Des saveurs, formes et couleurs au service de la guérison
En médecine chinoise, les propriétés médicinales des simples sont étudiées dans un
esprit synthétique, principalement fondé sur l’observation de la nature, et basé sur les
théories du Yin Yang et des cinq mouvements (Wu Xing). Les plantes, les minéraux, les
animaux et les humains ont tous en commun d’être des produits du ciel et de la terre, qui
leur confèrent leurs qualités propres : la terre donne le substrat, la forme, la texture, la
couleur, la saveur, tandis que le ciel donne l'odeur, la nature chaude ou froide, ainsi que le
tempérament, ou caractère particulier propre à chaque substance (aromatique, asséchante,
toxique, etc). Du point de vue chinois, l’effet thérapeutique d’une substance médicinale
provient de cet ensemble de paramètres. Ainsi, la saveur d'une plante lui confère-t-elle des
propriétés thérapeutiques par son action sur le Qi, l'énergie. Par exemple, la saveur
piquante disperse et fait transpirer ; la saveur salée est émolliente et favorise l'écoulement,
la saveur douce ou sucrée tonifie et ralentit, la saveur acide est astringente, etc.
Naturellement, les substances ont rarement une seule saveur, ce qui complexifie d'autant
leur principe d'action. A cela vient également s'ajouter une nature plus ou moins chaude
ou froide, qui représente un autre aspect de leur action thérapeutique : les produits de
nature chaude ou tiède agissent sur le Yang et chassent le froid, les produits de nature
froide ou fraîche agissent sur le Yin et diminuent la chaleur. En pharmacopée chinoise, la
combinaison des natures et saveurs est un paramètre important dans la logique
thérapeutique : chez un patient qui a pris froid, on choisira par exemple un traitement à
dominante chaude et piquante pour disperser le froid du corps, tandis que chez un patient
frileux, on choisira des plantes également chaudes, mais de saveur douce, afin de tonifier
son Yang, etc. Ces exemples nous démontrent au passage que la pharmacopée chinoise
traite par les contraires (contraria contrariis curantur), selon un principe allopathique, et non
par les semblables (simila similibus curantur), comme le fait l'homéopathie.
A part la saveur et la nature, toutes les autres caractéristiques d'une plante ont
également leur importance : son odeur et sa densité lui confèrent une action plus ou
moins montante ou descendante, centrifuge ou centripète, tandis que sa couleur et sa
forme peuvent conditionner son champ d'action préférentiel, conformément à la "théorie
des signatures" de Paracelse3. Ainsi, la couleur rouge du cinabre est-elle censée diriger
l'action de ce produit vers le sang ou le cœur ; les fleurs exercent généralement une action
vers le haut du corps tandis que les minéraux agissent plutôt vers le bas ; ou encore, la
forme des cerneaux de noix, enfermés dans leur coque de bois, peut laisser supposer un
tropisme de ce fruit sur le cerveau (et les Reins, dont le cerveau dépend en médecine
chinoise), etc.
Comme toujours, ces données très générales souffrent des exceptions, qu'une longue
expérience a depuis longtemps établi, mais qui ne remettent pas pour autant la théorie
d'ensemble en cause. Il faut en effet garder à l'esprit que chaque paramètre se trouve
nuancé par le complexe que forme la plante entière : c'est l'ensemble de tous ses critères
qui confère à une plante sa personnalité propre, et l'action thérapeutique qui en découle. Il
serait faux et simpliste de prendre uniquement l'une des caractéristiques d'une plante pour
généraliser sur son action supposée : par exemple, de dire que toutes les substances de
3 La "théorie des signatures" avance que toute substance ayant une analogie de forme avec un organe exerce de ce
fait une action envers ces organes. De la même manière, la médecine chinoise établit certains liens fonctionnels sur la
base de la ressemblance entre certains "orifices" et organes du corps : les oreilles ont la forme des Reins, la cloison
nasale celle des Poumons, la langue celle du Cœur, etc.