ardoise
magique ? C'est ce qu'envisagent les chercheurs du Massachusetts institute of technology
(MIT) depuis qu'ils ont découvert le gène Tet 1, dont dépend la persistance ou l'oubli des
mauvais souvenirs : si ce gène est éteint, on reste bloqué sur les évènements douloureux ; à
l'inverse, si ce gène est suractivé par un médicament, la capacité à oublier augmente. Les
chercheurs du MIT travaillent sur la molécule qui permettra d'adoucir la mémoire, notamment
le stress post-traumatique.
 La fin de la ménopause
La parité procréative sera bientôt parfaite : les femmes pouvant procréer aussi longtemps que
les hommes. Puisque le vieillissement ovarien sera réversible, la ménopause aura en effet
disparu du tableau gynécologique. Le tour de passe-passe s'opère grâce à l'invention d'une
molécule qui vient stimuler les cellules souches cachées dans les ovaires, lesquelles se
réveillent et recommencent à produire des ovocytes fringants de jeunesse
 Membres bioniques
Un bras (ou une jambe) artificiel piloté par la pensée, comme un vrai ? Ce sera un jour
possible, grâce à une cascade de processus complexes où sont à la fois sollicités les
terminaisons nerveuses sauvées sur le membre amputé, les signaux électriques des muscles,
associés à des centaines d'électrodes sur le moignon, et des capteurs sur la prothèse. Prochaine
étape : éprouver les sensations au toucher, à la chaleur et au froid.
Questions :
 Que peut-on dire des différences entre ces deux palmarès concernant :
 L’objectivité ?
 La méthodologie ?
 La finalité du message ?
 L’anthropologie sous-jacente ?
 Quels progrès vous ont le plus touché dans votre propre domaine de compétence ces 10
dernières années ?
 Comment cela a-t-il affecté votre activité ?
III.
Réflexion sur la médecine aujourd’hui : le revers de la médaille.
Les exemples ci-dessus montrent que la médecine, la recherche, la façon dont on s’y intéresse
dépendent de l’anthropologie sous-jacente, de l’espérance fondamentale de l’homme par rapport à
son bonheur, sa santé et de sa manière d’y répondre.
Les progrès en médecine sont venus profondément modifier le rapport de l’homme à son
corps, son prochain, à son espérance.
L’une des conséquences notables de ces 20 dernières années a été la réduction de la mortalité
d’affection grave, comme le SIDA par exemple, et transformations de ces pathologies en maladies
5
chroniques, qui posent ainsi de nouveaux défis. De bien des manières, la technologie, surtout en
réanimation a pris la place de la rencontre, de la décision. Elle a même généré des nouveaux
modèles de patients, de prise en charge, suscité des attentes démesurées de la part des patients
en créant l’illusion du « Tout es possible », jusqu’à supprimer l’idée de la mort. Toute notion
de handicap, d’échec thérapeutique est de plus en vécu comme intolérable, voire
sanctionnable.
Autre enjeux et revers des progrès de la médecine sont ceux du dépistage. En France, nous
sommes les champions du dépistage mais les mauvais élèves de la prévention. Curieux paradoxe
là encore. Le dépistage rime en théorie avec prévention primaire. Qu’en est-il du dépistage des
affections anténatales ? La plupart des découvertes positives se traduisent presque chaque fois par
une interruption médicale de grossesse, dont on fera à grand peine les démarches nécessaires pour
un deuil de l’enfant à naître, quand il est fait. L’exemple archétype est celui du dépistage de la
trisomie 21 qui a fait l’objet de notre première soirée. L’espoir que misait le Pr Jérôme Lejeune
avec sa découverte pour venir en aide à ses petits patients s’est finalement retourné contre lui et
« ses petits monstres » comme les dénommaient ainsi certains de ses collègues et concitoyens avec
un acharnement incroyable. Que diront nos générations futures sur ces pages d’histoire de la
médecine, si on peut appeler cela de la médecine ? L’idéologie a, ici, pris le pas sur la recherche,
faisant fi de tout l’accompagnement des personnes atteintes de handicap, de leurs familles.
Enfin, encore un autre aspect est celui des accès à la santé de plus démunis, avec le risque d’une
fracture sociale en augmentation constante. Les demandes faites au corps médical sont de plus en
plus exigeantes, mais la société peut-elle couvrir les frais de ces exigences grimpantes pour tous ?
Comment rembourser les traitements toujours plus sophistiqués des anticancéreux, des anticorps
monoclonaux, de l’hormone de croissance, des interventions chirurgicales d’amaigrissement, des
opérations de changements de sexe, etc. Faudra-t-il créer une médecine au mérite pour les greffes
d’organes ? Lever de nouveaux impôts ? Et que dire pour les fameux traitements de l’avenir :
membres bioniques, et autres promesses de rêves de transhumanisme4 !
Ce ne sont que quelques aspects et pardon si certains se sentent blessés. La réponse aux
souffrances doit être prioritaire, c’est la vocation certainement première de la médecine, mais la
manière d’y répondre est parfois exactement inverse de ce qu’il faudrait. La course en avant dans
la technologie n’est parfois que la fuite en avant pour ne pas voir certaines réalités en face.
Quelques extraits d’articles très pertinents sur ces sujets :
1. Les milieux de réanimation et de soins intensifs :
On peut aujourd’hui décider d’intensifier les traitements, thérapeutiques mise en œuvre ou au
contraire de limiter les soins. Naissance des lois de fin de vie (Léonetti 2005, Claeys-Léoneti 2016)
avec toute la réflexion autour de la fin de vie, apparition de la notion de qualité de vie.
Dans cet article « anthropologie et santé », une réflexion est menée à ce sujet, avec des témoignages
nuancés et réalistes montrant toutes les difficultés que peut prendre la place de la technique dans
la relation soignant-soigné5 :
4
Cf. article « Le transhumanisme » dans Ethique, Foi et santé Saint François 2015 : http://www.choletcatho.net/L-esprit-deperformance-une
5 Progrès de la médecine, progrès technologiques et pratiques cliniques : les soignants se racontent
https://anthropologiesante.revues.org/1015
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o « Selon le secteur de pratique et le type d’intervention, nous verrons comment la
technologie peut être perçue à la fois comme une ressource inégalée et une source
possible de dérive, particulièrement lorsqu’il est question de fin de vie de jeunes
patients. […] Nous verrons comment cette technologie devient acteur dans la
rencontre clinique, par les attentes et perspectives qu’elle génère, mais aussi
par les transformations qu’elle opère au sein de la pratique clinique et de la
relation soignants-soignés-familles.»
o « […] l’évolution technologique permet ce qui hier encore était inimaginable,
souvent avec succès, parfois avec des aléas qui participent à la genèse de ces
patients réunis sous le vocable « acute long term ». Les professionnels de la santé
[…] évoquent volontiers cette nouvelle problématique (ces patients que l’on
crée), indissociable selon eux des progrès de la médecine. « […] c’est comme si
nous étions nos pires ennemis, car nous développons continuellement nos
aptitudes à créer davantage de maladies… [notre traduction] » Médecin, soins
intensifs, 17 années d’expérience professionnelle. Ou un autre : « Un des défis
importants dans notre domaine, c’est de traiter avec la complexité que nous
créons. » Médecin, soins intensifs, 14 années d’expérience professionnelle »
o Modification de la temporalité des soins : l’aigu peut devenir chronique :
« l’évolution de la ‘patientèle’, c’est-à-dire les séjours récurrents des mêmes
enfants en situation de crise aiguë qui deviennent en quelque sorte des enfants en
contexte « chronique de soins aigus », modifie le rapport soignant-soigné.
« Tout ça, c’est toujours des champs de débats qu’on n’avait pas avant et tant
mieux ! Ça, ça s’appelle le progrès. Mais il faut qu’on gère ces débats, il faut qu’on
gère ces malades. Il faut qu’on gère ces nouveaux individus… qu’on a… qu’on a
créés. Avant ils mouraient ces gens-là et ils ne meurent plus. Faut gérer. On se
doit de les gérer. […] Moi ça m’inspire un grand progrès ! »
Médecin, hématologie-oncologie, 6 années d’expérience professionnelle. »
o Autre souci, les séquelles possibles à éviter, après chimiothérapie : « Maintenant
80 % des enfants survivent à leur cancer. Alors on doit désormais réussir à les
soigner sans trop de toxicité et d’effets secondaires, car ils vont survivre, et on
doit s’assurer de ne pas trop les abîmer. Médecin, hématologie-oncologie, 2 années
d’expérience professionnelle »
o « Les progrès technologiques génèrent des attentes face à la médecine. Les
systèmes de maintien des fonctions vitales – telles que l’ECMO (technique
d’oxygénation par membrane extracorporelle) – offrent des possibilités
thérapeutiques inégalées. De fait, arrivées en fin de course devant une mort
inévitable — ou bien devant une poursuite de vie jadis envisagée comme peu ou pas
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enviable —, les familles veulent souvent que tout soit fait. Les cliniciens sont
parfois du même avis, parfois pas. »
o « Mettre en avant des choix thérapeutiques et « prendre soin » ne sont pas
nécessairement synonymes. […] « La technologie envahit la médecine. La
technologie envahit la pensée ou le raisonnement du médecin et du patient. Les
deux sont envahis par la technologie. […] On est obligé de la considérer, de
l’apprivoiser, de la refuser quand c’est pas nécessaire. Mais ce n’est pas facile, ça.
» Médecin, pédiatrie générale, plus de 30 années d’expérience professionnelle. « En
fait, on peut très bien se réfugier derrière la technologie et adopter une attitude
uniquement technique. On devient des techniciens de la médecine et à partir de
là, on fait fi de tout ce qui est émotionnel, spirituel, philosophique, éthique, etc.
[…] On va se réfugier derrière un problème technique pour pouvoir avoir le
sentiment d’avoir fait tout ce qu’il fallait pour un enfant. » Médecin, pédiatrie
générale, 8 années d’expérience professionnelle. Ce paradoxe prend sens dans un
contexte où l’hôpital est associé à un lieu ‘miracle’. […] Ces représentations
(tout est possible) et ces modes d’organisation des soins participent aux attentes
qui, à leur tour, prennent des formes concrètes lors de prises de décision qui
orienteront les trajectoires de soins. Tant les cliniciens que les familles sont pris
dans cette tourmente. »
o « Nous assistons à une rapide évolution de la patientèle dépendante de cette
technologie de pointe (et pour laquelle une restauration complète de l’intégrité
devient impossible) alors que le mouvement, les défis, l’intensité du moment
présent animent toujours une large part des professionnels qui choisissent d’œuvrer
aux soins intensifs. Le « sens » du prendre soin dans une telle unité est en évolution,
le projet thérapeutique est modifié… »
o Pour leur part, les infirmières évoquent la place croissante que prend le savoir
technique sur le savoir pratique. Alors qu’elles revendiquent le soin (« care »)
comme leur prérogative, elles avouent être de plus en plus investies dans la lecture
des données produites par les différents moniteurs qui ‘surveillent’ leur patient. […]
Ici encore, un paradoxe : alors que certains soignants considèrent que la
technologie restreint leur champ de pratique ou les éloigne du « care », cette
même technologie devient une condition de pratique pour d’autres, indissociable de
« l’action ».
o Autour de la relation avec les familles, ce n’est pas facile : « Le principal problème
pour les soignants comme pour les familles, c’est de voir un patient derrière [tout
cela], malgré les techniques. » […] « J’ai l’impression que le patient est
déshumanisé, il n’est plus un patient, il est juste une pathologie rare qu’il faut
étudier pendant le temps qu’on a, quitte à prolonger artificiellement ce temps-là »
[…] « […] pendant ces 3 journées-là [que le patient a été maintenu en vie], les
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parents peut-être qu’ils ont cheminé vers la mort, je ne le sais pas, mais on les a
dépossédés totalement de leur enfant […] »
o « Ces progrès donnent lieu à de nouvelles questions, questions éthiques, mais aussi
questions fondamentales au regard de la pratique médicale. » Une pluralité de
normes et de valeurs est alors en jeu, dans une zone indéfinie, une zone ‘grise’.
Certes on peut évoquer la qualité de vie de l’enfant touché, mais selon l’expérience
de plusieurs, cette notion de qualité demeure abstraite. La poursuite de
traitements dits « agressifs », une qualité de vie « suffisante » pour aller de l’avant
sont des notions qui ont peu de résonance pour la majorité des individus. Ce
que peut être une vie avec des handicaps sévères n’est pas simple à appréhender. En
fait, la notion de qualité de vie est éminemment subjective. Existe-t-il une qualité
de vie minimale (McAll, 2008) ? Quels critères peuvent délimiter une qualité de vie
‘normale’ et comment définir ceux-ci alors que les humains, de toutes provenances,
vivent dans des conditions sociales, culturelles, économiques variables (Ferron,
2011 ; Guilbert et Gauthier, 2006) ? […] l’éventualité d’une mort prochaine exige
un accompagnement des parents, de la famille. Elle exige une rencontre qui
peut mettre mal à l’aise. Mal à l’aise parce que cette mort traduit un échec
thérapeutique, les limites de la médecine malgré tous ces progrès. Le divorce
vie-mort n’en est que plus grand. »
o « Quelle place fait-on à la mort ? Quels liens tissons-nous entre la mort et la vie ?
S’agit-il d’un même continuum ? Pouvons-nous l’apprivoiser dans un milieu
hospitalier où tout est orienté vers la vie à préserver ? Sommes-nous dans des
logiques qui transcendent l’expérience ou des raisonnements contextualisés ?
Chercher à y répondre, c’est sonder les liens entre l’hôpital et la localité. »
o Conclusion de l’article : « La volonté, l’espoir de soigner, de restaurer l’intégrité
(totale ou partielle) du patient est le moteur de la médecine. Les progrès
technologiques appuient cette volonté, cet espoir. Qu’on y ait recours en contexte
aigu de soins ou de manière chronique, continue, où s’arrête-t-on ? Quand peut-on
s’arrêter ? Quand cet appui devient-il vain ? Si nous évoquons le droit à la vie,
pouvons-nous évoquer le droit à la mort ? Ces questions sont récurrentes chez les
cliniciens, tout en s’exprimant différemment selon le champ de spécialisation.
Certains évoquent un « engrenage technologique » qu’il faut mettre au service de
la médecine et non l’inverse. D’autres, au contraire, y voient des ressources
thérapeutiques inégalées. Ces questions sont au cœur de l’« après-progrès »
(Kaufman et Fjord, 2011). Les progrès médicaux sont en cela un paradoxe : s’ils
ont souvent rendu possible une vie meilleure, ils appellent une réflexion
profonde, souvent déstabilisante, sur ce qui est désormais possible pour
abréger la vie. Ces questions sont aussi au cœur de réflexions éthiques qui
s’inscrivent à leur tour dans des structures sociales, politiques et économiques
données et dans une organisation de soins qui influencent tant les valeurs et les
9
normes de pratiques des soignants que les valeurs et attentes des usagers. Mourir à
l’ère de la biotechnologie n’est pas simple. Une décision doit être prise qui appelle
une mise en commun de rationalités parfois divergentes. Les cliniciens qui
œuvrent en milieu hospitalier sont partie prenante de cette société dans laquelle
ils vivent. Leurs difficultés (ou non) à rencontrer la mort – et nous sommes ici
dans la mort d’enfants – ne sont pas si éloignées des difficultés partagées par bon
nombre de citoyens. S’agit-il, comme l’entend l’anthropologue Gilles Bibeau (à
paraître), d’une perte de repères face à la mort et au deuil par l’effacement
progressif des rituels entourant la fin de vie ? Selon les contextes sociaux et
culturels, la mort sera (ou non) en continuité avec la vie, accompagnée (ou non) de
référents qui permettent de lui donner sens. »
2. Autour de la mondialisation et la recherche6 :
o De nouveaux défis apparaissent : « Les solutions sont technologiques, les défis
sont éthiques. » La science est capable aujourd’hui d’aller modifier génétiquement
un virus pour le rendre non pathologique. La question est : jusqu’où peut-on aller
dans les modifications génétiques ? La réponse n’est pas simple, et ne se décide pas
à l’échelle d’un État. La recherche n’a pas de frontières. Il faudrait une
réglementation mondiale sur ces questions.
o Les nouveaux traitements innovants pourront-ils être accessibles à tous les
patients ? Réduire les inégalités d’accès aux soins est un vrai enjeu au niveau
mondial. En France, le débat se cristallise actuellement autour du prix des
nouveaux anti-cancéreux. Il faut trouver un juste prix entre l’industrie
pharmaceutique – pour qu’elle puisse continuer à faire des profits à investir dans la
recherche – et les États – pour rendre ces médicaments accessibles aux patients. Le
pays peut payer pour ces traitements, mais il faut faire des économies ailleurs,
notamment par une meilleure pertinence des soins.
3. La médecine personnalisée et son coût7
o L’idée d’une médecine personnalisée, à la carte, adaptée aux conditions de chaque
patient, séduit. Elle correspond au souhait du médecin de soigner de façon
spécifique chaque patient en fonction de ses antécédents et de ses caractéristiques
propres. La première décennie de ce siècle a introduit progressivement le diagnostic
génétique des maladies monogéniques sévères à un stade de préimplantation de
l’embryon, l’utilisation de la pharmacogénétique dans certaines indications, la
percée de la thérapeutique à base d’anticorps recombinants, les premiers essais de
thérapie génique et cellulaire, le développement de la télémédecine et de l’auto
surveillance, les prothèses artificielles. Toutefois, la question se pose du
financement de traitements de plus en plus coûteux, faisant appel de plus en plus
souvent à des biothérapies ou à des anticorps thérapeutiques d’un prix élevé, au
6
http://www.leprogres.fr/sante/2015/12/27/les-solutions-sont-technologiques-les-defis-ethiques
Le progrès médical à l’aube du XXIe siècle : quel palmarès ? https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante-2009-4-page27.htm
7
10
bénéfice d’un nombre toujours croissant de patients dont l’espérance de vie s’accroît
en même temps que leurs handicaps et leurs déficits cognitifs et neurosensoriels.
o Seules les sociétés riches, et les individus riches dans les sociétés pauvres, peuvent
assumer, du moins pour le moment, le coût d’une médecine personnalisée. Le prix
d’un traitement par anti-VEGF en pathologie cancéreuse est de 2 500 euros par mois
pour un gain d’espérance de vie de quelques semaines ou mois. En France, ce coût
est aujourd’hui pris en charge par l’assurance maladie ; mais pour combien de temps
encore ? Au même moment, la même assurance maladie ne peut rembourser le
diagnostic de certitude de la grippe A (H1N1) par PCR qui est de 300 euros. Les
évolutions et les besoins s’accumulant au fil des découvertes, des choix
s’imposeront de facto et le danger est qu’ils se fassent sans réelle planification.
IV.
La médecine demain, quelques pistes :
1. CRISPR-Cas9.
Le principe : Le « CRISPR-Cas9 » est un outil « qui permet de modifier le génome en supprimant
ou en ajoutant des gènes, ou encore en les activant ou en les rendant muets ». Il s’agit d’ « éditer
le génome », c'est-à-dire de modifier de façon contrôlée la séquence du génome en des sites précis.
Depuis une quinzaine d’années, plusieurs approches ont été développées pour modifier le génome
de façon efficace. Le système CRISPR-Cas9, issu du décryptage d’un système immunitaire
bactérien, suscite l’engouement, car contrairement aux précédents outils, il est facile à mettre en
œuvre, peu onéreux, précis et rapide. Les applications potentielles sont variées : en recherche, pour
mieux comprendre le rôle des gènes, mais aussi en thérapeutique, pour corriger les maladies
génétiques, améliorer la compatibilité des organes porcins avec l’être humain, ou encore éradiquer
des espèces vecteurs de maladies.
Cet outil qui ouvre depuis 2012 la porte à des « manipulations de l’ADN faciles, rapides, efficaces
et peu coûteuses » ne cesse en effet d’interroger sur les éventuelles dérives eugénistes du génie
génétique et sur l’appréhension des espoirs transhumanistes qu’elles comportent, et l’encadrement
par la société des possibles dérives.
11
Exemple de recherche récent, où se mêlent beaucoup d’espoir de guérison de pathologie de toutes
sortes et craintes de dérives de manipulation du génome humain :
o
Une équipe chinoise dirigée par l’oncologue Lu You à l’université du Sichuan, a injecté pour
la première fois fin octobre à un patient atteint d’un cancer du poumon, des cellules
modifiées génétiquement avec la technique CRISPR-Cas9. […] Pour préparer cette injection,
les chercheurs ont extrait les cellules immunitaires du sang du patient, puis désactivé un
gène dans ces cellules en utilisant CRISPR-Cas9. Le gène désactivé code la protéine PD-1,
qui normalement freine la réponse immunitaire d'une cellule : les cancers profitent de cette
fonction pour proliférer. Les cellules modifiées, mises en culture, ont ensuite été réinjectées
au patient, dans l’espoir que ces cellules immunitaires « attaquent » les cellules
cancéreuses.
Le
protocole
prévoit
une
deuxième
injection.
http://www.genethique.org/fr/crispr-un-premier-patient-traite-en-chine66513.html#.WDMgACSsGUk
2. Les cellules IPS :
La découverte de Shinya Yamanaka, prix Nobel de médecine en 2006 pour sa découverte des
cellules iPS, est au cœur de tous les espoirs de la médecine régénérative, de guérison des organes
manquant ou défaillant, y compris les neurones ou la peau, les gamètes. Les espoirs sont fascinants
là aussi, mêlés de craintes par rapport aux dérives d’utilisation, notamment en matière de
procréation, et par rapport aux risques de manipulation non maîtrisée (survenue de cancer…). Les
recherches se multiplient et commencent à s’appliquer à l’homme.
Dernier exemple :
o Au Japon, des chercheurs du Brain Science Institute du Riken ont identifié une
nouvelle mutation dans les cellules neurales à l’origine de la schizophrénie, grâce
aux cellules iPS. Ils ont ensuite validé leurs observations in vivo. Les cellules
souches pluripotentes induites ont ici été utilisées pour modéliser la pathologie
étudiée.
o En Europe, Axiogenesis AG, une société de biotechnologie spécialisée dans le
développement et la production de cellules et tissus dérivés de cellules souches
pluripotentes induites (iPSC) pour des applications précliniques vient de signer un
accord avec la société Metrion Biosciences, spécialiste des canaux ioniques8. Leur
association a pour objectif de commercialiser des cellules cardiaques et neuronales
dérivées d’iPS pour aider la recherche thérapeutique dans l’arythmie cardiaque et
la douleur.
Le professeur Shinya Yamanaka va aujourd’hui plus loin : il voit dans l’intelligence artificielle un
outil prometteur pour contrôler avec rapidité et exactitude la fiabilité des cellules souches
pluripotentes induites (iPS). « Je veux utiliser l'intelligence artificielle pour analyser la
quantité colossale de données disponibles sur le génome humain et évaluer la sécurité des iPS
8
Les canaux ioniques sont de petits pores composés de protéines constituant la membrane des cellules, responsables du transport
des ions. France Diplomatie (11/11/2016); PRNewswire (7/11/2016)
12
de manière objective », a-t-il déclaré. Il fait référence aux anomalies génétiques potentiellement
acquises lors de la reprogrammation des cellules iPS. Ces mutations sont susceptibles
d’entrainer des cancers chez les patients transplantés.
3. Le robot intelligent :
Pour poursuivre le rêve transhumaniste, précisons que les robots sont déjà là aux aussi 9:
Au Japon, le robot
« Pepper »10 est en vente
depuis l’an dernier pour 10
000 euros environ. En
quinze mois, plus de 3 000
entreprises et 7 000
particuliers ont acheté un
« Pepper ». Actuellement,
le robot est fabriqué en
série, à plusieurs centaines
d’exemplaires par mois.
Pour la première fois,
Pepper réunit l’ensemble
des fonctions essentielles : comprendre ce qu’on lui dit, travailler physiquement, créer des images
et des représentations, communiquer avec le reste du monde.
Pepper a été conçu pour identifier vos émotions et choisir le meilleur comportement à
adopter en fonction de la situation. A partir de votre voix, de l'expression de votre visage, de votre
gestuelle et des mots que vous employez, Pepper interprète votre émotion et vous propose un
contenu adapté.
[…] Enfin, le risque pour l’homme est de prendre goût aux robots en ne tolérant plus le
caractère imparfait des humains : « Les gens vont finir par exiger des autres humains qu’ils se
comportent comme des robots. Cela pourrait détruire la spontanéité, la fantaisie, le désordre
créatif. Et la simulation, qui aujourd’hui a des connotations négatives, deviendra une vertu »,
conclue Serge Tisseron 11
Aux urgences, bientôt des robots ? Il existe déjà des lieux en France où l’accueil est réalisé par
ces robots. Des pédopsychiatres s’insurgent contre l’utilisation de ce type de robot dans la thérapie
des enfants. C’est dire que certains y sont favorables !
9
https://www.ald.softbankrobotics.com/fr/cool-robots/pepper
http://www.futura-sciences.com/sante/actualites/medecine-robots-medecins-bientot-urgences-26544/
11
http://www.genethique.org/fr/serge-tisseron-les-gens-vont-finir-par-exiger-des-autres-humains-quils-se-comportent-commedes-66342#.WCCfKiSsGUk
10
13
Transition avec la rencontre 8 février 2017 : l’immortalité pour l’homme, est-ce possible ?
On n'arrête pas le progrès, et à force de chercher, on finit par trouver. Pas à pas, la médecine
générative fait de nouvelles découvertes et nous rapproche du rêve d'immortalité. Mais
pourra-t-elle un jour transformer ce rêve en réalité ?
14
http://www.futura-sciences.com/sante/dossiers/medecine-homme-immortel-eternitemedecine-regenerative-540/page/8/
Transition avec la rencontre du 22 mars 2017 : La santé connectée
http://www.futura-sciences.com/tech/actualites/tech-toute-medecine-demain-5742/
Connexion ou relation ?
V.
Réflexion à la lumière de la foi catholique :
Quelle définition du Progrès ?
Quelle définition du Bien ?
Quel est le Bien véritable ?
15
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