Pour citer cet article :
THIBAUD, Jean-Paul. De la qualité diffuse aux ambiances situées. La croyance de l’enquête. Paris : Editions de
l’EHESS, 2004, pp.227-253 (Raisons Pratiques).
Bien que souvent négligée, reléguée au second plan ou même explicitement critiquée, la notion de
« qualité diffuse » (pervasive quality) développée par Dewey constitue le fil conducteur du propos
qui suit. L’affinité étroite qu’elle entretient avec la problématique des ambiances nous conduit à lui
redonner droit de cité. Si cette notion est spécifiquement issue de la philosophie de l’expérience de
Dewey, elle n’entretient pas moins d’étroites relations avec la pensée d’autres philosophes de la
même époque. Cette notion fait écho par bien des aspects à l’idée de « priméité » (firstness) chez
Pierce, à celle de « frange » (fringe) chez James ou bien encore à celle de « qualité tertiaire »
(tertiary quality) chez Santayana. C’est dire qu’une telle notion, aussi énigmatique soit-elle au
premier abord, n’est pas anecdotique ou marginale ; elle s’inscrit au contraire dans un champ de
préoccupations qui n’a cessé de travailler le programme pragmatiste de la première heure. Il en va
ici du caractère irréductible de l’expérience immédiate et de la nécessité de reconnaître sa
dimension non cognitive. On ne peut pas non plus considérer cette notion comme un épiphénomène
dans la pensée de Dewey. Si tel était le cas, comment expliquer alors la place qu’elle occupe dans
les œuvres de maturité telles que The Theory of Inquiry ou Art as Experience ? Malgré les diverses
critiques1 adressées à l’égard d’une telle notion, il nous semble qu’elle mérite encore un examen
attentif et qu’elle ne peut être évacuée aussi facilement de la philosophie de Dewey. Mieux encore,
la notion de qualité diffuse fonctionne sans doute comme un analyseur des débats et des diverses
tendances qui traversent actuellement le pragmatisme.
1 Je pense en particulier la critique de Pepper (1970) consistant d celerà à é
dans cette notion une tendance id aliste, ou bien encore la critique plusé à
r cente de Shusterman (1994) qui entrevoit une orientation fondationnalisteé
contraire la pens e pragmatiste.à é