Participes et masdars en kryz : une syntaxe mixte Gilles Authier* L’opération d’abstraction qui rend compte de la grammaticalisation du ‘fait’ au ‘fait de faire’ semble être un phénomène universel, mais que les langues affichent avec des degrés très divers de transparence. A l’extrême, on trouve des langues où la polycatégorialité est massive, permettant de donner une valeur abstraite, ou concrète, voire même personnelle (nom d’agent) à un lexème d’état ou d’action. Aussi bien la complémentation verbale – définie comme dépendance d’un prédicat à un autre en fonction de sujet ou de complément – recourt-elle dans de très nombreuses langues du monde à des stratégies proches de celles utilisées pour former des relatives, qui sont a priori des compléments verbaux du nom, et peuvent parfois, en se ‘substantivant’, se substituer à eux. C’est ainsi qu’en français, complétives et relatives en ‘que’ sont parfois difficiles à distinguer, et bien des noms d’actions comme ‘entrée’ ou ‘battue’ sont étymologiquement des participes. Dixon (2006) note d’ailleurs que la relativisation est une des sources principales de complémentation verbale dans les langues qui n’ont quasiment pas de dérivation lexicale à partir de verbes. Haspelmath (1995) remarque, lui, que dans les langues qui possèdent des formes flexionnelles catégoriellement mixtes – ou ‘polycatégorielles’ ou ‘verbonominales’ - leur construction syntaxique tend a rester celle de la base verbale. La plupart des langues daghestanaises ou ‘caucasiques de l’Est’ ont des participes non pas dérivés mais qu’on peut considérer comme fléchis, dans la mesure où leur morphologie est absolument invariante et que leur syntaxe interne conserve la construction du verbe en emploi indépendant, c’est à dire marquée par des cas sur les constituants nominaux dépendants (l’Agent reste à l’ergatif) et par une marque d’accord sur le verbe avec le ‘prime actant’ (Charachidzé 1982) Patient ou seul argument (A≠S=P). Cette conservation de la construction permet à ces participes d’être non orientés 1 . Et qu’en est-il des noms d’action - ou ‘masdars’ - dans ces mêmes langues? * Institut National des Langues Orientales & Ecole Pratique des Hautes Etudes. Courriel : [email protected] 1 contrairement à ceux du turc par exemple, dont la construction est ‘plus nominale’, dans la mesure où le lexème change généralement de syntaxe interne, en prenant un sujet (S/A) au génitif, comme dans les langues indo-européennes (cf. Benveniste 1966 : "la fonction du génitif se définit comme résultant de la transposition d'un syntagme verbal en syntagme nominal"). De ce point de vue, l’azéri, qui est en contact avec des langues Caucasiques de l’Est, présente d’intéressantes exceptions, avec des sujets de certaines formes nominalisées qui peuvent rester au nominatif. 2 Gilles Authier On examinera ici la continuité formelle, sémantique et surtout syntaxique des relatives ‘libres’ (= substantives) et des complétives par nominalisation en kryz, petite langue caucasique parlée par quelques centaines de locuteurs en Azerbaïdjan (données inédites, Authier 2008). Participes substantivés et noms d’action y sont les stratégies les plus communes de relativisation et de complémentation. Précisons aussi que l’ordre non marqué des constituants y est "Seul argument / Agent - (Patient)- Verbe", et que la flexion des noms (23 cas) est invariante. 1. LES PARTICIPES, FORMES INTEGRATIVES EN FONCTION D’ADJECTIFS Comme dans la plupart des langues apparentées (caucasiques du Nord-Est) la phrase complexe se coule généralement dans la structure de la phrase simple, par translation d’une proposition en adjectif, nom, ou adverbe. On peut illustrer2 ce procédé de translation en comparant une phrase simple : Agent adverbe bénéficiaire buba-r şas duxvar-iz l’an.dernier fils-DAT père-ERG ‘Le père a donné un chiot à son fils l’an dernier.’ Patient kurç’ chiot.F prédicat vu-du donner-AOR.F à une phrase complexe dans laquelle des prédicats tiennent le rôle de constituant nominal, ou de dépendant, du prédicat principal ou d’un nom : sujet Agent/Expérient buba-r/z père-ERG/DAT relative uxva-ts’-i étudier-IPF-PART finale dix şad ar-iz fils content faire-INF circonstancielle vul vu-ci brebis vendre-SEQ ‘Le père a voulu, pour vendant une brebis.’ complétive prédicat régisseur kurç’ ğva-yn-ic i-u-ka-c chiot.F F.acheter-MSD.N F.vouloir-AOR.N faire plaisir à son fils qui étudie, (lui) acheter un chiot en 2 Abréviations & liste des morphèmes : 1, 2 , 3... : personnes; AD : adlocatif; ADEL : adélatif; ADR : adressatif; AOR : aoriste; APUD : apudlocatif; APUDEL : apudélatif; COP : copule; DIR : directif; EQU : équatif; F : féminin humain ou animé et assimilés, singulier; H : humain; IMP : impératif; IN : locatif; INEL : inélatif; INF : infinitif; Instr : instrumental; IPF : imperfectif; M : masculin humain singulier; MSD : masdar; N : neutre (non humain, non animé); NEG : copule négative; Neg : négation; nonH : non humain; nonN : autre que neutre; PART : participe; PF : perfectif; PFCT : parfait; PROH : prohibitif; PRS : présentatif; Q : question globale; RFL : réfléchi; SEQ : séquentiel; SUB : sublocatif; SUBEL : subélatif; SUPER : superlocatif; SUPEREL : superélatif. NB : Le suffixe génitival ‘oblique’ n’est pas glosé s’il est suivi d’un autre cas. Ex. : adamiczina ‘avec la personne’ au lieu d’être écrit adami-c-zina et glosé ‘personne-GEN-Instr’ est écrit simplement adami.c-zina, glosé ‘personne-Instr’. Participes et masdars en kryz : une syntaxe mixte 3 Les formes vuci (gérondif), uxvats’i (participe), ariz (infinitif, cf. Authier 2008) et ğvaynic (masdar) tiennent respectivement la fonction d’un adverbe, d’un adjectif, et d’argument. Le kryz se signale par l’emploi très fréquent de ces formes dépendantes (ou ‘intégratives’ cf. Creissels 2006). A côté de relatives topicalisées à pronom interrogatif semblables à celles de l’azéri ou du tat avec lesquels il est en contact depuis longtemps, le kryz utilise donc des participes, préposés (épithètes) ou substitués à un constituant nominal, comme toutes les autres langues caucasiques de l’Est. Et contrairement à ceux des langues européennes ou du turc, ces participes caucasiques ne sont pas orientés : ils permettent de relativiser aussi bien le Patient que l’Agent puisque ce dernier reste marqué à l’ergatif, ainsi que la plupart des positions syntaxiques. Ils prennent la tête de syntagmes définis ou restreints par une prédication, cette relation d’un constituant avec une prédication pouvant recouvrir l’ensemble des référents possibles (on a alors l’équivalent d’une relative libre du type français "celui qui / que / dont etc"). D’un point de vue morphologique, les participes kryz sont constitués d’un radical verbal, perfectif ou imperfectif, comprenant généralement une marque d’accord en genre et nombre avec le prime actant (S/P) insérée entre un préverbe spatial et une racine monosyllabique; leur valeur est aspectuelle. L’imperfectif est généralement dérivé du perfectif, selon des procédés divers et complexes : PF ğaq’l-i acn-i ˤaç’-i IPF ğalq’al-i acan-i ˤarç’ar-i tomber parler entrer PF vu-yi kit’l-i ğaqr-i IPF vu-ts’-i kilt’-i ğarq-i donner atteler extraire On n’étudiera ici que les emplois substantivés, et les masdars, qui en sont dérivés. 1.1. Flexion casuelle des participes libres et indexation du référent Comme les noms, les participes du kryz sont non marqués à l’absolutif : (1) fura-r la [pul vu-ts’-i] homme-ERG cet argent donner-IPF-PART(ABS) neˤra ar-id appel faire-AOR.M ‘L’homme appela [celui à qui il avait donné beaucoup d’argent].’ Comme tout dépendant substantivé, ils se fléchissent au cas voulu par leur fonction relativement au prédicat principal. Ils indexent à tous les autres cas le critère humain ou non humain du nom de domaine3 effacé par un suffixe de base oblique en -n au singulier pour un nom de domaine humain alors que pour un référent non humain singulier, la base oblique est -c. Comparer : 3 plutôt que ‘référent’, cf. Keenan & Comrie 1977, et Creissels 2006. 4 Gilles Authier (2) vun li-yi duru zin li-yi-c-var 2 dire.IPF-PART mensonge 1 dire.IPF-nH-ADEL ghala xhi-na… bon être-IF Si le mensonge que tu diras est meilleur que celui que je dirai… (3) yit ya-rt’-i-n-ir t’il yalamiş yi-ryu miel couper.IPF-PART-H-E doigt.F lécher faire-PRS.F Celui qui coupe le (rayon de) miel se lèche le doigt (Prov.). 1.2. Syntagmes participiaux lexicalisés humains Certaines locutions à participes imperfectifs dépendants ou tête de syntagme forment avec leur prime actant ou un complément un nom d’instrument ou d’agent. C’est là un des rares procédés vivants de création lexicale : (4) (5) yis laine ğaş-i carder.IPF-PART darağ peigne "Peigne à carder la laine" buç’ yart’-i nombril couper.IPF-PART "sage-femme" barkan cheval "palefrenier" vauqats’-i F.garder.IPF-PART ç’adrux.ci-ğ sa-d tur an perce-oreille-SUPER un-N nom AN ibr-a ˤarç’ar-i ğica IPF.entrer-PART être_sur oreille-IN Le "tchadrukh" porte aussi le nom de perce-oreille. Ces composés conservent leur flexion marquée pour le genre : (6) ibr-a ˤa-rç’ar-i-c-ir oreille-IN entrer.IPF-PART-nH-ERG Le perce-oreille mange des mouches. t’ut’ ulats’-ryu mouche manger-PRS.F (7) buç’ yart’-i-n-ir nombril IPF.couper-PART-H-ERG La sage-femme sortit un tamis. sa-d alag un-N tamis ğaqr-ic sortir-AOR.N Noter que si le participe est transitif, l’accord préfixé est avec le Patient, alors que le suffixe de la base oblique (-c, -n) du participe renvoie au critère non humain ou humain et au nombre du nom de domaine : (8) u-n barkan 3-GENH cheval Son palefrenier dit... vauqa-ts’-i-n-ir F.garder-IPF-PART-H-ERG li-re… dire-PRS Participes et masdars en kryz : une syntaxe mixte 5 2. LES MASDARS : PARTICIPES ‘ABSTRAITS’ ET NOMS VERBAUX Outre deux autres stratégies (infinitif de but ou ‘datif du verbe’ pour des prédicats à sujets co-référents, et des complétives à joncteur emprunté ki), le kryz utilise une forme de complémentation ‘nominale’. Le ‘masdar’, morphologiquement apparenté au participe perfectif, permet d’intégrer un prédicat à la valence d’un autre grâce aux cas et postpositions propres aux nominaux. Etant donné la luxuriance du paradigme casuel en kryz, l’emploi du masdar y couvre un champ diversifié de complétives au sens large, et englobe des emplois circonstanciels, sémantiquement proches des converbes. En tant que nom, le masdar se fléchit pour remplir la fonction, actantielle ou circonstancielle, qui lui est assignée dans le prédicat principal : il est nom du point de vue de sa syntaxe externe, et peut recevoir la plupart des cas sématiquement compatibles avec sa valeur abstraite (certains des 23 cas du Kryz supposent en effet le trait + animé pour être applicables). Il est donc de genre neutre, marqué dès l’absolutif, qui sert de forme de citation, par le morphème -c, (marque du genre neutre sur les adjectifs substantivés) : (9) xinib.ci-r ula-y-c ğira-y-c femme-ERG manger-PART-ABS.N / MSD boire-PART-ABS.N/MS ˤağats’-re porter-PRS La femme apporte le manger et le boire <= ‘le mangé et le bu’. (10) ula-y-c-kar ğira-y-c-kar ˤats’in manger-PART-nH/MSD-SUBEL boire-PART-nH/MSD-SUBEL rassasié şiudeb être.F.Neg.PRS-F Elle ne se rassasiait ni de boire ni de manger / ni de ce qu’elle buvait ni de ce qu’elle mangeait. Comme on le voit dans ces deux premiers exemples, la complétive est initialement une relative substantivée en fonction de complément d’un autre verbe. Ce phénomène s’observe d’ailleurs aussi en turc, où la même forme verbale suffixée en –DIK permet de relativiser les fonctions autres que le sujet, mais s’interprète comme une complétive si elle est suivie d’une marque de cas et qu’il n’y a pas de fonction syntaxique laissée vide. Mais alors qu’en turc le sujet de la complétive ou de la relative nominalisée est au génitif, en kryz, où le nom verbal est lui aussi issu d’un participe perfectif substantivé, la complétive, tout comme la relative, conserve une syntaxe interne verbale. Comme les participes, le masdar garde ses arguments marqués pour leur fonction, et l’indexation du prime actant S ou P quand le verbe a une place pour ce morphème (entre <>, propriété lexicale) : PPF i<r>kn-i anir y<u>qr-i aniz i<d>qa-y ‘celui qui est resté’ ‘celle qui a été prise’ ‘ce qu’il a vu’ Masdar => i<r>kn-i-c => y<u>qr-i-c => i<d>qa-y-c rester (M) la (F) prendre le (N) voir 6 Gilles Authier Au-delà des complétives au sens habituel (‘sujets’ et ‘objets’ phrastiques), l’intégration de prédicats sous forme de masdars se faire à tous les cas sémantiquement compatibles (on n’aura pas de masdar à l’invocatif, au collocatif ou au datif d’Expérient, parce que ces cas supposent un référent animé). On distinguera entre des emplois ‘complétifs’, c’est-à-dire régis par le sens du verbe, et emplois circonstanciels non régis. 2.1. Emploi du masdar à l’absolutif Le masdar à l’absolutif peut être "sujet" Seul argument, ainsi dans la tournure avec lazim "nécessaire" calquée sur l’azéri, ou attribut, ou encore en fonction de Stimulus dans la complémentation de verbes affectifs à Expérient au datif : (11) yiğğaciğ yak ula-yc lazim-e chaque_jour viande manger-MSD nécessaire-COP.N Il est nécessaire de manger de la viande chaque jour. (12) u-c şitaˤara azan vu-yic-i? 3-N quel appel_à_la_prière donner-MSD-COPINTERR Quelle sorte d’appel à la prière est-ce là? (13) a-n kar kis-ar 3-GENH travail poule-PL(GEN) Son travail est de ramasser les crottes de poule. t’iğ crotte vağa-yc-e ramasser-MSD-COP (14) a-n-iz salağalu ği-xha-ci kukur-ic xvaş xhi-ca 3-H-DAT élégant s’habiller-SEQ se_promener.MSD agréable être-PFCT(N) Il aimait se promener élégamment vêtue. Le verbe "oublier" et certaines locutions se construisent avec un "sujet" génitival complément du siège de perception : (15) za k’iy-ğar 1.G coeur-SUPEREL J’en ai oublié de danser. ç’in danse.F var-ic F.faire-MSD sadxun-uc N.oublier-PRS (16) sila şiy k’iy-aˤar bu’u şiy-zina petit frère.GEN coeur-INEL grand frère-Instr v-ar-ic yarç’ar-e F-faire-MSD passer-PRS Le petit-frère se prend d’une envie de faire une farce à son aîné. uyun jeu.F Le masdar est aussi à l’absolutif en fonction de Patient de verbe transitif : (17) a-n-ir şimbe-var kiç’a xhi-yic ğari-var 3-H-ERG frère.PL-ADEL effrayé être-MSD vieille-ADEL cudur yi-de-d cacher faire-Neg.PRS-N Il ne cacha pas non plus à la vieille qu’il avait peur des frères. Participes et masdars en kryz : une syntaxe mixte (18) yin rikime-k ibur kiy-ic 5 porte.PL-SUB oreille poser.contre-MSD Cessez d’écouter aux portes ! 7 targitmiş ar-ay ! cesser faire.IMP-AGHPL (19) çiz za-ux yigh-ir şid xhi-yic di-p-ci-yin? être-MSD Neg.dire-PFCT.Interr-5 pourquoi 1-APUD sept-M frère Pourquoi ne m’aviez-vous pas dit que j’avais sept frères? (20) u-n-uz furi varq’var-a ar-ic zi-va-ğ 3-H-DAT homme M. trouver-A faire-MSD 1(ERG)-2-SUPER tapşirmiş yi-re-zin confier faire-PRS-1 Je te confie la tâche de lui trouver un mari. 2.2. Marquage casuel du sujet du masdar absolutif Comme dans les relatives participiales, la règle est de conserver le marquage casuel des arguments du verbe nominalisé au masdar. Toutefois, le Seul argument d’un masdar intransitif peut parfois être exprimé au génitif, comme s’il s’agissait d’un nom de procès dérivé et non d’un véritable masdar, (flexion transpositionnelle4, sans modification de la valence) : (21) u-be vaxn-ic 3-GENnonHPL lutter-MSD Leur lutte est à propos de la vache. zir-ğar vache-SUPEREL ic şidir-na-şiy q’ay-ic (22) a-n-iz 3-H-DAT RFLF(GEN) soeur-et-frère.GEN mourir-MSD Elle apprit que sa sœur et son frère étaient morts… ğali-ya à_propos-COP.N ixha-c entendreAOR.N ou garder son (absence de) marquage absolutif : (23) u-n-uz riş-i / riş işa-yc sas 3-H-DAT fille-GEN / fille.ABS pleurer-MSD-GEN) voix En entendant le bruit des pleurs de cette fille… /u-d ˤaxhur-ic (24) u-n 3-GENH 3-ABSnonN arriver.F-MSD xhi-yic za-z 1-DAT être-AOR.N J’ai appris qu’elle était arrivée. ixha-ci… entendre-SEQ ats’ar-a connu Avec un verbe transitif, ce marquage génitival ne concerne que le patient, selon un alignement ergatif : (25) a-nda /a-cbar q’ay-ic za 3-GENHPL 3-ABSHPL tuer-MSD 1.G Il m’est facile de les tuer. 4 xab-a hasant-e main-IN facile-COP.N ‘word class changing inflection’, Haspelmath 2002 8 Gilles Authier 2.3. Masdars complétifs Agent et obliques L’emploi du masdar à l’ergatif (Agent) est assez limité : (26) Mursa-Ğuli q’ay-ic-ir Minasar-iz dard vuts’-ryu M.-Q. mourir-MSD-ERG M.-DAT tourment.F donner-PRS.F La mort de Mursa Quli donna beaucoup de peine à Minasar. (27) a-n-zina acn-ic-ir 3-H-Instr parler-MSD-ERG Parler avec lui m’amuse. za-z 1-DAT maza plaisir vuts’-re donner-PRS Régissent un masdar au datif, qui n’est pas interchangeable avec l’infinitif lui aussi marqué par la désinence -z de datif, des locutions comme ğarişmiş xhiyic ‘être distrait’, q’in aric ‘jurer’, reha xhiyic ‘regretter’ : (28) riş-i q’il ç’ik ula-yc-iz ğarişmişxhi-yi fille-GEN tête.F tranche manger-MSD-SUB être.distrait.PF-PART vaxt.in-a... temps-IN Tandis que la fille avait la tête occupée à manger la tranche… (29) zin mad lu.c-aˤar çixeˤan 1 plus 3-INEL après di-p-ic-iz q’in Neg-F.faire-MSD-DAT serment J’ai juré de ne plus jamais me remarier. fura-z homme-DAT ar-ca faire-PFCT (30) u-c lip-ic-iz çiz reha dire-MSD-DAT pourquoi confus 3-N Pourquoi as-tu des scrupules à dire cela? şa-re va-z? être-PRS 2-DAT On relève aussi un sens ‘préventif’ : (31) xvar.a-r yiqr-ic-iz a-n-iğ zardab ğert’ara xhi-cu chien-ERG attraper-MSD-DAT 3-H-SUPER injection.F piqué être-PFCT.F Contre la morsure du chien, une piqûre lui a été faite. Le masdar est fréquent au ‘subélatif’ comme complément de kiç’a xhiyic ‘craindre’, azar aric ‘sauver, xvaş xhiyic ‘apprécier’ : (32) u-n euhta.c-aˤar ˤaxhir-iz da-xha-yc-kar défi-INEL venir-INF Neg-être-MSD-SUBEL kiç’a xhi-ci… effrayé être-SEQ Craignant d’être incapable de relever le défi de celui-ci. GENH zin q’ay-ic-kar azar (33) u-n-ur mourir-MSD-SUBEL sauvé 3-H-ERG 1 Il m’a sauvé de la mort (= il m’a sauvé la vie). v-ar-cu F.faire-PFCT.F Participes et masdars en kryz : une syntaxe mixte (34) irac kina ar-ic-kar sang répandu faire-MSD-SUBEL Il n’aime pas faire couler le sang. 9 a-n-iz xvaş 3-H-DAT bien şa-de-d être-Neg.PRS-N Le masdar au superlocatif est régime de verbes, noms ou adjectifs : (35) zin q’ay-ic-iğ razi 1 mourir-MSD-SUPER content J’ai préféré mourir. xhi-yid être-AOR.M (36) lu riş furi-mbi yip-ic-iğ ce fille homme-PL HPL.aller-MSD-SUPER ˤubğur-cu F.être_sûr-PFCT.F La fille est bien certaine que les hommes étaient partis... (37) mad avçi yixh-ic-iğ plus chasse M.aller-MSD-SUPER Il n’y a plus besoin que le chasseur y aille. ihtiyac da-d nécessité NEG-N (38) iş ğuş.urd-ğan labsl-ic-iğ paşman xhi-yid fille oiseau-EQU F.revenir-MSD-SUPER désolé être-AOR.M Il regretta que la fille se soit changée en oiseau. Le masdar au superélatif est régime de la locution verbale "renoncer à" ou de la postposition ğali "à propos, à cause de" : (39) lu nik yiza-yc-ğar ce champ labourer-MSD-SUPEREL Il ne renonce pas à cultiver ce champ. xab main ğa-n-de-d enlever-Neg.PRS-N (40) a-n-ir xinib v-ata-yc-ğar 3-H-ERG femme F-battre-MSD-SUPEREL Il a été condamné pour avoir battu sa femme. ğali caza à_propos peine yighn-ic tirer-AOR.N (41) yanxuc-a nik-eˤ piyin sapalamiş v-ar-ic-ğar automne-IN champ-IN fumier.F épandage F.faire-MSD-SUPEREL ğali ç’al çap ğirfar-e à_propos parole tordu surgir-PRS La conversation dérape sur le fumage des champs en automne. 2.4. Complétives de noms ou d’adpositions Le masdar au génitif, formellement identique à l’absolutif, s’emploie comme complément de nom ou de postpositions : (42) basilmiş xhi-yic sabab vaincu être-MSD(G) cause Quelle est la cause de ta défaite? şi-ya-m? quoi-COP.N-Q 10 Gilles Authier (43) kurara xhi-yic nibat bayğuş-ar-ux égorgé être-MSD(G) tour hibou-PL-APUD Ce fut le tour des hiboux d’être sacrifiés. (44) ug ğalça tuta xhi-yic cuisse douloureux être-MSD(G) Il sent que sa cuisse lui fait mal. RFLM(G) sudq’u-c N.atteindre-AOR.N his yi-re sensation faire-PRS b-acn-ic ge siy-aˤ (45) Har-ar Khaput-PL HPL.parler-MSD RFL.GHPL bouche-IN ˤabxhr-ic taˤar-e HPL.venir-MSD(G) façon-COP.N Le parler des Khaput est comme cela leur vient dans la bouche. (46) Ismi kurara xhi-yic baraca hiçzat Ismi égorgé être-MSD(G) à_propos rien ixha-de-d za-z 1-DAT entendre-Neg.PFCT-N Je n’ai rien entendu sur un certain Ismi qui aurait été égorgé. (47) u hayvan.at-ci ˤurasal ğayn-ic-badala ce bête.PL-GEN obstacle prendre-MSD(G)-pour nima ar-day… ainsi faire-Hort2 Faisons en sorte d’empêcher ces bêtes (qui vont dans ce champ). 2.5. Emplois non régis du masdar à des cas obliques Les autres emplois obliques du masdar relèvent d’une conception large des complétives. Fonctionnellement, ils peuvent être très proches des converbes (formes spécifiquement adverbiales du verbe), mais ils s’en distinguent formellement par leur appartenance à un paradigme casuel. Le masdar au subélatif exprime la cause ou le moyen : işa-yc-kar bila xhi-cu (48) umay mère pleurer-MSD-SUBEL aveugle être-PFCT.F A force de pleurer la mère est devenue aveugle. (49) va ğazanc kuça vabç-ic-kar şi 2.G gain rue.F F.balayer-MSD-SUBEL quoi Combien as-tu gagné en balayant la rue? xhi-ca? être-PFCT Le masdar à l’adélatif peut dépendre de la postposition ğayra ‘sauf’ ou dépendre d’un prédicat de comparaison. Un autre masdar est sujet, et les sujets des deux masdars sont coréférents : (50) pul vu-yic-var ğayra cura çara da-d argent donner-MSD-ADEL excepté autre solution NEG-N Il n’y a pas d’autre choix que de donner l’argent. (51) ğara ç’aba xhi-yic-var uca asq’va-yc dehors mouillé être-MSD-ADEL ici s’asseoir-MSD Il vaut mieux rester assis ici que de se faire tremper dehors. ghala-ya bien-COP.N Participes et masdars en kryz : une syntaxe mixte 11 (52) lu yeç şabça-ci zay xhi-yic-var-sa ce pomme F.pourrir-SEQ gâté être-MSD-ADEL-even u-c-kar samağun yighin-day eau_de_vie tirer-Hort2 3-nH-SUBEL Plutôt que de laisser pourrir ces pommes et qu’elles se gâtent, tirons-en de l’eau de vie ! Le masdar à l’instrumental peut avoir un sens prototypique, proche de celui qu’on aurait avec un substantif concret, mais son sens le plus fréquent est d’un converbe temporel ‘aussitôt que’. Comparer : (53) za yiğ-ri ula-yc ğira-yc-zina 1.G jour-PL manger-MSD boire-MSD-Instr yaqir-ca zin passer-PFCT 1 Je passais mes journées à boire et à manger. ts’eˤ ibqa-yc-zina ghala xhi-ci ğurzar-e (54) gada garçon chèvre F.voir-MSD-Instr bien être-SEQ se_lever-PRS Dès qu’il voit la chèvre, le garçon se lève, soudain guéri. Le masdar à l’élatif est uniquement un converbe temporel ‘depuis que’ : xhi-yic-aˤar (55) dunya monde être-MSD-INEL Depuis que le monde existe. Un masdar à l’apudlocatif donne un sens final à une tournure normalement réservée au prédicat possessif. Comparer : kum eyği.c-a (56) fura-ux homme-APUD village(GEN) tournant-IN aşna şi-u-ryu maîtresse être-F-PRS.F L’homme avait, au coin du village, une maîtresse. sa-b un-F xhi-yic-ux (57) padşah-ci xab-aˤar azar roi-GEN main-INEL débarrassé être-MSD-APUD Il n’y a qu’un moyen pour se débarrasser du roi. çara yaˤ solution exister Le verbe ikayc au sens de "regarder" a pour régime le directif, et peut se construire avec le masdar. Mais cette construction se rencontre surtout avec le gérondif séquentiel négatif, au sens concessif "bien que", par calque de l’azéri baxmayaraq et du russe nesmotrja : (58) za tukan mal.ci-zina ˤats’a xhi-yic-xvan 1.G boutique.F bétail-Instr plein être-MSD-DIR miku ! PROH.regarder Ne fais pas attention au fait que ma boutique est pleine de marchandise... 12 Gilles Authier (59) ara.c-aˤar xayla davur yabç’-ic-xvan intervale-INEL beaucoup durée.F F.passer-MSD-DIR Bien que beaucoup de temps se soit écoulé depuis... di-ka-ci… Neg-regarder-SEQ L’équatif marque un "complément d’échange" sur les substantifs : (60) zin vul-bi haq-ar-ğan 1 brebis-PL salaire-PL-EQU Je garde les moutons contre salaire. aq-re garder-PRS (61) ug xhi-ca être-PFCT ghala kar-ibe-ğan ats’ar-a bon travail-PL-EQU connu Par ses bienfaits il s’est devenu célèbre. RFLM(G) Le masdar à l’équatif permet d’exprimer une concession suffisante avec une principale positive, ou, plus souvent, avec une principale négative une concession insuffisante : (62) nukar sadsafar yixh-ci ˤaxhr-ic-ğan hara serviteur une.fois aller-SEQ venir-MSD-EQU sachant Le serviteur s’informa en n’y allant qu’une seule fois. xhi-yid être-AOR.M (63) sin-a sassafar yak ula-yc-ğan fan année-IN unefois viande manger-MSD-EQU ventre.F ˤats’in şa-da-d rassasié être-Neg-N Ce n’est pas en mangeant de la viande une fois par an que le ventre est rassasié ! Comme les autres noms au même cas, le masdar à l’équatif peut aussi être transformé en adjectif par le suffixe -a et exprimer une comparaison : (64) neux-a yiq’içaˤar rib vabq’vara paille-IN intérieur-INEL aiguille trouvée v-ar-ic-ğan-a-ya F.faire-MSD-EQU-a-COP.N C’est (un travail) comme trouver une aiguille dans la paille. 3. CONCLUSION Le kryz se passe largement de complétives et circonstancielles conjonctives du type indo-européen, en adoptant une stratégie participiale ; la notion de complétive est, de plus, élargie à des propositions adverbiales, grâce à la richesse du paradigme casuel appliqué aux participes libres en fonction de masdars. La flexion de ces noms dérivés de verbes est d'ailleurs défective, comme celle de certains substantifs selon leur catégorisation (agentivité) intrinsèque (les cas invocatif, adressatif, collocatif et cumélatif exigent le trait "+ humain", alors que les cas locatif et élatif exigent les traits " – animé, + concret"). Le masdar est donc un nom, mais pas vraiment un substantif : son paradigme casuel est réduit Participes et masdars en kryz : une syntaxe mixte 13 par ces traits non humain et non concret, il n'a pas de pluriel, et enfin certains cas prennent, sur lui, une valeur particulière qui relève de la grammaticalisation en converbes. Surtout, l'originalité de ce type de nominalisation, commun à presque toutes les langues caucasiques de l'Est, est qu'elle donne lieu à une catégorie syntaxiquement mixte, puisque, nominale par sa flexion casuelle (syntaxe externe), elle garde sa syntaxe interne, c'est à dire le marquage casuel de ses dépendants en tant que verbe. PARADIGMES Absolutif Génitif Ergatif Datif Instrumental Locatif Elatif Sublocatif Invocatif Subélatif Superlocatif Equatif Superélatif Apudlocatif Directif Adlocatif Adressatif Adélatif ‘maison’ k’ul-Ø k’ul-ci k’ulci-r k’ulci-z k’ulci-zina k’ulc-a k’ulcaˤar k’ulci-k Ø k’ulci-kar k’ulci-ğ k’ulci-ğan k’ulci-ğar k’ulc-ux k’ulci-xvan k’ulci-v Ø k’ulci-var ‘celui qui voit cela’ i<d>qa-y-Ø i<d>qa-y-in i<d>qa-y-n-ir i<d>qa-y-n-iz i<d>qa-y-n-zina i<d>qa-y-n-ik Ø i<d>qa-y-in-kar i<d>qa-y-n-iğ i<d>qa-y-in-ğan i<d>qa-y-in-ğar i<d>qa-y-n-ux i<d>qa-y-in-xvan i<d>qa-y-n-iv i<d>qa-y-in-van i<d>qa-y-in-var ‘le reste’ i<d>kni-Ø i<d>kni-c i<d>kni-c-ir i<d>kn-i-c-iz i<d>kn-i-c-zina i<d>kn-i-c-a i<d>kn-i-caˤar i<d>kn-i-c-ik Ø i<d>kn-i-c-kar i<d>kn-i-c-iğ i<d>kn-i-c-ğan i<d>kn-i-c-ğar i<d>kn-i-c-ux i<d>kn-i-c-xvan i<d>kn-i-c-iv Ø i<d>kn-i-c-var ‘le fait qu’il reste’ i<r>kn-ic i<r>kn-ic i<r>kn-ic-ir i<r>kn-ic-iz i<r>kn-ic-zina Ø i<r>kn-i-caˤar Ø Ø i<r>kn-ic-kar i<r>kn-ic-iğ i<r>kn-ic-ğan i<r>kn-ic-ğar i<r>kn-ic-ux i<r>kn-ic-xvan Ø Ø i<r>kn-ic-var 14 Gilles Authier Authier Gilles : Participes libres et masdars en kryz (p. ) RESUME : Le kryz, langue caucasique de l’Est parlée en Azerbaïdjan, a des relatives participiales qui conservent leur syntaxe interne verbale; en sont dérivés des noms verbaux – participes substantivés ou, par abstraction, ‘masdars’ – qui ont la même propriété, et donc une syntaxe mixte, puisqu’en tant que noms ils ont une syntaxe externe marquée par des cas, dont on étudie les valeurs sémantiques, complétives au sens strict ou adverbiales. ABSTRACT : Kryz, an East-Caucasian language spoken in Azerbaijan, has participial relative clauses which retain a verbal syntax; verbal nouns or masdars share this property and have, consequently, a mixed syntax : as nouns they can inflect for a rich choice of cases, and are used as various complement or adverbial clauses. Authier G., 2008, Eléments de grammaire kryz, dialecte d’Alik, Paris, Peeters. Benveniste E., 1966, Pour l'analyse des fonctions casuelles : le génitif latin in Problèmes de linguistique générale 1, Paris, Gallimard. Charachidzé G., 1982 Grammaire de la langue avar, Paris, Jean Favard. Comrie, C., 1976, The Syntax of action nominals : a cross-linguistic study in Lingua 40 : 177-201 Creissels D., 2006, Syntaxe générale : une introduction typologique, Paris, Hermès. Dixon R. M. & Aikhenvald A. Y., 2006 Complementation, Oxford, Oxford University Press. Haspelmath M. 2002, Understanding Morphology, Oxford, Oxford University Press. Keenan E. L. & Comrie B., 1977, Noun phrase accessibility and universal grammar in Linguistic Inquiry 8, p. 63-99.