Voies de la connaissance de dieu
science de la croix
II
moniales vouées à la prière silencieuse afin de « se tenir devant
Dieu pour tous 1. » Les premières années, elle écrit des textes
qui sont essentiellement des saynètes, des poésies, des vies de
saints. Ses supérieurs lui demandent ensuite un retour à une
activité philosophique en tant que telle, et l’exil en Hollande
va accentuer cette évolution : la proximité des jésuites de
Valkenburg, la visite de certains jeunes prêtres doctorants,
l’invitation d’amis phénoménologues outre-atlantique,
les encouragements de sa prieure hollandaise l’engagent à
commencer à réexercer son talent philosophique « avant que
[s]on cerveau ne soit complètement rouillé 2 » selon sa plaisante
expression, mais en abordant des sujets qui ont trait à une quête
religieuse, voire mystique.
C’est dans ce contexte qu’elle étudie les Pères de l’Église et
certains auteurs spirituels parmi lesquels Denys l’Aréopagite.
La montée de la persécution nazie contre les juifs, l’incertitude
sur le sort des siens, le vif sentiment de l’urgence des temps et
du combat contre l’Antéchrist sont la toile de fond de ces années
1940-1942 qu’elle passe au carmel d’Echt. Sans doute est-ce
une des raisons qui incite sa prieure d’alors à lui demander de
rédiger un ouvrage sur Jean de la Croix. Elle a perçu la grande
valeur de la moniale allemande qui vient d’arriver et elle pense
salutaire d’offrir une diversion à sa lucide angoisse sur le cours
du monde. Plus que de diversion, il s’agit d’ailleurs d’essayer
d’embrasser l’enjeu d’une manière plus large, pleinement
mystique. Sœur Bénédicte se plonge dans ces études avec son
caractère passionné et son professionalisme d’universitaire :
Denys l’Aréopagite, puis Jean de la Croix en 1941-1942. Denys
est une des sources de Jean de la Croix via Thomas d’Aquin
1. Lettre à Fritz Kaufmann du 14 mai 1934, dans Edith stein, Correspondance II
(1933-1942), introd. et trad. par Cécile Rastoin, Genève/Paris/Toulouse, Ad
Solem/Cerf/Éditions du Carmel, 2012, p. 86 ; sigle : Correspondance II.
2. Lettre à Mère Johanna de la Croix o.c.d. du 17 novembre 1940, dans Corres-
pondance II, pp. 571s.