Participes et masdars en kryz : une syntaxe mixte

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Participes et masdars en kryz :
une syntaxe mixte
Gilles Authier*
L’opération d’abstraction qui rend compte de la grammaticalisation du ‘fait’
au ‘fait de faire’ semble être un phénomène universel, mais que les langues
affichent avec des degrés très divers de transparence. A l’extrême, on trouve des
langues où la polycatégorialité est massive, permettant de donner une valeur
abstraite, ou concrète, voire même personnelle (nom d’agent) à un lexème d’état
ou d’action. Aussi bien la complémentation verbale – définie comme dépendance
d’un prédicat à un autre en fonction de sujet ou de complément – recourt-elle
dans de très nombreuses langues du monde à des stratégies proches de celles
utilisées pour former des relatives, qui sont a priori des compléments verbaux du
nom, et peuvent parfois, en se ‘substantivant’, se substituer à eux. C’est ainsi
qu’en français, complétives et relatives en ‘que’ sont parfois difficiles à
distinguer, et bien des noms d’actions comme ‘entrée’ ou ‘battue’ sont
étymologiquement des participes. Dixon (2006) note d’ailleurs que la
relativisation est une des sources principales de complémentation verbale dans
les langues qui n’ont quasiment pas de dérivation lexicale à partir de verbes.
Haspelmath (1995) remarque, lui, que dans les langues qui possèdent des formes
flexionnelles catégoriellement mixtes – ou ‘polycatégorielles’ ou ‘verbonominales’ - leur construction syntaxique tend a rester celle de la base verbale.
La plupart des langues daghestanaises ou ‘caucasiques de l’Est’ ont des
participes non pas dérivés mais qu’on peut considérer comme fléchis, dans la
mesure où leur morphologie est absolument invariante et que leur syntaxe interne
conserve la construction du verbe en emploi indépendant, c’est à dire marquée
par des cas sur les constituants nominaux dépendants (l’Agent reste à l’ergatif) et
par une marque d’accord sur le verbe avec le ‘prime actant’ (Charachidzé 1982)
Patient ou seul argument (A≠S=P). Cette conservation de la construction permet
à ces participes d’être non orientés 1 . Et qu’en est-il des noms d’action - ou
‘masdars’ - dans ces mêmes langues?
* Institut National des Langues Orientales & Ecole Pratique des Hautes Etudes. Courriel :
[email protected]
1 contrairement à ceux du turc par exemple, dont la construction est ‘plus nominale’, dans
la mesure où le lexème change généralement de syntaxe interne, en prenant un sujet (S/A)
au génitif, comme dans les langues indo-européennes (cf. Benveniste 1966 : "la fonction
du génitif se définit comme résultant de la transposition d'un syntagme verbal en
syntagme nominal"). De ce point de vue, l’azéri, qui est en contact avec des langues
Caucasiques de l’Est, présente d’intéressantes exceptions, avec des sujets de certaines
formes nominalisées qui peuvent rester au nominatif.
2
Gilles Authier
On examinera ici la continuité formelle, sémantique et surtout syntaxique des
relatives ‘libres’ (= substantives) et des complétives par nominalisation en kryz,
petite langue caucasique parlée par quelques centaines de locuteurs en
Azerbaïdjan (données inédites, Authier 2008). Participes substantivés et noms
d’action y sont les stratégies les plus communes de relativisation et de
complémentation. Précisons aussi que l’ordre non marqué des constituants y est
"Seul argument / Agent - (Patient)- Verbe", et que la flexion des noms (23 cas)
est invariante.
1. LES PARTICIPES, FORMES INTEGRATIVES EN FONCTION D’ADJECTIFS
Comme dans la plupart des langues apparentées (caucasiques du Nord-Est) la
phrase complexe se coule généralement dans la structure de la phrase simple, par
translation d’une proposition en adjectif, nom, ou adverbe. On peut illustrer2 ce
procédé de translation en comparant une phrase simple :
Agent
adverbe
bénéficiaire
buba-r
şas
duxvar-iz
l’an.dernier
fils-DAT
père-ERG
‘Le père a donné un chiot à son fils l’an dernier.’
Patient
kurç’
chiot.F
prédicat
vu-du
donner-AOR.F
à une phrase complexe dans laquelle des prédicats tiennent le rôle de constituant
nominal, ou de dépendant, du prédicat principal ou d’un nom :
sujet Agent/Expérient
buba-r/z
père-ERG/DAT
relative
uxva-ts’-i
étudier-IPF-PART
finale
dix şad
ar-iz
fils content faire-INF
circonstancielle
vul
vu-ci
brebis vendre-SEQ
‘Le père a voulu, pour
vendant une brebis.’
complétive
prédicat régisseur
kurç’ ğva-yn-ic
i-u-ka-c
chiot.F F.acheter-MSD.N
F.vouloir-AOR.N
faire plaisir à son fils qui étudie, (lui) acheter un chiot en
2
Abréviations & liste des morphèmes :
1, 2 , 3... : personnes; AD : adlocatif; ADEL : adélatif; ADR : adressatif; AOR : aoriste;
APUD : apudlocatif; APUDEL : apudélatif; COP : copule; DIR : directif; EQU : équatif; F :
féminin humain ou animé et assimilés, singulier; H : humain; IMP : impératif; IN : locatif;
INEL : inélatif; INF : infinitif; Instr : instrumental; IPF : imperfectif; M : masculin humain
singulier; MSD : masdar; N : neutre (non humain, non animé); NEG : copule négative; Neg :
négation; nonH : non humain; nonN : autre que neutre; PART : participe; PF : perfectif;
PFCT : parfait; PROH : prohibitif; PRS : présentatif; Q : question globale; RFL : réfléchi; SEQ :
séquentiel; SUB : sublocatif; SUBEL : subélatif; SUPER : superlocatif; SUPEREL : superélatif.
NB : Le suffixe génitival ‘oblique’ n’est pas glosé s’il est suivi d’un autre cas.
Ex. : adamiczina ‘avec la personne’ au lieu d’être écrit adami-c-zina et glosé
‘personne-GEN-Instr’ est écrit simplement adami.c-zina, glosé ‘personne-Instr’.
Participes et masdars en kryz : une syntaxe mixte
3
Les formes vuci (gérondif), uxvats’i (participe), ariz (infinitif, cf. Authier
2008) et ğvaynic (masdar) tiennent respectivement la fonction d’un adverbe,
d’un adjectif, et d’argument. Le kryz se signale par l’emploi très fréquent de ces
formes dépendantes (ou ‘intégratives’ cf. Creissels 2006).
A côté de relatives topicalisées à pronom interrogatif semblables à celles de
l’azéri ou du tat avec lesquels il est en contact depuis longtemps, le kryz utilise
donc des participes, préposés (épithètes) ou substitués à un constituant nominal,
comme toutes les autres langues caucasiques de l’Est. Et contrairement à ceux
des langues européennes ou du turc, ces participes caucasiques ne sont pas
orientés : ils permettent de relativiser aussi bien le Patient que l’Agent puisque ce
dernier reste marqué à l’ergatif, ainsi que la plupart des positions syntaxiques. Ils
prennent la tête de syntagmes définis ou restreints par une prédication, cette
relation d’un constituant avec une prédication pouvant recouvrir l’ensemble des
référents possibles (on a alors l’équivalent d’une relative libre du type français
"celui qui / que / dont etc").
D’un point de vue morphologique, les participes kryz sont constitués d’un
radical verbal, perfectif ou imperfectif, comprenant généralement une marque
d’accord en genre et nombre avec le prime actant (S/P) insérée entre un préverbe
spatial et une racine monosyllabique; leur valeur est aspectuelle. L’imperfectif
est généralement dérivé du perfectif, selon des procédés divers et complexes :
PF
ğaq’l-i
acn-i
ˤaç’-i
IPF
ğalq’al-i
acan-i
ˤarç’ar-i
tomber
parler
entrer
PF
vu-yi
kit’l-i
ğaqr-i
IPF
vu-ts’-i
kilt’-i
ğarq-i
donner
atteler
extraire
On n’étudiera ici que les emplois substantivés, et les masdars, qui en sont
dérivés.
1.1. Flexion casuelle des participes libres et indexation du référent
Comme les noms, les participes du kryz sont non marqués à l’absolutif :
(1)
fura-r
la
[pul
vu-ts’-i]
homme-ERG
cet
argent
donner-IPF-PART(ABS)
neˤra
ar-id
appel
faire-AOR.M
‘L’homme appela [celui à qui il avait donné beaucoup d’argent].’
Comme tout dépendant substantivé, ils se fléchissent au cas voulu par leur
fonction relativement au prédicat principal. Ils indexent à tous les autres cas le
critère humain ou non humain du nom de domaine3 effacé par un suffixe de base
oblique en -n au singulier pour un nom de domaine humain alors que pour un
référent non humain singulier, la base oblique est -c. Comparer :
3
plutôt que ‘référent’, cf. Keenan & Comrie 1977, et Creissels 2006.
4
Gilles Authier
(2)
vun
li-yi
duru
zin
li-yi-c-var
2
dire.IPF-PART
mensonge 1
dire.IPF-nH-ADEL
ghala
xhi-na…
bon
être-IF
Si le mensonge que tu diras est meilleur que celui que je dirai…
(3)
yit
ya-rt’-i-n-ir
t’il
yalamiş yi-ryu
miel
couper.IPF-PART-H-E
doigt.F lécher
faire-PRS.F
Celui qui coupe le (rayon de) miel se lèche le doigt (Prov.).
1.2. Syntagmes participiaux lexicalisés humains
Certaines locutions à participes imperfectifs dépendants ou tête de syntagme
forment avec leur prime actant ou un complément un nom d’instrument ou
d’agent. C’est là un des rares procédés vivants de création lexicale :
(4)
(5)
yis
laine
ğaş-i
carder.IPF-PART
darağ
peigne
"Peigne à carder la laine"
buç’
yart’-i
nombril couper.IPF-PART
"sage-femme"
barkan
cheval
"palefrenier"
vauqats’-i
F.garder.IPF-PART
ç’adrux.ci-ğ
sa-d
tur
an
perce-oreille-SUPER
un-N
nom
AN
ibr-a
ˤarç’ar-i
ğica
IPF.entrer-PART
être_sur
oreille-IN
Le "tchadrukh" porte aussi le nom de perce-oreille.
Ces composés conservent leur flexion marquée pour le genre :
(6)
ibr-a
ˤa-rç’ar-i-c-ir
oreille-IN entrer.IPF-PART-nH-ERG
Le perce-oreille mange des mouches.
t’ut’
ulats’-ryu
mouche manger-PRS.F
(7)
buç’
yart’-i-n-ir
nombril IPF.couper-PART-H-ERG
La sage-femme sortit un tamis.
sa-d alag
un-N tamis
ğaqr-ic
sortir-AOR.N
Noter que si le participe est transitif, l’accord préfixé est avec le Patient, alors
que le suffixe de la base oblique (-c, -n) du participe renvoie au critère non
humain ou humain et au nombre du nom de domaine :
(8)
u-n
barkan
3-GENH
cheval
Son palefrenier dit...
vauqa-ts’-i-n-ir
F.garder-IPF-PART-H-ERG
li-re…
dire-PRS
Participes et masdars en kryz : une syntaxe mixte
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2. LES MASDARS : PARTICIPES ‘ABSTRAITS’ ET NOMS VERBAUX
Outre deux autres stratégies (infinitif de but ou ‘datif du verbe’ pour des
prédicats à sujets co-référents, et des complétives à joncteur emprunté ki), le kryz
utilise une forme de complémentation ‘nominale’. Le ‘masdar’,
morphologiquement apparenté au participe perfectif, permet d’intégrer un
prédicat à la valence d’un autre grâce aux cas et postpositions propres aux
nominaux. Etant donné la luxuriance du paradigme casuel en kryz, l’emploi du
masdar y couvre un champ diversifié de complétives au sens large, et englobe
des emplois circonstanciels, sémantiquement proches des converbes.
En tant que nom, le masdar se fléchit pour remplir la fonction, actantielle ou
circonstancielle, qui lui est assignée dans le prédicat principal : il est nom du
point de vue de sa syntaxe externe, et peut recevoir la plupart des cas
sématiquement compatibles avec sa valeur abstraite (certains des 23 cas du Kryz
supposent en effet le trait + animé pour être applicables). Il est donc de genre
neutre, marqué dès l’absolutif, qui sert de forme de citation, par le morphème -c,
(marque du genre neutre sur les adjectifs substantivés) :
(9)
xinib.ci-r
ula-y-c
ğira-y-c
femme-ERG
manger-PART-ABS.N / MSD
boire-PART-ABS.N/MS
ˤağats’-re
porter-PRS
La femme apporte le manger et le boire <= ‘le mangé et le bu’.
(10) ula-y-c-kar
ğira-y-c-kar
ˤats’in
manger-PART-nH/MSD-SUBEL boire-PART-nH/MSD-SUBEL
rassasié
şiudeb
être.F.Neg.PRS-F
Elle ne se rassasiait ni de boire ni de manger / ni de ce qu’elle buvait ni de ce
qu’elle mangeait.
Comme on le voit dans ces deux premiers exemples, la complétive est
initialement une relative substantivée en fonction de complément d’un autre
verbe. Ce phénomène s’observe d’ailleurs aussi en turc, où la même forme
verbale suffixée en –DIK permet de relativiser les fonctions autres que le sujet,
mais s’interprète comme une complétive si elle est suivie d’une marque de cas et
qu’il n’y a pas de fonction syntaxique laissée vide. Mais alors qu’en turc le sujet
de la complétive ou de la relative nominalisée est au génitif, en kryz, où le nom
verbal est lui aussi issu d’un participe perfectif substantivé, la complétive, tout
comme la relative, conserve une syntaxe interne verbale. Comme les participes,
le masdar garde ses arguments marqués pour leur fonction, et l’indexation du
prime actant S ou P quand le verbe a une place pour ce morphème (entre <>,
propriété lexicale) :
PPF
i<r>kn-i
anir y<u>qr-i
aniz i<d>qa-y
‘celui qui est resté’
‘celle qui a été prise’
‘ce qu’il a vu’
Masdar
=> i<r>kn-i-c
=> y<u>qr-i-c
=> i<d>qa-y-c
rester (M)
la (F) prendre
le (N) voir
6
Gilles Authier
Au-delà des complétives au sens habituel (‘sujets’ et ‘objets’ phrastiques),
l’intégration de prédicats sous forme de masdars se faire à tous les cas
sémantiquement compatibles (on n’aura pas de masdar à l’invocatif, au collocatif
ou au datif d’Expérient, parce que ces cas supposent un référent animé).
On distinguera entre des emplois ‘complétifs’, c’est-à-dire régis par le sens du
verbe, et emplois circonstanciels non régis.
2.1. Emploi du masdar à l’absolutif
Le masdar à l’absolutif peut être "sujet" Seul argument, ainsi dans la tournure
avec lazim "nécessaire" calquée sur l’azéri, ou attribut, ou encore en fonction de
Stimulus dans la complémentation de verbes affectifs à Expérient au datif :
(11) yiğğaciğ
yak
ula-yc
lazim-e
chaque_jour
viande manger-MSD
nécessaire-COP.N
Il est nécessaire de manger de la viande chaque jour.
(12) u-c
şitaˤara azan
vu-yic-i?
3-N
quel
appel_à_la_prière donner-MSD-COPINTERR
Quelle sorte d’appel à la prière est-ce là?
(13) a-n
kar
kis-ar
3-GENH
travail poule-PL(GEN)
Son travail est de ramasser les crottes de poule.
t’iğ
crotte
vağa-yc-e
ramasser-MSD-COP
(14) a-n-iz
salağalu ği-xha-ci
kukur-ic
xvaş
xhi-ca
3-H-DAT élégant s’habiller-SEQ
se_promener.MSD agréable être-PFCT(N)
Il aimait se promener élégamment vêtue.
Le verbe "oublier" et certaines locutions se construisent avec un "sujet"
génitival complément du siège de perception :
(15) za
k’iy-ğar
1.G
coeur-SUPEREL
J’en ai oublié de danser.
ç’in
danse.F
var-ic
F.faire-MSD
sadxun-uc
N.oublier-PRS
(16) sila
şiy
k’iy-aˤar
bu’u
şiy-zina
petit
frère.GEN coeur-INEL
grand
frère-Instr
v-ar-ic
yarç’ar-e
F-faire-MSD
passer-PRS
Le petit-frère se prend d’une envie de faire une farce à son aîné.
uyun
jeu.F
Le masdar est aussi à l’absolutif en fonction de Patient de verbe transitif :
(17) a-n-ir
şimbe-var
kiç’a
xhi-yic ğari-var
3-H-ERG frère.PL-ADEL
effrayé être-MSD vieille-ADEL
cudur
yi-de-d
cacher faire-Neg.PRS-N
Il ne cacha pas non plus à la vieille qu’il avait peur des frères.
Participes et masdars en kryz : une syntaxe mixte
(18) yin rikime-k
ibur
kiy-ic
5 porte.PL-SUB oreille poser.contre-MSD
Cessez d’écouter aux portes !
7
targitmiş ar-ay !
cesser
faire.IMP-AGHPL
(19) çiz
za-ux
yigh-ir şid
xhi-yic di-p-ci-yin?
être-MSD Neg.dire-PFCT.Interr-5
pourquoi 1-APUD sept-M frère
Pourquoi ne m’aviez-vous pas dit que j’avais sept frères?
(20) u-n-uz furi
varq’var-a
ar-ic
zi-va-ğ
3-H-DAT homme M. trouver-A
faire-MSD 1(ERG)-2-SUPER
tapşirmiş
yi-re-zin
confier
faire-PRS-1
Je te confie la tâche de lui trouver un mari.
2.2. Marquage casuel du sujet du masdar absolutif
Comme dans les relatives participiales, la règle est de conserver le marquage
casuel des arguments du verbe nominalisé au masdar. Toutefois, le Seul
argument d’un masdar intransitif peut parfois être exprimé au génitif, comme s’il
s’agissait d’un nom de procès dérivé et non d’un véritable masdar, (flexion
transpositionnelle4, sans modification de la valence) :
(21) u-be
vaxn-ic
3-GENnonHPL
lutter-MSD
Leur lutte est à propos de la vache.
zir-ğar
vache-SUPEREL
ic
şidir-na-şiy
q’ay-ic
(22) a-n-iz
3-H-DAT RFLF(GEN) soeur-et-frère.GEN mourir-MSD
Elle apprit que sa sœur et son frère étaient morts…
ğali-ya
à_propos-COP.N
ixha-c
entendreAOR.N
ou garder son (absence de) marquage absolutif :
(23) u-n-uz riş-i / riş
işa-yc
sas
3-H-DAT fille-GEN / fille.ABS pleurer-MSD-GEN) voix
En entendant le bruit des pleurs de cette fille…
/u-d
ˤaxhur-ic
(24) u-n
3-GENH 3-ABSnonN
arriver.F-MSD
xhi-yic
za-z
1-DAT
être-AOR.N
J’ai appris qu’elle était arrivée.
ixha-ci…
entendre-SEQ
ats’ar-a
connu
Avec un verbe transitif, ce marquage génitival ne concerne que le patient,
selon un alignement ergatif :
(25) a-nda
/a-cbar q’ay-ic za
3-GENHPL 3-ABSHPL tuer-MSD 1.G
Il m’est facile de les tuer.
4
xab-a
hasant-e
main-IN facile-COP.N
‘word class changing inflection’, Haspelmath 2002
8
Gilles Authier
2.3. Masdars complétifs Agent et obliques
L’emploi du masdar à l’ergatif (Agent) est assez limité :
(26) Mursa-Ğuli
q’ay-ic-ir
Minasar-iz dard
vuts’-ryu
M.-Q.
mourir-MSD-ERG M.-DAT tourment.F donner-PRS.F
La mort de Mursa Quli donna beaucoup de peine à Minasar.
(27) a-n-zina
acn-ic-ir
3-H-Instr
parler-MSD-ERG
Parler avec lui m’amuse.
za-z
1-DAT
maza
plaisir
vuts’-re
donner-PRS
Régissent un masdar au datif, qui n’est pas interchangeable avec l’infinitif lui
aussi marqué par la désinence -z de datif, des locutions comme ğarişmiş xhiyic
‘être distrait’, q’in aric ‘jurer’, reha xhiyic ‘regretter’ :
(28) riş-i
q’il
ç’ik
ula-yc-iz
ğarişmişxhi-yi
fille-GEN tête.F
tranche manger-MSD-SUB être.distrait.PF-PART
vaxt.in-a...
temps-IN
Tandis que la fille avait la tête occupée à manger la tranche…
(29) zin
mad
lu.c-aˤar çixeˤan
1
plus
3-INEL après
di-p-ic-iz
q’in
Neg-F.faire-MSD-DAT
serment
J’ai juré de ne plus jamais me remarier.
fura-z
homme-DAT
ar-ca
faire-PFCT
(30) u-c
lip-ic-iz
çiz
reha
dire-MSD-DAT
pourquoi confus
3-N
Pourquoi as-tu des scrupules à dire cela?
şa-re
va-z?
être-PRS 2-DAT
On relève aussi un sens ‘préventif’ :
(31) xvar.a-r
yiqr-ic-iz
a-n-iğ
zardab ğert’ara xhi-cu
chien-ERG
attraper-MSD-DAT 3-H-SUPER injection.F piqué être-PFCT.F
Contre la morsure du chien, une piqûre lui a été faite.
Le masdar est fréquent au ‘subélatif’ comme complément de kiç’a xhiyic
‘craindre’, azar aric ‘sauver, xvaş xhiyic ‘apprécier’ :
(32) u-n
euhta.c-aˤar
ˤaxhir-iz
da-xha-yc-kar
défi-INEL
venir-INF
Neg-être-MSD-SUBEL
kiç’a
xhi-ci…
effrayé être-SEQ
Craignant d’être incapable de relever le défi de celui-ci.
GENH
zin
q’ay-ic-kar
azar
(33) u-n-ur
mourir-MSD-SUBEL sauvé
3-H-ERG 1
Il m’a sauvé de la mort (= il m’a sauvé la vie).
v-ar-cu
F.faire-PFCT.F
Participes et masdars en kryz : une syntaxe mixte
(34) irac
kina
ar-ic-kar
sang
répandu faire-MSD-SUBEL
Il n’aime pas faire couler le sang.
9
a-n-iz
xvaş
3-H-DAT bien
şa-de-d
être-Neg.PRS-N
Le masdar au superlocatif est régime de verbes, noms ou adjectifs :
(35) zin
q’ay-ic-iğ
razi
1
mourir-MSD-SUPER content
J’ai préféré mourir.
xhi-yid
être-AOR.M
(36) lu
riş
furi-mbi
yip-ic-iğ
ce
fille
homme-PL
HPL.aller-MSD-SUPER
ˤubğur-cu
F.être_sûr-PFCT.F
La fille est bien certaine que les hommes étaient partis...
(37) mad
avçi
yixh-ic-iğ
plus
chasse M.aller-MSD-SUPER
Il n’y a plus besoin que le chasseur y aille.
ihtiyac da-d
nécessité NEG-N
(38) iş
ğuş.urd-ğan
labsl-ic-iğ
paşman xhi-yid
fille
oiseau-EQU
F.revenir-MSD-SUPER désolé être-AOR.M
Il regretta que la fille se soit changée en oiseau.
Le masdar au superélatif est régime de la locution verbale "renoncer à" ou de
la postposition ğali "à propos, à cause de" :
(39) lu
nik
yiza-yc-ğar
ce
champ labourer-MSD-SUPEREL
Il ne renonce pas à cultiver ce champ.
xab
main
ğa-n-de-d
enlever-Neg.PRS-N
(40) a-n-ir
xinib
v-ata-yc-ğar
3-H-ERG femme F-battre-MSD-SUPEREL
Il a été condamné pour avoir battu sa femme.
ğali
caza
à_propos peine
yighn-ic
tirer-AOR.N
(41) yanxuc-a
nik-eˤ
piyin
sapalamiş
v-ar-ic-ğar
automne-IN
champ-IN fumier.F épandage
F.faire-MSD-SUPEREL
ğali
ç’al
çap
ğirfar-e
à_propos parole
tordu
surgir-PRS
La conversation dérape sur le fumage des champs en automne.
2.4. Complétives de noms ou d’adpositions
Le masdar au génitif, formellement identique à l’absolutif, s’emploie comme
complément de nom ou de postpositions :
(42) basilmiş xhi-yic
sabab
vaincu être-MSD(G)
cause
Quelle est la cause de ta défaite?
şi-ya-m?
quoi-COP.N-Q
10
Gilles Authier
(43) kurara xhi-yic
nibat
bayğuş-ar-ux
égorgé être-MSD(G)
tour
hibou-PL-APUD
Ce fut le tour des hiboux d’être sacrifiés.
(44) ug
ğalça
tuta
xhi-yic
cuisse
douloureux être-MSD(G)
Il sent que sa cuisse lui fait mal.
RFLM(G)
sudq’u-c
N.atteindre-AOR.N
his
yi-re
sensation faire-PRS
b-acn-ic
ge
siy-aˤ
(45) Har-ar
Khaput-PL
HPL.parler-MSD
RFL.GHPL
bouche-IN
ˤabxhr-ic
taˤar-e
HPL.venir-MSD(G) façon-COP.N
Le parler des Khaput est comme cela leur vient dans la bouche.
(46) Ismi kurara
xhi-yic
baraca hiçzat
Ismi égorgé
être-MSD(G)
à_propos rien
ixha-de-d
za-z
1-DAT
entendre-Neg.PFCT-N
Je n’ai rien entendu sur un certain Ismi qui aurait été égorgé.
(47) u
hayvan.at-ci
ˤurasal
ğayn-ic-badala
ce
bête.PL-GEN
obstacle
prendre-MSD(G)-pour
nima
ar-day…
ainsi
faire-Hort2
Faisons en sorte d’empêcher ces bêtes (qui vont dans ce champ).
2.5. Emplois non régis du masdar à des cas obliques
Les autres emplois obliques du masdar relèvent d’une conception large des
complétives. Fonctionnellement, ils peuvent être très proches des converbes
(formes spécifiquement adverbiales du verbe), mais ils s’en distinguent
formellement par leur appartenance à un paradigme casuel.
Le masdar au subélatif exprime la cause ou le moyen :
işa-yc-kar
bila
xhi-cu
(48) umay
mère
pleurer-MSD-SUBEL
aveugle être-PFCT.F
A force de pleurer la mère est devenue aveugle.
(49) va
ğazanc kuça
vabç-ic-kar
şi
2.G
gain
rue.F
F.balayer-MSD-SUBEL
quoi
Combien as-tu gagné en balayant la rue?
xhi-ca?
être-PFCT
Le masdar à l’adélatif peut dépendre de la postposition ğayra ‘sauf’ ou
dépendre d’un prédicat de comparaison. Un autre masdar est sujet, et les sujets
des deux masdars sont coréférents :
(50) pul
vu-yic-var
ğayra
cura
çara
da-d
argent
donner-MSD-ADEL excepté autre
solution NEG-N
Il n’y a pas d’autre choix que de donner l’argent.
(51) ğara
ç’aba
xhi-yic-var
uca
asq’va-yc
dehors mouillé être-MSD-ADEL
ici
s’asseoir-MSD
Il vaut mieux rester assis ici que de se faire tremper dehors.
ghala-ya
bien-COP.N
Participes et masdars en kryz : une syntaxe mixte
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(52) lu
yeç
şabça-ci
zay
xhi-yic-var-sa
ce
pomme F.pourrir-SEQ
gâté
être-MSD-ADEL-even
u-c-kar
samağun
yighin-day
eau_de_vie
tirer-Hort2
3-nH-SUBEL
Plutôt que de laisser pourrir ces pommes et qu’elles se gâtent, tirons-en de l’eau de
vie !
Le masdar à l’instrumental peut avoir un sens prototypique, proche de celui
qu’on aurait avec un substantif concret, mais son sens le plus fréquent est d’un
converbe temporel ‘aussitôt que’. Comparer :
(53) za
yiğ-ri
ula-yc
ğira-yc-zina
1.G
jour-PL manger-MSD
boire-MSD-Instr
yaqir-ca zin
passer-PFCT
1
Je passais mes journées à boire et à manger.
ts’eˤ
ibqa-yc-zina
ghala
xhi-ci
ğurzar-e
(54) gada
garçon chèvre F.voir-MSD-Instr
bien
être-SEQ se_lever-PRS
Dès qu’il voit la chèvre, le garçon se lève, soudain guéri.
Le masdar à l’élatif est uniquement un converbe temporel ‘depuis que’ :
xhi-yic-aˤar
(55) dunya
monde être-MSD-INEL
Depuis que le monde existe.
Un masdar à l’apudlocatif donne un sens final à une tournure normalement
réservée au prédicat possessif. Comparer :
kum
eyği.c-a
(56) fura-ux
homme-APUD
village(GEN)
tournant-IN
aşna
şi-u-ryu
maîtresse
être-F-PRS.F
L’homme avait, au coin du village, une maîtresse.
sa-b
un-F
xhi-yic-ux
(57) padşah-ci xab-aˤar azar
roi-GEN main-INEL débarrassé
être-MSD-APUD
Il n’y a qu’un moyen pour se débarrasser du roi.
çara
yaˤ
solution exister
Le verbe ikayc au sens de "regarder" a pour régime le directif, et peut se
construire avec le masdar. Mais cette construction se rencontre surtout avec le
gérondif séquentiel négatif, au sens concessif "bien que", par calque de l’azéri
baxmayaraq et du russe nesmotrja :
(58) za
tukan
mal.ci-zina ˤats’a xhi-yic-xvan
1.G
boutique.F
bétail-Instr plein
être-MSD-DIR
miku !
PROH.regarder
Ne fais pas attention au fait que ma boutique est pleine de marchandise...
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Gilles Authier
(59) ara.c-aˤar
xayla
davur
yabç’-ic-xvan
intervale-INEL
beaucoup durée.F F.passer-MSD-DIR
Bien que beaucoup de temps se soit écoulé depuis...
di-ka-ci…
Neg-regarder-SEQ
L’équatif marque un "complément d’échange" sur les substantifs :
(60) zin
vul-bi
haq-ar-ğan
1
brebis-PL
salaire-PL-EQU
Je garde les moutons contre salaire.
aq-re
garder-PRS
(61) ug
xhi-ca
être-PFCT
ghala
kar-ibe-ğan
ats’ar-a
bon
travail-PL-EQU
connu
Par ses bienfaits il s’est devenu célèbre.
RFLM(G)
Le masdar à l’équatif permet d’exprimer une concession suffisante avec une
principale positive, ou, plus souvent, avec une principale négative une
concession insuffisante :
(62) nukar
sadsafar yixh-ci ˤaxhr-ic-ğan
hara
serviteur une.fois aller-SEQ venir-MSD-EQU
sachant
Le serviteur s’informa en n’y allant qu’une seule fois.
xhi-yid
être-AOR.M
(63) sin-a
sassafar yak
ula-yc-ğan
fan
année-IN unefois viande
manger-MSD-EQU ventre.F
ˤats’in
şa-da-d
rassasié
être-Neg-N
Ce n’est pas en mangeant de la viande une fois par an que le ventre est rassasié !
Comme les autres noms au même cas, le masdar à l’équatif peut aussi être
transformé en adjectif par le suffixe -a et exprimer une comparaison :
(64) neux-a yiq’içaˤar
rib
vabq’vara
paille-IN intérieur-INEL
aiguille trouvée
v-ar-ic-ğan-a-ya
F.faire-MSD-EQU-a-COP.N
C’est (un travail) comme trouver une aiguille dans la paille.
3. CONCLUSION
Le kryz se passe largement de complétives et circonstancielles conjonctives du
type indo-européen, en adoptant une stratégie participiale ; la notion de
complétive est, de plus, élargie à des propositions adverbiales, grâce à la richesse
du paradigme casuel appliqué aux participes libres en fonction de masdars.
La flexion de ces noms dérivés de verbes est d'ailleurs défective, comme celle
de certains substantifs selon leur catégorisation (agentivité) intrinsèque (les cas
invocatif, adressatif, collocatif et cumélatif exigent le trait "+ humain", alors que
les cas locatif et élatif exigent les traits " – animé, + concret"). Le masdar est
donc un nom, mais pas vraiment un substantif : son paradigme casuel est réduit
Participes et masdars en kryz : une syntaxe mixte
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par ces traits non humain et non concret, il n'a pas de pluriel, et enfin certains cas
prennent, sur lui, une valeur particulière qui relève de la grammaticalisation en
converbes.
Surtout, l'originalité de ce type de nominalisation, commun à presque toutes
les langues caucasiques de l'Est, est qu'elle donne lieu à une catégorie
syntaxiquement mixte, puisque, nominale par sa flexion casuelle (syntaxe
externe), elle garde sa syntaxe interne, c'est à dire le marquage casuel de ses
dépendants en tant que verbe.
PARADIGMES
Absolutif
Génitif
Ergatif
Datif
Instrumental
Locatif
Elatif
Sublocatif
Invocatif
Subélatif
Superlocatif
Equatif
Superélatif
Apudlocatif
Directif
Adlocatif
Adressatif
Adélatif
‘maison’
k’ul-Ø
k’ul-ci
k’ulci-r
k’ulci-z
k’ulci-zina
k’ulc-a
k’ulcaˤar
k’ulci-k
Ø
k’ulci-kar
k’ulci-ğ
k’ulci-ğan
k’ulci-ğar
k’ulc-ux
k’ulci-xvan
k’ulci-v
Ø
k’ulci-var
‘celui qui voit cela’
i<d>qa-y-Ø
i<d>qa-y-in
i<d>qa-y-n-ir
i<d>qa-y-n-iz
i<d>qa-y-n-zina
i<d>qa-y-n-ik
Ø
i<d>qa-y-in-kar
i<d>qa-y-n-iğ
i<d>qa-y-in-ğan
i<d>qa-y-in-ğar
i<d>qa-y-n-ux
i<d>qa-y-in-xvan
i<d>qa-y-n-iv
i<d>qa-y-in-van
i<d>qa-y-in-var
‘le reste’
i<d>kni-Ø
i<d>kni-c
i<d>kni-c-ir
i<d>kn-i-c-iz
i<d>kn-i-c-zina
i<d>kn-i-c-a
i<d>kn-i-caˤar
i<d>kn-i-c-ik
Ø
i<d>kn-i-c-kar
i<d>kn-i-c-iğ
i<d>kn-i-c-ğan
i<d>kn-i-c-ğar
i<d>kn-i-c-ux
i<d>kn-i-c-xvan
i<d>kn-i-c-iv
Ø
i<d>kn-i-c-var
‘le fait qu’il reste’
i<r>kn-ic
i<r>kn-ic
i<r>kn-ic-ir
i<r>kn-ic-iz
i<r>kn-ic-zina
Ø
i<r>kn-i-caˤar
Ø
Ø
i<r>kn-ic-kar
i<r>kn-ic-iğ
i<r>kn-ic-ğan
i<r>kn-ic-ğar
i<r>kn-ic-ux
i<r>kn-ic-xvan
Ø
Ø
i<r>kn-ic-var
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Gilles Authier
Authier Gilles : Participes libres et masdars en kryz (p. )
RESUME : Le kryz, langue caucasique de l’Est parlée en Azerbaïdjan, a des relatives
participiales qui conservent leur syntaxe interne verbale; en sont dérivés des noms
verbaux – participes substantivés ou, par abstraction, ‘masdars’ – qui ont la même
propriété, et donc une syntaxe mixte, puisqu’en tant que noms ils ont une syntaxe
externe marquée par des cas, dont on étudie les valeurs sémantiques, complétives au
sens strict ou adverbiales.
ABSTRACT : Kryz, an East-Caucasian language spoken in Azerbaijan, has participial
relative clauses which retain a verbal syntax; verbal nouns or masdars share this
property and have, consequently, a mixed syntax : as nouns they can inflect for a rich
choice of cases, and are used as various complement or adverbial clauses.
Authier G., 2008, Eléments de grammaire kryz, dialecte d’Alik, Paris, Peeters.
Benveniste E., 1966, Pour l'analyse des fonctions casuelles : le génitif latin in
Problèmes de linguistique générale 1, Paris, Gallimard.
Charachidzé G., 1982 Grammaire de la langue avar, Paris, Jean Favard.
Comrie, C., 1976, The Syntax of action nominals : a cross-linguistic study in
Lingua 40 : 177-201
Creissels D., 2006, Syntaxe générale : une introduction typologique, Paris,
Hermès.
Dixon R. M. & Aikhenvald A. Y., 2006 Complementation, Oxford, Oxford
University Press.
Haspelmath M. 2002, Understanding Morphology, Oxford, Oxford University
Press.
Keenan E. L. & Comrie B., 1977, Noun phrase accessibility and universal
grammar in Linguistic Inquiry 8, p. 63-99.
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