La répression des indépendantistes camerounais ou Le Cameroun, un round d’essai
Premier terrain d'application grandeur nature : le Cameroun. Depuis 1953, le principal mouvement
indépendantiste, l'Union des Populations du Cameroun (UPC), est contraint à la clandestinité par la
répression coloniale. Fort de 5000 maquisards, l'UPC mène une intense guérilla contre la marionnette
locale des Français, Ahmadou Ahidjo. Pour l'Armée française, il s'agit de faire un exemple. Le lieutenant-
colonel Jean Lamberton, ancien élève du colonel Lacheroy, est envoyé sur place avec sept compagnies
d'infanterie. Aux côtés des troupes légalistes camerounaises et de leur tout nouveau service secret, le
SEDOC3, les leçons d'Algérie sont méthodiquement appliquées : la principale zone de l'UPC, le pays
Bassa, est encerclée ; la population est regroupée de force dans des camps pour couper les maquisards de
tout soutien ; les villages récalcitrants sont bombardés au napalm ; les têtes coupées des maquisards sont
exposées le long des routes pour inspirer la terreur ; la torture, massivement utilisée, permet de localiser
les réseaux rebelles4.
En quelques années, l'UPC est rayée de la carte. Tous ses leaders sont assassinés : Ruben Um Nyobé en
1958, Félix Moumié en 1960, Osende Afana en 1966, Ernest Ouandié en 1970. Cette guerre atroce,
absente des manuels d'histoire français, fait plusieurs dizaines de milliers de morts.
Répression, assassinats, opérations militaires
C'est parti pour 50 ans de répression systématique de toute velléité démocratique en Afrique noire. Au
Togo, au Tchad, au Cameroun, au Gabon, c'est la chasse aux révolutionnaires. On surveille, on fiche, on
menace, on torture, on assassine si besoin.
Un chef d'État s'émancipe du giron français ? On le renverse. Depuis 1960, le président togolais Sylvanus
Olympio critique de plus en plus la France et remet en cause le franc CFA. En 1963, il est assassiné avec
l'appui des services français. Son assassin Eyadéma, ancien sergent de l'Armée coloniale française,
restera au pouvoir jusqu'en 2005 (il est désormais remplacé par son fils). En 1983, une révolution
populaire porte le panafricaniste Thomas Sankara au pouvoir. Au Burkina Faso, il alphabétise à grande
échelle, tente de développer une industrie locale et des cultures vivrières, critique la dette et défie
l'impérialisme français.
En 1987, il est assassiné avec l'aval de la cellule africaine de l'Élysée. Son successeur, Blaise Compaoré,
est toujours en place.
Si les polices politiques ne suffisent pas, les Pinochet africains peuvent compter sur la France pour mater
les rébellions. Depuis 1960, en vertu des accords de défense, la « Grande Muette » a mené plus de 30
opérations militaires officielles pour sauver des dictatures africaines : en 1964 et 1990 au Gabon, en 1978
au Zaïre, en 1968, 1983, 2006 et 2008 au Tchad, en 1986 au Togo, en 2007 et 2009 en Centrafrique5...
Au final, combien de révolutionnaires, de démocrates, d'humanistes africainEs assassinéEs dans l'oubli ?
Le chiffre de 150 000 dans toute l'Afrique noire est un minimum.
Ils (elles) sont les oubliéEs de l'Histoire. Comme dans tout système répressif qui se veut efficace, ils
(elles) sont invisibles. Les touristes, les coopérantEs, les humanitaires françaisEs n'en entendent pas
parler, ou rarement.
Et ainsi naissent les préjugés sur une Afrique noire qui serait ''moins rebelle que l'Amérique latine''...
Un système toujours bien en place
Mais tout cela, n'est-ce pas du passé ? Au Mali, au Sénégal, au Bénin, la société civile est active.
L'opposition peut s'exprimer.
Oui, bien sûr, dans les pays à faibles enjeux stratégiques, il existe un certain vent de liberté. Mais au
Togo, au Tchad, au Niger, au Gabon, au Congo-B, en Centrafrique, pas un mois ne se passe sans que
l'association Survie, Amnesty ou les Ligues des droits de l'homme ne soient alertées sur des arrestations
d'opposants, des censures ou des disparitions.
Dans les médias français, le silence est quasi-total. Nos chantres des droits de l'homme, les BHL,
Kouchner et Rama Yade sont muetTEs. Dernier exemple en date ? En février 2008, de grandes émeutes
éclatent dans plusieurs villes du Cameroun. Les manifestants se soulèvent contre une réforme
constitutionnelle permettant à Paul Biya, dictateur du Cameroun depuis 1982, de se représenter à vie.
3Service de Documentation Camerounais
4Kamerun ! La guerre cachée aux origines de la Françafrique, Thomas Deltombe, La Découverte, 2010
5 Que fait l'armée française en Afrique ?, Raphael Granvaud, Agone, 2009